mardi 28 mai 2013

Mariage pour tous : blessure et guérison de la communion dans l'Eglise

Telle une infatigable araignée, je parcours la Toile, et ce que j’y trouve en ce moment me fait peur. À présent que la loi Taubira a été votée, validée, promulguée, certaines langues se délient, et je prends la mesure de la souffrance qui déchire l’Église catholique.

Pour qu’on ne m’accuse pas de partialité, je veux bien dire un mot de celle, que je ne nie pas, de mes adversaires et pourtant frères en Christ (ou est-ce le contraire ? je ne sais plus) : les opposants au mariage et à l’adoption pour les couples homosexuels. Ils se sont sentis méprisés par le gouvernement, pas écoutés, pas pris en compte. On les aurait même gazés (euuuh…). D’accord, ils souffrent, ça leur fait mal de penser que des enfants vont se retrouver la proie de couples homosexuels. Admettons.

Mais leur souffrance, au moins, n’est que vis-à-vis du gouvernement, de l’État, de la société, de l’air du temps, de tout ce qu’ils veulent, mais pas de leur Église. Leur Église les a soutenus, encouragés, excités à la protestation, à l’action, aujourd’hui peut-être à la désobéissance civile. Ils ne peuvent que se sentir en pleine communion avec les autorités catholiques, tant ces autorités ont fait leur le combat contre la loi Taubira.

Et nous, pendant ce temps ? Nous, catholiques pleinement favorables à cette évolution sociale, nous avons dû endurer la double souffrance, le double mépris. Mépris des non chrétiens d’une part, qui ne nous voyaient plus que comme les suppôts d’une Église rétrograde, intolérante, dangereuse, qui ne comprenaient pas que nous restions, et qui comprenaient notre refus de la quitter comme une acceptation muette de son homophobie ; et mépris de la majorité des catholiques d’autre part, qui nous considéraient selon les cas comme des traîtres, des débiles, des irresponsables ou des pervers, et surtout ne nous considéraient plus comme des catholiques. À moi, on m’a très explicitement signifié qu’il aurait été préférable que je ne me convertisse jamais au catholicisme si c’était pour changer l’Église, et que si je n’étais pas content et ne voulais pas obéir au pape, je n’avais qu’à aller chez les protestants.

J’en ai souffert, et pourtant je suis habitué à ce que mes opinions politiques me fassent mal voir de tous les camps, et donc à prendre des coups de tous les côtés à la fois. Cette fois-ci, c’était différent : la violence verbale, l’agressivité ne venaient pas seulement d’individus, elle venait de l’institution même qui m’avait accueilli et dont je me reconnaissais. On considère en général comme normal d’être rejeté par les autres ; mais il est toujours difficile d’être exclu par les siens.

D’autant que l’exclusion dont nous avons eu à souffrir de la part de l’Église a pris une forme bien particulière. De tous temps, l’Église a su imposer le silence à ceux qui s’écartaient de la ligne. D’abord elle l’a fait par la mise à mort des déviants, puis par leur bannissement de l’institution. Aujourd’hui, elle a compris que la devise des dictatures (« ferme ta gueule ») est infiniment moins efficace que celle des démocraties (« cause toujours ») ; aussi traite-t-elle ses hérétiques par l’indifférence. Or, il n’est rien de pire. « Tout mais pas l’indifférence », chantait Goldman. Ô si juste phrase. Quand on vous combat, quand on vous insulte, quand on se moque de vous, on reconnaît que vous existez. L’Église a fait tout le contraire : elle a combattu la loi Taubira et ses partisans, mais elle a agi exactement comme si, en son sein, l’opposition à cette loi faisait l’unanimité. Il n’y a rien de plus insupportable que de se voir ainsi nié dans son existence même.

Car nous existons. Un sondage IFOP réalisé en août dernier montrait que 45% des catholiques pratiquants soutenaient le droit pour les couples homosexuels de se marier, et que nous étions encore 36% à être favorables à l’adoption pour ces mêmes couples. Même en tenant compte de la marge d’erreur (estimée au maximum à 3,1% sur cette étude), et même en admettant que ces chiffres aient un peu baissé depuis, cela prouve que nous sommes, à tout le moins, une forte minorité au sein de l’Église catholique.

Comment, dans ces conditions, avons-nous pu être aussi peu reconnus et entendus ? S’il faut chercher à comprendre le début de la crise, je crois qu’il faut remonter à la prière du 15 août demandée par le cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris et alors président de la Conférence des Évêques de France. Quelque chose a commencé à se casser dans l’Église à ce moment-là, et la fracture a été ensuite élargie, la plaie empêchée de cicatriser, par l’autisme de l’Église envers nous. Là encore, André Vingt-Trois a joué un rôle important dans ce mutisme à notre égard, car il n’ignorait pas, il ne pouvait pas ignorer, qu’il récupérait de force toute une frange des catholiques français, pour les enrôler contre leur volonté dans son combat rétrograde. A ce double titre, sa responsabilité sera lourde devant l’Histoire. Mais bien d’autres évêques en portent aussi leur part. J’ai écrit à l’évêque de Toulouse, à l’évêque de Tarbes, à l’évêque de Lyon en plus de celui de Paris ; aucun ne m’a jamais répondu.

Il y a donc eu rupture de la communion ecclésiale, et cette cassure est toujours entre nous. Elle me préoccupe bien davantage que les divisions de la société française dans son ensemble qui se sont révélées à la faveur de cette loi, car la société française, malgré un affaiblissement progressif, me semble infiniment plus à même de résister à ces tensions et de reconstruire une unité réelle que ne l’est l’Église. L’Église en Europe est fragile, pire : elle est malade, mourante peut-être. Un mort qui parle, un mort debout, me soufflent certains de mes amis, catholiques pratiquants eux aussi.

La question est donc de savoir comment réparer cette coupure, si tant est qu’elle soit encore réparable.

En parcourant le Net, en discutant avec mes amis, j’ai un double sentiment. D’une part, je crois que beaucoup ont ressenti la même souffrance, la même douleur que moi, souvent même de manière bien plus violente (le manque de pratique, sans doute). Je ne compte plus les témoignages de catholiques pratiquants, souvent homosexuels, mais pas toujours, qui n’en peuvent plus, qui ne se reconnaissent plus dans cette Église et qui sont déchirés entre la volonté de rester et le désir de partir. Rien que cela devrait poser question : l’Église se veut une mère pour les baptisés ; eh bien je ne crois pas qu’une mère devrait traiter ainsi certains de ses enfants.

Mais d’autre part, et c’est peut-être le pire, j’ai aussi l’impression qu’une bonne partie des catholiques, hiérarchie incluse, n’ont pas encore pris la mesure de cette souffrance. Pour beaucoup, on a l’impression que le combat contre la loi Taubira, même s’il a été perdu, a été positif, parce qu’il aurait permis aux catholiques de se décomplexer, d’apparaître dans l’espace public, de clamer leurs valeurs au nom de leur foi, et surtout de présenter un visage jeune, dynamique, combatif, innovant sur la forme à défaut de l’être sur le fond. Cette vision des choses est une illusion dangereuse qui ignore le long terme : non seulement elle ne peut qu’aggraver l’isolement de l’Église par rapport au reste du Monde, et donc empêcher l’annonce de la Bonne Nouvelle (qui devrait tout de même rester notre mission première) ; mais surtout, elle ne peut que pousser encore plus dans l’ombre, dans le silence, dans l’inexistence, donc vers la sortie, tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans ce combat.

Pour ma part, je crois que si l’on veut espérer reconstruire quelque chose, deux conditions sont nécessaires :

1/ La première, c’est que les catholiques opposés à la loi Taubira, même s’ils sont majoritaires, acceptent leur défaite et baissent les armes. Car tant qu’ils garderont leurs glaives dressés, nous ne pourrons pas baisser la garde. Tant qu’ils réclameront le retrait de la loi, ou même sa réécriture pour revenir à une union civile sans adoption, et tant qu’ils seront soutenus dans cette demande par une partie de la droite, soucieuse de récupérer quelques voix, nous sentiront une épée de Damoclès au-dessus de ces droits nouveaux pour lesquels nous nous sommes battus. Et la méfiance, l’hostilité demeureront au sein de l’Église.

2/ La seconde, c’est que les autorités catholiques reconnaissent publiquement, sans ambiguïté, que la question ne fait pas consensus parmi les fidèles, et cessent en conséquence de soutenir un camp contre l’autre. Car tant que nous nous sentirons niés ou rejetés par notre Église, il nous sera difficile de nous débarrasser de la rancœur qui nous habite.

Ces deux conditions peuvent-elles être réunies ? Comme je l’indiquais dans un de mes derniers billets, cela dépendra largement des évêques. Qu’ils remplissent la seconde, et ils pourraient bien faire enfin passer à autre chose ceux des opposants à la réforme qui ne sont pas trop fanatiques, entraînant de facto la réalisation de la première. Qu’ils ne le fassent pas, et les tensions peuvent se maintenir pendant des années aussi bien qu’elles peuvent se tasser doucement. Mais il se pourrait bien, comme le pensent certains de mes amis, que plus rien ne soit comme avant.

Jusqu’à présent, l’Église n’a presque jamais changé toute seule, de l’intérieur. Elle a eu besoin des hérésies antiques pour fixer son dogme, puis du protestantisme pour faire les réformes du Concile de Trente, puis de la pression de la société civile pour faire celles de Vatican II. En ira-t-il autrement dans cette crise, ou faudra-t-il encore des schismes, des hérésies, des départs pour faire prendre un virage à ce trop lourd paquebot ? À ce jour, je n’exclus rien ; ce serait insulter l’avenir.

samedi 25 mai 2013

Le TBI de la discorde

Le collège où enseigne ma femme vient de faire l’acquisition d’un TBI. Pardon ? Vous ne savez pas ce que c’est ? Oh les fossiles ! Nan mais allô quoi ! Allô ! Vous avez été à l’école et vous avez jamais vu un TBI ? C’est comme si je disais je suis prof mais je corrige pas de copies quoi !

Bon, cours de rattrapage. Un TBI, c’est un tableau blanc interactif. Comme un tableau blanc classique, sauf qu’on ne peut pas écrire dessus. Il ne faut même surtout pas écrire dessus, ça casse tout. À la place, on projette dessus, via un vidéoprojecteur, ce qu’il y a sur l’écran de l’ordinateur du prof. Quel est l’avantage par rapport à un tableau blanc pas interactif (qu’on n’a pas encore pensé à rebaptiser TBPI, notez bien) ? Maigre, il faut le dire. C’est interactif, ça on peut le reconnaître : vous avez une sorte de petit stylo, le genre de truc qu’on utilise pour taper sur les GPS, mais en plus gros, vous voyez ; et avec ça, effectivement, vous pouvez cliquer sur vos boutons directement sur le tableau, au lieu de le faire avec la souris sur votre ordi. À part ça, ahem, eh bien vous pouvez écrire dessus, comme sur un tableau blanc façon vieille France, et gommer, aussi (c’est important, ça, gommer).

J’ai découvert ça quand j’enseignais en Ecosse. Ils en étaient fans là-bas, ça faisait un tabac, tout le monde voulait la salle du TBI. Quand ils étaient obligés de m’y mettre, ils étaient toujours un peu inquiets que je m’oublie et que j’écrive dessus avec mes feutres. Le Français attardé, vous voyez. Il faut dire qu’à l’époque, en 2005/2006, je n’en avais jamais vu un, je n’en avais même jamais entendu parler, et je ne crois pas que c’était très répandu en France. Leur méfiance n’était donc pas complètement infondée.

Mais depuis, on travaille à rattraper notre retard, ah ça oui. Faut pas croire, hein, nous aussi, les Français, on peut être modernes. Moi, j’avoue un très large scepticisme. Non pas que je ne m’amuse pas ; au contraire, je trouve ça très rigolo, moi aussi. Mais déjà, un truc qui me chiffonne, c’est le prix. Il me semble que ça va chercher dans les 1000 à 2000€. Ajoutez-y le vidéoprojecteur et l’ordinateur portable, dites-vous bien que, évidemment, on ne peut pas se contenter d’un seul par établissement, il en faut au moins un par discipline, voire plus pour les plus gourmandes (les scientifiques, sans vouloir dénoncer personne à la vindicte populaire, sont assez friands de ce genre de gadgets), vous verrez qu’à l’échelle de la France, les vendeurs de TBI se font des couilles en or, je vous dis que ça.

Comme j’ai pour habitude de ruer dans les brancards, face à ces dépenses, je rue. Je dis qu’avec cet argent, on ferait mieux d’acheter des livres ou d’envoyer nos élèves en voyage à l’étranger. Là, les gens (pas seulement l’administration, hein, mais même les collègues, des gens qui ont bien dû obtenir un ou deux diplômes au cours d’un lointain passé étudiant) me regardent comme j’avais dit la dernière des conneries et comme si je ne connaissais vraiment rien au fonctionnement d’un établissement scolaire, et ils me sortent : « mais enfin, c’est pas les mêmes enveloppes ! »

Alors ça, ça me tue, le coup des enveloppes. Je le sais bien, patate, que c’est pas les mêmes enveloppes ! Et alors ? Ça m’en touche une sans faire remuer l’autre ! On dirait que les gens sont incapables de sortir de la manière dont les choses sont organisées pour considérer la manière dont elles devraient être organisées. Si ce n’est pas les mêmes enveloppes, et qu’on a du fric pour les TBI, mais pas pour les voyages, eh bien c’est que l’enveloppe des TBI est trop grosse. C’est qu’il faudrait l’alléger, voire carrément la supprimer, pour rembourrer un peu les enveloppes des livres et des voyages scolaires, décidément trop minces.

Le pire, c’est que même pour les nécessités les plus élémentaires, les gens ne font pas le raisonnement. Dans l’établissement où je travaillais l’an dernier, au début de l’hiver, on n’a soudainement plus eu de chauffage. Plus d’argent dans l’enveloppe du chauffage. Ça commençait à devenir un sérieux problème, parce que ça caillait, dans le Tarn-et-Garonne. En même temps, on n’a plus eu de papier non plus (pour la photocopieuse, hein). Il fallait qu’on découpe nous-mêmes nos feuilles A3 pour faire du A4. Mais ça ne nous a pas empêchés de remplacer tous nos ordinateurs. Devant ma surprise, on m’a ressorti la même bêtise : ah ben oui, mais c’est pas les mêmes enveloppes. Ah bon ben si c’est pas les mêmes enveloppes, je suppose que je vais juste garder mon manteau en classe, alors.

Pour continuer à ruer quand même, j’ajoute qu’en période de vaches maigres, quand on refuse de dégeler le point d’indice des fonctionnaires, l’achat d’un TBI n’est peut-être pas la priorité. Là, on commence franchement à me regarder d’un sale œil. Comment, informatiser nos établissements, ce ne serait pas la priorité ? Tour ça commence à remuer de noires passions.

Parce qu’il faut le dire clairement : dans le système scolaire, l’informatique est devenue une religion, dont les prêtres, les zélotes et les inquisiteurs se trouvent partout. Principalement parmi les chefs d’établissements et les IPR, mais aussi parmi les enseignants. Les inspecteurs nous le serinent sur tous les tons : il faut faire des cours qui utilisent l’informatique, les ordinateurs, les nouveaux médias, Internet, les TBI. Il faut « valider les compétences du B2I » chez nos élèves. Certains commencent même à ajouter au vieux « lire, écrire, compter » une quatrième compétence, prétendument aussi fondamentale : « cliquer ». Lire, écrire, compter, cliquer.

S’opposer à ce dogme peut coûter cher. Je ne parle même pas de ceux qui, voulant faire « entrer la vraie vie (gné ?) dans les écoles », ou désireux de « rapprocher l’école de la société et de l’entreprise » (raaaah !), vous regardent d’un œil torve et vous traitent plus ou moins clairement de fossile, de réac ou de fasciste. Ça peut aller beaucoup plus loin. Moi, ça a failli me coûter ma titularisation à la fin de mon année de stage. D’autres se font simplement mal voir par leurs inspecteurs pour ne jamais utiliser les « NTIC » dans leurs cours.

Or, la remise en question de cette doxa me semble des plus urgentes. Nous dépensons des sommes colossales dans ces équipements ; est-ce bien nécessaire ? Nos élèves ont-ils besoin que nous leur apprenions à allumer un ordinateur, à utiliser un logiciel de traitement de texte ou à surfer sur le Net ? Honnêtement, je ne le crois pas. Ils ont besoin que nous leur apprenions l’esprit critique face à ce qu’ils rencontrent sur le Net ; ça oui, ils en ont bien besoin. Mais je ne crois pas que ce soit en installant des TBI dans toutes nos salles que nous pourrons leur inculquer cela. Malheureusement, l’esprit critique ne fait pas partie des compétences requises pour valider un B2I.

On prétend aujourd’hui reconstruire l’école sur une base numérique. C’est n’avoir pas compris deux choses.

La première, c’est que le numérique n’est rien d’autre qu’un outil. En soi, il ne révolutionnera rien du tout. Les élèves n’acquerront pas un iota de culture ou de maîtrise de leur langue en plus simplement parce qu’ils pianoteront sur des claviers. Il faut ouvrir les yeux : le seul et unique moyen d’acquérir vraiment la maîtrise de la langue, puis la culture et la souplesse intellectuelle, c’est la lecture. Or, envoyer les élèves devant des écrans ne les fera pas lire, en tout cas pas lire bien. Car non seulement le numérique est un outil, mais c’est un outil dangereux. Il incite au zapping intellectuel, à passer de site en site en surfant sur les liens hypertexte sans jamais rien lire jusqu’au bout, sans jamais rien approfondir. C’est un outil de dispersion, là où nous aurions justement besoin que nos élèves se reconcentrent, apprennent à se focaliser pendant deux heures sur une question sans aller à tout bout de champ vérifier une info annexe sur Wikipédia, voire consulter leurs mails. Enfin, c’est un outil très souvent mal employé : instinctivement, un enfant ou un adolescent ne va pas vers Google Books, il va vers AngryBirds, vers Farmville, vers de la mauvaise musique sur YouTube et vers du mauvais porno sur YouPorn.

La seconde, c’est que l’école est une institution qui transmet. Elle transmet un savoir, une culture, des méthodes, un mode de pensée. Et quand on transmet, on transmet quelque chose qui vient toujours du passé : on ne peut pas transmettre le présent, et moins encore l’avenir. Ceux qui veulent que l’école soit « mieux insérée dans le monde » n’ont rien compris à ce qu’est l’école. Une institution qui transmet, donc qui fait passer le passé dans le présent, ne peut que connaître un décalage avec le présent ! C’est normal, et c’est même bénéfique. Il ne faut pas chercher à combler ce fossé qui est constitutif de ce qu’est l’école et, en fait, de ce qu’est l’acte même d’enseigner.

vendredi 24 mai 2013

Monsieur Hollande, cessez de jouer au représentant de commerce du Medef !

On reproche beaucoup au gouvernement sa politique économique. Soit pour s’offusquer de son absence (les opposants au mariage pour tous ont ainsi beaucoup dit que le Président ferait mieux de s’occuper d’économie), soit pour la critiquer (Mélenchon et consort n’ont pas de mots assez durs pour toute l’équipe gouvernementale).

Sur ce chapitre, je suis plutôt indulgent, en général, avec l’exécutif. Je suis le premier à dire qu’on ne peut pas vraiment lui reprocher de ne pas trouver de solution à la crise économique, puisqu’il n’y a pas de solution. Il y aurait bien une issue strictement économique, qui est plus ou moins celle proposée par le Front de Gauche : se déclarer en défaut de paiement, donc assumer que la France ne remboursera pas sa dette. À partir de là, plus personne ne prêterait à la France pendant plusieurs années, probablement même pendant une décennie ; mais ce ne serait pas très grave, puisque le premier poste des dépenses au budget, à savoir, justement, le remboursement de la dette, aurait disparu. Cela ne suffirait pas à combler le déficit public du pays ; mais on pourrait rattraper la différence en taxant très lourdement les hauts revenus et les gros patrimoines (grosso modo, comme le propose Jean-Luc Mélenchon, tout prendre au-delà de quelques centaines de milliers d’euros).

Cependant, cette « solution » purement économique ne serait pas une réponse adaptée à la crise, car elle aurait des conséquences insupportables. D’abord l’exclusion immédiate du marché commun, alors que nous avons laissé notre économie dépendre de l’Union européenne ; ensuite une révolte des plus riches qui, si on leur interdisait réellement (c’est-à-dire en s’en donnant les moyens, donc par la force) l’exil fiscal, n’hésiteraient pas une seconde, avec le probable soutien de l’armée, à plonger le pays dans la guerre civile (ne nous y trompons pas, ils en ont les moyens).

Bref, en règle générale, j’évite de trop taper sur la politique économique de François Hollande, et je demande à ceux qui m’en parlent : « et vous, vous feriez quoi, exactement, à sa place ? ». Mais il y a des choses qu’on ne peut laisser faire de sang-froid.

Déjà, j’avais été passablement énervé par l’abandon de l’alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail. J’avais trouvé que Hollande avait renoncé bien vite face au mouvement des « pigeons ». C’était décevant. Et puis il y avait eu l’affaire de la taxe à 75% sur les revenus supérieurs à un million d’euros.

Pour moi, cette taxe était importante. Déjà, parce qu’elle était évidemment juste : rien, rien au monde ne justifie que quelqu’un gagne un million d’euros par an quand le SMIC annuel est à peine supérieur à 17 000€. Aucun talent, aucun génie, aucune formation, aucune utilité sociale, aucune responsabilité, aucune pénibilité ne justifient que quelqu’un gagne 60 fois plus que quelqu’un d’autre. Et encore, quand on dit 60 fois plus, on reste souvent en-dessous de la réalité, puisque certains gagnent 2, 3 ou 10 millions d’euros par an, donc 120, 180 ou 600 fois plus qu’un smicard. Que ces gens payent (non pas sur la totalité de leur revenu, il faut le rappeler, mais seulement sur la tranche supérieure au million) 75% d’impôts, rien de plus juste. C’est même, à dire le vrai, bien en-dessous de ce qu’il faudrait leur prendre.

Si, en plus, on ajoute le fait que nous sommes en période de crise, et donc qu’il est encore plus normal de demander un effort particulier aux plus riches ; et encore le fait qu’il s’agissait d’une mesure phare de François Hollande, mesure qu’il avait lui-même empreinte d’une symbolique particulière et qui lui avait probablement apporté un soutien populaire certain, on comprend à quel point sa réalisation était importante.

Sur quoi cette réforme a-t-elle achoppé ? Saisi par les députés UMP, le Conseil constitutionnel avait censuré la loi, au motif que la taxe s’appliquait sur le revenu des personnes physiques, alors que l’impôt sur le revenu est prélevé par foyer. Rien à redire à la censure des Sages, elle est on ne peut plus normale. On peut dire évidemment que la faute revient aux députés UMP qui ont saisi le Conseil (et en effet, merci les défenseurs des riches) ; mais enfin, les torts sont quand même partagés. Il est curieux, très curieux, que la loi ait été si mal préparée, tant l’erreur était évidente. Et il est encore plus curieux qu’elle ait abouti à un renoncement. Normalement, le gouvernement aurait dû immédiatement refaire un projet de loi, en asseyant la nouvelle taxe sur le revenu de chaque foyer. La réforme aurait pu passer ; la crise économique n’en serait pas moins là, mais l’engagement aurait été tenu, le symbole aurait été affiché, et notre fiscalité aurait été un peu, un tout petit peu plus juste.

Au lieu de ça, la nouvelle proposition du gouvernement a de quoi surprendre : certes, la taxe est maintenue ; mais elle ne sera plus payée par les salariés concernés mais par leur employeur.

Mais qu’est-ce que ça veut dire, grands dieux ? On n’arrête pas de nous bassiner avec le fait que les entreprises françaises ne seraient pas assez compétitives ; on justifie avec cet argument bidon les réformes les plus rétrogrades, les plus dures pour ceux qui sont déjà les plus fragiles de notre société ; et là, plutôt que de faire payer des gens qui, justement parce qu’ils gagnent beaucoup, auraient les moyens de payer des impôts élevés, on rajoute encore une taxe sur ces mêmes entreprises !

Alors je veux bien que la crise économique à laquelle nous sommes confrontés soit de fait insoluble sans entraîner une période de violence et de chaos ; je veux bien que les « partis de gouvernement » soient mous, sans idées et peu résolus ; mais enfin les petits pas qu’ils font, ils peuvent quand même les faire dans la bonne direction. Surtout quand ils se disent de gauche. Ou alors, il faut être franc, tomber les masques, dire officiellement qu’on est de droite et que les riches seront, sinon franchement privilégiés, du moins jamais inquiétés.

Comme ça, le peuple saura à quoi s’en tenir, et Marine le Pen pourra gagner tranquillement la prochaine présidentielle. Ouaaaaiiiis…

mardi 21 mai 2013

Pendant ce temps, au Belize...

L’inconvénient d’appartenir à une Église qui se veut universelle, c’est qu’on est obligé de s’intéresser un peu à ce qu’elle fait à l’autre bout de la planète. Si au moins elle avait adopté l’organisation en Églises nationales fortes et autonomes que je défends depuis longtemps, on n’en serait pas là ! Déjà dernièrement, j’avais écrit un billet pour dénoncer l’attitude de l’Église des Philippines face à la contraception ; à présent, c’est au Belize qu’ils font des bêtises.

Pour ceux qui ne sont pas bons en géo, le Belize est un petit État d’Amérique centrale, frontalier du Mexique. Ancienne colonie britannique (on l’appelait autrefois le Honduras britannique), c’est le seul pays anglophone de la région ; il est toujours membre du Commonwealth et l’anglais y est la langue officielle, même si l’espagnol est la langue la plus pratiquée.

En 1888, sous domination anglaise donc, le Belize a adopté une loi qualifiant les actes homosexuels de « troubles à l’ordre public » (public ? WTF ?). La loi est toujours d’actualité, mais elle a su évoluer avec le temps : depuis la Seconde Guerre mondiale, la « collusion charnelle », comme ils disent, entre adultes de même sexe, a carrément acquis le statut « d’actes contre-nature » et est passible de 10 ans de prison.

Déjà, il y a toujours quelque chose de surprenant à apprendre qu’un État, même du tiers-monde, conserve ainsi les restes un peu frelatés de la morale victorienne. Mais il y a de l’espoir, puisqu’un homme, Caleb Orozco, mène actuellement une bataille juridique pour faire abroger cette loi. Et c’est là que notre Église, mon Église, ne peut plus s’empêcher d’ouvrir sa gueule, dans le mauvais sens comme il se doit, et perd (encore) une bonne occasion de se taire.

Le Conseil bélizien des Églises, qui réunit catholiques, anglicans et évangélistes, a en effet qualifié l’initiative de M. Orozco de « plan orchestré des ténèbres démoniaques pour détrôner Dieu de [leur] Constitution et ouvrir en grand les portes à l’influence du Diable et au chaos qui affectera les générations futures ». Bigre, rien que ça.

Alors on va dire que je suis monomaniaque et que, surtout à l’heure où nous venons de gagner le combat en France, je pourrais changer un peu de disque ; mais non. Je suis désolé, je ne peux pas me taire face à ce genre de choses. Je suis le premier à me réjouir, je l’ai dit ici même, de l’élection de François au pontificat suprême, et du changement de ton qu’il a commencé à initier ; mais cela ne fait pas tout. Les forces d’inertie et même d’opposition pour contrer son « option préférentielle pour les pauvres » seront immenses. L’affaire du Belize en est la preuve : l’Église dans son ensemble va avoir du mal à prendre le virage initié par le pape, et certains restent obnubilés avant tout par les questions de morale sexuelle.

D’où la nécessité de se battre : l’Église à laquelle j’appartiens ne doit pas pouvoir profiter de l’éloignement géographique et du peu d’importance d’un pays dans le concert des nations pour y empêcher la simple dépénalisation de l’homosexualité (on est très, très loin du « mariage pour tous ») en la qualifiant de plan satanique.

Comme je le disais au début de ce billet, nous, catholiques, devons prendre au sérieux l’étymologie de cette qualification et l’universalité à laquelle, malheureusement, continue de prétendre l’Église que nous reconnaissons comme la nôtre. Cette prétention fonde une solidarité entre les catholiques du monde entier, et cette solidarité nous engage. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur ce que les hiérarchies catholiques font ailleurs, et dire avec dédain « oh mais ça, ce n’est pas nous ».

Si, c’est nous. Malheureusement, c’est nous.