Le film L’innocence
des musulmans a réussi son coup : il déclenche les passions. Celles
des deux bords, des deux camps. Une bonne partie du monde musulman crie au
scandale, manifeste avec plus ou moins de violence. Les contempteurs de l’islam
voient dans cette violence une justification de leurs thèses.
Autant le dire tout de suite : je n’ai pas vu le film,
et je ne suis les manifestations que d’assez loin. Ici, à Mayotte, île française
pourtant très majoritairement musulmane, il n’y a pas d’émeutes, pas d’attaques
anti-blancs ou anti-chrétiens, pas d’agressivité contre la communauté mzungu.
En revanche, je lis qu’en France, le mot d’ordre mobilisateur
qui rassemble les manifestants sur les réseaux sociaux est « Touche pas à
mon prophète ! ».
Ce mot d’ordre me pose un gros, un énorme problème, et je
trouve assez effarant qu’il ne déclenche pas plus de réactions. La liberté d’expression
est une des libertés les plus fondamentales, et rend possible la critique d’une
religion, des croyances qu’elle enseigne, des rites qu’elle pratique, des principes
moraux qu’elle professe, des textes qu’elle regarde comme inspirés de Dieu et
des personnages historiques qu’elle considère comme sacrés.
Les seules limites que je peux reconnaître à la liberté d’expression,
ce sont l’appel à la haine, l’appel à la violence et la diffamation. Même l’insulte
publique me semble devoir être autorisée, car elle me semble plus dangereuse
pour celui qui la profère que pour celui qu’elle vise. Et je crois de moins en
moins que l’expression publique d’opinions comme le racisme, l’antisémitisme, le
révisionnisme historique, l’homophobie ou le sexisme, pour répugnantes qu’elles
soient, puisse systématiquement s’assimiler à un appel à la haine, et donc être
pénalement condamnables. Face à elles, la meilleure réponse m’a toujours semblé
être l’expression d’opinions contraires ; de plus en plus, je pense qu’il
s’agit en fait de la seule réponse
possible.
Mais ce qui est pour moi absolument certain, sans l’ombre du
moindre doute, c’est qu’il est possible de dire absolument tout sur une figure historique morte il y a plus de 1300 ans,
quelle que soit son influence aujourd’hui ou le nombre de personnes qui se
revendiquent d’elle. La liberté d’expression
implique le droit de choquer, de heurter les convictions politiques ou religieuses
des autres. Autrement dit, oui, il doit être possible de « toucher
aux prophètes », à tous les prophètes, sans avoir ensuite à subir des conséquences
violentes. Je demande à ce que tout un chacun ait le droit de déchirer
publiquement le Nouveau Testament, à condition qu’il jette les morceaux dans une
poubelle et non sur le trottoir, ou de brûler publiquement des images du
Christ, tant qu’il ne risque pas de mettre le feu quelque part. En retour, je
demande qu’on puisse faire de même avec toutes les figures historiques ou
mythiques, quelle que soit la révérence qu’elles inspirent à leurs disciples
aujourd’hui, de Bouddha à Muhammad en passant par Marx ou Joseph Smith.
De leur côté, les religions doivent, je le répèterai toujours, pouvoir
exprimer publiquement, avec la même liberté, leurs propres opinions, et ce même
en pays laïc, la laïcité n’étant pas, et ne pouvant pas être, la limitation de
la religion à la sphère privée. Mais elles doivent comprendre que cette liberté
dont elles jouissent et doivent continuer à jouir est le corollaire de celle qu’elles
laissent aux autres.
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