vendredi 28 septembre 2012

Pour le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels – Une réponse au Conseil Famille et société de la Conférence des Évêques de France

Hier, le Conseil Famille et société de la Conférence des évêques de France a publié un document intitulé « Élargir le mariage aux personnes de même sexe ? Ouvrons le débat ! » et destiné à mettre en ordre les arguments des autorités de l’Église de France contre le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels.

On peut reconnaître à ce texte plusieurs qualités, en particulier une certaine mesure dont d’autres adversaires de cette réforme, comme l’Institut Civitas, ne se sont pas encombrés. Il reste néanmoins truffé d’erreurs, d’approximations et de raccourcis, et mérite donc une réponse.

La première erreur, sorte de péché originel du texte, se situe dès l’exposé des positions en présence. Le Conseil écrit en effet que pour les partisans du mariage homosexuel, « le mariage […] n’aurait pas une nature propre ou une finalité en soi ; il ne serait chargé que du sens que l’individu […] voudrait bien lui conférer ». C’est l’erreur que je dénonce depuis le début de ce débat ; je ne suis pas d’accord avec l’idée que se fait le Vatican de la nature ou de la finalité du mariage, mais cela ne signifie pas que pour moi, il n’a pas de nature propre ou de finalité en soi !

La seconde erreur est encore un raccourci logique abusif. Que l’altérité sexuelle soit fondamentale dans l’humanité, soit, c’est une évidence que, fort heureusement, peu de gens remettent en question. Que cette altérité soit une richesse, je n’en disconviens pas. Qu’elle soit différente par nature, et pas seulement par degré, des autres formes d’altérité qui traversent l’humanité (les couleurs de peau, les religions, les langues etc.), on peut encore l’admettre. Mais comment passe-t-on de ce constat à l’idée que le mariage doive forcément être réservé aux personnes de sexes différents ? Pourquoi le mariage devrait-il n’être fondé que sur cette altérité fondamentale ? Il y a là un prétendu lien de cause à conséquence qui n’est jamais explicité.

Une tentative de l’expliciter (la seule, à dire vrai) est bien lancée avec l’idée que « dans l’expérience humaine, seule la relation d’amour entre un homme et une femme peut donner naissance à une nouvelle vie » ou que « l’accueil des enfants nés de cette union de vie fait partie intégrante de cet engagement » dont la profondeur « confère au mariage sa haute valeur symbolique ». Mais cet argument est intenable pour deux raisons au moins.

La première, c’est que de nos jours, il est justement de plus en plus facile de donner naissance sans passer par une relation sexuelle entre un homme et une femme. Il n’est pas encore légal, et je n’y suis personnellement pas du tout favorable, mais demain, le clonage humain pourra donner naissance à la vie humaine sans passer par l’altérité homme/femme.

La seconde, c’est que cet argument est basé sur l’idée que mariage est un lien devant obligatoirement contenir la possibilité au moins de donner la vie. En toute logique, et avec une telle définition, le mariage devrait donc être fermé aux personnes stériles, que la stérilité soit due à un problème physiologique ou tout simplement à l’âge : en effet, une femme ménopausée est tout aussi incapable qu’un homosexuel de donner la vie ; en fait, elle l’est même bien davantage. Un couple entre un homme et une femme ménopausée, ou un couple dont l’un des membres est stérile, devra, pour donner naissance à une vie nouvelle, avoir recours soit à la technique, soit à une tierce personne, exactement de la même manière qu’un couple homosexuel. Si les évêques dénoncent la « vision très individualiste du mariage » qui serait celle des couples homosexuels « au regard de la procréation naturelle » (aucune autre raison n’étant invoquée pour justifier cette qualification), que ne font-ils de même envers les personnes stériles ?

C’est ce manque de cohérence qui fait s’écrouler comme un château de cartes tout le reste de l’édifice théorique que prétend construire la Conférence des évêques de France. Car tout le reste en découle. Ainsi, l’idée selon laquelle « il ne faudra pas que le législateur prenne l’initiative d’organiser l’impossibilité de connaître [les parents des enfants] ou [qu’ils soient] élevés par eux » devrait en toute logique s’appliquer tout autant aux couples stériles qu’aux couples homosexuels.

Par ailleurs, la CEF nous accuse de « gommer » la différence entre hétérosexuels et homosexuels, entre mariage homosexuel et mariage hétérosexuel. Mais nous ne cherchons certainement pas à « gommer » quoi que ce soit. Oui, les différences existent, et oui, elles sont une bonne chose ! D’ailleurs, si elles sont si bonnes, l’Église catholique ne devrait-elle pas considérer l’homosexualité comme telle, plutôt que de la condamner comme un désordre contre-nature ? Nous ne nions pas les différences ; nous affirmons seulement que la différence entre l’union de deux hommes, de deux femmes ou d’un homme et d’une femme, pour réelle qu’elle soit, ne nous semble pas suffisante pour refuser d’appeler les deux premières « mariages ». De la même manière que l’union de deux catholiques n’est certainement pas exactement la même chose que l’union d’une athée et d’un catholique, sans pour autant que cette différence nécessite l’emploi d’un terme différent.

Bref, cette accusation est encore et toujours un raccourci logique abusif : le Conseil Famille et société tente d’assimiler une revendication d’égalité à une volonté de gommer des différences objectives, alors même que cette volonté n’est que le fait d’une minorité de militants et n’a strictement rien à voir avec la revendication d’égalité elle-même. On peut parfaitement revendiquer le même traitement pour des choses qu’on reconnaît différentes ! Contrairement à ce que prétendent les autorités ecclésiastiques, nous ne passons sous silence ni les réalités anthropologiques, ni les droits de l’enfant, et nous ne pensons pas que le bien commun se réduise à la somme des intérêts individuels ; mais de toutes ces notions, nous avons seulement une autre vision qu’eux.

Enfin, le Conseil Famille et société examine les conséquences juridiques potentielles de la réforme, en particulier la question de la présomption de paternité. Mais c’est là encore un faux problème. Dans un mariage hétérosexuel, lorsque le père est stérile, que se passe-t-il ? Je ne suis pas juriste, mais de deux choses l’une : ou bien la présomption de paternité continue à s’appliquer, auquel cas on est déjà dans le « mensonge sur les origines de la vie » que dénonce la CEF, et on voit bien que le problème n’a rien à voir avec la question de l’homosexualité ; ou bien elle ne s’applique pas, et alors on a déjà « deux types de mariages », toujours sans que cela ait quoi que ce soit à voir avec l’orientation sexuelle des parents. Les questions connexes de la PMA et de l’adoption plénière se régleront donc exactement de la même manière.

Pour ma part, je ne veux donc pas même entrer dans le débat de savoir si le refus du mariage homosexuel est ou n’est pas systématiquement de l’homophobie ; et je veux encore moins, ici, discuter de la demande surréaliste que fait l’Église aux homosexuels de vivre leurs amours dans la chasteté. Il me suffit de voir que les opposants à cette réforme n’ont en fait à l’appui de leur refus pas le moindre argument qui tienne un tant soit peu face à un examen rigoureux. Si une réforme va dans le sens d’une plus grande égalité entre les hommes et ne s’oppose en rien à un intérêt supérieur, elle doit être tenue pour bonne, voilà tout.

jeudi 27 septembre 2012

Pâté de scorpions vs. gigot d'agneau

Qui veut manger des larves de mouche ? A priori, pas grand-monde. Les insectes, et plus généralement la plupart des invertébrés (vers, arachnides, myriapodes etc., bref à peu près tous à part les mollusques et les crustacés) ne sont pas particulièrement ragoûtants.

Et pourtant, c’est l’avenir. Un avenir possible, du moins. C’est logique : la planète est de plus en plus peuplée ; les hommes ont besoin de protéines animales ; mais les sources traditionnelles (viandes, poissons, fruits de mer, œufs, produits laitiers etc.) coûtent cher à produire pour les espèces domestiques, et se raréfient pour les espèces sauvages. Vers quoi pouvons-nous nous tourner ? Vers des animaux dégueulasses (à manger, parce qu’à part ça ils ne sont pas plus dégueulasses que les autres, beaucoup sont même absolument splendides), mais riches en protéines et faciles à élever en masse.

Écologiquement, l’argument est imparable. Les invertébrés présentent un rendement bien supérieur à celui du bétail traditionnel : certaines usines de production chinoises livrent déjà 150 kg. de vers de mouche par jour et prévoient de passer à un rendement de 10 tonnes quotidiennes. En outre, leur élevage nécessite beaucoup moins d’eau. Selon Le Monde d’aujourd’hui, « 70 % environ des terres arables et 9 % de l’eau douce sont [actuellement] consacrés à l’élevage, responsable en outre de 18 % des émissions de gaz à effet de serre ».

Il reste bien quelques problèmes techniques à régler. Ainsi, les mouches nourries de déjections animales sont impropres à la consommation humaine ; mais nul doute que quelques manipulations génétiques les rendront parfaitement capables de se nourrir de son de riz. Il faudra aussi franchir l’obstacle que constitue le blocage psychologique que ressent à peu près tout le monde devant un plat de larves frites ; mais il est loin d’être insurmontable. On peut présenter les insectes sous forme de pâté ou de hachis ; une solide éducation et l’idée qu’on aide à sauver la planète feront le reste.

Évidemment, ça ne veut pas dire que les filets de porc ou les pavés de saumon disparaîtront. Ils se contenteront de devenir tellement chers qu’ils seront l’équivalent du caviar ou du homard aujourd’hui : réservés à une petite élite richissime pour une consommation quotidienne, les classes moyennes ne se les permettant qu’aux grandes occasions, et le bas peuple plus du tout.

Alors, c’est ça, l’avenir ? C’est assez probable. De toute manière, il n’y a pas trente-six solutions : soit l’humanité disparaît sous les coups de la crise écologique qu’elle a engendrée, soit elle s’adapte. Si elle s’adapte, elle ne peut le faire que de deux manières : soit par la solution décrite plus haut, avec des inégalités devenues tellement profondes qu’elles ne pourraient se maintenir que par l’instauration du pire des totalitarismes ; soit en acceptant de réduire à la fois son niveau de développement technologique, donc son niveau de vie, et le nombre d’êtres humains sur Terre. Il n’y a qu’une alternative.

Toute la question est donc de savoir dans quelle société et sur quelle planète nous voulons vivre : une Terre surpeuplée dans laquelle les bonnes choses et le confort matériel seraient réservés à une oligarchie richissime, tandis que le reste de la population se nourrirait de mille-pattes et de vers de bambous génétiquement modifiés ; ou bien une Terre où l’humanité aurait appris à s’autoréguler, tant en termes de niveau de vie que de population, et où chacun pourrait donc vivre décemment, non pas dans une débauche de biens matériels, mais en profitant néanmoins des bonnes choses que cette vie a à nous offrir. Comme les lasagnes au bœuf plutôt qu’à la pâte d’araignées.

vendredi 21 septembre 2012

La corrida doit disparaître (et les combats de coqs aussi)

Nous avons perdu une bataille : le Conseil constitutionnel a décidé que la pratique de la corrida dans les villes où elle n’avait jamais cessé d’exister, principalement au sud de la France, était conforme à la Constitution, de même que les combats de coqs, encore pratiqués dans les Antilles.

Au vrai, cette décision n’est pas surprenante. D’une part, parce que le monde politique avait déjà commencé à exercer des pressions. Manuel Valls, ministre de l’intérieur, avait annoncé qu’il ferait tout son possible pour soutenir l’existence de la corrida sur le territoire français. La tauromachie venait également d’être inscrite au patrimoine immatériel de la France. La volonté politique allait donc clairement dans ce sens.

D’autre part, et surtout, parce que le Conseil constitutionnel n’est pas là pour légiférer, ni pour dire ce qui est bien ou mal. Il est là pour dire le droit, en particulier pour décider si des lois sont conformes ou non à la Constitution. Or, aux seuls termes du droit, il n’y a rien à redire : le texte attaqué par les associations anti-corrida (septième alinéa de l’article 521-1 du Code pénal) instaure, certes, une différence de traitement entre les territoires ; mais comme l’a rappelé le Conseil, « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Aux seuls termes du droit, on pourrait donc défendre l’idée que la différence de traitement attaquée n’est pas justifiée par « des raisons d’intérêt général », mais le Conseil pourrait toujours dire que le législateur règle différemment des situations qui sont effectivement différentes, et le résultat serait le même. Comme il n’y a par ailleurs aucun article dans la Constitution qui défende le bien-être animal, le Conseil ne pouvait que répondre ce qu’il a répondu : non, la loi attaquée n’est pas anticonstitutionnelle.

La bataille perdue l’était donc d’avance. On peut d’ailleurs s’interroger sur la stratégie des associations qui l’ont engagée : faire parler de ce combat, qui est aussi celui de Tol Ardor, est évidemment une bonne chose, et le coup médiatique était réussi ; mais l’échec (prévisible) ne risque-t-il pas d’annuler cet effet positif en redonnant aux partisans de ce spectacle barbare du poil de la bête – si j’ose dire ?

Cela étant, si nous avons perdu une bataille, nous n’avons pas perdu la guerre. Je pense même que la guerre est gagnée d’avance. Bien sûr, la loi en France est mal faite : la Constitution protège les droits des hommes, pas ceux des autres êtres vivants. Il faudra donc passer non par les juges, mais par le législateur. C’est donc vers des députés que devront porter nos prochaines actions. Ce qu’a dit le Conseil, c’est que dans l’état actuel du droit, de la loi, la corrida n’était pas anticonstitutionnelle ; mais la loi peut être changée.

Et elle changera : les droits des êtres vivants sont tout aussi universels et imprescriptibles que ceux des hommes. Tout être vivant a des droits : pas uniquement parce que les faire souffrir dégrade l’être humain ; ni même seulement parce qu’ils souffrent ou sont conscients du monde qui les entoure ; mais tout simplement parce qu’ils sont vivants et que, fondamentalement, la Vie est une.

Le sens de l’Histoire est celui d’une reconnaissance de plus en plus profonde et de plus en plus répandue de ces droits universels. Face à eux, les arguments de ceux qui défendent la corrida ne pèsent rien. La tradition ? A elle seule, elle ne justifie rien, sans quoi on devrait vouloir, toujours au nom de la diversité des cultures, maintenir l’excision là où elle a toujours été pratiquée. La beauté du spectacle, ou le fait qu’il touche aux fondamentaux de la vie humaine, la vie, la mort, le rapport à la nature ? Mais que pèse tout cela face à la cruauté de la souffrance infligée ? Le courage nécessaire ? Et alors ? En quoi faire preuve de courage est-il une garantie qu’on agit bien ? Le fait que de grands hommes aimaient, ou aiment encore ce spectacle ? Mais là encore, on peut être un grand artiste et avoir autant de jugement moral qu’une cuillère à thé.

Rien ne pourra arrêter ce mouvement de la pensée humaine vers une plus grande compréhension du Bien, de même que rien n’a pu arrêter la marche vers l’égalité entre les races, entre les sexes, entre les croyances. Nous avons déjà gagné cette guerre, même s’il nous reste encore à la mener, comme nous avons déjà gagné la guerre pour le mariage homosexuel. Même en Espagne, pays de la corrida par exemple, une région, la Catalogne, a récemment interdit la corrida. Nous, militants de la cause animale, et plus généralement écologistes radicaux, conscients des droits fondamentaux et de la valeur intrinsèque de tout être vivant, sommes une avant-garde éclairée que nos descendants reconnaîtront comme visionnaire dans une époque barbare.

Ces mots peuvent paraître pompeux. Je les pèse.

mardi 18 septembre 2012

De l'élection des délégués de classe comme illustration (mais pas comme défense) du système politique actuel

La période concernée approche, à Mayotte elle est déjà là ; l’anecdote a donc tout son sens, et elle rappellera peut-être des choses à certains collègues.

Une certaine année (je ne dirai pas quand, pour ne pas m’exposer à des critiques sur mon devoir de réserve), j’organisai, avec la classe de seconde dont j’étais professeur principal, l’élection des délégués de classe. Moment important, comme chacun sait, dans la vie du groupe, où commencent à se former et à s’exposer publiquement, dès le début de l’année scolaire, les rapports de pouvoir qui vont le régir.

Je fis donc cela en y mettant les formes, avec explication du sens symbolique profond de ce qu’il allait se passer, exposition des règles de l’élection, inscription publique des candidatures, campagne électorale, discours de campagne et tout le tintouin.

Les discours, particulièrement, retinrent mon attention. Le premier à demander la parole, qui avait aussi été un des premiers à s’inscrire, était un élève dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’était pas le nouveau phare de la pensée occidentale. Débarqué en seconde générale par défaut, après avoir demandé une seconde professionnelle qui lui avait été refusée à cause de son catastrophique dossier, n’ayant pas réussi à décrocher son brevet l’année précédente, il avait, au moment de l’élection (c’est-à-dire trois semaines après la rentrée) été exclu de cours deux fois déjà, pouvait se targuer de nombreuses absences injustifiées, s’était montré bavard, insolent, grossier parfois, et fort peu travailleur. Autant dire qu’il ne comptait pas vraiment parmi ceux dont nous espérions qu’ils allaient « tirer la classe vers le haut », selon l’expression consacrée.

Il prononça un discours tout à fait remarquable. Avec un sourire particulièrement moqueur, agitant les bras dans un mélange de rap et de tecktonik, il se présenta comme un élève modèle, sérieux et travailleur, qui allait être capable de régler tous les problèmes. Il fit évidemment rire ses camarades aux larmes, puis fut copieusement applaudi. Il ne fallait pas être grand clerc pour savoir, dès qu’il retourna s’asseoir, qu’il serait élu.

Il le fut en effet, avec un bon score : tête de classe avec 12 voix sur 28 présents, pas très loin donc de la majorité absolue, et deux voix (7% des électeurs) au-dessus du suivant.

Vous me direz que l’élection des délégués ne prête pas à beaucoup de conséquences. Peut-être, mais c’est tout de même un moment important et révélateur pour une classe. Beaucoup de professeurs savent qu’on peut avoir une bonne idée du groupe dans sa globalité quand on connaît les délégués qu’il s’est choisi. En outre, les délégués de classe, même si leur rôle est évidemment limité, ne sont pas sans aucune importance pour autant : ils doivent pouvoir parler avec les adultes, faire remonter les problèmes du groupe et inversement expliquer aux élèves ce que les enseignants attendent d’eux ; surtout, ils peuvent ensuite être élus au Conseil d’administration de l’établissement, où leur voix n’est évidemment pas prépondérante, mais où ils peuvent néanmoins se faire entendre de tous (parents, enseignants, administration, personnels, représentants du monde extérieur) et où ils ont le droit de vote.

Les élèves de la classe dont je parle éliront, en 2017, le prochain président de la République française. Ma question est simple : voteront-ils plus intelligemment alors ?

lundi 17 septembre 2012

Toucher aux prophètes

Le film L’innocence des musulmans a réussi son coup : il déclenche les passions. Celles des deux bords, des deux camps. Une bonne partie du monde musulman crie au scandale, manifeste avec plus ou moins de violence. Les contempteurs de l’islam voient dans cette violence une justification de leurs thèses.

Autant le dire tout de suite : je n’ai pas vu le film, et je ne suis les manifestations que d’assez loin. Ici, à Mayotte, île française pourtant très majoritairement musulmane, il n’y a pas d’émeutes, pas d’attaques anti-blancs ou anti-chrétiens, pas d’agressivité contre la communauté mzungu.

En revanche, je lis qu’en France, le mot d’ordre mobilisateur qui rassemble les manifestants sur les réseaux sociaux est « Touche pas à mon prophète ! ».

Ce mot d’ordre me pose un gros, un énorme problème, et je trouve assez effarant qu’il ne déclenche pas plus de réactions. La liberté d’expression est une des libertés les plus fondamentales, et rend possible la critique d’une religion, des croyances qu’elle enseigne, des rites qu’elle pratique, des principes moraux qu’elle professe, des textes qu’elle regarde comme inspirés de Dieu et des personnages historiques qu’elle considère comme sacrés.

Les seules limites que je peux reconnaître à la liberté d’expression, ce sont l’appel à la haine, l’appel à la violence et la diffamation. Même l’insulte publique me semble devoir être autorisée, car elle me semble plus dangereuse pour celui qui la profère que pour celui qu’elle vise. Et je crois de moins en moins que l’expression publique d’opinions comme le racisme, l’antisémitisme, le révisionnisme historique, l’homophobie ou le sexisme, pour répugnantes qu’elles soient, puisse systématiquement s’assimiler à un appel à la haine, et donc être pénalement condamnables. Face à elles, la meilleure réponse m’a toujours semblé être l’expression d’opinions contraires ; de plus en plus, je pense qu’il s’agit en fait de la seule réponse possible.

Mais ce qui est pour moi absolument certain, sans l’ombre du moindre doute, c’est qu’il est possible de dire absolument tout sur une figure historique morte il y a plus de 1300 ans, quelle que soit son influence aujourd’hui ou le nombre de personnes qui se revendiquent d’elle. La liberté d’expression implique le droit de choquer, de heurter les convictions politiques ou religieuses des autres. Autrement dit, oui, il doit être possible de « toucher aux prophètes », à tous les prophètes, sans avoir ensuite à subir des conséquences violentes. Je demande à ce que tout un chacun ait le droit de déchirer publiquement le Nouveau Testament, à condition qu’il jette les morceaux dans une poubelle et non sur le trottoir, ou de brûler publiquement des images du Christ, tant qu’il ne risque pas de mettre le feu quelque part. En retour, je demande qu’on puisse faire de même avec toutes les figures historiques ou mythiques, quelle que soit la révérence qu’elles inspirent à leurs disciples aujourd’hui, de Bouddha à Muhammad en passant par Marx ou Joseph Smith.

De leur côté, les religions doivent, je le répèterai toujours, pouvoir exprimer publiquement, avec la même liberté, leurs propres opinions, et ce même en pays laïc, la laïcité n’étant pas, et ne pouvant pas être, la limitation de la religion à la sphère privée. Mais elles doivent comprendre que cette liberté dont elles jouissent et doivent continuer à jouir est le corollaire de celle qu’elles laissent aux autres.