Qui veut manger des larves de mouche ? A priori, pas grand-monde. Les insectes,
et plus généralement la plupart des invertébrés (vers, arachnides, myriapodes
etc., bref à peu près tous à part les mollusques et les crustacés) ne sont pas particulièrement
ragoûtants.
Et pourtant, c’est l’avenir. Un avenir possible, du moins. C’est
logique : la planète est de plus en plus peuplée ; les hommes ont
besoin de protéines animales ; mais les sources traditionnelles (viandes,
poissons, fruits de mer, œufs, produits laitiers etc.) coûtent cher à produire pour
les espèces domestiques, et se raréfient pour les espèces sauvages. Vers quoi
pouvons-nous nous tourner ? Vers des animaux dégueulasses (à manger, parce
qu’à part ça ils ne sont pas plus dégueulasses que les autres, beaucoup sont
même absolument splendides), mais riches en protéines et faciles à élever en
masse.
Écologiquement, l’argument est imparable. Les invertébrés
présentent un rendement bien supérieur à celui du bétail traditionnel :
certaines usines de production chinoises livrent déjà 150 kg. de vers de mouche
par jour et prévoient de passer à un rendement de 10 tonnes quotidiennes. En outre,
leur élevage nécessite beaucoup moins d’eau. Selon Le Monde d’aujourd’hui, « 70 % environ des terres arables et 9
% de l’eau douce sont [actuellement] consacrés à l’élevage, responsable en
outre de 18 % des émissions de gaz à effet de serre ».
Il reste bien quelques problèmes techniques à régler. Ainsi,
les mouches nourries de déjections animales sont impropres à la consommation humaine ;
mais nul doute que quelques manipulations génétiques les rendront parfaitement
capables de se nourrir de son de riz. Il faudra aussi franchir l’obstacle que
constitue le blocage psychologique que ressent à peu près tout le monde devant
un plat de larves frites ; mais il est loin d’être insurmontable. On peut
présenter les insectes sous forme de pâté ou de hachis ; une solide
éducation et l’idée qu’on aide à sauver la planète feront le reste.
Évidemment, ça ne veut pas dire que les filets de porc ou
les pavés de saumon disparaîtront. Ils se contenteront de devenir tellement
chers qu’ils seront l’équivalent du caviar ou du homard aujourd’hui :
réservés à une petite élite richissime pour une consommation quotidienne, les
classes moyennes ne se les permettant qu’aux grandes occasions, et le bas
peuple plus du tout.
Alors, c’est ça, l’avenir ? C’est assez probable. De
toute manière, il n’y a pas trente-six solutions : soit l’humanité
disparaît sous les coups de la crise écologique qu’elle a engendrée, soit elle
s’adapte. Si elle s’adapte, elle ne peut le faire que de deux manières :
soit par la solution décrite plus haut, avec des inégalités devenues tellement
profondes qu’elles ne pourraient se maintenir que par l’instauration du pire
des totalitarismes ; soit en acceptant de réduire à la fois son niveau de développement
technologique, donc son niveau de vie, et le nombre d’êtres humains sur Terre.
Il n’y a qu’une alternative.
Toute la question est donc de savoir dans quelle société et
sur quelle planète nous voulons vivre : une Terre surpeuplée dans laquelle
les bonnes choses et le confort matériel seraient réservés à une oligarchie
richissime, tandis que le reste de la population se nourrirait de mille-pattes
et de vers de bambous génétiquement modifiés ; ou bien une Terre où l’humanité
aurait appris à s’autoréguler, tant en termes de niveau de vie que de population,
et où chacun pourrait donc vivre décemment, non pas dans une débauche de biens
matériels, mais en profitant néanmoins des bonnes choses que cette vie a à nous
offrir. Comme les lasagnes au bœuf plutôt qu’à la pâte d’araignées.
Un autre intérêt de l'entomophagie est que l'on se sent moins coupable de manger des insectes (dont le système nerveux est rustique) que de tuer des mammifères inoffensifs comme des moutons (et peut-être plus encore, comme des cochons qui sont si proches de l'espèce humaine).
RépondreSupprimerMais de nos jours, en 2015, il reste à passer de l'idée théorique séduisante à des réalisations effectives dans le monde réel.
En effet, suite à cet article, j'ai trouvé des explications sur des procédés actuels de production d'insectes comestibles (principalement vers de farine et grillons), ainsi que des prix de vente en France, sur les deux sites Internet suivants :
www.europe-entomophagie.com
www.micronutis.com
Le résultat est sans appel. "Tous calculs faits" (estimations tenant compte de la déshydratation), l'équivalent en protéines, obtenu à partir d'insectes est beaucoup plus onéreux qu'obtenu à partir des animaux habituels (mammifères, oiseaux, poissons). Autrement dit, il reste beaucoup de travail et d'efforts à faire, pour que de futures "fermes à insectes" puissent produire de la nourriture protéïnée à des prix compétitifs.
Hors de France, il y a probablement davantage de possibilités pour partir dans la nature à la cueillette d'insectes variés.
J'imagine cependant qu'il faut un temps de main d'oeuvre important pour réunir, sous forme d'insectes (petits et légers), l'équivalent nutritif d'un seul cochon de 100 kg.
Je recopie ici le passage de Wikipédia concernant l'entomophagie à la La Réunion:
"Les nids de guêpes maçonnes (Polistes hebraeus) sont recherchés de janvier à mars (été austral) et les larves sont consommées frites ou "en rougail" (avec tomates et épices). Les nids sont parfois vendus sur le bord de la route, enfilés sur une tige de graminée. Les "zendettes" (larves de gros coléoptères xylophages, comme le « ton jacques » (Batocera rufomaculata)), sont encore parfois consommées, ainsi que la larve d'un gros charançon originaire de Madagascar ( Aphiocephalus limbatus), qui se développe dans les fruits du "vacoa" (Pandanus utilis).
Jean Daniel Reuss