mardi 30 décembre 2014

Médecins, acceptez le salariat !

D’ordinaire, j’ai tendance à soutenir les grèves. Et j’aime beaucoup les médecins, ils me sécurisent, et puis ma famille en est pleine. Et pourtant, je dois dire que la leur, de grève, me laisse assez de marbre.

Il y a quelques mois, j’avais écrit un article dont je ne retirerais pas une ligne aujourd’hui. Les médecins assurent un service public, ils sont payés par la Sécurité sociale, donc in fine par l’État, ce même État qui leur garantit la sécurité de leur emploi et de leurs revenus ; ils devraient donc logiquement, avec d’autres professions libérales – les pharmaciens, les avocats etc. – devenir pleinement des fonctionnaires. Ils en ont déjà les avantages, il faudrait qu’ils en assument les inconvénients. Cela ferait faire des économies à l’État et surtout réduirait les inégalités entre les territoires et entre les classes sociales. Et le principal argument pour qu’ils restent une profession libérale, à savoir l’efficacité de leur travail, n’est pas bon, puisque les membres d’autres professions, tout en étant fonctionnaires, font plutôt du bon boulot.

Pourquoi écrire un nouvel article ? Parce que certains arguments me semblent assez forts pour être relevés.

Premier point qui ne passe pas : la généralisation du tiers-payant. Pour ma part, je suis favorable, dans un système idéal où les médecins seraient des fonctionnaires, à ce que les patients ne payent rien, rien du tout. On me répond qu’il faut les responsabiliser. Ce sont deux conceptions de la médecine qui s’affrontent : pour moi, la médecine n’a pas à responsabiliser le malade. Ce n’est pas à elle de le faire, ce n’est pas dans le cadre du traitement qu’il faut le faire, et surtout ce n’est pas par l’argent, donc par le biais le plus inégalitaire qui soit, qu’il faut le faire. Le médecin n’a pas à responsabiliser le patient en le faisant payer, de même qu’un médecin (ou l’État) n’a pas à refuser les soins à un cancéreux qui se serait remis à fumer. Les soins sont un droit et un dû.

Second point : des revendications portant sur la considération sociale. Ainsi, un récent article du Monde (édition du 23 décembre dernier) était intitulé : « Notre métier est sabordé, décrédibilisé ». Ah. Jusqu’ici, j’avais plutôt l’impression que, dans la société française, le médecin restait un notable. Bien plus que, mettons, un professeur. S’ensuivent des critiques sur les patients qui ont « un incroyable degré d’exigence », deviennent « agressifs pour rien, savent tout puisque Internet l’a dit, ne remercient guère quand on les sauve mais savent hurler à la première broutille ». Là encore, voilà des points que nous autres enseignants pourrions reprendre très exactement. Bien sûr que les gens sont devenus mal élevés ! Bien sûr qu’Internet a tendance à brouiller les rapports humains ! Il n’y a rien là qui soit propre à la médecine ; c’est une révolution anthropologique bien plus profonde qui est en cours.

Viennent enfin les revendications salariales. La consultation est fixée à 23€ depuis 2011. Tiens, coïncidence : le point d’indice des fonctionnaires est également gelé depuis 2011. Bertrand Caudal, médecin lyonnais qui accepte de témoigner pour Le Monde, donne des chiffres : il assure 25 consultations par jour pour un salaire d’environ 5500€ net par mois. Il lui reste la décence de reconnaître qu’il s’agit d’un « beau salaire » et de dire qu’il « ne se plaint pas ».

En effet ! D’autant qu’en admettant qu’il passe en moyenne 20 minutes avec chaque patient, ça lui fait une journée de 8h20. Une longue journée, je le reconnais. Mais il affirme également que « si on pouvait faire 15 actes par jour, il n’y aurait pas de malaise ». Que ne les fait-il ? Si je pose bien ma règle de trois, ça lui ferait encore 3300€ par mois ; on vit, quand même, avec ça !

Les autres chiffres avancés par l’article sont aussi éloquents. Les généralistes ont un revenu moyen annuel de 76 600€, les spécialistes de 121 000€. Je sais qu’ils travaillent tous énormément, mais enfin, s’ils travaillaient tous deux fois moins, ils gagneraient encore, respectivement, 38 300€ et 60 500€ par an : ça resterait très confortable, et pour un travail tout à fait supportable ! On a donc un peu de mal à les plaindre vraiment.

Bon, cette tempête rageuse étant passée, je rassure mes amis médecins : au fond, tout au fond, je suis d’accord avec eux. C’est vrai, avec l’importance de leur fonction, avec les responsabilités qu’ils ont, ils mériteraient de continuer à gagner le même salaire en travaillant deux fois moins. Et on aurait les moyens de le faire ! Si Liliane Bettencourt dépensait un million d’euros par jour, il lui faudrait 76 ans pour épuiser tout son patrimoine : qu’on ne me dise pas que l’argent n’est pas là ! Une meilleure répartition des richesses permettrait donc sans grande peine d’accéder à leurs justes revendications (tout en faisant d’eux des fonctionnaires, parce que ce n’est pas moins juste ou moins nécessaire pour autant, mais des fonctionnaires très bien payés).

Mais si leurs revendications me semblent au fond si justes, pourquoi ai-je l’air si fâché ? Parce que j’aimerais bien leur faire comprendre, à mes amis médecins, qu’on aurait plus de facilité à compatir et à lutter pour eux si on les entendait davantage faire pareil pour nous. C’est très bien, de dire qu’ils ne sont pas assez payés pour le travail qu’ils font ; mais on aimerait les voir davantage investis à dire que c’est vrai aussi pour la plupart des autres métiers.

On peut penser que ce n’est pas grand-chose, cette solidarité, cette compassion réciproque, ce combat partagé ; mais c’est comme ça que se font les luttes sociales : en commun.

lundi 29 décembre 2014

Proposition de réponse de Tol Ardor au questionnaire préparatoire du Synode sur la famille de 2015

Avant la tenue du Synode d’octobre 2014 sur la famille, le pape François, dans un mouvement véritablement révolutionnaire, avait décidé d’interroger les catholiques du monde entier sur la doctrine officielle de l’Église quant aux questions de morale sexuelle et familiale et sur sa réception par les fidèles. Tol Ardor avait officiellement répondu à ce premier questionnaire.

Mais le Synode extraordinaire de 2014 n’était qu’une première étape, visant à préparer le Synode ordinaire de 2015, qui sera de loin le plus important puisque c’est là que seront prises les décisions qui devront in fine être approuvée – ou pas – par le pape. La Relatio synodi de 2014, c’est-à-dire le document final voté par les pères synodaux en octobre 2014, doit servir de document préparatoire (Lineamenta) au Synode ordinaire de 2015.

À cette occasion, le pape François a de nouveau décidé de consulter les laïcs catholiques : les Lineamenta sont soumis à leur examen et un nouveau questionnaire a été envoyé aux Conférences épiscopales. Le pape ne limite pas son appel aux seules institutions académiques mais à toutes les « organisations » et aux « associations de laïcs » (avant-propos des Lineamenta).

Nous exprimons tout d’abord notre déception devant le manque d’enthousiasme de la Conférence des évêques de France, qui ne manifeste pour l’instant aucun effort pour diffuser ce questionnaire auprès des fidèles catholiques français. Elle avait déjà fait preuve de la même frilosité l’année dernière, et il est extrêmement regrettable qu’elle semble faire aussi peu de cas de ce que les laïcs catholiques pensent mais également vivent. Cela nous semble aller à l’encontre de la claire volonté du pape, qui demande justement que les questions et perspectives posées par le Synode de 2014 puissent « mûrir et être précisées par la réflexion des Églises locales » (avant-propos).

Nous regrettons également que les réponses au premier questionnaire ne semblent pas avoir fait l’objet d’une étude un peu poussée de la part des pères synodaux. Nous attendions, sinon une réponse développée, au moins un commentaire, ou même ne serait-ce qu’un remerciement ; or, les Lineamenta ne les mentionnent même pas, ce qui donne un peu l’impression d’avoir été questionné, mais sans que la réponse à la question fasse réellement l’objet d’une attention approfondie.

Néanmoins, Tol Ardor se saisit une nouvelle fois de l’opportunité que lui offre le pape et propose ici sa réponse officielle au questionnaire préparatoire du Synode de 2015. Nous remarquons que le pape François nous invite à ne pas nous limiter aux « schémas et perspectives propres à une pastorale qui ne ferait qu’appliquer la doctrine » (avant-propos) et nous l’en remercions.

Question préalable se référant à toutes les sections de la Relatio Synodi

La Relatio Synodi présente une description assez juste et fidèle de la réalité de la famille dans l’Église et la société d’aujourd’hui. Comme d’habitude, le problème ne porte pas sur la description des faits mais sur leur interprétation et sur la conduite à tenir face à eux.

En revanche, le texte fait preuve d’un manque singulier de clairvoyance par son insistance totalement déplacée sur une prétendue « crise de la natalité », crise parfaitement fantaisiste au demeurant – nous y reviendrons.

Questions sur la Ie partie

Le contexte socio-culturel

Les Lineamenta soulignent le rejet, par une grande partie de nos sociétés – et nous pourrions ajouter par de très nombreux catholiques, même pratiquants – du modèle familial proposé par l’Église comme étant le seul valable, et accuse « l’expansion du relativisme culturel dans la société sécularisée » (question n°4).

Or, il nous semble important de noter que le relativisme est loin d’être seul en cause : on peut parfaitement rejeter ce modèle unique sans pour autant être relativiste. Toute tolérance n’est pas du relativisme : on peut croire que Dieu n’a pas souhaité un seul et unique modèle familial sans être relativiste pour autant.

Le défi pour la pastorale

En se demandant comment « susciter et mettre en valeur le “désir de famille” semé par le Créateur dans le cœur de toute personne », la question n°6 semble sous-entendre qu’on ne peut être appelé qu’à deux destins : la famille sur le modèle catholique ou le célibat consacré. Or, il nous semble important de rappeler qu’il y a d’autres voies possibles. De nombreux couples ne désirent pas d’enfants, de nombreuses personnes, sans s’engager dans la vie religieuse, ne fondent jamais de famille, et ne le vivent pas forcément comme un échec.

Il nous semble donc souhaitable que l’Église mette davantage en valeur les couples sans enfants et les célibataires : là encore, loin de se réduire à des accidents de parcours, ces situations sont une preuve de la diversité et de la variété de la vie et des expériences humaines voulues par Dieu.

Questions sur la IIe partie

La famille dans le dessein salvifique de Dieu

Le paragraphe 15 des Lineamenta ainsi que la question n°12 peuvent faire croire à une confusion entre mythe et histoire. À ce titre, il convient de rappeler qu’Adam et Ève sont des personnages mythologiques, qui n’ont pas historiquement existé, et que l’humanité n’avait donc, jusqu’à l’avènement du Christ, connu qu’une seule forme de mariage, celle qui est désignée comme « forme historique ».

Plus généralement, il nous semble souhaitable de considérer que Dieu n’a pas voulu que tous les hommes suivissent exactement le même chemin, et que par conséquent il est non seulement vain mais également mauvais de chercher à imposer un seul modèle familial comme norme unique. De ce point de vue, nous rappelons que la Sainte Famille, posée par les Lineamenta comme un « admirable modèle » (§23), n’a rien d’une famille traditionnelle : une fille-mère enceinte avant son mariage d’un père qui n’est pas son mari, mais qui pourtant adoptera cet enfant qui n’était pas le sien et l’élèvera comme son fils ; cela seul devrait faire réfléchir ceux qui pensent que l’amour humain ne peut suivre qu’une seule route.

La famille dans les documents de l’Église

Le questionnaire a bien entendu raison d’affirmer que « le magistère ecclésial […] doit être mieux connu du peuple du Dieu ». Néanmoins, il faut se méfier de la pente facile qui consiste à croire que le magistère est simplement mal connu ou mal compris : il faut ouvrir les yeux et reconnaître qu’il est parfois tout simplement rejeté, même par les catholiques, même pratiquants, qui le lisent et qui le comprennent. Bien des catholiques connaissent et comprennent le magistère ecclésial sur les questions de morale sexuelle et familiale, mais le refusent, que ce soit dans leurs discours ou, au quotidien, dans leurs actes.

De la même manière, il est urgent de comprendre qu’il est parfaitement vain de chercher à « développer et promouvoir des initiatives de catéchèse qui fassent connaître et qui aident à vivre l’enseignement de l’Église sur la famille » : rien ne parviendra à faire admettre à la majorité des couples chrétiens qu’ils ne peuvent pas utiliser les méthodes de contraception que l’Église considère comme contre-nature. C’est l’enseignement lui-même qui doit parfois être revu, pas la pédagogie avec laquelle on le délivre, car l’Église en tant qu’institution humaine peut errer.

Il est également nécessaire de comprendre que ces erreurs de l’Église sont doublement graves : d’une part parce qu’elles condamnent des comportements qui n’ont, en soi, rien de condamnable ; mais aussi, d’autre part, parce qu’elles rendent l’ensemble du message inaudible par la société d’aujourd’hui. Ce que l’Église dit de la contraception, de l’homosexualité, de la sexualité hors-mariage semble si improbable, si fantasque aux hommes de notre temps, que cela les empêche, littéralement, de lui accorder le moindre crédit, et donc d’entendre ce qu’elle a à dire sur d’autres sujets et, plus profondément, de recevoir la Bonne Nouvelle.

L’indissolubilité du mariage et la joie de vivre ensemble

Nous remercions le Synode d’avoir rappelé que « le Concile Vatican II a voulu exprimer son appréciation du mariage naturel et des éléments valables présents dans les autres religions et dans les cultures » (§22), ainsi que d’avoir proposé d’appliquer la même méthode « à la réalité du mariage et de la famille de nombreuses cultures et personnes non chrétiennes ».

Il nous semble néanmoins nécessaire d’aller plus loin : viser un idéal est une bonne chose, oublier la réalité en est une autre. Ainsi, les Lineamenta ont beau affirmer que « l’indissolubilité du mariage […] ne doit pas avant tout être comprise comme un “joug” imposé aux hommes, mais bien plutôt comme un “don” fait aux personnes unies par le mariage », cela n’empêche pas que parfois, elle devient, de fait, un joug.

Les Lineamenta et le questionnaire se demandent à de nombreuses reprises quelles solutions mettre en place pour restaurer le lien d’amour brisé entre les époux afin d’éviter un divorce. Ils insistent sur le dialogue et le pardon. Naturellement, c’est de bon sens, et bien entendu, il faut tout faire pour éviter un divorce, à la fois pour les époux eux-mêmes et pour leurs enfants.

Mais parfois, il faut également reconnaître que la grâce divine elle-même ne suffit plus à faire tenir un couple, et que le divorce peut alors apparaître comme la meilleure ou la moins mauvaise des solutions, sans que cela doive interdire une autre chance dans un autre amour ; nous ne voyons pas pourquoi Dieu refuserait Sa bénédiction à une seconde union d’amour, Lui qui n’est qu’Amour.

Vérité et beauté de la famille et miséricorde envers les familles blessées et fragiles

Pour « aider à comprendre que personne n’est exclu de la miséricorde de Dieu » (question n°20), il nous semble clair que la meilleure solution possible est de laisser les personnes divorcées et remariées accéder aux sacrements, en particulier à l’eucharistie et à la réconciliation.

Nous regrettons que les Lineamenta n’accordent pas plus de confiance aux fidèles. Ainsi, le paragraphe 26 condamne « la précipitation avec laquelle beaucoup de fidèles décident de mettre fin au lien assumé ». Il y a là quelque chose de presque insultant : bien au contraire, nous savons qu’un divorce est presque toujours un drame qui n’a lieu que parce que les concernés y ont, la plupart du temps, beaucoup réfléchi, et qu’il leur semble inéluctable. C’est d’autant plus grave qu’à l’inverse, les baptisés sont invités, dans le même paragraphe, à « ne pas hésiter devant la richesse que le sacrement du mariage procure à leurs projets d’amour » : comment prêcher la précipitation pour se marier, d’ailleurs contredite ensuite par l’insistance sur la préparation au mariage, alors qu’on condamne la supposée précipitation avec laquelle un couple divorce ?

La question n°21 demande « comment les fidèles peuvent […] montrer […] une attitude d’accueil et d’accompagnement », mais il est clair qu’ils ne le feront que si l’institution ecclésiale leur en donne l’exemple, ce qui ne peut se faire réellement qu’en laissant communier les divorcés remariés.

La question n°22 enfin se demande ce qu’il est possible de faire « pour que dans les diverses formes d’union […] l’homme et la femme ressentent le respect, la confiance et l’encouragement à grandir dans le bien de la part de l’Église ». Encore une fois, la seule réelle solution est d’admettre enfin que ces couples ne vivent pas de manière « désordonnée » mais suivent un chemin qui est probablement le meilleur pour eux. L’Église aidera mieux ces couples en ne les jugeant pas, mais en les laissant libres de choisir au mieux leur voie dans ce domaine qui est celui de la plus extrême intimité.

Questions sur la IIIe partie

La discussion : perspectives pastorales

Nous remarquons que le questionnaire inviter à « se laisser guider par le virage pastoral que le Synode extraordinaire a entrepris, en s’enracinant dans le concile Vatican II et dans le magistère du pape François », et nous remercions les auteurs de cette formulation. Nous insistons sur l’idée que c’est en effet d’un véritable « virage » que l’Église a besoin aujourd’hui, et nous demandons aux pères du Synode de 2015 de ne rien faire qui puisse freiner l’Église dans ce virage si nécessaire et si attendu par tant de fidèles.

Annoncer l’Évangile de la famille aujourd’hui, dans les différents contextes

Nous remercions les pères synodaux d’avoir « insisté sur une approche plus positive des richesses des diverses expériences religieuses » (§35) comme sur les « éléments positifs » présents dans les couples que l’Église ne reconnaît pas ou pas encore.

Nous les remercions également d’avoir dénoncé « avec franchise les conditionnements culturels, sociaux et économiques » et tout particulièrement « la place excessive donnée à la logique du marché, qui empêchent une vie familiale authentique, entrainant des discriminations, la pauvreté, des exclusions et la violence ». Dans un monde détruit progressivement par un capitalisme libéral de plus en plus agressif, arrogant et sûr de sa force, ce dont la politique française donne en ce moment un bon exemple (travail du dimanche etc.), l’Église doit porter le message que l’humain vient d’abord.

Guider les futurs époux sur le chemin de la préparation au mariage – Accompagner les premières années de vie conjugale

Nous approuvons la proposition des pères synodaux d’aider les couples qui se préparent au mariage en les faisant échanger avec des familles et des couples déjà mariés ; mais nous insistons sur la nécessité d’écouter toutes les familles, et pas uniquement celles qui correspondent au modèle actuellement promu par les autorités de l’Église.

Cela est également vrai pour l’accompagnement, en effet souhaitable, dans les premières années de vie conjugale.

La pastorale des personnes qui vivent en union civile ou en concubinage

Le questionnaire réaffirme, sans surprise, les « éléments constitutifs du mariage » que seraient « l’unité, l’indissolubilité et l’ouverture à la procréation ». À cet égard, il convient de rappeler que ces « éléments constitutifs » ne le sont, pour l’Église, que depuis un millier d’années. Cela peut paraître long, mais cela signifie surtout que, pendant la moitié de son histoire, le catholicisme n’a pas vu les choses de manière aussi stricte.

Cette mise en perspective devrait conduire l’Église à se remettre davantage en question et à considérer les arguments des couples qui souhaitent s’essayer à la vie à deux avant de s’engager dans le mariage. Là encore, comment peut-on d’une main dénoncer la précipitation supposée des couples à divorcer, tout en prétendant interdire de l’autre cette mesure de prudence et de précaution évidente que constitue la vie à deux avant le mariage ?

En revanche, il nous semble nécessaire de condamner vigoureusement les « formes traditionnelles de mariage […] arrangé par les familles » (question n°34) : comme l’affirment les Lineamenta, il faut toujours placer « l’amour au centre de la famille » (§17). Il convient donc de rappeler aux parents et aux familles qu’ils n’ont aucun pouvoir de contrainte sur un couple, que ce soit pour le faire ou pour le défaire.

Prendre soin des familles blessées (séparés, divorcés non remariés, divorcés remariés, familles monoparentales)

Il nous semble essentiel de rappeler que l’Église ne peut demander à ses fidèles de bien accueillir ces familles et ces personnes blessées que dans la mesure où elle le fait elle-même. À ce titre, le libre accès de tous les baptisés à la communion et plus généralement à tous les sacrements devrait devenir la règle de l’Église et sa nouvelle pastorale, et ce d’autant plus que, par ce biais, ils recevraient une grâce qui les aiderait à avancer. En tout état de cause, l’accès des baptisés aux sacrements devrait être laissé à leur appréciation : il s’agit, là encore, d’un point d’une extrême intimité, qui doit se régler d’abord entre Dieu et Ses enfants, de manière personnelle et individuelle.

Nous estimons également que les moyens envisagés par les pères synodaux pour faciliter et raccourcir les procédures d’annulation des mariages, s’ils sont probablement souhaitables et vont dans la bonne direction, ne sauraient être une réponse suffisante au problème des divorcés remariés : ils n’attendent pas qu’on leur dise que leur première union était nulle et non avenue, car elle ne l’était pas et cela reviendrait à nier leur histoire personnelle ; ils attendent qu’on leur dise ce qu’ils savent déjà au fond d’eux, à savoir que Dieu laisse toujours une deuxième chance, et qu’Il laisse toujours sa chance à l’amour.

Enfin, nous ajoutons que les divorcés remariés ne forment que la partie émergée de l’iceberg : si on leur interdit l’accès aux sacrements, pourquoi ne le fait-on pas également, par exemple, aux couples qui ont recours à des méthodes de contraception dites « non naturelles » ? Au regard de l’Église, ils sont, tout autant que les premiers, en état de « péché obstiné ».

L’attention pastorale envers les personnes ayant une tendance homosexuelle

Les paragraphes 55 et 56 des Lineamenta, qui traitent la question de l’homosexualité, sont parmi les plus décevants de l’ensemble. Alors que la Relatio post disceptationem était beaucoup plus audacieuse, la Relatio synodi se contente de répéter le Catéchisme de l’Église catholique. C’est très insuffisant et nous espérons que les pères du Synode ordinaire de 2015 sauront aller beaucoup plus loin. L’Église doit reconnaître enfin qu’il n’y a rien de désordonné dans le désir ou dans les relations homosexuelles, et accepter de bénir les unions de personnes du même sexe.

Le document estime « totalement inacceptable que les Pasteurs de l’Église subissent des pressions en ce domaine ». Ce rejet apparaît bien infondé : les autorités ecclésiastiques n’hésitent pas à faire entendre leur voix dans le débat public et à exercer des pressions pour influencer la politique des pays auxquels elles appartiennent. Ainsi, de très nombreux évêques français se sont mobilisés contre la loi Taubira. C’est leur droit le plus absolu, même si nous regrettons qu’ils se soient engagés dans ce sens ; mais en retour, ils doivent accepter que d’autres, qui ne partagent pas leur opinion, exercent également sur eux quelques pressions. On ne peut pas à la fois vouloir participer au débat public et en refuser les règles et la réciprocité.

La transmission de la vie et le défi de la dénatalité

Parler, comme le font les Lineamenta, d’une crise démographique ou d’une « forte baisse de la natalité » (§57) est une véritable stupidité et un déni de la réalité. S’il est vrai que, dans les pays les plus développés, la natalité a tendance à baisser, à l’échelle du monde – la seule qui importe – l’humanité continue au contraire à croître à un rythme inquiétant. La vérité est que, alors que l’humanité avait péniblement atteint 1 milliard d’individus en 200 000 ans d’existence, elle a brutalement gagné plus de 6 milliards d’individus en moins d’un siècle. Déjà, cela pose de nombreux problèmes, en particulier liés à la pression que, par nos besoins, les ressources que nous prélevons, les déchets que nous rejetons, nous exerçons sur la nature. Au rythme où vont les choses, ces problèmes ne pourront que s’amplifier dans l’avenir. Il y a quelque chose de criminel, dans ce contexte, à inciter les gens à faire toujours plus d’enfants.

Il est en revanche évidemment souhaitable de faciliter la vie des parents et de permettre à ceux qui veulent des enfants d’y parvenir. Pour cela, il convient, là encore, de lutter contre les forces aveugles du marché, exclusivement consacrés à la maximisation des profits et à l’accumulation des biens matériels, et de favoriser un meilleur partage des richesses.

Pour ce qui concerne l’encyclique de Paul VI Humanæ vitæ, il ne s’agit plus de chercher les moyens de la promouvoir mais bien de l’abolir. Elle a en effet été clairement rejetée par le sensus fidelium : une immense majorité de catholiques, même pratiquants, la refusent. Beaucoup l’affirment et n’hésitent pas à en démonter les argumentations fallacieuses ; mais même parmi ceux qui n’en parlent pas, nombreux sont ceux qui l’ont rejetée tout simplement dans leurs actes, au quotidien, en n’appliquant aucunement les obligations qu’elle porte et en se moquant bien de ses interdits.

En ce qui concerne l’avortement, il nous semble nécessaire de lancer un débat et une réflexion sur les commencements de la vie humaine : le dogme catholique qui affirme que la vie humaine commence dès la fécondation de l’ovule semble à tout le moins critiquable au regard des connaissances biologiques. Or, si la vie humaine commence, par exemple, avec le fonctionnement du système nerveux central, alors un avortement pratiqué à moins de dix semaines d’aménorrhées n’est pas un meurtre.

Les défis de l’éducation et le rôle de la famille dans l’évangélisation

Les pères synodaux ont raison de redouter « la grande influence des médias » : celle-ci, en effet, s’exerce souvent sur les enfants et les jeunes afin de mieux les insérer dans la société techno-industrielle, capitaliste et libérale, en faisant d’eux avant tout des consommateurs, non des citoyens, des croyants, des humains. Mais répondre à ce défi nécessiterait une réflexion bien plus poussée sur l’ensemble du Système qui gouverne l’humanité aujourd’hui. Tol Ardor propose une telle réflexion à ceux que la question intéresse.

Conclusion

Nous remercions les pères synodaux pour le travail accompli et nous reconnaissons que les Lineamenta du Synode de 2015 vont globalement dans la bonne direction. Mais nous redoutons encore un manque de courage de la part du Synode, manque qui s’est déjà concrétisé dans le passage de la Relatio post disceptationem à la Relatio synodi. Nous attendons donc bien davantage du Synode ordinaire, et nous terminerons en appliquant à l’Église les paroles que Danton avait adressées à la France le 2 septembre 1792 : « il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace » et l’Église est sauvée.

jeudi 25 décembre 2014

Jésus, ce clochard devant nous

La veille de Noël, la municipalité d’Angoulême a décidé de poser des grillages autour de neuf bancs de la ville pour décourager l’installation de SDF. Face à la polémique, les élus semblent reculer, et les grilles seront sans doute démontées prochainement.

Ce billet devrait s’arrêter là ; qu’y a-t-il à ajouter ? Je n’ai pas de mots assez durs pour dire le dégoût, le mépris que m’inspire une telle mesure. Mais elle n’est qu’un exemple d’une très longue série : en France, en Angleterre, en Italie, dans tous les pays développés et à toutes les échelles, on prend des précautions pour chasser les plus pauvres de la vue des honnêtes gens. Partout, des riches élus par des à peine moins riches prennent des mesures pour pourrir encore un peu plus la vie de ceux qui n’ont rien. De ceux pour qui elle est déjà si dure.

Au Moyen-âge, le pauvre était considéré comme une figure vivante du Christ et une occasion offerte de faire le bien. C’est avec la modernité, le protestantisme et le triomphe de la bourgeoisie capitaliste qu’on a commencé à le voir comme une feignasse qui mérite bien son sort.

Que dire ? Qu’ajouter ? Le Christ était un pauvre, un clochard, un SDF ; un loqueteux à la tête d’une bande de loqueteux, de punks à chiens de l’époque, dans un peuple de ploucs, de pouilleux, de bouseux. Nous, chrétiens, sommes habitués à dire que Jésus était « un pauvre parmi les pauvres », mais nous avons tellement répété cette expression que nous l’avons magnifiée et que nous avons cessé d’en voir le sens. « Pauvre parmi les pauvres », ça sonne bien. Mais en réalité, Jésus était un clodo, tout simplement.

Donc oui, le mendiant qui vous tend la main, c’est l’image vivante du Christ parmi nous, et lui dire non, c’est dire non au Christ. « Si quelqu’un dit : “J’aime Dieu”, mais qu’il déteste son frère, c’est un menteur : celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer Dieu, qu’il ne voit pas », nous dit Jean. « Tout ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait », ajoute Matthieu.

Aidez le pauvre, le SDF, le mendiant qui a faim et froid et qui a besoin de vous. Ne craignez pas de vous faire avoir par un menteur : ce ne serait pas très grave. Beaucoup moins grave que de refuser votre aide à quelqu’un qui en aurait vraiment besoin. Dans un pays où nous avons tout, des gens meurent de faim et de froid. Comment est-ce seulement possible ?


Aimez.

Joyeux Noël.

mercredi 17 décembre 2014

Soit les animaux ont une âme, soit le pape est un peu hérétique

Que les animaux ont une âme, j’en suis convaincu depuis bien longtemps. Dans le monde catholique, je suis d’ailleurs loin d’être le seul. Tolkien, dans ses œuvres, accordait aux animaux, et même aux plantes, tout ce qui laissait supposer la présence d’une âme, en particulier le langage et la pensée. Saint François d’Assise considérait lui aussi les animaux comme les frères de l’homme, les soignait et leur parlait.

La Bible elle-même va parfois dans le même sens. Dans sa vision de la fin des temps décrite dans l’Apocalypse, Jean affirme que « toutes les créatures qui sont dans le ciel, sur la terre, sur la mer et tout ce qui s’y trouve […] disaient : “À celui qui est sur le trône, et à l’Agneau, soient la louange, l’honneur, la gloire et la force, pour les siècles des siècles !” ». Toutes les créatures vivantes louent donc Dieu. Daniel va dans le même sens : « Que les monstres marins et tout ce qui s’agite dans les eaux bénissent le Seigneur, qu’ils le chantent et le glorifient éternellement ! Que tous les oiseaux du ciel bénissent le Seigneur, qu’ils le chantent et le glorifient éternellement ! Que toutes les bêtes et tous les animaux bénissent le Seigneur, qu’ils le chantent et le glorifient éternellement ! »

Les Écritures tendent aussi à dire que les êtres vivants non humains seront présents au Paradis. Le psaume 36 déclare ainsi que le salut de Dieu s’étend aux animaux : « Éternel ! tu sauves les hommes et les bêtes. » De même, dans la description qu’il fait du Royaume de Dieu, Isaïe affirme que « le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra ; sur le trou de la vipère, l’enfant étendra la main. » Plus loin, il ajoute que « le serpent se nourrira de poussière ». Non seulement les animaux sont présents au Royaume de Dieu, mais ils y vivent dans une harmonie parfaite.

De manière plus générale, les descriptions du Paradis qu’on peut trouver dans la Bible, particulièrement dans l’Ancien Testament, le font ressembler à un vaste jardin, ou à une nature idyllique, dans lequel se trouveraient non seulement des animaux mais aussi des plantes.  Ce qui concorde avec nos représentations et nos désirs ; je pourrais reprendre à mon compte, en les déformant légèrement, les propos d’une lectrice du International New York Times qui disait en substance : s’il n’y a pas d’animaux et de plantes au Paradis, moi, je n’y vais pas.

Cette tradition a enfin été illustrée par plusieurs papes. Paul VI, à un enfant qui pleurait la mort de son chien, avait répondu qu’« un jour, nous reverrons nos animaux dans l’éternité du Christ ». Jean-Paul II, lors de l’audience générale du 10 janvier 1990, avait affirmé que « les animaux ont eux aussi une respiration ou un souffle vital qu’ils ont reçu de Dieu. De ce point de vue, l’homme, sorti des mains de Dieu, apparaît solidaire de tous les êtres vivants. » Contrairement à Paul VI, il n’affirmait pas qu’ils eussent une âme immortelle, et Benoît XVI avait même explicitement refusé cette hypothèse dans un sermon de 2008. Mais François, en affirmant que « le Paradis est ouvert à toutes les créatures de Dieu », reprend la position de Paul VI : non seulement les animaux ont une âme, mais cette âme est immortelle et destinée au Royaume de Dieu.

Pour moi, c’est assez évident quand on considère la simple biologie : certains animaux sont si proches de nous qu’il est assez délicat de leur refuser une âme à laquelle nous croyons pour nous-mêmes. Mais une fois ce premier pas franchi, où s’arrête-t-on ? Quand on a pris conscience qu’il n’y a pas de rupture radicale entre l’homme et les autres animaux (car l’homme, il faut le rappeler, est aussi un animal), on voit aussi qu’il n’y a pas de rupture radicale entre les animaux non humains. Ce qu’on accorde, métaphysiquement, aux singes et aux chiens, puis aux autres mammifères, pourquoi ne pas l’accorder aux oiseaux et en fait aux autres vertébrés ? Et pourquoi seulement aux vertébrés ? Et une fois qu’on l’accorde aux méduses, pourquoi ne pas l’accorder aux plantes ? Autant pour Jean d’Ormesson qui affirmait bien péremptoirement que « personne ne pense sérieusement qu’il puisse y avoir, après la mort, une vie éternelle ni un paradis pour les lézards, pour les fauvettes, pour les gorilles, les bonobos ou les chimpanzés[1] » !

Quitte à décréter des dogmes à tire-larigot, en voilà un qu’on pourrait poser : l’immortalité de l’âme des êtres vivants non humains.

Quelles en seraient les conséquences concrètes ? Je ne pense pas, contrairement à ce qu’imaginent certains en ce moment, que les déclarations du pape soient de nature à pousser les chrétiens au végétarisme ou a fortiori au véganisme. Les chrétiens croient en une âme humaine immortelle, et cela ne les empêche pas de tuer d’autres humains dans certains cas de figure (légitime défense, guerre légitime etc.). De la même manière, je pense avoir déjà montré qu’on peut parfaitement aimer et respecter les animaux – et les plantes – tout en les tuant pour satisfaire nos besoins, en particulier alimentaires.

En revanche, il est certain que croire que les êtres vivants non humains ont également une âme, et une âme immortelle, change forcément notre regard sur eux : s’ils ont une âme immortelle, c’est que fondamentalement ils sont nos égaux, parce que Dieu Se préoccupe autant d’eux que de nous ; aussi bien que nous, ils sont Ses enfants, nos frères. Nous n’avons donc pas de domination sur eux, mais seulement une responsabilité – qu’on relise ce que Tol Bombadil dit des créatures qui vivent sur son domaine. Cela n’interdit pas de les tuer, mais cela impose un grand respect dans l’élevage, la culture, le transport, la mise à mort, respect dont notre civilisation techno-industrielle est, pour l’instant, absolument dépourvue.



[1] Jean d’Ormesson, Comme un chant d’espérance, chapitre XXVII.