La période concernée approche, à Mayotte elle est déjà là ;
l’anecdote a donc tout son sens, et elle rappellera peut-être des choses à
certains collègues.
Une certaine année (je ne dirai pas quand, pour ne pas m’exposer
à des critiques sur mon devoir de réserve), j’organisai, avec la classe de
seconde dont j’étais professeur principal, l’élection des délégués de classe.
Moment important, comme chacun sait, dans la vie du groupe, où commencent à se
former et à s’exposer publiquement, dès le début de l’année scolaire, les
rapports de pouvoir qui vont le régir.
Je fis donc cela en y mettant les formes, avec explication
du sens symbolique profond de ce qu’il allait se passer, exposition des règles
de l’élection, inscription publique des candidatures, campagne électorale,
discours de campagne et tout le tintouin.
Les discours, particulièrement, retinrent mon attention. Le
premier à demander la parole, qui avait aussi été un des premiers à s’inscrire,
était un élève dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’était pas le nouveau
phare de la pensée occidentale. Débarqué en seconde générale par défaut, après
avoir demandé une seconde professionnelle qui lui avait été refusée à cause de
son catastrophique dossier, n’ayant pas réussi à décrocher son brevet l’année
précédente, il avait, au moment de l’élection (c’est-à-dire trois semaines
après la rentrée) été exclu de cours deux fois déjà, pouvait se targuer de nombreuses
absences injustifiées, s’était montré bavard, insolent, grossier parfois, et
fort peu travailleur. Autant dire qu’il ne comptait pas vraiment parmi ceux
dont nous espérions qu’ils allaient « tirer la classe vers le haut »,
selon l’expression consacrée.
Il prononça un discours tout à fait remarquable. Avec un
sourire particulièrement moqueur, agitant les bras dans un mélange de rap et de
tecktonik, il se présenta comme un élève modèle, sérieux et travailleur, qui
allait être capable de régler tous les problèmes. Il fit évidemment rire ses
camarades aux larmes, puis fut copieusement applaudi. Il ne fallait pas être grand
clerc pour savoir, dès qu’il retourna s’asseoir, qu’il serait élu.
Il le fut en effet, avec un bon score : tête de classe
avec 12 voix sur 28 présents, pas très loin donc de la majorité absolue, et
deux voix (7% des électeurs) au-dessus du suivant.
Vous me direz que l’élection des délégués ne prête pas à beaucoup
de conséquences. Peut-être, mais c’est tout de même un moment important et
révélateur pour une classe. Beaucoup de professeurs savent qu’on peut avoir une
bonne idée du groupe dans sa globalité quand on connaît les délégués qu’il s’est
choisi. En outre, les délégués de classe, même si leur rôle est évidemment
limité, ne sont pas sans aucune importance pour autant : ils doivent
pouvoir parler avec les adultes, faire remonter les problèmes du groupe et
inversement expliquer aux élèves ce que les enseignants attendent d’eux ;
surtout, ils peuvent ensuite être élus au Conseil d’administration de l’établissement,
où leur voix n’est évidemment pas prépondérante, mais où ils peuvent néanmoins
se faire entendre de tous (parents, enseignants, administration,
personnels, représentants du monde extérieur) et où ils ont le droit de vote.
Les élèves de la classe dont je parle éliront, en 2017, le prochain
président de la République française. Ma question est simple :
voteront-ils plus intelligemment alors ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire