samedi 8 janvier 2022

Finissons-en avec le principal argument des pro-passe sanitaire

En complément de mon dernier billet, dans lequel j’exprimais mon désarroi face à l’hébétude béate qui frappe la planète devant les mesures liberticides des gouvernements du monde entier, je voudrais ajouter quelque chose dans l’ordre du rationnel, en contrant le principal argument, très bêta pourtant, du gouvernement et du vaste troupeau qui bêle son approbation.

Cet argument, Le Monde l’exprime benoîtement dans un éditorial révélateur intitulé « L’exaspération d’Emmanuel Macron face aux non-vaccinés, une arme à double tranchant ». Comme toute la littérature favorable au passe sanitaire, vaccinal, ou à toute autre joyeuseté gouvernementale, l’article est bardé de certitudes (tant il est vrai que la bêtise est toujours très sûre d’elle-même), parlant des non-vaccinés comme d’une « minorité qui pèse lourd dans l’exaspération grandissante du reste de la population », contre laquelle « la colère gronde », et affirmant sans se poser plus de questions que ça que « sur le fond, on ne peut que donner raison au président de la République de vouloir accentuer la pression sur les non-vaccinés ». Ah bon.

« L’argument » avancé contre ceux qui oseraient ne pas être d’accord, voire « crier à la dictature », et qui, rappelle le bon journal, « ont de coupables œillères », est tout simple : « la liberté individuelle s’arrête là où elle met en danger la vie d’autrui ».

Or, cette phrase, en apparence parfaitement acceptable, est l’exemple-type de l’idée toute faite, pas réfléchie, et, formulée telle quelle, parfaitement sotte. Car en réalité, on met en permanence en danger la vie d’autrui. Quiconque prend la voiture pour faire 5 kilomètres met en danger la vie d’autrui : il peut toujours avoir un assoupissement et écraser un passant. Celui qui pulvérise du roundup dans son jardin à chaque printemps met en danger la vie d’autrui : il peut être la cause du cancer de son voisin. Si je fais des crevettes flambées, est-ce que je ne risque pas de ne pas maîtriser mon cognac, de déclencher un incendie, et de mettre en danger la vie d’autrui ?

En réalité, nous mettons tous, toujours, en danger la vie des autres – c’est d’ailleurs pour ça qu’il y a tant d’accidents domestiques graves, une des premières causes de mortalité –, sans pourtant que ça ne gêne personne. C’est encore plus vrai à l’échelle politique et collective : un président de la République qui souhaite relancer le programme nucléaire et refuse de faire interdire les pesticides tueurs d’abeilles met en danger la vie de millions de personnes ; il est, je crois, bien plus « irresponsable », pour reprendre son propre terme, qu’un non-vacciné. Et là encore, ça ne pose problème à personne ; il ne viendrait pas à l’esprit des éditorialistes du Monde de vouloir limiter sa liberté d’agir, même quand elle met en danger la vie des autres.

Ce que cela révèle est assez simple, et même un partisan du passe sanitaire peut sans doute le comprendre : c’est que cette idée (« la liberté s’arrête là où elle menace celle des autres ») ne veut rien dire, qu’elle est vide, creuse. En réalité, à chaque fois qu’une action, qu’un comportement est risqué, on mesure le risque encouru, la liberté en cause, et on tranche en fonction des deux paramètres. Pour la voiture, typiquement, on estime qu’en roulant, on ne fait pas courir un énorme risque à son prochain, et qu’inversement interdire la voiture serait trop coûteux en termes de liberté de déplacement. On autorise donc la voiture, sans que les journaleux du Monde n’y voient aucune œillère, et ce même si on fait quand même, objectivement, courir un risque à son prochain quand on prend le volant. Pareil pour la chasse, par exemple : évidemment qu’en tirant le chevreuil en forêt, on « menace » la vie des autres : des promeneurs, des cueilleurs de champignons, de Victor l’enfant sauvage, et j’en passe. Mais on estime que le risque n’est pas assez important pour restreindre la liberté des chasseurs sachant chasser à le faire.

En revanche, on limite également la liberté dans ces domaines : on interdit de rouler à 190 Km/h dans un village, par exemple, ou de rouler ou de chasser en étant rond comme une boule. Pourquoi ? Parce que le chauffard ou le chasseur bourré font courir un risque nettement plus important au passant ou au promeneur, alors que les empêcher de se bourrer la gueule au volant ou en tenant un fusil n’est qu’une petite restriction de leur liberté (on ne leur interdit pas complètement les délices de l’ivresse, on leur demande seulement de ne pas mélanger les plaisirs).

Bref, à chaque fois, les sociétés ont fait preuve d’un certain bon sens. Elles ont pu se tromper ; ainsi, il apparaît aujourd’hui que l’usage de la voiture est nettement plus dangereux qu’on ne le pensait, mais pas à cause des piétons écrasés, plutôt à cause du climat qu’on détraque ; mais ça, ceux qui ont autorisé la voiture ne le savaient pas. On a donc su, avec le temps, mettre en place des équilibres entre sécurité et liberté – in medio stat virtus.

C’est ce simple bon sens – le bon sens qui, selon George Orwell, est le grand rempart contre les totalitarismes – qui est aujourd’hui perdu de vue par Le Monde, par le gouvernement, et par ceux qui les suivent : hier avec le terrorisme, aujourd’hui avec la covid, on ne veut plus que la sécurité, rien que la sécurité, et toute la sécurité. Bien sûr, nos amis les journalistes n’assumeraient jamais ça dit comme ça : et pourtant, c’est précisément l’aboutissement de leur petite phrase sur la liberté qui s’arrête quand elle menace la vie des autres.

Or, c’est une idée aussi idiote que dangereuse. Idiote, parce que c’est une illusion, un rêve de singes : le risque zéro n’existe pas, et la citation prêtée à Franklin est éminemment juste – un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité  ne mérite ni l’une ni l’autre, et finira par perdre les deux. Dangereuse parce que, justement parce que le risque zéro n’existe pas, il n’y aura pas de fin à la course aux mesures liberticides ; que ce soit pour lutter contre le terrorisme ou contre la covid, les gouvernements pourront toujours nous dire : « vous voyez bien qu’il faut maintenir – et même accroître – les mesures liberticides, puisqu’il y a toujours des morts ».

Il faut donc freiner avant le précipice. Et comme l’autre argument des pro-passe, c’est toujours de dire « mais enfin, qu’est-ce que vous feriez à leur place ? », il faut arriver avec quelques propositions :

1. Il faut accepter l’idée que dans une épidémie, certains vont mourir. Nous avons la chance, dans notre malheur, d’être face à un virus qui fout à peu près la paix aux jeunes et aux enfants, exception faite des quelques-uns qui présentent des risques particuliers : je l’ai déjà dit dans le passé, on ne peut pas pourrir infiniment la vie de tous pour préserver la survie biologique des plus de 85 ans. Car ce ne sont pas seulement les non-vaccinés qu’on emmerde, ce sont les autres aussi ! Même si je suis vacciné, je n’ai pas envie de devoir en présenter la preuve quand je vais au cinéma, pas plus que je n’aurais envie de présenter mon vaccin antitétanique.

2. Inversement, il faut laisser se protéger ceux qui veulent l’être. Que les vieux, les obèses, les diabétiques, les asthmatiques qui s’estiment en danger se protègent, qu’on leur distribue des masques gratuits, qu’on les laisse télétravailler, voire rester chez eux sans travailler si le télétravail leur est impossible. Vous voyez, je suis libéral ! Contrairement à Macron, je voudrais emmerder le moins de personnes possible, ni ceux qui ont peur du vaccin, ni ceux qui ont peur du virus, ni ceux qui n’ont pas peur.

3. Il faut augmenter drastiquement nos capacités hospitalières. Faut-il rappeler que la crise actuelle est avant tout le fruit de 40 ans de politiques néolibérales ? On a diminué sans cesse les capacités d’accueil de notre système de santé, on a tout fait pour qu’il n’y ait plus aucun lit inoccupé, donc disponible, on a confié l’hôpital à des gens sans expérience des métiers de la santé qui l’ont géré comme des mandataires pour entreprises en redressement, et on s’étonne qu’on ne puisse pas faire face à une épidémie ! Le gouvernement actuel a continué les fermetures de lits, pendant la pandémie ! Pas étonnant qu’on ne la gère pas. Et qu’est-ce que ce serait si le virus était vraiment dangereux ? S’il touchait les jeunes adultes, comme le sida ou la grippe espagnole ? S’il avait un taux de mortalité de 5, 10, 30% ?

4. Il faut continuer à inciter les gens à se faire vacciner. Rappelons-le : je ne suis pas anti-vaccin, et encore moins anti-vaccins ! J’ai fait vacciner mes enfants avec les 11 vaccins aujourd’hui obligatoires avant même qu’ils ne le soient. Quand un vaccin a prouvé sur le long terme son innocuité et son efficacité, évidemment que j’y suis favorable.

Si, pour les vaccins contre la covid, je suis fermement opposé à une obligation vaccinale, c’est parce que, je le rappelle, nous n’avons pas le recul nécessaire à une juste évaluation des risques. En effet, il ne suffit pas d’avoir des millions de vaccinés pour une telle évaluation ; il faut aussi le recul temporel nécessaire à l’établissement des chiffres clefs. Est-il plus risqué pour un trentenaire en bonne santé et sans surpoids d’attraper la covid ou de se faire vacciner ? À l’heure actuelle, on n’en sait rien, et ceux qui prétendent le contraire sont des menteurs ou des gens qui n’ont rien compris. Sinon, qu’on me donne les chiffres ! Mais qu’on ne se contente pas des chiffres généraux et des moyennes : c’est par sexe, par tranche d’âge, par état de santé qu’il nous faut connaître le pourcentage des décès liés à la maladie, et de ceux liés aux vaccins, afin de pouvoir comparer les deux. Que ceux qui sont si sûrs d’eux nous les donnent, ces chiffres, s’ils les ont !

En revanche, cela n’enlève rien à la nécessité d’inciter les gens à se faire vacciner, sans les « emmerder » ni leur « pourrir la vie », sans instaurer d’obligation vaccinale déguisée. Si, à l’échelle individuelle, on ne sait pas ce qui est le plus risqué, il est clair que collectivement, le vaccin est bénéfique, et le serait encore même s’il était beaucoup plus dangereux. Se faire vacciner est donc, pour les jeunes en bonne santé, un comportement altruiste. Il faut naturellement inciter les gens à avoir des comportements altruistes ; mais on ne peut pas leur imposer de risquer leur vie pour le groupe pour une maladie qui tue objectivement si peu.

5. Ponctuellement, et en complément des mesures précédentes, en cas de crise momentanée et d’engorgement passager des services hospitaliers, il est envisageable de mettre en œuvre de nouveaux confinements courts pour toute la population. On me dira que c’est mauvais pour l’économie. Certes ! Mais les mesures discriminatoires étant mauvaises pour les libertés et pour les droits fondamentaux, le choix devrait être vite fait. Il faut vraiment que beaucoup aient perdu de vue l’essentiel pour que ce ne soit plus le cas.


jeudi 6 janvier 2022

Les petits tyrans qui vous veulent du bien

Six mois depuis mon dernier billet. Six mois pendant lesquels le passe sanitaire s’est imposé dans le quotidien, et bien pire, dans les mentalités. Six mois que personne ne proteste, que Macron est en passe d’être réélu, ou remplacé par quelqu’un qui ne vaudra pas mieux du point de vue de la défense des libertés. Six mois que tout passe crème. Six mois que la logique se déroule, rouleau compresseur qu’on ne peut ni arrêter, ni ralentir. Ceux qui avaient des doutes sur le vaccin ont été des complotistes ; les vaccins ont des effets secondaires parfois graves, à tel point qu’on ne sait toujours pas si, à l’échelle individuelle, il est plus risqué pour un homme de 25 ans de se faire vacciner ou d’attraper la covid ? Pas grave, ce sont toujours des complotistes. Ceux qui affirmaient que le gouvernement ne s’arrêterait pas en chemin et mettrait en place des mesures toujours plus liberticides étaient aussi des complotistes. L’avenir leur a donné raison, l’exécutif impose tout ce qu’il avait promis de ne pas imposer ? Pas grave, ils sont toujours complotistes !

Six mois que je n’ai rien écrit sur ce blog, parce que j’ai de plus en plus l’impression que ça ne sert strictement à rien. C’est fatigant, d’être la voix qui crie dans le désert. Du coup, il est temps de tracer un petit bilan ; et puis, c’est la nouvelle année (l’heure est au bilan !). Quelles leçons tirer de la crise ?

La principale, c’est que l’attachement des gens à la liberté en général et particulièrement aux libertés fondamentales est encore bien plus fragile que je ne l’imaginais. Oh, je ne me faisais pas beaucoup d’illusions : ceux qui me connaissent ou qui me lisent régulièrement savent que le profond mépris de la plèbe pour les droits fondamentaux est le socle de mon opposition au système démocratique – opposition bien confortée par la période actuelle, du coup. J’avais bien vu que beaucoup étaient prêts à sacrifier leur liberté sur l’autel d’une prétendue sécurité face à l’ennemi désigné du terrorisme fondamentaliste. J’avais bien vu que beaucoup (quoique moins) étaient prêts à sacrifier leur liberté (et surtout celle des autres) sur l’autel de la lutte contre les inégalités, les discriminations, les dominations anciennes. Mais justement, à chaque fois, j’avais vu des gens, et pas les gens, cracher sur la liberté au nom de la sécurité, de l’identité ou de l’égalité. Dans beaucoup de médias, surtout ceux où on pense encore un peu, on pouvait entendre des gens qui défendaient les caméras de surveillance dans tous les jardins, la censure de Carmen ou le déboulonnage des statues de Victor Schœlcher ; mais à chaque fois, face à ces excités, d’autres, plus raisonnables, présentaient des arguments raisonnables en défense de la liberté.

Grâce à cela, je ne me sentais pas trop seul. Minoritaire, certes, et de plus en plus (je n’ignorais ni les sondages qui montrent que les 15-24 ans trouvent anormal de pouvoir critiquer la religion des autres, ni l’intrusion de plus en plus obscène de la vidéosurveillance) ; mais pas seul.

Ce qui me frappe, au contraire, dans la crise sanitaire, c’est ma solitude. L’immense majorité des médias, et plus encore des individus (ceux que je connais aussi bien que les grandes figures que j’écoute un peu régulièrement) ont un discours quasiment unanime. On n’entend plus qu’une voix ; argument qui m’a récemment été présenté par un partisan du passe sanitaire comme étant la preuve que j’avais tort, alors que rien que ça devrait mettre la puce à l’oreille de n’importe qui avec un peu d’esprit critique ! Les très rares opposants au passe sanitaire qu’on peut entendre sont soigneusement sélectionnés pour tenir les discours les plus débiles possibles, histoire que le bon peuple comprenne bien où sont le Bien et la Vérité.

Il y a donc, apparemment, une quasi-unanimité sur le sujet. Survolant un article du Monde ce matin (je sais, je sais, il m’arrive encore de parcourir ce qui est passé du statut de journal de référence à celui de Pravda centriste au service du gouvernement), je lisais que 70% des Français considèrent comme plus important de défendre la santé que la liberté, et que 90% approuvent la politique sanitaire de l’exécutif. Je ne sais ni d’où ils tirent ces chiffres, ni s’ils sont fiables, mais ils ne sont certainement pas invraisemblables, tant les gens semblent prêts à accepter tout et n’importe quoi. On pense aux Hommes protégés, de Robert Merle, roman d’anticipation dans lequel une maladie mortelle frappe exclusivement les hommes en âge de procréer. Seule protection : la castration, très rapidement acceptée par toute une partie des concernés, qui se mettent à arborer fièrement le « A » de « ablationniste ».

C’est d’autant plus terrible qu’une fois que le premier pas a été fait, il est bien difficile de ne pas dérouler toute la pelote. Hier, beaucoup parmi ma famille et mes amis trouvaient parfaitement normal d’instaurer des discriminations contre les non-vaccinés. « Ce sont des irresponsables », « s’ils ne veulent pas prendre de risques pour les autres, normal qu’ils en payent le prix », « ils sont potentiellement dangereux pour les autres, ils n’ont pas à entrer dans un cinéma, après tout on peut très bien vivre sans cinéma », et toute la litanie des propos nauséabonds du même tonneau. Aujourd’hui, où en est-on ? Des médecins proposent crânement, dans les colonnes du même torchon, de ne plus réanimer les non-vaccinés sauf s’ils l’ont explicitement demandé auparavant ; médecins et hommes politiques font la tournée des plateaux télé en expliquant que les soins liés à la covid ne devraient plus être remboursés pour les non-vaccinés, que le président de la République assume de vouloir « emmerder » (un de ses conseillers, plus tôt, assumait la stratégie de leur « pourrir la vie ») puisque après tout, « un irresponsable n’est plus un citoyen ».

« Un irresponsable n’est plus un citoyen. »

Il faut prendre le temps de mesurer la portée du propos, son ignominie, sa violence assumée, tout particulièrement dans la bouche de celui qui est censé être le président de tous les Français.

Mais comment ceux qui, hier, se disaient d’accord pour priver certains citoyens du droit d’accès à la culture, au théâtre et au cinéma, pourraient-ils renier cette phrase abjecte ? La logique est la même, elle est seulement poussée plus à fond, assumée davantage ; et les mêmes finiront peut-être par trouver normal que, comme en Chine, on soude la porte des familles confinées qui ont osé sortir de chez elles, ou qu’on refuse à une femme sur le point d’accoucher l’entrée à l’hôpital car son test PCR est périmé depuis quatre heures…

Ce qui est sinistre, c’est que cette logique est à l’œuvre depuis longtemps chez beaucoup. Un médecin me disait, bien avant la pandémie, qu’il était pour que ne rembourse qu’une seule fois à un fumeur le traitement de son cancer du poumon ; si, guéri, il se remettait à fumer, il estimait que la société n’avait pas à payer pour le soigner à nouveau. C’est évidemment ignorer complètement d’une part ce que sont les droits fondamentaux, qui sont par définition inconditionnels (la société pas ne soigne pas ses membres parce qu’ils sont responsables, elle les soigne, point final), et d’autre part la condition humaine dans son ensemble (car c’est faire fi des poids, voire des déterminismes, qui pèsent sur les choix humains) ; mais ce genre d’idées se répand dangereusement. Faudra-t-il demain ne pas rembourser les traitements cardiaques de ceux qui auront mangé trop gras ? Vérifier que quelqu’un avait bien mis une écharpe en hiver avant de lui rembourser le traitement de son angine[1] ? Les mêmes seraient-ils d’accord pour exclure de l’école les élèves qui, au bout de trois ans, ont fait preuve de leur incapacité à se mettre au travail ?

Même les réactions de certains opposants à Macron sont révélatrices. Ainsi, Éric Zemmour, interrogé sur cette phrase, estime que le président veut mettre la question de la crise sanitaire au centre de la présidentielle parce qu’il se sait soutenu par l’opinion, et exhorte ses soutiens à marteler le grand remplacement à la place. Pas un mot pour, précisément, critiquer la gestion catastrophique de la crise par l’exécutif ! Il y aurait un boulevard à emprunter pour retourner ce piège politique de Macron contre lui-même, et Zemmour n’y met pas un pied.

Ce sont cet oubli, cette méconnaissance, cette incompréhension complète des droits fondamentaux qui ont permis, depuis le début de la pandémie, aux mesures les plus liberticides d’être appliquées. Ce qui est affligeant, c’est l’efficacité de la propagande, y compris sur des esprits éclairés, éduqués, critiques. Il y a de quoi pleurer quand on voit des professeurs de philosophie ayant toujours voté à gauche et défendu les droits de l’homme accepter sans broncher l’assignation à résidence d’un dixième de la population française au motif de son statut vaccinal.

Ces mesures liberticides sont donc populaires ; et elles le sont d’autant plus qu’elles flattent les penchants de contrôle et de domination de toute une partie d’esprits pervers et tordus. J’avais déjà remarqué la jouissance de certains, agents de sécurité par exemple, à faire entrer les uns et pas les autres dans un magasin au motif que le quota était atteint, ou à vous faire remettre votre masque sur votre nez. Aujourd’hui, j’ai rencontré une dame encore plus avide de faire obéir les autres et de vivre dans une société de bons petits soldats, puisqu’elle voulait absolument que je misse le masque du côté bleu (ou blanc, j’ai oublié, mais à elle ça lui semblait visiblement très important). C’était essentiel, disait-elle, pour que je sois « bien protégé ». Je ne pense pas qu’objectivement le masque vous protège mieux d’un côté que de l’autre, et je crois surtout qu’elle aurait été bien en peine de me le démontrer, mais elle y tenait, et était manifestement très embêtée par mon refus et ma claire insouciance de la couleur dont on voyait mon masque.

De la même manière, je vois des gens se réjouir de l’interdiction de manger et de boire dans les transports en commun, y compris longue distance, ce qui va faire que des enfants n’auront plus le droit de prendre un peu d’eau dans un Paris-Toulouse de plus de cinq heures en train, au motif que « c’était le prétexte qu’avaient trouvé les anti-masque pour ne pas le mettre » ; et je me dis qu’il faut vraiment avoir accumulé pas mal de frustrations et de rancœurs dans sa vie pour avoir, des mois durant, rongé son frein et ragé intérieurement en voyant tous ces salauds manger et boire un peu tranquillement, pour finir par exulter quand on leur en retire le droit.

Il n’y a que la psychiatrie pour expliquer cela, bien sûr : à l’évidence, tout un tas de gens à l’existence sans doute très triste, très étriquée et à vrai dire assez merdique éprouve une véritable jouissance à exister enfin à travers la loi qu’ils font appliquer. Lacan avait d’ailleurs un terme pour ce genre de personnages ; il les appelait des « jouit-la-loi ».

Je ne vous cache pas que face à cette moutonnerie généralisée, mon désir immédiat est de me retirer du monde et de ne plus bouger. C’est d’ailleurs une des raisons de mon silence sur ce blog : sur ce sujet essentiel, j’ai l’impression que le débat est vain, que ceux qui ont été matraqués (et convaincus) par la propagande sont irrécupérables, qu’ils ont été rendus réellement stupides (au sens étymologique d’être étourdi, immobilisé, engourdi par un coup) et que la discussion ne peut plus mener à rien.

Alors d’accord, si je réécris après six mois, c’est que j’ai encore un peu d’espoir. Mais ne vous y fiez pas trop.
 


[1] En 1963, le roman 37° centigrades imaginait précisément une dictature sanitaire dans laquelle la couverture médicale était conditionnée à un contrôle permanent des individus par l’État. Comme quoi ce qui était dystopie il y a 60 ans est proposé très sérieusement par des intellectuels, des politiciens, des médecins. Ça aussi, ça devrait donner à réfléchir à ceux qui n’ont pas jeté leur cerveau.