mardi 24 janvier 2017

Socialistes, c’est (de nouveau) le moment de divorcer

Un divorce, c’est un peu comme la guerre : ce n’est jamais agréable, mais c’est parfois nécessaire. On ne peut pas être « pour » le divorce, comme on ne peut pas être « pour » la guerre ; mais dans certains cas, il faut bien reconnaître que c’est la moins mauvaise des solutions.

À l’heure actuelle, c’est clairement le cas pour le PS. Ce parti est en fait divisé en deux. On le sait depuis très, très longtemps, mais un des rares avantages de la primaire est d’en faire la démonstration manifeste. D’un côté, il y a des gens de gauche, véritablement de gauche, les seuls qui méritent le qualificatif de « socialistes », c’est-à-dire ceux qui veulent une réforme profonde du capitalisme libéral – je ne prétends pas qu’ils veuillent l’abolir, mais cette radicalité-là a de toute manière à peu près disparu du champ politique – dans le sens de davantage d’égalité. De l’autre, il y a des socio-démocrates, c’est-à-dire des gens qui s’accommodent très bien du capitalisme libéral tel qu’il existe actuellement et veulent seulement l’encadrer pour en limiter les abus.

Entre ces deux camps, il n’y a, en réalité, pas d’accord possible. Leur alliance résulte exclusivement d’une somme d’intérêts personnels et politiciens : leurs membres respectifs ont tout simplement considéré jusqu’à présent que le Parti socialiste, et donc le maintien de son unité et de son existence, était le plus sûr moyen de conquérir les postes convoités.

Mais sur le fond, les désaccords sont à peu près complets – pour ceux qui ont quelques convictions, évidemment. Les socialistes sont partisans d’une politique keynésienne de relance pilotée par l’État sans se soucier des déficits. Ils souhaitent des politiques de véritable redistribution des richesses, donc des impôts élevés, surtout pour les plus riches, et des dépenses publiques importantes. Mécaniquement, ils sont assez méfiants vis-à-vis de l’Union européenne telle qu’elle s’est construite depuis 1992.

Inversement, les socio-démocrates sont globalement partisans de la rigueur budgétaire imposée par Bruxelles et d’une tentative de relance par l’offre plutôt que par la demande. Ils ont accepté le dogme de base du néo-libéralisme et du néo-classicisme économique selon lequel c’est en laissant les plus riches s’enrichir qu’on fera reculer la pauvreté : ils ne veulent donc pas taxer trop lourdement les revenus ou le capital.

Ces deux lignes sont donc clairement contradictoires. C’est pourquoi Valls a raison de parler de « deux gauches irréconciliables », et Hamon d’affirmer que le second tour de la primaire se jouera « projet de société contre projet de société ».

Seulement voilà, quelque chose vient perturber la donne : c’est que chacune des deux options est déjà représentée par un candidat lancé depuis plus longtemps dans la course. Les idées de Benoît Hamon sont déjà portées, peu ou prou, par Jean-Luc Mélenchon, et celles de Manuel Valls par Emmanuel Macron.

On me dira que ce n’est pas la même chose, qu’il y a à chaque fois des divergences. Évidemment, qu’il y a des divergences ! Oui, Hamon n’a peut-être pas exactement la même vision de l’Union européenne, de la politique étrangère, de la Russie ou de l’islam que Mélenchon. Mais et alors ? Deux individus ne sont jamais d’accord sur tout en politique. Croire que le moindre désaccord doit se traduire par deux candidatures distinctes aux élections est la maladie dont la gauche crève depuis des années, pour ne pas dire des décennies. Si on attendait d’être d’accord en tout avec quelqu’un pour le soutenir, personne ne militerait dans aucun parti politique, personne ne soutiendrait jamais aucun candidat : il y aurait autant de partis et de candidats que de militants. Belle perspective ! Et quelle efficacité…

Ce qu’il faut donc réaliser, c’est que les désaccords, réels et indéniables, entre Valls et Macron ou entre Hamon et Mélenchon, sont infiniment moins profonds que ce qui les rassemble. La conclusion, en termes politiques ? C’est le moment pour le PS d’acter ce désaccord et de divorcer. Que les socialistes rejoignent Mélenchon et le Parti de gauche, et que les socio-démocrates rejoignent Macron et construisent ensemble une nouvelle structure.

Bien sûr, j’entends déjà les militants du PS s’offusquer : et pourquoi pas le contraire ? Pourquoi ne seraient-ce pas Mélenchon et Macron qui se rallieraient à Valls ou Hamon ? Pour une raison bien simple : c’est que nous sommes dans une démocratie d’opinion, dominée par le complexe médiatico-sondagier, et que ses oracles ne peuvent pas être ignorés. Or, ils sont très clairs : que ce soit Valls ou Hamon qui l’emporte, le candidat PS est condamné à une humiliante cinquième place, derrière Le Pen, Fillon, Macron et Mélenchon. Telle est la loi d’airain des institutions majoritaires de la Ve République : sous peine d’être responsable de la défaite des idées qu’il porte, c’est au plus faible de se désister en faveur du plus fort.

Les chances que les choses se passent ainsi sont évidemment bien minces. Le PS a déjà manqué plusieurs occasions de faire ce divorce. En 2007, la percée de Bayrou, qui était le seul à même de battre Nicolas Sarkozy au second tour, aurait dû provoquer l’explosion du parti et une alliance Bayrou-Royal. L’aile gauche du PS ne l’aurait bien sûr pas accepté, et après ? Le Parti de gauche aurait pu être fondé avec deux ans d’avance. Par la suite, lorsque Hollande, devenu président, a renié et même foulé aux pieds toutes ses promesses de mettre au pas la haute finance, le divorce aurait encore dû avoir lieu. L’arrivée de Valls au poste de Premier ministre en était l’occasion évidente. Les « frondeurs » ont préféré continuer à « fronder » de l’intérieur, c’est-à-dire à ne rien faire.

Il est donc probable qu’il en ira encore de même. Les militants et surtout les cadres auront sans doute trop peur de perdre leurs places (de conseillers municipaux ou généraux, de maires, de permanents etc.) pour oser quitter ce navire qui ne peut pourtant plus être sauvé ; et le candidat désigné préférera s’accrocher à une vaine candidature de témoignage, dont au moins il pourra tirer personnellement des profits politiques, plutôt que de favoriser ses idées en se désistant. En d’autres termes, le couple continuera à se déchirer et à se taper dessus, mais n’osera pas la séparation de peur de dilapider le patrimoine commun : un divorce, ça coûte cher. Les socio-démocrates, hier dominants dans le parti, vont peut-être devoir céder temporairement la place aux socialistes : qu’importe, ils estimeront préférable d’attendre la défaite pour reconquérir la direction dans ses ruines.

Et donc, il y aura un grand perdant : soit Macron, soit Mélenchon. Si l’arithmétique électorale fonctionne sans surprise, Hamon sera élu, ce qui fera encore un peu plus souffler le vent dans les voiles de Macron mais réduira d’autant le socle électoral de Mélenchon. C’est dommage pour lui : pour la première fois, je me disais qu’il avait une toute petite fenêtre pour accéder au second tour. Mais comme, quel que soit son adversaire, il ne pouvait pas le battre in fine, ce n’est peut-être pas plus mal. Si Valls est bien éliminé, Macron sera probablement en 2017 celui que Bayrou a été il y a dix ans : le seul à même de battre à la fois la droite dure de Fillon et l’extrême-droite de Le Pen. Fillon doit d’ailleurs avoir en ce moment de belles sueurs froides, et ça au moins, ça console de tout.

Qu’est-ce que je vous disais ? Le candidat qui sera élu en mai prochain, quel qu’il soit, n’aura pas les solutions pour nous sortir de la Crise que nous ne faisons que commencer à traverser. Mais au moins, en attendant, et contrairement aux deux dernières présidentielles, on s’amuse et on a un peu de suspens, avec tout plein de beaux retournements de situation.