Chaque été, les médias comme les politiciens ont besoin d’une
bonne polémique débile. Son utilité est multiple et solidement établie ;
car en été, l’activité politique est assez faible. Du coup, la
polémique-à-la-con-de-l’été permet aux politiciens de se rappeler au bon
souvenir de leurs électeurs, et aux médias d’avoir quelque chose à dire dans une
période de basses eaux assez angoissante pour eux. Car d’ordinaire, hors de la
météo, c’est le calme plat ; et donc, une fois épuisé le stock de cierges
que certains journalistes brûlent chaque année pour avoir une belle canicule ou
une inondation miraculeuse, il faut bien trouver de quoi bourrer les JT.
Cette année, la polémique-à-la-con-de-l’été cumule les
ingrédients essentiels d’une bonne dispute, le cul et la religion. Comme il s’agit
de l’islam, dans le contexte d’attentats à répétition, il y a de la cohérence.
Tout était là pour que la mayonnaise prenne ; et on n’est pas déçus, elle
prend. On ne peut se départir de l’idée que, décidément, ça témoigne de la
bassesse abyssale aussi bien du niveau du débat politique que de celui de l’éducation
populaire. Bien sûr, pour les politiciens, c’est aussi une manière de masquer
leur incompétence et les mauvaises nouvelles qui en sont le signe manifeste :
quelque part, c’est de bonne guerre. Que ça marche auprès du populo, c’est
mauvais signe. Mais bon, rien dont, avec un peu de lucidité, on ne soit bien
conscient depuis quelque temps déjà.
J’aurais pu, évidemment, ne pas en parler du tout ; mais plus la chose avance,
plus je me dis qu’il y a quand même quelques constats de bon sens à tracer, et quelques
principes à rappeler.
Premier constat : le burkini, c’est moche. Voyez plutôt :
On aura beau dire, on aura beau faire, la pose à la fois aguichante
et classieuse n’y changera rien : c’est moche, inesthétique au possible.
Deuxième constat : ça ne répond pas au but affiché. Si
l’idée est pour les femmes de ne pas attirer l’attention des hommes, c’est
complètement raté : sur une plage française, le meilleur moyen pour que
tout le monde vous mate est certainement de porter un burkini.
À moins, évidemment, que le but affiché ne soit pas le but
réel. Car si se cacher (ou cacher sa femme…) aux regards forcément concupiscents
des hommes fait partie de l’objectif de certaines femmes en burkini (et de
certains de leurs maris…), j’incline à penser que certaines, et surtout celles
qui choisissent de le mettre elles-mêmes, hors de toute pression familiale,
veulent avant tout faire passer un message ; un message qui, en gros,
pourrait se résumer ainsi : « je conchie votre modèle culturel ;
fondamentalement, je considère vos plages comme un vaste lieu de prostitution
où, selon votre sexe, vous êtes soit pute, soit client ; et moi qui ne
suis pas une débauchée, moi qui ne me vautre pas dans le stupre, la luxure et
la fornication, je vais vous montrer que je ne m’assimile pas. » Auquel
cas, en effet, le burkini est efficace, car le message passe.
Troisième constat : le burkini est réactionnaire. Il l’est
même doublement. Cachant le corps, il implique que ce dernier est au fond un
objet de honte, et que ce qu’on en fait, principalement le sexe, doit être fait
de manière bien encadrée (si possible par une autorité religieuse), et toujours
avec un fond de culpabilité. Pour moi qui aime le corps dans sa nudité, pour moi
qui trouve qu’il n’y a pas grand-chose au monde qui soit plus beau que le corps
humain, pour moi qui considère le sexe comme le domaine qui, parce qu’il est le
plus intime qui soit, est aussi celui qui devrait le plus échapper aux
autorités extérieures au couple et à l’individu, et donc celui de la plus grande
liberté possible, le burkini ne peut que symboliser tout ce que j’exècre en la
matière.
Réactionnaire, le burkini l’est également, bien sûr, parce
qu’il est sexiste. On va me dire que certaines femmes le choisissent librement,
et c’est vrai ; mais ça n’enlève rien au fait qu’il est sexiste. Le choix
des femmes n’a rien à voir là-dedans : à partir du moment où une
obligation, une contrainte, une restriction est imposée à un sexe, et même si
ce sont les individus eux-mêmes qui se l’imposent, elle relève du sexisme. Si
je me menotte moi-même les deux pieds et une main à un poteau et que je lance
ensuite la clef à quelqu’un d’autre, j’ai beau l’avoir fait moi-même, je n’en
suis pas moins attaché.
Bref, on peut avoir toutes les raisons du monde de détester
le burkini et d’être choqué par lui. Moi-même, voyez, je le déteste, et il me
choque. Mais est-ce une raison suffisante pour l’interdire ? Je ne vois
pas bien pourquoi. Être choquant, être contraire à une culture, à une civilisation
ou à ses valeurs n’est pas un motif valable d’interdiction, il me semble. La
liberté de se vêtir comme on l’entend est un droit fondamental : on ne
peut pas la restreindre sans un motif grave et sérieux. Or, dans le cas du
burkini, on voit mal lequel invoquer.
Évidemment, chez nous, le problème est rendu plus complexe
par une situation juridique désastreuse et des lois évidemment mauvaises. En
effet, la loi de 2004 sur le port des signes religieux à l’école a commencé à
embrouiller les choses, à tout confondre et à s’éloigner de l’esprit de la loi
de 1905 ; le débat sur la burqa et son interdiction dans l’espace public,
de manière évidemment anticonstitutionnelle et contraire aux droits de l’homme,
n’a fait qu’empirer les choses et les rendre plus obscures dans l’esprit de beaucoup.
Pour moi, les principes qui devraient nous guider sont assez
simples :
1/ Les gens étant libres de se vêtir comme ils l’entendent, on
ne peut interdire à quelqu’un de cacher son visage, même dans l’espace public
(donc la burqa devrait être légale).
2/ Inversement, personne ne doit être contraint de porter un
vêtement qu’il ne désire pas porter.
3/ Dans le cadre d’un service publique ou d’une administration,
puisque nous sommes dans un État laïc, les fonctionnaires ne doivent pas faire
état de leurs convictions religieuses (et ce même si, je le rappelle, la
laïcité n’est pas selon moi le meilleur moyen d’organiser les rapports entre
les Églises et l’État).
4/ En revanche, les usagers d’un service public (par exemple
les élèves) peuvent faire état de ces mêmes convictions.
5/ Dans le cadre d’un service public ou d’une administration,
les agents de l’État doivent en revanche exiger de voir le visage de la personne
avec qui ils traitent. En effet, si vous êtes libres de vous vêtir librement,
vous ne pouvez pas imposer aux autres de n’avoir aucune idée de ce qu’est la personne
avec qui ils traitent. En d’autres termes, si la burqa doit être légale dans la
rue, il est normal qu’on demande à qui la porte de dévoiler son visage quand elle
entre dans un établissement scolaire, un tribunal, une administration, etc.
6/ De même, tout particulier (commerçant ou autre) qui gère un
espace privé ou semi-public peut exiger des personnes avec qui il traite de
dévoiler leur visage.
Les choses sont donc bien claires : la burqa comme le
burkini doivent être légaux, et on ne voit pas bien sur quelle base juridique on
pourrait les interdire. Partout où des arrêtés anti-burkini sont pris par les
autorités municipales, il faut donc que des particuliers ou des associations
saisissent la justice pour les faire casser.
Inversement, il est proprement inconcevable d’organiser des « journées
burkinis », ou plus généralement des événements où le burkini serait
obligatoire (ce site explique fort bien sur quelles bases légales on peut faire
interdire ce type d’événements). Si nous sommes pour la liberté en la matière,
il faut l’être jusqu’au bout. Ce vêtement ne saurait être imposé, même pour un temps
ou sur un espace restreints.
Je terminerai en disant que cette autorisation du burkini,
en plus d’être de bon sens, nous permettrait de mettre les intégristes et les
réactionnaires de tous poils face à leurs contradictions, et ce pour deux
raisons.
La première, c’est que ceux qui défendent la possibilité de
mettre un burkini en France devraient aussi, s’ils le font vraiment au nom de
la liberté, défendre la possibilité de mettre un bikini en Arabie saoudite. Que
chacun donc demande à ceux qui participent aux débats de se positionner sur le
sujet : le tri sera vite fait entre les véritables défenseurs de la
liberté et ceux qui veulent seulement voiler le corps des femmes.
La seconde, c’est que si on autorise le port du burkini sur
nos plages, alors même qu’il choque, à l’évidence, de nombreux Français, c’est
bien que le simple fait de choquer quelqu’un ne saurait constituer le fondement
d’une interdiction légale. Et donc, ceux qui défendent le port du burkini
perdent toute cohérence s’ils se mettent à réclamer, mettons, l’interdiction
des caricatures de Mahomet, ou plus généralement le retour du délit de
blasphème, au simple motif qu’elles peuvent choquer des croyants. Là encore,
forcer les gens à se positionner là-dessus fera, sans mauvais jeu de mots,
tomber bien des voiles.