vendredi 31 août 2012

Unilever se prépare (en fait) à profiter de la pauvreté

Unilever est vraiment une entreprise visionnaire : elle affirme « voir la pauvreté revenir » en Europe. Et elle se prépare en conséquence.

Comment ? En vendant davantage de produits moins chers car conditionnés en plus petits formats. Jan Zijderveld, responsable d’Unilever Europe, explique ainsi : « Si un Espagnol ne dépense plus en moyenne que 17 euros quand il fait les courses, je ne vais pas lui proposer un paquet de lessive qui coûte la moitié de son budget. » Apparemment, l’entreprise reproduirait ainsi en Europe une stratégie qui semble avoir fait ses preuves dans les pays émergents ; le même nous apprend en effet que « en Indonésie, [ils vendent] des échantillons individuels de shampoing pour 2 à 3 centimes pièce et pourtant [ils gagnent] de l’argent.

« Pourtant » ? Pourquoi « pourtant » ? Jusqu’à preuve du contraire, quand on vend des produits conditionnés en plus petit format, ils sont plus chers au kilo. Or, même si une réduction de ses revenus peut pousser une famille à faire attention à ce qu’ils achètent, à ce qu’ils mangent, à la manière dont ils vivent etc., il lui faudra tout de même manger à peu près la même quantité de nourriture, se laver autant et faire à peu près autant de lessives dans l’année. Par conséquent, vendre à une famille pauvre une petite quantité de lessive, moins chère en absolu mais plus chère au kilo, c’est la pousser à avoir dépensé davantage en lessive à la fin de l’année. En gros, Unilever espère mettre à profit le retour de la pauvreté pour gagner plus d’argent, et sur le dos des plus pauvres.

En outre, il y a quelque chose de choquant à voir une entreprise qui se veut un parangon de vertu en matière d’écologie promouvoir des programmes qui, forcément, multiplient la quantité d’emballages produite.

Bref, on a ici à la fois une belle illustration du greenwashing et une belle preuve de cynisme maquillée par une communication habile. Rien que de très normal, car c’est par de tels coups qu’on réussit dans l’économie capitaliste.

jeudi 30 août 2012

EELV nous donne rendez-vous dans cinq ans ? Chiche !

Quatre mois ne se sont pas écoulés depuis les élections présidentielles que déjà l’accord de gouvernement entre le PS et EELV est malmené. Ce n’est pas une surprise : le score très médiocre réalisé par Eva Joly au premier tour,  la crise économique qui fait oublier aux gens les questions environnementales, le fait que les députés et sénateurs écologistes n’aient été élus que grâce à cet accord et dépendent donc des socialistes, tout indique que le rapport de force n’est pas en faveur des Verts. La politique étant ce qu’elle est, on ne va pas reprocher aux socialistes d’en profiter ; c’est de bonne guerre.

Néanmoins, pour ceux qui ont cru en cet accord (et dont je n’étais pas, cf. mon post du 10 décembre 2011 ici même), la gifle doit piquer. Pour ceux qui auraient encore des doutes, les propos des ministres socialistes sont éloquents : Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, affirme que « le nucléaire est une filière d’avenir » ; Delphine Batho, ministre de l’écologie (ah ?), en rajoute une couche en posant que « la France a durablement besoin du nucléaire », avant d’afficher son soutien au projet de nouvel aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, projet porté par le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, qui, de son côté, avertit aussi que le débat sur les gaz de schiste n’est « pas fermé ». Si on ajoute à tout ça le départ prématuré de Nicole Bricq, vaincue par les lobbys du pétrole pour son opposition aux forages en Guyane, du ministère de l’écologie, il y a quelques semaines, on comprend que pour François Hollande et son équipe, l’écologie, ça commence déjà à bien faire.

Et pourtant, EELV, pour l’instant, s’entête. Vous me direz qu’ils ont l’habitude. Dominique Voynet, en son temps, a avalé tellement de kilomètres de couleuvres que je n’aimerais pas les faire à pied. Et puis, que peuvent-ils faire d’autre ? Comme je l’avais annoncé il y a des mois, ils ont commencé à vendre leur âme, certes morceau par morceau, en échange de leurs postes. Certains militants s’en inquiètent : mieux vaut tard que jamais ! Ils s’aperçoivent maintenant plus ou moins confusément qu’ils ne seront jamais qu’une vitrine, un moyen pour l’équipe au pouvoir de faire croire au peuple que l’écologie a quand même une peu d’importance pour elle ; certains commencent aussi à se rendre compte de la stratégie de François Hollande : pour étouffer ses ennemis, il faut les serrer contre soi.

Mais malgré l’inquiétude manifeste de sa base, l’équipe dirigeante du parti ne peut guère reculer. D’abord, ils ont le complexe du petit parti qui veut devenir gros. Ils sont convaincus que pour peser, il faut entrer dans le jeu de la politique traditionnelle. C’est leur erreur fondamentale, car le moteur politique de notre société est tout aussi cassé que son moteur économique : en y mettant la main, ils se couvrent du cambouis du discrédit public, car ce milieu est totalement déconsidéré par le peuple, sans pour autant pouvoir faire avancer leurs idées, puisque justement, le moteur est cassé. En entrant dans le jeu politique ordinaire, ils entrent précisément dans le monde de ceux qui n’ont aucune marge de manœuvre. Il est curieux qu’ils ne s’en aperçoivent pas : ils doivent bien voir que ni la gauche ni la droite modérées ne parviennent véritablement à imposer leurs réformes ; et pourtant, ils veulent à toute force leur ressembler.

Et puis rompre l’accord, ce serait prendre le risque de perdre le peu qu’ils ont acquis (les ministères, les groupes parlementaires) sans pour autant regagner la confiance et la crédibilité qu’ils ont indéniablement perdues. Leur seule option est donc de parier sur leur capacité à utiliser le (très) petit hochet de pouvoir avec lequel on les laisse jouer pour regagner cette confiance. Pour cela, il faut arriver à des résultats.

Et c’est là que François de Rugy, co-président du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, nous met au défi et nous donne rendez-vous dans cinq ans. Dans un débat organisé par Le Monde, il demande que les écologistes soient « jugés dans la durée, sur les résultats [qu’ils auront] obtenus ». Il « donne rendez-vous à tous ceux qui [les] critiquent, souvent de mauvaise foi [sic : il faut être de mauvaise foi pour critiquer EELV], mais aussi à ceux qui, de bonne foi, peuvent être sceptiques, ou tout simplement impatients, dans cinq ans, pour faire le bilan de ce [qu’ils auront] pu obtenir de concret, d’important, dans l’ensemble des domaines de l’action politique. Dans le domaine de l’énergie comme dans le domaine de l’économie, de l’Europe, des réformes démocratiques ou des questions de société. »

Eh bien, je relève le défi, moi qui suis à la fois critique, sceptique et impatient, et je note le rendez-vous dans mon petit agenda. Rendez-vous dans cinq ans, monsieur de Rugy ! Nous verrons alors, et nous nous concentrerons sur les questions environnementales. Et pour ma part, je prends d’ores et déjà le pari inverse : vous n’obtiendrez rien d’importance. La « conférence environnementale » qui se tiendra les 14 et 15 septembre prochains sera le Grenelle de l’environnement de Sarkozy, mais en moins ambitieux : au lieu d’avoir une montagne qui accoucherait d’une souris, nous aurons une colline qui accouchera d’une musaraigne.

Je le disais dès le 6 mai : il ne faut pas attendre grand-chose de Hollande. Il ne faut pas regretter son élection, car c’était lui, Le Pen ou Sarkozy, et il était donc, de loin, le moindre mal ; mais il ne fera rien qui soit très coûteux pour les finances publiques. Or l’écologie, c’est coûteux, très coûteux. Le début de son quinquennat, bien mou, m’a pour l’instant donné raison ; je n’ai pas peur de perdre le pari que nous lance monsieur de Rugy.

mercredi 29 août 2012

Il faut payer davantage les enseignants

Évidemment, on va m’accuser de prêcher pour ma paroisse. Voire de vouloir m’en mettre plein les poches, alors que je suis déjà si privilégié, puisque je ne travaille pas (bien sûr, tout le monde sait ça, et j’ai plein de vacances, aussi). Même certains collègues vont regarder ailleurs, l’air gêné, tant ça se fait peu, dans le métier, de demander de l’argent. Mais tant pis, je me risque, je persiste et je signe : oui, il faut payer davantage les profs (dont je suis).

Pourquoi ? Je pourrais déjà commencer par l’argument traditionnel : objectivement, les enseignants sont mal payés en France par rapport à la difficulté de leur métier et à leur niveau d’études. Dans l’ensemble de l’OCDE, le traitement brut d’un professeur certifié exerçant son métier depuis 15 ans représentait en moyenne 1,42 fois le PIB/hab. ; en France, il n’est que de 1,17 fois le PIB/hab. Une étude indépendante indiquait que le pouvoir d’achat des enseignants avait baissé de 20% entre 1981 et 2004 ; même en prenant en compte les contre-arguments du ministère de l’Éducation nationale, la baisse resterait de 10%, ce qui est considérable. Dans le même temps, le pouvoir d’achat moyen des salariés a augmenté de 16% et le SMIC de 24%. Il y a une injustice manifeste.

Mais il faut aller plus loin que ce premier constat. Aujourd’hui, notre nouveau ministre, Vincent Peillon, nous promet « le respect ». « Le regard sur le métier va changer », nous annonce-t-il. Ah ? Dans le même temps, il reconnaît que les enseignants ne sont pas assez payés, mais nous fait comprendre qu’il ne peut rien faire. Toute la question est de savoir si les deux points sont compatibles ; et pour ma part, je ne le pense pas.

Bien sûr, le ministre en appelle à nos valeurs : « le désintéressement » et « la justice », c’est bien connu, « sont bien davantage les nôtres que [celles] de l’argent ». Certes ! Nous ne sommes pas devenus professeurs en France pour nous enrichir. Eût-ce été mon but que je serais resté en Écosse. Là-bas, un full registered teacher gagne £25 716 par an, c’est-à-dire 32 500€ au cours actuel de la livre (et encore bien plus lorsque j’y étais) ; l’équivalent, chez nous, un enseignant débutant venant juste de valider son année de stage, gagne 24 003€ (et encore, pour ceux qui sont arrivés après la réforme de la mastérisation ; moi, après 5 ans d’enseignement, je n’en ai pas autant). Toujours en Écosse, un chartered teacher, c’est-à-dire un enseignant qui acquiert de nouvelles compétences par la formation continue, gagne au bout de sept ans £41 925 par an (presque 53 000€) ; un head teacher (l’équivalent en France des professeurs principaux et des coordonnateurs de discipline) gagne entre £42 288 et £82 542 (donc entre 53 450€ et 104 300€ par an). Par comparaison, un certifié au sommet de sa carrière (hors-classe au dernier échelon, ce que peu atteignent), gagne 43 500€ par an ; et ceux qui ne passent pas à la hors-classe gagnent au plus 36 500€ par an.

Donc on est d’accord, si nous sommes profs en France, ce n’est pas pour remplir nos comptes bancaires. Mais si nos valeurs ne sont pas celles de l’argent, il n’en va pas de même pour la société dans son ensemble. Nos élèves, les parents de nos élèves, nos voisins valorisent l’argent, et mesurent la « réussite » à cette aune. Nous n’avons pas à nous plier à cette vision des choses, nous n’avons pas à l’adopter ; mais nous devons bien faire avec ; nous devons nous y adapter.

Or, pour nos élèves et leurs parents, notre salaire médiocre par rapport à notre qualification (ils sont bien conscients des deux éléments) ne peut que traduire une sorte d’échec. J’affirme donc que ni les élèves, ni leurs parents, ni la société dans son ensemble ne pourront nous respecter tant que nos salaires ne seront pas revalorisés. En métropole (pas à Mayotte il est vrai), j’ai toujours eu des élèves qui arrivaient au lycée dans des voitures trois fois plus chères que la mienne. Honnêtement, pour ma part, je m’en moque : je n’ai jamais aimé les voitures et je n’ai jamais eu envie d’y mettre de l’argent. Mais nous ne pouvons pas rester aveugles au fait que ce genre de choses est pour eux signifiant. Nos voitures mais aussi nos vêtements, notre matériel, nos chaussures leur parlent de nous ; eux-mêmes nous en disent assez là-dessus pour que nous n’ayons pas de doute à ce sujet.

Il n’est pas suffisant d’invoquer le respect ou d’en faire la promesse ; il faut le faire advenir. Or, aujourd’hui, le respect s’acquiert par l’argent. Je suis le premier à le déplorer, mais c’est une réalité dont nous ne nous débarrasserons qu’en même temps que du capitalisme. J’y travaille, mais je sais que ce n’est pas demain la veille.

mardi 28 août 2012

Roms : la gauche indigne

En écrivant ce post, je ne vais pas être original. Ce n’est pas le but. Mais parfois, il faut savoir répéter ce que tout le monde dit déjà (tout bon prof sait ça). Alors j’y vais : l’attitude du pouvoir en place, et qui se veut de gauche, vis-à-vis des Roms, est non seulement inacceptable : elle est indigne. Les démantèlements de camps se sont multipliés en août ; un de plus vient d’avoir lieu dans l’Essonne, sur les terres mêmes de Manuel Valls – tout un symbole.

Comme d’habitude, on se drape derrière la protection de celui qu’on maltraite. Les expulsions sont légitimes, a dit le premier ministre, si « elles interviennent en application d’une décision de justice ou pour mettre fin à une situation de danger ou de risque sanitaire ». C’est sur ces bases que se lance Francis Chouat, le nouveau maire socialiste d’Évry : pas de décision de justice, mais il parle de « conditions sanitaires déplorables », du « risque d’incendie » et du danger lié à la proximité du RER D.

Mais il développe et se trahit, et trahit ses collègues et ses supérieurs avec lui : « Je connais les conséquences, quand on laisse se développer ces campements trop longtemps. Ils deviennent de véritables bidonvilles, indignes de la population et des riverains, dans lesquels se développent toutes sortes de trafics, des actes de délinquance, et sans doute de la prostitution. Cela devient inextricable ». Petite analyse de texte : après les poncifs habituels que Brice Hortefeux n’aurait pas reniés (« on en accueille un, il en vient cent », ou « on leur donne l’aile, ils prennent la cuisse »), on commence par dire que les bidonvilles sont « indignes de la population » qui y réside, mais on ajoute qu’ils le sont aussi des « riverains » ; et on devine que c’est surtout là que le bât blesse. Car les riverains votent, contrairement aux Roms, et les riverains ont peur, peur de l’étranger, peur du nomade, peur du pauvre, bref peur de tout ce que sont les Roms. Et bien sûr, un petit amalgame ne faisant jamais de mal, les Roms sont, pour le maire, forcément à l’origine de « délinquance », « trafics » et « prostitution ». Ite, missa est !

Qui peut-on tromper avec cela ? La gauche a évidemment peur (elle aussi) d’être attaquée sur la question de sécurité. Les émeutes urbaines à Amiens n’ayant pas vraiment contribué à redorer son blason, elle saisit seulement une occasion de se montrer dure, intransigeante, inflexible ; sur le dos des faibles, de ceux qui ne peuvent pas se défendre. Première indignité, dans cet opportunisme sordide et cruel, dans cette hypocrisie et ces mensonges.

Et seconde indignité, dans les conditions de ces expulsions. Car bien sûr, personne ne veut vivre dans un bidonville. Mais qui veut vivre dans la rue ? Aujourd’hui, des familles sont sans lait, sans couches, sans médicaments pour leurs nourrissons. A ceux qui n’avaient rien, on a enlevé même ce qu’ils avaient. Pour leur proposer quoi ? La rue, ou d’être véhiculés d’hôtel en hôtel, puis rapidement abandonnés à leur sort, car les garanties offertes ne sont jamais bien longues. On détruit le lien social, entre les familles et avec les associations ; on remplace une misère par une misère pire, mais moins visible.

Mais traiter les symptômes ne fait pas disparaître le mal. Hergé, qu’on a pourtant tellement accusé de racisme, faisait dire au Romanichel Matéo, dans Les bijoux de la Castafiore : « Parce que monsieur se figure que cet endroit, c’est nous qui l’avons choisi ! Monsieur se figure que ça nous plaît de vivre parmi les ordures ! » Malheureusement, aujourd’hui, les quelques capitaines Haddock qui restent pour offrir la pâture de leur château comme lieu de campement sont eux-mêmes menacés par la justice ; face aux Roms, il n’y a plus que les Dupondt pour les soupçonner, et la gendarmerie de Moulinsart pour les expulser.

dimanche 26 août 2012

Le combat des chefs 2 : retour sur la droite

Ne boudons pas notre plaisir : après avoir vu les barons socialistes se déchirer pour prendre la tête de leur parti ou le représenter aux élections présidentielles, ça fait du bien de constater que la droite n’est pas épargnée par la guerre des égos. Oui, je le confesse, j’adore assister au match Copé/Fillon et voir qu’ils ne se ménagent guère, eux qui se gaussaient des petites piques, des petites phrases, voire des grosses insultes que se lançaient sans vergogne Hollande, Aubry et Royal.

Ils soulignaient l’immaturité politique, le narcissisme de leurs adversaires, et les voilà qui rejouent le même scénario. C’est d’autant plus comique qu’ils avaient raison, tout comme ont raison ceux qui aujourd’hui se moquent d’eux : une guerre des chefs est potentiellement ravageuse pour un mouvement ou un groupe. Pour peu qu’elle s’éternise, qu’aucun camp n’emporte rapidement une franche victoire, le royaume peut se trouver divisé contre lui-même et devoir en affronter les conséquences.

Il est donc normal que je ne sois pas le seul à sourire avec délectation. Le blog « L’humour de droite », pour ne citer que lui, s’en donne à cœur joie : « L’UMP doit choisir entre Jean-François Peste, alias le couillu, et François Choléra, alias le boiteux. Tension » ; « Robocopé vs. The Fion », etc. Et même si on ne peut pas dire que je sois franchement de gauche, je suis tout de même beaucoup plus de gauche que de droite, et ça fait du bien de voir que l’espoir a changé de camp (et le combat d’âme).

Le seul problème, c’est que ça risque bien de ne pas durer très longtemps. Alors que le PS a mis une bonne dizaine d’année à régler son petit souci de leadership, faisant traîner les choses avec gourmandise, organisant des rebondissements à chaque fois que la situation présentait un risque de résolution, comme s’il prenait plaisir à se vautrer dans la guerre civile et voulait à tout prix illustrer les théories psychanalytiques sur le masochisme et la jouissance de l’échec, l’UMP risque d’aller beaucoup plus vite en besogne.

En effet, au 25 novembre prochain, tout sera bouclé, le parti aura un nouveau président, et a priori, toute forme de lutte ouverte cessera. Oh, bien sûr, le perdant ne sera pas content. Pas content du tout même. Mais il y a fort à parier qu’il ne se rebiffera pas pour autant. Certes, ce sera plus dur si c’est Copé – question de caractère. Mais même si c’est lui qui finit par mordre la poussière, le plus probable est qu’il acceptera la défaite, et que même s’il ne l’accepte pas, il ne trouvera pas de supporters pour lui permettre de continuer le combat.

Pourquoi ? Parce que c’est une des caractéristiques de la droite – une de ses forces majeures : sa soumission au chef. Je sais, ça ne plaît pas au « peuple de gauche ». Mais il faut bien le reconnaître, ça marche. Regardez des gens comme de Villepin ou Dupont-Aignan, qui ont voulu jouer les trouble-fête en 2012 : ils étaient seuls. C’est également ce qui a plongé Bayrou dans le coma politique où il se trouve toujours : à partir du moment où il s’est clairement et définitivement rebellé contre l’autorité suprême à droite, à l’époque Nicolas Sarkozy, il a cessé d’être suivi. On pourrait également prendre l’exemple du flop de Bruno Mégret lorsqu’il a quitté le Front National, ou de ceux qui sont partis par la suite (Carl Lang, Bernard Anthony etc.).

Inversement, plus on va à gauche, plus la haine du chef est marquée, donc plus le leadership est compliqué et instable. J’ai déjà parlé des socialistes ; le reste est à l’avenant. Mélenchon a eu besoin de tout son charisme, de toute sa poigne, de toute sa fougue pour imposer sa domination sur le Front de Gauche. Et suite à ses échecs cette année, il n’est pas du tout certain qu’il le conserve longtemps ; qu’on se souvienne du précédent de Besancenot, qui s’est effondré après avoir un temps donné l’impression qu’il allait réussir à fédérer toute la gauche radicale. On peut également regarder le nombre de micro-partis qui composent la gauche radicale, et qui semblent faire le concours de celui qui aura le moins d’adhérents.

S’il fallait expliquer cette différence entre les deux camps, je dirais qu’à mon avis, cela vient du fait que la passion démocratique est la plupart du temps beaucoup plus forte à gauche qu’à droite, d’où un respect extrême pour les opinions minoritaires. A gauche, le moindre désaccord peut donner légitimement naissance à un courant dissident. Pour citer Terry Pratchett, « même les anarchistes révolutionnaires ont envie de stabilité ; ils disposent ainsi d’un instant de répit pour combattre leurs véritables ennemis, c’est-à-dire leurs supérieurs au conseil anarchiste révolutionnaire et les hérétiques dont la définition de l’anarchie révolutionnaire diffère de la leur d’une demi phrase au paragraphe 97 des statuts ». Plus on va vers la gauche, plus il se trouve des gens pour crier plus fort « A mort les chefs ! » dès qu’une tête dépasse.

Inversement, l’homme de droite a un respect inné, instinctif, bestial pour le chef, car il considère plus généralement que les divergences d’opinion ont une légitimité moindre que le respect à l’autorité. On peut penser que c’est une faiblesse, que ce manque d’esprit critique ne permet pas de lutter contre les mauvaises idées ; mais enfin, il permet quand même aussi de présenter la plupart du temps un front uni face aux adversaires, dans les moments difficiles comme dans l’exercice du pouvoir. C’est une des causes qui expliquent la domination très nette de la droite sur la Ve République ; car pour gagner une bataille, il faut des généraux, et qu’on leur obéisse.

Ceux qui, comme moi, se réjouissent de voir la droite affaiblie par ce combat des chefs, feraient donc bien de profiter intensément du spectacle : il aura toutes les marques d’un grand show, il sera sale, violent, dur, intense, mais il sera de courte durée. Dans ces conditions, une telle lutte peut être stimulante : elle force les membres du groupe à s’impliquer dans le projet collectif, elle ramène le parti sur le devant de la scène médiatique, sans pour autant nuire à son unité puisque le perdant fait sa soumission et que ses troupes restent au sein de l’ensemble. C’est ainsi que Marine Le Pen a véritablement pris son envol lors des élections internes au FN. Au début de l’année prochaine au plus tard, l’UMP sera en ordre de bataille. Elle aura son général, et elle frappera de nouveau, et dur.