lundi 26 décembre 2011

La justice française serait-elle à deux vitesses ?

Quand on affirme que la justice est au service des puissants, on prend le risque de se voir accuser de populisme et d’être qualifié de flatteur des bas instincts du peuple (en général par des puissants).
Laissons donc les faits parler pour eux-mêmes, puisque l’actualité judiciaire nous en donne l’occasion.

Première décision : Jacques Chirac a été condamné, dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, à une peine de deux ans de prison avec sursis (ce qui veut dire qu’on ne va pas en prison). Il s’était déjà, en outre, arrangé à l’amiable avec la ville de Paris pour que les salaires détournés soient remboursés, pour partie par lui-même, pour partie par l’UMP (tout en continuant à nier toute action illégale, ce qui était étrange : on se demande quand même pourquoi, si tout était si propre, il consent à lâcher comme ça un demi million d’euros). Il ne fera pas appel : le feuilleton ne connaîtra donc pas d’autre épisode.

Cette décision doit-elle nous pousser à louer l’indépendance de la justice par rapport au monde politique ? Oui et non. Certes, les juges, les magistrats du siège, ont fait preuve d’indépendance. Pas vraiment de sévérité, contrairement à ce qu’on entend ici et là : Jacques Chirac, répétons-le, ne verra pas de l’intérieur les murs d’aucune cellule, et il avait déjà mis de son propre chef la main au portefeuille.

En revanche, ce que cette décision risque de faire oublier, c’est la lâcheté, la veulerie, la soumission totale du parquet. Contre toute évidence, le procureur de la République de la ville de Paris, Jean-Claude Marin, a estimé que l’infraction était « insuffisamment caractérisée ». Les deux magistrats du parquet, qui n’ont, à l’audience, posé aucune question aux avocats de M. Chirac, ont demandé la relaxe. Ils n’ont, Dieu merci ! pas été suivis ; mais la tache de leur requête demeure. Elle souligne la dépendance, en France, des magistrats du parquet vis-à-vis du pouvoir politique, et l’impérieuse nécessité d’une réforme de tout le système judiciaire.

Seconde décision : sept policiers d’Aulnay avaient accusé à tort, volontairement, un homme après une course-poursuite à l’issue de laquelle ils avaient eux-mêmes blessé l’un des leurs. En première instance, ils avaient été condamnés à des peines de prison ferme ; en appel, ils ont été condamnés uniquement à des peines avec sursis. Même chose que pour Jacques Chirac : on peut retenir qu’en fin de compte, ils n’iront pas en prison.

Or, il faut bien mesurer la gravité de leur acte. L’innocent qu’ils avaient accusé risquait, par leur faute, la prison à vie. Ce que ces policiers se proposaient de faire, c’est donc de détruire une vie, ou à tout le moins de prendre le risque de détruire une vie. Et sans les aveux spontanés d’un de leurs collègues, ils auraient très probablement réussi.

Quel est le lien entre ces deux affaires ? Dans les deux cas, les faits sont d’une immense gravité : le détournement de millions d’euros publics au profit d’un parti dans un cas, l’accusation en pleine conscience d’un innocent dans l’autre. Dans les deux cas, ils sont reconnus, avérés, démontrés. Dans les deux cas, ils ont été commis par des détenteurs de la puissance publique : un homme politique et des représentants des forces de l’ordre. Et dans les deux cas, au lieu de considérer cela comme une circonstance aggravante, la justice leur permet de s’en tirer avec des peines symboliques.

Imagine-t-on que, pour des délits comparables, de simples citoyens s’en sortent avec autant d’indulgence ? Alors, à deux vitesses, notre justice ?

dimanche 18 décembre 2011

Kirikou et la technique

Lorsque j’ai vu à sa sortie au cinéma le film Kirikou et la sorcière, de Michel Ocelot, au début de l’année 1999, Tol Ardor venait de voir le jour dans sa forme définitive. Évidemment, « voir le jour », c’est beaucoup dire : disons que je venais de lui donner, dans les grandes lignes, la forme qu’elle connaît toujours aujourd’hui. C’était le tout début du Projet : j’étais seul, je n’en avais parlé à personne, et je ne devais pas en dire un mot à quiconque avant plusieurs années.

Mais bien entendu, cette idée m’occupait à peu près à plein temps. Et j’avais vu dans Kirikou un film éminemment ardorien. Peut-être avais-je plaqué mes idées dessus ; mais cette interprétation continue de me sembler pertinente.

Dans ce (très beau) film, le village du petit Kirikou, en Afrique, est la victime d’une sorcière malfaisante qui persécute ses habitants. On s’aperçoit par la suite que si la sorcière est si méchante, c’est parce qu’on lui a planté dans le dos une épine qui la fait terriblement souffrir. Mais elle lui donne aussi tous ses pouvoirs.

Cette sorcière et cette épine m’ont toujours donné l’impression d’être notre propre société et la technique moderne.

L’épine est profondément enfoncée dans le dos de la sorcière, si profondément qu’il faudrait l’arracher avec les dents, et à un endroit difficile à atteindre. L’enlever ferait ressentir à la sorcière la même douleur qu’elle a éprouvée quand on lui a enfoncé l’épine. De la même manière, la technique moderne est partie intégrante de notre société, elle est extrêmement difficile à réduire, et une telle réduction ne se fera pas sans souffrance. D’autant plus que, tout comme la sorcière, notre société ne veut pas retirer son épine, qui lui confère ses pouvoirs magiques.

On peut aller encore plus loin. La sorcière prend les hommes du village et les transforme en fétiches qui ressemblent étrangement à des robots, à des machines. Autour de sa case, la terre est morte, grise, stérile. La sorcière ne peut pas se déplacer sans faire périr les plantes autour d’elle. Elle a asséché la source du village. Elle est avide d’or et de richesses, qu’elle vole aux villageois. Bref, autant d’éléments qui rapprochent encore la sorcière d’une société capitaliste et destructrice pour son environnement.

Mais le film est aussi porteur du même espoir que nous : dès que Kirikou a retiré l’épine, après une douleur horrible mais de courte durée, la sorcière cesse de souffrir, perd ses pouvoirs et redevient bonne.

Alors, convaincus ? S’il vous manque un cadeau pour Noël …

NB : De manière plus évidente (c’est pourquoi je ne prends pas la peine de développer), j’avais eu la même impression, à la même époque, avec le film Princesse Mononoke, de Hayao Miyazaki (certains y verront une obsession compulsive, je sais). Avec, en plus, une dimension religieuse et spirituelle plus poussée. Sans doute mon dessin animé préféré. Encore une très bonne idée de cadeau de Noël.

samedi 10 décembre 2011

Jean-Vincent Placé ou les Verts génétiquement modifiés

L’accord électoral qui a été conclu entre le parti socialiste et Europe Écologie Les Verts  est révélateur des mutations qui ont récemment touché ce dernier mouvement politique. Passons sur les coups bas et retournements de chemise qui ont contribué à écorner l’image de François Hollande : malgré la place médiatique qui leur a été faite, ils ne sont pas le plus intéressant ; car au fond, cet accord en dit bien plus sur les Verts que sur le PS.

Quelques jours avant la signature de l’accord, Cécile Duflot, secrétaire nationale d’EELV, affirmait publiquement que son parti n’avait pas de considérations électoralistes, et qu’il renoncerait à un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale en 2012 plutôt qu’à ses principes et à ses idées, en particulier sur le nucléaire. Premier sujet de rire, car en fin de compte, l’accord fait avaler aux Verts la double couleuvre du maintien du nucléaire dans le bouquet énergétique français et de l’EPR de Flamanville.

Cécile Duflot était-elle hypocrite, ou sa position a-t-elle été défaite par une autre ? Difficile à dire. Mais il est clair que les Verts ont changé : désormais, l’intérêt électoral, le nombre d’élus, de sièges, de postes occupés, font partie de leurs priorités. Plus que leurs idées, leurs principes ? Ils diraient qu’ils ne veulent des postes que pour mieux défendre leur cause. C’est bien possible ; mais l’évolution est néanmoins inquiétante. Les Verts ont commencé par se battre pour défendre leurs idées. Aujourd’hui, ils se battent pour un groupe parlementaire pour défendre leurs idées. Mais en 2017, ils pourraient bien ne plus se battre que pour défendre leur groupe parlementaire.

Un homme semble incarner cette évolution : Jean-Vincent Placé. Qualifié de « requin », de « redoutable animal politique », il assume d’aimer la realpolitik, les manœuvres, la face sombre de la politique. Pourquoi pas ? Quand elles servent vraiment des idées, elles sont sans aucun doute nécessaires, et les mépriser revient à faire preuve d’angélisme.

Mais ce déploiement de stratégie et de tactique est-il vraiment (et durablement) au service d’idées (quoi qu’on pense de ces idées) ? Combien de temps avant qu’il ne se mette au service de la seule ambition, personnelle ou de groupe ?

Principal négociateur de l’accord avec le PS pour EELV, sénateur depuis peu, Jean-Vincent Placé est évidemment un homme qui monte. Mais est-il pour autant un si grand politique ? Le surnom de « Richelieu des Verts » lui va-t-il si bien ? Richelieu était un géant de la politique, un homme qui avait compris ce dont la France avait besoin. Placé, de son côté, affirme être quelqu’un « qui croit dans les partis politiques, dans les syndicats, dans les institutions ». Il en est fier, mais étant donné la coupure qui se creuse entre le peuple et la politique traditionnelle, cela donne plutôt l’impression d’un homme en retard sur son époque, qui n’a pas compris les grandes évolutions en cours.

D’une certaine manière, il résume la dramatique évolution des Verts : d’un parti différent des autres (et donc, par définition, peu efficace dans le système de la démocratie représentative), ils sont en train de devenir, de souplesse en renoncement, un parti comme les autres. De toute évidence, ils gagneront en efficacité au sein des institutions. Je veux bien prendre le pari qu'ils auront les postes, au moins un ministère en cas de (probable) victoire présidentielle à gauche, les groupes parlementaires et les élus qu’ils espèrent. Mais comme ces institutions font de plus en plus la preuve de leur incompétente et de leur incapacité à faire face aux problèmes du monde, EELV va en réalité perdre tout pouvoir réel.

Jean-Vincent Placé, un élu plus qu’un militant, qui n’a jamais travaillé, prévisible au possible, symbolise le triomphe au sein des Verts de l’illusion selon laquelle ce sont les moins convaincus qui font le plus avancer les idées. Il fera sans doute une carrière aussi longue et brillante que possible. La professionnalisation de la politique au seul profit des élus et des notables : c’est exactement ce que, de plus en plus, le peuple rejette en politique. Contrairement à ce qu'ils s'imaginent, les Verts ne sont pas en train d'acheter le pouvoir, ils sont en train de vendre leur âme.

vendredi 2 décembre 2011

Goldman Sachs au pouvoir

« J’ai parfois l’impression d’être enfermé dans un asile de fous », écrivait Tolkien dans une lettre. On peut dire la même chose.

Petit retour sur l’actualité de l’oligarchie politico-financière européenne.

Épisode 1 : le 1er novembre 2011 à la Banque Centrale Européenne. L’Italien Mario Draghi, gouverneur de la Banque d’Italie, succède au Français Jean-Claude Trichet comme président de la BCE. De 2002 à 2005, ce même Mario Draghi était vice-président de la branche européenne de la banque d’affaire Goldman Sachs.

Épisode 2 : le 10 novembre 2011 en Grèce. Loukás Papadímos succède à Geórgios Papandréou comme premier ministre. Papadímos n’a certes pas travaillé directement pour Goldman Sachs ; mais de 1994 à 2002, il était gouverneur de la banque centrale grecque. En tant que tel, il a largement contribué à faire entrer son pays dans la zone euro, au moment où la banque américaine « aidait » l’État grec en maquillant ses comptes.

Épisode 3 : le 13 novembre 2011 en Italie. Mario Monti est nommé président du Conseil par le président de la République, Giorgio Napolitano, en remplacement de Silvio Berlusconi, démissionnaire. Mario Monti, lui, est bien un ancien de Goldman Sachs : il en est « conseiller international » depuis 2005.

Nos trois dirigeants, Draghi, Papadímos et Monti sont donc tous les trois des économistes. En période de crise économique, cela pourrait sembler être une bonne idée. Ça le serait, même, si les économistes en question avaient dans le passé dénoncé le Système économique qui nous a menés à la Crise. Manque de chance, ils ont plutôt fait le contraire : ils ont chacun des liens, plus ou moins forts, avec Goldman Sachs ; ils étaient, jusqu’à la Crise, de fervents défenseurs d’un Système qui s’est avéré être pourri de l’intérieur. Il est donc permis de douter de leur compétence économique.

Mais Goldman Sachs, Goldman Sachs… Attendez voir… Ça me dit quelque chose… Pas la banque d’affaire frappée de plusieurs plaintes pour fraudes ? Pas celle qui a maquillé les comptes de la Grèce, diminuant artificiellement sa dette, et contribuant ainsi à la plonger dans la pire crise économique et financière de son histoire ? Pas celle impliquée dans la crise des subprimes en 2007/2008, crise qui fut l’événement déclencheur du marasme économique dans lequel nous nous débattons depuis bientôt quatre ans ? Mais si, mais si : celle-là même.

Autrement dit, l’Europe, la Grèce et l’Italie, trois espaces qui sont, de diverses manières, tout particulièrement englués dans la crise économique que le monde traverse, viennent de recevoir pour dirigeant (politique ou économique) des membres éminents du Système même qui les a plongés dans la Crise.

Et on voudrait qu’ils s’en sortent ? En fait, pas vraiment, et c’est bien là le plus scandaleux, le plus extraordinaire. Pour comprendre ces nominations passablement ubuesques, il faut réaliser que l’Europe et les États européens ne font en réalité que s’enfoncer et s’enfermer dans les œillères de leur idéologie : contre les faits, contre toute raison et contre toute évidence, ils persistent dans le néo-libéralisme.

En sauvant les banques en 2008, ils ne se sont pas donné les moyens de les contrôler, comme ils auraient pu et dû le faire. Pourquoi ? Parce qu’ils ne l’ont pas voulu, parce que cela aurait été contraire à leur idéologie. De la même manière, aujourd’hui, ils ne font rien pour contrer l’emprise des agences de notation, alors même que leur peu de crédibilité a éclaté au grand jour (elles ont toujours accordé la note maximale aux produits subprimes jusqu’en 2008), parce qu’ils continuent de croire aveuglément aux vertus de la prétendue main invisible du marché. C’est ce qui motive aussi la transformation toujours plus poussée des États en vastes entreprises incapables de comprendre le monde autrement qu’en termes de comptabilité.

Par cette idéologie mortifère, les États contribuent au triomphe de l’individualisme intégral, à la disparition progressive de tout ce qui est commun ou collectif. Les mêmes restent toujours au pouvoir, les inégalités se creusent ; et pour reprendre une phrase d’Yves Charles Zarka, « la société des individus devient une juxtaposition de solitudes ».

jeudi 24 novembre 2011

L’insécurité dont on parle (et celle dont on ne parle pas)

Sur tous nos écrans ces jours-ci, le viol et le meurtre d’Agnès, bien sûr. Ils tombent vraiment trop bien, ce viol et ce meurtre, pour une partie de la classe politique, dans le contexte actuel de campagne préélectorale, pour que certains médias ne se sentent pas obligés d’en faire des tonnes – obligeant les autres à suivre.

On retombe donc dans les travers et les idioties communes dans ce genre d’affaires, puisqu’on cède alors systématiquement à l’émotion au détriment de la raison. Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit ! Évidemment, ce qu’il s’est passé est tragique, bouleversant. De même, peut-être que certaines erreurs ont été commises. En revanche, il est certaines choses qu’on ne devrait pas dire ; on peut les penser, sous le choc, mais chacun serait bien avisé de les garder pour soi.

Par exemple, il n’est pas sain que l’on soit déjà dans la recherche des responsables, des coupables, des boucs émissaires. On a l’impression que tout le monde traque les juges, les éducateurs, les chefs d’établissement etc. qui ont commis l’erreur d’appréciation fatale : alors que le jeune assassin présumé avait déjà été condamné pour viol, il a été placé en liberté (surveillée) dans un collège mixte ! Or, on oublie ainsi qu’en la matière, le risque zéro n’existe pas : l’homme n’est pas déterminé, il est libre de ses actes ; les prévoir avec certitude est donc impossible, surtout dans une période comme l’adolescence. Allons-nous enfermer systématiquement ceux qui pourraient se révéler dangereux ? Le monde de Minority Report est-il vraiment celui dans lequel nous voulons vivre ?

De la même manière, on assiste toujours aux mêmes lamentables entorses aux droits fondamentaux. Ainsi Claude Guéant, sacrifiant à ce qui semble devenir un passage obligé pour tout ministre de l’intérieur qui se respecte sous la législature actuelle, piétine le secret de l’instruction, puis la présomption d’innocence, au prétexte que le jeune homme a avoué. Doit-on rappeler au ministre que la présomption d’innocence, c’est jusqu’à la décision d’un tribunal légalement constitué, pas jusqu’aux aveux ?

Et puis, on peut se repaître des inéluctables laïus sur la récidive : comme les délinquants sont dangereux, mauvais, pervers, et comme il vaudrait mieux les garder à vie derrière les barreaux, même après leur peine purgée, au moindre risque, pour qu’ils ne puissent plus faire du mal aux braves gens.

On sait où tout ça peut mener : comme en 2002, l’extrême médiatisation de l’insécurité peut aboutir à la présence de l’extrême-droite au second tour de la présidentielle. C’est évidemment le but recherché par beaucoup, tant cela semble être le seul moyen capable d’assurer la réélection de Nicolas Sarkozy.
Et pourtant, il y a bien d’autres fautes dont on parle moins, y compris quand il y a récidive. Est-ce qu’on s’interroge sur les chiffres de la récidive des délits économiques, par exemple, ou du détournement de fonds publics par nos élus ?

On devrait. Un chiffre : depuis 1996, la Security & Exchange Commission (la SEC, le contrôleur des marchés américains) a engagé 51 poursuites pour fraude contre un grand opérateur financier ; mais aucun n’a jamais fait l’objet d’un procès. À chaque fois, l’institution poursuivie a vu reconnaître son innocence… tout en acceptant de payer une amende à l’amiable et de mettre fin à ses pratiques illégales. Puis, un juge valide l’opération… et l’institution récidive de manière systématique.

Est-ce moins grave que ce qui est arrivé à Agnès ? Je ne sais pas. Il n’y a pas directement mort d’homme, mais milliers de personnes se retrouvent au chômage. Si on insistait un peu plus sur cette criminalité-là, le second tour de la présidentielle de 2012 opposerait peut-être François Hollande à Jean-Luc Mélenchon.

mardi 22 novembre 2011

De l’art du retournement de droit fondamental par un possible gouvernement d’extrême-droite

Le projet présidentiel de Marine Le Pen pour 2012 vient d’être publié sur le site du Front National, et il est riche d’enseignements. Il n’est évidemment pas question de me lancer ici dans une analyse détaillée de ce programme – j’ai mieux à faire.

En revanche, un point qui peut sembler de détail m’a intéressé. Sur le thème de la sécurité (partie « Autorité de l’État », le FN ayant accompli depuis le départ de Jean-Marie Le Pen une impressionnante mue étatiste et anti-libérale, ce qu’on ne saurait lui reprocher, pour peu qu’on croie en sa sincérité), Mme. Le Pen propose d’instaurer une « présomption de légitime défense » pour les forces de l’ordre dans l’exercice de leur fonction.

Je m’étonne que si peu de commentateurs se soient penchés sur le sujet. Peut-être ne réalisent-ils pas la portée d’une telle décision, si elle venait à être appliquée ? Résumons-nous. Les policiers, qui disposent déjà de la puissance matérielle et physique (puisqu’ils sont armés et que, sur le terrain, personne n’est là pour les arrêter, même s’ils risquent des sanctions par la suite), disposeraient, en plus, d’une présomption d’avoir bien agi. Ce qui impliquerait évidemment de présumer que ceux qui les accuseraient du contraire seraient des menteurs.

À partir de là, qu’est-ce qui empêcherait les policiers d’agir comme bon leur semblerait, voire dans leur intérêt propre et non plus celui de la société ? On ne peut à l’évidence pas compter sur la seule déontologie ou sur la morale : quand on voit, comme c’est arrivé récemment, qu’un groupe de policiers tout entier est capable de mentir pour couvrir un des leurs, y compris en faisant risquer à un innocent une lourde peine de prison, on se dit qu’il est tout de même préférable de ne pas leur accorder en plus la présomption de légitime défense.

On peut évidemment s’amuser de la petite subtilité linguistique qui, en faisant référence au droit fondamental (bien réel, celui-là) de présomption d’innocence, fait croire aux naïfs que Marine Le Pen ne propose au fond que l’établissement d’un droit évident. Mais il est plus intéressant de noter autre chose. Au fond, cela révèle surtout qu’elle (et au-delà d’elle, le parti qu’elle dirige et représente) n’a pas compris une réalité capitale de la vie politique : le nécessaire contrôle des pouvoirs les uns sur les autres, qui est à la base de l’équilibre des pouvoirs. Un pouvoir sans contrôle ne peut être que tyrannique ; la présomption de légitime défense pour la police, ce serait un pouvoir sans contrôle ; ce serait le droit de tirer à volonté.

Pour beaucoup de gens, Tol Ardor – et au-delà d’elle, l’écologie autoritaire – est mauvaise parce qu’elle ne croit pas que la démocratie puisse résoudre la Crise que nous traversons. Mais dans le contexte d’un profond chaos économique, la démocratie pourrait bien, dans les années à venir, porter l’extrême-droite au pouvoir en France, seule ou associée à des partis plus modérés. C’est ce qu’il s’est passé en Allemagne dans les années 1930 ; rien ne nous garantit que la même chose ne se reproduira pas chez nous.

Finalement, que préfère-t-on ? Une démocratie qui pourrait finir par piétiner les droits fondamentaux parce qu’un tel choix aurait été validé par la majorité populaire, ou une Royauté dans laquelle ce sera impossible parce que ces droits seront gravés dans une Constitution inchangeable ?

dimanche 20 novembre 2011

Windows 7 me casse les [pieds]

Achat d’un nouvel ordinateur oblige (pas par choix, l’ancien est tombé en panne, comme par hasard moins de trois mois après la fin de la garantie prolongée), me voici plongé dans les petites affres de la réinstallation des logiciels. J’ai déjà vécu ça, je devrais être blindé. Seulement cette fois-ci, il faut faire avec Windows 7. J’avais déjà eu un peu de mal à passer à Vista, voilà qu’on m’impose à nouveau l’épreuve. Et ça se passe moins bien que les fois précédentes. J’ai le malheur d’utiliser du vieux matériel et de vieux logiciels (une version de Photoshop dont j’ai le CD et qui a plus de 10 ans, mais qui me va très bien ; une imprimante que j’ai achetée en Écosse en 2006, etc.). Jusque-là, ils fonctionnaient. Maintenant, ce n’est plus le cas. Plus compatibles, me dit-on. Dans certains cas, en cherchant sur Internet ou en bidouillant un peu, j’arrive à trouver des solutions : j’ai récupéré mon imprimante et même son scanner. Dans d’autres, non – il semble que je vais devoir me passer de Photoshop.

Quel rapport avec Tol Ardor, me direz-vous ? Eh bien, il me semble qu’on a là une illustration, certes modeste, mais une illustration tout de même, de certains de nos problèmes, et en particulier de l’idéologie de la croissance.

D’abord, un constat s’impose : par rapport à Windows Vista, Windows 7 ne présente que des évolutions cosmétiques mineures, en tout cas pour un utilisateur non professionnel comme moi. Pour ma part, j’ai donc la franche impression d’être perdant dans le rapport entre ce que je gagne (la possibilité d’avoir un fond d’écran dont les images changent…) et ce que je perds (le temps passé à tout réinstaller).

Mais surtout, je suis effaré de penser que des personnes, sans doute assez nombreuses, utilisent – gaspillent ! – leur temps, leur talent, leur vie, à concevoir la prochaine évolution du système d’exploitation, les gadgets qu’il faudra y introduire pour la rendre attractive aux yeux du grand public, puis à régler les problèmes de compatibilité posés par les anciens logiciels, puis à imaginer de nouveaux logiciels compatibles avec cette nouvelle version. Et que d’autres, ensuite, gaspillent de même leur temps et leur talent à vendre ce nouveau produit, à imaginer les campagnes de publicité qui le rendront indispensable, etc.

Et tout ça pour quoi ? Pour une seule chose, en fait : pour que les consommateurs ne cessent pas de consommer, bref pour soutenir la croissance économique considérée comme une fin en soi. Exactement de la même manière que des gens, de nos jours, sont payés (on croit rêver !) pour faire en sorte que les machines ne durent pas trop longtemps, la course à la nouveauté permanente, à l’évolution sans fin, au changement sans cesse renouvelé, représente non seulement une perte de temps (et d’argent) colossale pour les citoyens lambda, mais aussi une formidable perte d’énergie et de ressources pour la société dans son ensemble.

Enfin, il faut garder en mémoire une évidence : cette perte d’énergie et de ressources à l’échelle sociale et, en fait, planétaire, n’est pas neutre ; non seulement nous perdons du temps et des moyens, mais pour ce faire, nous faisons subir à la nature une pression toujours plus forte, puisque les ressources que nécessite cette fuite effrénée en avant ne proviennent évidemment que d’elle.
Et quand on sait que toute la société non seulement fonctionne comme cela, mais est fondée sur un Système qui ne peut fonctionner que comme cela, on ne s’étonne plus de constater que nous filons vers le gouffre.

vendredi 11 novembre 2011

Votez, mais faites-le bien !

Une fois de plus, les États-Unis sont à la pointe de la validation des thèses ardoriennes. À un an d’une élection présidentielle qui s’annonce d’ores et déjà risquée pour Barack Obama, les républicains lancent une offensive politique qui pourrait leur faire remporter la victoire : le changement des règles de vote dans les États qu’ils dirigent depuis les élections de mi-mandat de 2010.

Un tour d’horizon des méthodes employées permet de prendre conscience de leur efficacité probable.

Première série de mesures : des exigences renforcées sur les papiers à présenter. De nombreux États demanderont désormais une pièce d’identité avec photo émise par une autorité gouvernementale ; dans les cinq États où cette mesure est déjà effective, 11% des électeurs, soit 3,2 millions de citoyens, n’en disposent pas. Au Texas, un permis de port d’arme permettra de voter, mais pas une carte d’étudiant. En Caroline du Sud, obtenir une pièce d’identité implique de présenter un certificat de naissance, payant, et que de nombreux Noirs âgés ne possèdent pas.

Deuxième série de mesures : les modifications du mode de scrutin. Certains États vont par exemple supprimer le vote anticipé, plébiscité par 30% des électeurs en 2008 et qui a tourné à l’avantage de Barack Obama. D’autres, comme l’Ohio, interdisent le vote du dimanche, très populaire chez les Noirs.

Troisième série de mesures : les compléments visant à assurer l’efficacité des deux premiers trains. Citons en particulier le redécoupage électoral, l’alourdissement des formalités, la multiplication des barrières pour les délinquants ayant purgé leur peine, ou même (on croit rêver) les menaces de sanctions pour les associations aidant les citoyens à s’inscrire.

Quelles sont les catégories de la population qui seront particulièrement touchées par ces mesures ? Les jeunes, les membres des minorités, les pauvres, les handicapés : justement ceux qui votent traditionnellement plutôt démocrate. Au total, 5 millions de personnes sont concernées.

Tout porte à croire qu’il s’agit là d’une offensive cordonnée, pour ne pas dire d’un complot : 34 États se lancent dans l’aventure de façon précipitée ; une organisation, l’American Legislative Exchange Council, financée par les milliardaires Koch, bailleurs de fond du Tea Party, la frange radicale des républicains, fournit aux États qui le souhaitent un projet de loi tout fait, qui reprend un texte avalisé par la Cour Suprême en 2008.

Qu’en déduire ? Que c’est toujours la même histoire : la démocratie, ça va tant que le bon peuple vote dans le sens des intérêts des puissants, des riches, des oligarques. Dans le cas contraire, on se dépêche de contourner la volonté populaire. Dès lors, les moyens ne manquent pas : l’Europe n’est pas en reste, qui a fait revoter par les parlements le traité constitutionnel européen rejeté par les peuples en 2005.

Bref, la démocratie, ça n’existe tout simplement pas. Et ça ne peut pas exister, car dans un système qui donne le pouvoir à la majorité, les puissants trouveront toujours le moyen de manipuler ou de contourner, selon les cas, la volonté populaire, pour imposer leur intérêt : ils l’ont fait dès les débuts de la démocratie, dans l’Antiquité grecque, et n’ont jamais cessé depuis. Ne cherchons donc plus de solution dans cette voie : elle a contribué à nous mener à la Crise, et ne saurait nous en faire sortir.

mercredi 9 novembre 2011

Détention dite "provisoire"

Adlène Hicheur, postdoctorant en physique des particules à Lausanne, a été arrêté et mis en examen le 8 octobre 2009 pour « association de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste », comme nous le rappelle le supplément « Science & techno » du Monde du 29 octobre dernier par la plume du physicien Marco Zito. Ce que nous apprend ce même monsieur, et qui est autrement surprenant et intéressant, c’est qu’Adlène Hicheur, deux ans plus tard, est toujours en prison, et ce sans qu’aucun procès ait été ouvert.

Que lui reproche-t-on, au juste ? Selon « des sources de haut niveau » (on sent toute la précision d’une enquête bien menée), il aurait préparé un attentat en lien avec AQMI. L’intéressé dément. On n’en sait pas plus, sinon qu’il a fréquenté (la belle affaire) des forums internet où étaient débattus des sujets comme le terrorisme ou les conflits iraquien et afghan.

C’est quand même un peu léger pour passer deux ans derrière les barreaux, non ? Le plus atterrant, c’est que tout cela est parfaitement légal. Sans preuve ni procès, la « justice » (ou en tout cas la police) peut, dans nos pays, garder un homme en prison pendant des mois, voire des années : en France, par exemple, la détention provisoire (mais pas tant que ça finalement) peut durer légalement jusqu’à deux ans si la peine encourue est inférieure à vingt ans, et trois ans si elle est supérieure à cette durée, voire quatre ans pour certains crimes (terrorisme, crime contre l’État etc.).

Alors la démocratie, régime des Droits de l’Homme ? Il est permis d’éclater de rire. Par comparaison, en 1679, dans l’Angleterre monarchique, l’Habeas Corpus précisait qu’une personne arrêtée devait être présentée au juge dans les trois jours ; en cas d’accusation de trahison ou félonie (sans doute l’équivalent le plus proche possible pour l’époque de nos accusations de complot terroriste), l’accusé pouvait exiger d’être jugé lors de la première session de la commission compétente. On peut même remonter encore plus loin : toujours en Angleterre, la Grande Charte de 1215 octroyée par le roi Jean sans Terre disposait « qu’aucun homme libre ne sera arrêté, ni emprisonné, ni dépossédé […] de ses libertés […], ni mis hors-la-loi, ni exilé, ni molesté en aucune manière » et que le roi « ne [mettra] ni ne [fera] mettre la main sur lui, si ce n’est en vertu d’un jugement légal de ses pairs et selon la loi du pays ».

On me répondra que ce n’étaient là que des textes, et que dans la pratique, les choses se passaient différemment. Sans doute ; mais de toute évidence, c’est toujours le cas aujourd’hui. Comme quoi les démocraties ne protègent pas mieux les droits de l’homme que les royautés.

jeudi 3 novembre 2011

Référendum en Grèce : la démocratie quand ça nous arrange

Coup de tonnerre dans le ciel déjà bien chargé de la politique européenne : alors que Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et quelques autres se félicitaient d’avoir sauvé l’euro en mettant au passage la Grèce sous tutelle, voilà que le premier ministre grec, Georges Papandréou, annonce pour janvier la tenue d’un référendum. Ce ne sont pas les grands de ce monde, politiciens ou financiers, qui décideront de la réalisation ou non du plan de sauvetage, mais les Grecs eux-mêmes – autant dire les premiers concernés, puisque ledit plan leur imposait une cure d’austérité longue et douloureuse, sous la surveillance de l’Europe, des États-Unis et du FMI.

Réaction de l’oligarchie ? A ces mots on cria haro sur le baudet ! Nicolas Sarkozy est consterné et se sent trahi ; le FMI, par la voix de sa présidente Christine Lagarde, menace la Grèce de la priver du moindre sou ; les bourses chutent, les marchés grondent ; jusqu’au pourtant très démocrate journal Le Monde qui affirme que le référendum grec « menace l’euro » et (sic !) « prend le G20 en otage ». Rien que ça.

Que conclure de ces cris d’orfraie ? Que la démocratie – la seule vraie démocratie, c’est-à-dire la consultation directe des peuples pour les décisions importantes – est, de l’aveu même de ceux qui prétendent la défendre, le plus mauvais système possible en temps de crise. Car de deux choses l’une : soit on fait confiance au peuple grec pour prendre la meilleure décision possible, auquel cas il n’est pas besoin de s’indigner ainsi ; soit on ne lui fait pas confiance, mais alors, comme le peuple grec n’est pas plus bête que les autres, il n’y a pas non plus de raison de croire que, de manière générale, les peuples soient les mieux placés pour gérer eux-mêmes et directement les autres crises qu’ils peuvent traverser.

Autrement dit, ces réactions de stupeur et de colère ne font que confirmer toutes les analyses ardoriennes : oui, les masses réagissent plus sur l’émotion que sur la raison ; oui, elles privilégient les solutions de court-terme ; non, elles ne sont pas armées pour gérer efficacement les situations de crise. Est également confirmée l’idée que les prétendus défenseurs de la démocratie sont bien souvent les défenseurs d’un système oligarchique qui n’a de démocrate que le nom : Tol Ardor assume une théorie autoritaire au nom de l’efficacité pour résoudre la Crise multiforme traversée par l’humanité entière, et pas seulement par la Grèce ou la zone euro ; mais au fond, nous ne sommes pas spécialement plus autoritaristes que beaucoup d’autres. Nous sommes surtout moins hypocrites.

Talmayalë

Il faut bien commencer quelque part. Après bien des tâtonnements, j'ouvre ce blog. A l'origine, j'aurais préféré un espace d'expression ouvert à tous directement sur le site de Tol Ardor. Pour des raisons diverses, ça n'a pas été possible ; mais je vois quelques avantages dans cette solution de repli, après tout.

Je publierai donc ici des réflexions aussi diverses que variées selon l'inspiration du moment. J'espère me tenir à une certaine régularité, mais ma vie est suffisamment chaotique par moments pour que vous ne deviez pas trop compter là-dessus.

Tout aura un rapport avec Tol Ardor. Plus ou moins lointain parfois. Mais ce n'est pas très grave... Après tout, tous les chemins mènent à TA, pas vrai ?