vendredi 17 avril 2020

Est-ce à nous de bosser plus pour payer leurs conneries ?


Alors comme ça, on va devoir travailler plus après le confinement, dixit le Medef, dixit le gouvernement, bref dixit la droite. Ah ben oui, ma bonne dame ! Parce que la crise, voyez-vous, et parce que la croissance. Sinon, récession ! 6%, 8% peut-être ! Baisse du PIB ! Alors les grouillots, soyez gentils, serrez-vous la ceinture, et au turbin, cadence Chaplin, s’il vous plait.

Pour ma part, que le PIB de la France baisse, je ne peux que m’en réjouir : c’est une excellente nouvelle ! J’ai expliqué pourquoi dans mon dernier billet : la baisse du PIB, c’est la baisse de la production ; et la baisse de la production, c’est la seule et unique manière de prélever moins de ressources et de rejeter moins de déchets, bref de polluer moins et d’un peu moins bousiller la planète.

Face à cette évidence, les défenseurs de la Sainte Croissance sont un peu gênés. D’ordinaire, ils se contentent de faire comme si la croissance était une sorte de déesse à satisfaire. C’est d’ailleurs toute la force de ce tour de passe-passe de communication : qu’ils soient journalistes, éditorialistes, économistes, politiciens, ceux qui veulent la croissance font très attention à ne jamais la justifier, précisément pour faire croire que l’idée selon laquelle la croissance serait nécessaire est une évidence que personne n’a besoin d’étayer.

Quand on les force à le faire, ils crient – car ils ne manquent pas de souffle – à la haine des pauvres. Ben oui, croissance = richesse et surtout richesse pour tous, c’est bien connu. Pour les riches d’abord, bien sûr, mais après ça profite à tous (ça « ruisselle », qu’ils disent). Donc pour eux, décroissance = pauvreté. Pour enfoncer le clou, ils se gardent d’ailleurs bien de parler de « décroissance », ils utilisent des termes moins neutres : « récession » ou « dépression » – termes parfaitement justes d’un point de vue économique, mais affectés d’une charge émotionnelle autrement négative.

Alors qu’en fait, ben, non. Derrière toutes les complexités de la question, il y a une équation très simple : vous prenez l’ensemble des richesses produites par un pays, vous divisez par le nombre d’habitants, et vous regardez ce que chacun peut avoir en moyenne. S’il y en assez, c’est bon, pas besoin de croissance. À l’extrême rigueur, s’il y en a juste assez, il faut une croissance économique égale à la croissance démographique.

Nous, en France, on en est où ? Prenez le PIB (toutes les richesses produites par le pays), divisez par le nombre d’habitants : vous verrez qu’on en a plus qu’assez. Si tout le monde n’a pas ce qu’il lui faut, s’il y a des pauvres et des gens qui crèvent de froid dans la rue, c’est pas qu’on ne produit pas assez de richesses, c’est qu’on ne les répartit pas bien.

On peut même aller plus loin : des richesses, c’est pas qu’on en a plus qu’assez : on en a trop ! Faites intervenir une autre donnée, comme l’empreinte écologique, et vous verrez qu’étant donné la population humaine, on prélève trop de ressources, on rejette trop de déchets, bref on produit trop et on consomme trop. Alors bien sûr, décroître, ça va vouloir dire qu’on va devoir se passer de certaines choses. Ça aussi, je l’ai rappelé dans mon dernier billet : on ne pourra pas garder une voiture par famille, un téléphone par personne, etc. Mais ça, ça va nous tomber sur le râble de toute manière : les limites de résistance de la planète sont déjà en train de se rappeler à notre bon souvenir, et la baisse de notre niveau va arriver, que ça nous plaise ou non. On peut le choisir tout de suite ou le subir plus tard, c’est tout.

Voilà donc une première bonne raison de ne pas travailler plus après la fin de cette crise : on n’en a pas besoin, et même ce serait très mauvais. Mais il y en a une autre.

L’économie s’arrête et on entre en récession, soit. Pourquoi ? Parce que qu’on est confiné. Mais pourquoi sommes-nous confinés ? Pas pour ne pas attraper le virus : le covid-19, il sera toujours là quand on sortira, et il faudra bien qu’une importante part de la population finisse par l’attraper. Les médecins le serinent assez : en fin de compte, il faudra bien qu’on développe une immunité collective. Si on est confiné, c’est donc pour qu’on ne l’attrape pas tous en même temps. Il s’agit d’aplanir la fameuse courbe, vous vous souvenez, celle qu’Olivier Véran était si fier de montrer sur tous les plateaux télé :




Seulement voilà, il y a quelque chose sur cette courbe qui n’est pas fixé de toute éternité par la loi divine, ce sont les capacités hospitalières. La hauteur de la barre sous laquelle il s’agit de maintenir la courbe dépend de choses très concrètes : combien de médecins forme-t-on dans le pays ? Combien de médecins embauche-t-on dans les hôpitaux ? Quel part de notre budget consacrons-nous à l’hôpital et plus généralement à la santé ? Et ici, plus particulièrement, combien de lits en réanimation ouvre-t-on ?

Or, que constate-t-on (avec une surprise vraiment intense) ? Qu’en vingt ans, les politiques néolibérales ont fait perdre 100 000 lits d’hôpital au pays. 100 000. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la DREES, une direction du Ministère de la santé. Et ça, ça veut dire deux choses.

La première, c’est que les gens qui nous gouvernent depuis vingt ans ont du sang sur les mains. En France, 0,73 lit de réanimation pour 10 000 personnes : plus de 18 500 morts à ce jour. Allemagne, 1,25 : moins de 4 200 morts. Italie, 0,53 : près de 23 000 morts. L’état du système de santé de chaque pays, dont le nombre de lits de réanimation par rapport à la population est un indicateur, est directement corrélé au nombre de morts. Moralité : ceux qui ont cassé l’hôpital depuis 40 ans ne sont pas seulement des crétins, ce sont aussi des criminels.

La seconde, c’est que mathématiquement, plus de lits en réa, ça voudrait dire une meilleure capacité d’accueil hospitalière, ça voudrait dire un besoin moins important d’aplatir la courbe, ça voudrait dire une nécessité de confinement moins drastique et moins longue, ça voudrait dire moins de crise économique. C’est comme une assurance : rouler sans assurance, ça coûte un peu moins cher chaque année, mais l’année où il t’arrive un truc, ça coûte beaucoup, beaucoup plus cher. Les crétins qui nous gouvernent depuis 40 ans ont fait le pari qu’il n’arriverait rien, et que donc on pouvait, pour gagner trois sous, réduire les capacités hospitalières au point où elles arriveraient à peine à soutenir la situation ordinaire (parce que souvenons-nous, avant le coronavirus, les soignants étaient déjà à bout).

Finalement l’accident est arrivé, et ceux qui ont choisi de rouler sans assurance veulent faire payer les passagers. Bon appétit, messieurs ! Ô ministres intègres ! Eh bien non. Ce n’est pas à nous de travailler plus pour payer un confinement qui doit durer si longtemps parce qu’eux cassent l’hôpital depuis si longtemps.

D’autant que la solution est beaucoup plus simple : la dette qu’on accumule aujourd’hui, il faut, enfin, plus encore qu’hier, la dénoncer. De toute manière, on ne la paiera pas. Notre dette publique, ça va être près de 120% du PIB. On aurait une micro-chance de la rembourser en très longtemps si le budget était à l’équilibre. Comme il ne l’est pas, et que la dette se creuse chaque année, on ne paiera pas, que ça plaise ou non à Christophe Barbier. Cette crise sanitaire, c’est peut-être l’occasion d’enfin l’assumer.

dimanche 12 avril 2020

Écologie et croissance : la preuve par le coronavirus


Chacun y va de son étonnement, de sa surprise, de son anecdote. L’un voit le Mont Blanc de sa fenêtre, alors qu’il était depuis des années caché par le brouillard de la pollution ; ailleurs, c’est l’Himalaya. On voit des ours, les requins s’approchent des côtes à Menton ; les chevreuils, les renards et les hérissons envahissent nos villes, on entend les merles dans les rues silencieuses de Paris, et c’est presque à croire que les dauphins sont revenus nager dans les rues de Venise. Moins de déplacements, moins de transports, moins de gaz d’échappement, moins de bruit : la nature semble reprendre ses droits. Semble. Nous ne resterons pas bien longtemps confinés : ça peut sembler long à certains, mais ça semblera bien court aux ours (et à moi).

En attendant, ne boudons pas notre plaisir, et profitons de cet instant : c’est peut-être la dernière fois que nous voyons ainsi le monde ; à la prochaine épidémie, les ours ne seront peut-être plus là du tout, et peut-être que les merles non plus ne seront plus là, eux dont on parle moins. Ne boudons pas notre plaisir ! C’est l’écologie que j’aime, celle du plaisir, justement, celle de l’émerveillement devant la beauté du monde ; celle de l’amour du monde et de sa beauté. Les tonnes de CO2 rejetées dans l’atmosphère, les hectares de forêt brûlés, le pourcentage d’oiseaux qui disparaissent, les gigawatts gaspillés en chauffage inutile sont des données importantes, essentielles même, sans doute, pour comprendre la crise et pour y faire face ; mais justement beaucoup trop d’écologistes, et d’écologistes sincères, oublient qu’ils ne sont que cela, des données, des outils, et que nous ne luttons pas pour maintenir la hausse des températures sous la barre des 2° : nous nous battons pour qu’il y ait toujours des hêtres dans les forêts françaises ; pas pour faire baisser la concentration des particules fines dans l’atmosphère, mais pour continuer à voir les étoiles ; pas pour faire diminuer le pourcentage d’oiseaux qui disparaissent, mais pour entendre toujours des merles dans nos jardins. Certains diront que c’est la même chose ; peut-être passent-ils trop de temps à regarder des courbes, et pas assez à écouter les merles. Aimons la nature avant de nous battre pour elle : nous ne nous battrons que mieux si d’abord nous l’aimons bien.

Il y a plusieurs leçons à tirer de ce confinement, mais la grande leçon qui les réunit toutes, c’est que l’écologie radicale et la décroissance avaient raison. Oui, croissance et destruction de la nature sont indissolublement liées, et ceux qui affirment le contraire vous mentent. Chacun peut le voir à sa porte, et les chiffres le confirment, si vous avez besoin des chiffres : comme lors de la crise de 2007-2008, la baisse de l’activité économique et de la croissance entraîne celle de la pollution. Quand, à l’inverse, on voit que dans chaque période de croissance économique, on a aussi une hausse de la pollution que rien ne parvient à enrayer, il faut ouvrir les yeux ! Il n’y a pas de croissance verte, et il n’y a pas de développement durable ; la première chose que nous aura prouvée le coronavirus, c’est qu’hors de la décroissance, que ça nous plaise ou non, point de salut.

Certains s’appuient sur des exemples en Europe pour affirmer le contraire : le Royaume-Uni, disent-ils, aurait fait baisser ses émissions de gaz à effet de serre tout en maintenant sa croissance. Menteurs aussi, qui utilisent une illusion d’optique qu’il devient urgent de dénoncer : le Royaume-Uni a délocalisé une grande partie de sa production industrielle dans des pays à faibles coûts de main-d’œuvre, comme la Pologne, la Chine ou la Birmanie. Mais quand une firme britannique fait fabriquer dans des usines chinoises les produits qui seront ensuite consommés par les Britanniques, il est faux et mensonger de prétendre que le Royaume-Uni parvient à faire baisser ses émissions de gaz à effet de serre ! Qu’elle nous convienne ou non, nous sommes devant une alternative très simple. La première possibilité est de moins produire et de moins consommer ; et il faut être honnête, ça implique de nous priver de choses qui rendent notre vie confortable actuellement, donc de faire diminuer notre niveau de vie. La seconde est de détruire le monde tel que nous le connaissons.

Mais le coronavirus n’est pas seulement la preuve que l’écologie radicale et la décroissance ont raison depuis le début : il est également un avertissement et un signe d’espoir. La disparition des brumes qui cachaient le Mont Blanc nous permet de contempler une autre évidence : si on arrête tout, maintenant, on peut gagner la bataille. La nature se soigne ; nous n’avons pas tué la Terre, pas encore, elle peut donc encore guérir. Il est trop tard pour que rien ne change, bien sûr, et pour retrouver le climat et la biodiversité de l’ère préindustrielle ; mais nous pouvons encore sauver quelque chose, peut-être l’essentiel. Nous pouvons sauver une large part de la beauté du monde, et préserver son habitabilité pour nous. Seulement, il ne faut pas de demi-mesures : la Terre se soigne parce que les avions sont cloués au sol et l’essentiel des voitures dans leurs garages. Avaient raison, depuis le début, ceux qui disent que pour freiner la crise, il ne faut pas que chaque famille évite d’acheter une deuxième voiture : il faut qu’il n’y ait plus qu’une voiture par village ou par quartier, pour les urgences.

Tout arrêter, alors ? Qui n’aurait pas peur ? Mais c’est encore une chose que le virus nous montre : on peut finalement se passer de beaucoup. De qui avons-nous besoin ? Qui continue à travailler ? Les agriculteurs, les soignants, les éboueurs, ceux qui fabriquent les produits de première nécessité, les professeurs ; si la situation devait durer, il faudrait bien sûr ajouter quelques professions à la liste. Mais les autres ? Ceux qui conçoivent la prochaine version de Windows, ceux qui commencent à réfléchir à la 6G, ceux qui font de l’audit dans les entreprises, les démarcheurs, les gestionnaires de portefeuilles, les chargés de communication, les consultants, les chefaillons, bref tous ceux dont David Graeber disait qu’ils ont « bullshit job » : la société se passe très bien de votre activité. Confinés chez vous, à faire un télétravail plus ou moins efficace, et souvent pas efficace du tout, le monde continue de tourner. Et qu’est-ce que le gouvernement lui-même vous propose de faire ? D’aller aider l’agriculture, de distribuer de la nourriture à ceux qui en ont besoin, d’aider les soignants. Sans jamais le dire bien sûr – quelle angoisse, si les gens le réalisaient ! –, le gouvernement vous propose de remplacer votre activité par quelque chose d’utile. Provisoirement, bien sûr ; dès que l’urgence sanitaire sera passée, on vous réintimera l’ordre de revenir à vos activités rentables –inutiles, mais rentables. Le coronavirus ne nous dit pas seulement qu’il faut tout arrêter pour se sauver, il nous montre aussi que ce ne serait pas si dur qu’on le craint généralement.

Cette pandémie est le coup de vent qui précède la tempête. Elle n’est rien à côté de ce que nous endurerons dans vingt ans si, une fois déconfinés, nous recommençons comme en janvier. Elle peut donc nous apporter le pire comme le meilleur. Déjà, on fait plus clairement qu’avant encore le tri entre les chefs d’État qui font au moins semblant d’essayer de sauver des vies, et ceux qui ont jeté par-dessus bord ce vieux reste de morale et nous jettent, droits dans leurs bottes : « l’économie d’abord ». Déjà le pire se dessine, quand d’autres, au prétexte de sauver des vies, mettent en place les outils totalitaires de surveillance de masse qu’ils s’empresseront ensuite de faire passer dans le droit commun. Il n’appartient qu’à nous de conjurer ce pire, et de faire advenir le meilleur. Le message doit passer : ou bien nous ferons en sorte de réentendre les merles, ou bien ils se tairont pour toujours.

mercredi 8 avril 2020

Éducation à la justice : un échec total


En 2012, puis en 2013, j’avais déjà regretté qu’une vaste majorité de la population française semble ne pas comprendre l’importance des principes fondamentaux sur lesquels notre droit et notre justice sont pour le moment (pour combien de temps encore ?) assis. Les choses n’ont pas l’air de s’être arrangées depuis.

Souvent, c’est en cours d’éducation civique qu’on s’aperçoit du problème. Que les élèves ne connaissent pas ces grands principes au début du cours est logique ; ce qui est grave, c’est que nous semblions incapables de les faire changer d’avis, et qu’une fois adultes, ils les regardent avec le même mépris qu’à leur entrée en 4e – je l’ai encore vu, récemment, à l’occasion de l’affaire Polanski. Pire encore : même ceux qui sont censés avoir reçu une formation de haut niveau, y compris des juristes, laissent fréquemment leurs combats militants et idéologiques prendre le dessus sur ces grands principes.

Commençons peut-être par les rappeler.

1. L’indépendance de la justice. La séparation du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif ou législatif est essentielle : ceux qui décident des lois ou les font appliquer ne peuvent pas être les mêmes que ceux qui sanctionnent leur non-respect. Par ailleurs, les juges ne doivent pas pouvoir être inquiétés pour leurs jugements ; leur carrière et leur avancement ne doivent donc pas dépendre du gouvernement.

2. L’isonomie, c’est-à-dire l’égalité devant la loi. La loi doit s’appliquer à tous, elle doit être la même pour tous, tous doivent y être soumis. Principe sans cesse bafoué de facto : comme à l’époque de Balzac, « les lois sont des toiles d’araignées à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent les petites ».

3. Le droit à la défense, c’est-à-dire à un procès contradictoire. Toute personne, même accusée des pires crimes, a droit à un avocat. Ça implique le fait pour l’État de payer un avocat à ceux qui ne peuvent pas se le permettre.

4. L’impartialité du juge, qui ne doit pas être le porteur de l’accusation, ni être de parti pris dans l’affaire jugée.

5. La présomption d’innocence : tout homme est présumé innocent tant qu’un tribunal indépendant et impartial ne l’a pas reconnu coupable. C’est un principe concret : il faut que chacun se comporte en tout comme si le prévenu était innocent, pas comme s’il était coupable. Ça implique aussi qu’un homme ne doit pas être maintenu en détention s’il n’a pas été jugé : s’il est potentiellement dangereux, il faut le juger rapidement ; s’il ne l’est pas, il doit être laissé libre dans l’attente de son jugement – autre principe sans cesse bafoué.

6. La non-rétroactivité de la loi : on ne peut pas être condamné pour avoir fait quelque chose qui n’était pas illégal au moment où on l’a fait, même si ça l’est devenu ensuite.

7/ La proportionnalité de la peine par rapport à l’infraction commise. Et là pour le coup, on est d’accord : la peine qu’a effectuée Polanski est ridiculement basse (même si celle dont on le menaçait avant sa fuite était ridiculement haute).

8. La prescription : chaque délit ou crime est prescrit au bout d’un certain temps, c’est-à-dire qu’on ne peut plus être condamné pour l’avoir commis. C’est un double principe de réalisme : d’une part parce qu’avec le temps, les preuves d’une infraction sont plus difficiles à établir, ce qui augmente le risque d’erreur judiciaire ; d’autre part, et surtout, en reconnaissant qu’après un certain temps, l’auteur d’un crime ou d’un délit n’est tout simplement plus le même homme, et qu’il y a moins de sens à lui faire subir une condamnation. Ce point, le moins bien compris en général, et certainement le moins accepté, est un pont entre la justice et d’autres principes, d’autres valeurs, différentes d’elle mais qui, en la contrebalançant, lui sont indispensables, même si notre société a de plus en plus tendance à les oublier, voire à les mépriser et à les refuser : la miséricorde, la pitié, le pardon, l’oubli. Autant de valeurs qui, non moins que la justice, sont nécessaires pour faire société.

C’est bien sûr une simplification, et ces huit points pourraient être développés sur des pages et des pages. Mais chacun d’entre eux reste une condition sine qua non de notre bonheur à tous, parce qu’ils sont tous des conditions sine qua non de la justice, et plus précisément d’une institution judiciaire juste.

En cela, ces sept points nous protègent tous. Ce que ne voient pas ceux qui voudraient que Polanski soit condamné au mépris des règles de prescription, par exemple, c’est qu’eux aussi sont protégés par ces principes. Ceux qui refusent un avocat aux pédophiles ne voient pas qu’eux aussi peuvent avoir un jour besoin que la justice leur reconnaisse, à eux, le droit à un avocat, même s’ils n’ont commis aucun crime. C’est pour cela que ces sept points sont essentiels : parce qu’ils constituent une garantie, une sécurité. Leur respect vous apporte, à tous, une sérénité et une protection contre l’arbitraire, contre l’acharnement, contre les fausses accusations, contre la calomnie, contre l’injustice.

Et c’est pour cela que ces sept points sont des principes – étymologiquement, des choses qui passent en premier. Et ça aussi, c’est très concret ! Concrètement, ça signifie que si la douleur d’une victime dont le criminel est impuni à cause de la prescription est une tragédie, une société dans laquelle la prescription cesserait d’exister serait pire que cette tragédie. Si un homme n’est pas condamné pour viol faute de preuves, alors qu’il est coupable, c’est terrible ; mais une société qui ferait reposer la charge de la preuve sur la défense serait plus terrible encore.

La sagesse est ici une vertu bien difficile : elle consiste à dépasser l’immédiateté d’une souffrance présente, celle de la victime, souffrance légitime et que tout pousse à chercher à apaiser, pour contempler ce que deviendrait notre société si, pour ce faire, nous violions ces principes qui nous protègent tous et toujours. La sagesse, c’est ici de voir qu’un remède peut être pire que le mal, et doit donc être rejeté. C’est accepter le caractère nécessairement imparfait du monde et de la société en comprenant que le mieux peut être l’ennemi du bien. C’est de cela que la grande majorité, aujourd’hui, se montre incapable.

Les totalitarismes du XXe siècle avaient appris, peut-être, aux générations qui les avaient connus de près ou de loin, ou à une large part de ces générations, la valeur de ces principes. Mais force est de constater qu’elles ont échoué à les transmettre, et que nous, professeurs, avons échoué de même. Mes élèves les plus âgés sont nés 25 ans après la mort de Mao, 50 ans après celle de Staline et près de 60 ans après celle de Hitler. Peut-être ont-ils besoin de voir de leurs yeux ce qu’est une société sans présomption d’innocence pour en comprendre le prix.


lundi 6 avril 2020

Novlangue et doublepensée : on n’est plus très loin


Dans le roman d’anticipation (le mot semble malheureusement bien choisi) 1984, une des caractéristiques majeures de la société décrite par Georges Orwell est la novlangue (ou le « néoparler », pour reprendre la nouvelle traduction, sans doute meilleure sur ce point). Le principe de base est simple : il s’agit d’appauvrir la langue (par la diminution du nombre de mots, la suppression de la polysémie et des ambiguïtés, etc.) afin d’appauvrir la pensée.

Un aspect de la novlangue est particulièrement intéressant : le fait pour certains mots d’y désigner l’exact contraire de ce qu’ils désignent objectivement. Ainsi joycamp (« camp de la joie ») désigne un camp de travail forcé, Minipax (Ministry of Peace, « Ministère de la Paix ») le Ministère de la Guerre, etc.

Cette caractéristique du néoparler est étroitement connectée à un autre aspect de la propagande d’Océania : la doublepensée, autrement dit la capacité des citoyens (et particulièrement des membres du Parti) à accepter simultanément deux idées contradictoires. Il s’agit là d’un point essentiel pour le pouvoir puisqu’il lui permet, pour reprendre les mots d’Orwell, « de combiner la croyance en sa propre infaillibilité avec le pouvoir d’apprendre des erreurs du passé ». En étant à la fois (tout est là) parfaitement convaincu que le régime est parfait et infaillible et parfaitement informé de ce qui prouve qu’il ne l’est pas, le pouvoir en place diffuse une propagande parfaite sans pour autant s’aveugler sur les aspects de la réalité qui pourraient le mettre en danger – une des grandes faiblesses des totalitarismes du passé.

Eh bien nous n’en sommes plus très loin. On le sent venir depuis longtemps, bien sûr ; j’en ai déjà parlé sur ce blog. Dans les exemples récents, on pourrait citer les derniers rebondissements de la polémique pour savoir si oui ou non nous sommes en démocratie, ou en dictature : les opposants à Macron qui affirment que notre système politique n’a rien de démocratique, Macron qui leur répond en leur proposant d’aller essayer la dictature. On est encore loin du néoparler orwellien, bien sûr ; mais on s’en approche. De part et d’autre (j’insiste là-dessus, même si à titre personnel je suis bien plus proche des opposants à Macron que de ses partisans), l’appauvrissement du langage est là, et se traduit par un appauvrissement de la pensée. On construit une opposition binaire, sous forme d’alternative, entre démocratie et dictature, comme si tout ce qui n’était pas l’un était l’autre ; les uns peuvent dire en toute bonne foi : « Vous voyez bien qu’on n’est pas en démocratie, c’est donc qu’on est en dictature », quand les autres leurs répondent, avec la même bonne foi : « Vous voyez bien qu’on n’est pas en dictature, c’est donc qu’on est en démocratie. »

D’autres exemples sont encore plus récurrents : ainsi des usagers forcément « pris en otage » par la moindre grève, ou, ici à Mayotte, les délinquants des rues qualifiés de « terroristes » parce que les gens sont effectivement terrorisés. Allez essayer de leur faire comprendre qu’il ne suffit pas de terroriser ou d’être terrifiant pour être un terroriste, et qu’un gamin qui lance des cailloux sur des voitures en marche (ah-ah) n’est pas la même chose qu’un type qui se fait sauter au milieu d’une rame de métro, c’est peine perdue (j’ai essayé).

Mais ce n’étaient que des exemples de simplification et d’appauvrissement du langage.  À chaque fois, on nommait mal quelque chose. Dans un cas, on réduisait une échelle complexe (démocratie directe – démocratie représentative – démocratie déléguée – régime autoritaire – monarchie – dictature – totalitarisme, ce qui est déjà une simplification, mais passons) à une alternative simpliste (démocratie ou dictature) ; dans l’autre, on faisait passer une hyperbole, une exagération langagière (« le voyou des rues est un terroriste », « le gréviste est un preneur d’otage ») pour une expression nuancée, mesurée, fidèle et objective de la réalité. C’était déjà grave, bien sûr ! Ne serait-ce que parce que cette première étape prépare forcément le terrain pour la suivante. La citation attribuée à Camus est devenue un poncif, je l’ai moi-même plusieurs fois reprise ici : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »

Mais à présent, finies les demi-mesures ! Nous sommes à l’étape suivante. L’illustration la plus frappante en a été donnée il y a quelques semaines (même si ça semble une éternité…) à l’occasion de l’usage par le gouvernement du 49.3 pour faire passer la réforme des retraites.

Attention, une précision : je ne cherche pas ici à attaquer ou à défendre l’utilisation du 49.3 par le gouvernement. C’est un outil clairement antidémocratique et antiparlementaire, mais n’étant moi-même très favorable ni à la démocratie, ni au parlementarisme, je suis mal placé pour le critiquer. Comme tout instrument efficace (ce qui n’est pas la même chose que « bon ») au service de l’exécutif, il est bon quand il est employé par un pouvoir bon et au service d’une bonne politique (autrement dit, ça n’a pas été le cas depuis des temps à peu près immémoriaux) ; inversement, il est mauvais quand il est utilisé par des crétins pour une politique inepte et funeste (comme ça a été le cas pour tous ses derniers usages). Mais bon, fondamentalement, ce n’est pas le 49.3 comme instrument qui change la donne : avec lui, le gouvernement allait imposer sa réforme des retraites par la force ; mais enfin, la démocratie et le parlementarisme nous l’auraient tout autant refourguée, cette réforme ; ce n’est pas comme si les députés LREM allaient se rebeller.

Ce qui m’intéresse ici, ce n’est donc pas l’usage qui a été fait du 49.3, c’est le discours qui a été servi autour de cet usage. Et comme souvent, c’est Sibeth Ndiaye, l’incroyable Sibeth Ndiaye, qui a sorti l’artillerie lourde, en tweetant : « Avec l’utilisation de l’article 49-3 de la Constitution […], nous mettons fin à un épisode de non-débat de la réforme des retraites ; nous redonnons au Parlement les moyens d’assumer sa fonction éminente de voter la loi. » Soit : en empêchant le Parlement de débattre, nous permettons au Parlement de débattre. Ou encore : en faisant du Parlement une chambre d’enregistrement des décisions de l’exécutif, nous lui redonnons le pouvoir.

D’autres membres du gouvernement ont dit plus ou moins la même chose, je ne vais pas vous faire toute la revue de presse. Et depuis, on a eu des variations sur le même thème, souvent venant de la mère Sibeth, sans surprise, mais pas que : le gouvernement a clairement anticipé la crise sanitaire, il a très bien réagi dès le départ, nous étions tout à fait prêts sur le nombre de masques, j’en passe et des meilleures – toujours assorties de phrases qu’on peut comprendre soit comme des formules d’insistance, soit comme de vagues menaces, sur l’air de « Je ne laisserai personne dire le contraire. » Bref, l’essentiel est là : des membres du gouvernement disent l’exact contraire de la vérité, sans que ça soulève de protestation notable. Redde Caesari quae sunt Caesaris : ce n’est pas LREM qui a inventé le procédé ; sous Hollande, Bruno Le Roux, chef de file de la majorité socialiste à l’Assemblée, avait déjà dit que le 49.3 « favorise une véritable discussion ». Bon.

Vous allez me dire : mais lui non plus n’inventait pas le procédé ! Le mensonge en politique, c’est vieux comme le monde. Entre ceux qui nous promettent qu’avec eux le chômage disparaîtra et ceux qui nous assurent qu’ils n’ont rien piqué dans la caisse, on le sait, qu’ils nous baratinent !

Sauf qu’en réalité ça n’a strictement rien à voir. Chirac qui dit n’avoir pas volé d’argent public, ou Le Pen qui affirme qu’elle peut faire disparaître la crise économique, c’est du mensonge ; Sibeth et consort, c’est de la novlangue. La différence tient dans le rapport à la vérité : mentir, c’est encore honorer la vérité, c’est-à-dire lui reconnaître une importance et une valeur. Essayer de cacher qu’on a piqué dans la caisse, c’est entretenir encore un rapport globalement sain à la morale et à la vérité : on sait que ce qu’on a fait est mal, puisqu’on essaye de le cacher ; et on sait que la vérité a de l’importance, puisqu’on essaye de la camoufler. Dans les deux cas, on cache les faits, parce qu’on sait que si les faits sont connus du public, il n’y aura plus moyen d’échapper à l’opprobre ou à l’échec. Quand Sibeth affirme qu’utiliser le 49.3, c’est favoriser le débat, au contraire, elle ne cache rien : elle n’essaye pas de voiler un fait, de le faire disparaître ; elle n’essaye pas de cacher la vérité. Elle montre juste qu’elle n’en a absolument plus rien à foutre, et qu’il n’y a justement plus rien à cacher, il n’y a qu’à désigner les choses par leur contraire.

Autrement dit, le rapport à la vérité a changé : les politiciens n’essayent plus de cacher une vérité objective et extérieure à eux, qui les dérange mais qui s’impose à eux ; ils affirment que la vérité n’a pas d’existence propre et réside exclusivement à l’intérieur de leur discours. C’est comme si François Fillon, au lieu d’essayer de convaincre les juges que sa femme avait réellement fait un travail d’assistante parlementaire, leur avait dit en face : « Ma femme n’a strictement rien fait, et c’est pour ça qu’elle méritait un salaire. »

Et les gens qui se taisent, ce sont les juges qui approuveraient le raisonnement et acquitteraient le prévenu.

Ce n’est pas encore 1984. On s’en rapproche.


samedi 4 avril 2020

L’avenir hongrois


La Hongrie de 2020, c’est la France de 1940 : le covid-19 a eu le même effet pour eux que la débâcle pour nous. Pouvoirs illimités sans durée déterminée pour le premier ministre, possibilité de revenir sur des lois établies ou d’en instaurer de nouvelles sans contrôle du parlement ou de la justice, fin de la liberté d’expression. Depuis 10 ans, le Fidesz au pouvoir affaiblit les droits fondamentaux ; mais là, une étape de plus a clairement été franchie – sans qu’apparemment ça ne trouble trop l’Union européenne, qui s’apprête visiblement, une fois de plus, à faire la preuve de son manque d’efficacité.

Je ne vais pas écrire des heures sur le sujet, ça fait 20 ans que je répète les mêmes choses et franchement, je suis lassé d’avance. Deux mots seulement, donc.

Depuis ce coup de maître du premier ministre Viktor Orbán, on entend monter la musique : « ohlàlà, quel salaud, il a aboli la démocratie ! » Non, mes loulous ! Il abolit les droits de l’homme, c’est pas pareil ! Et c’est tellement pas pareil que les droits de l’homme, il les abolit démocratiquement. Dé-mo-cra-ti-que-ment.

Bien sûr, j’entends déjà les cris de protestation. « Démocratiquement, mais comment ça ? La Hongrie n’est pas une démocratie ! Et nous non plus d’ailleurs ! Le parlementarisme, c’est le pouvoir des riches, c’est la ploutocratie, ça n’a rien à voir avec la démocratie ! Élire c’est abdiquer, relis Reclus ! » Refrain connu.

Là-dessus, deux choses simples.

1. Dire que « nous ne sommes pas en démocratie », c’est un raccourci tellement simpliste qu’il en devient complètement faux. Par-delà les différences qui séparent tous ces régimes, la monarchie de Louis XIV n’est pas une démocratie. L’empire romain n’est pas une démocratie. La dictature de Pinochet n’est pas une démocratie. Le totalitarisme hitlérien n’est pas une démocratie.

Maintenant, Athènes au Ve siècle av. J.-C. est-elle une démocratie ? Si elle l’est, nous sommes, nous Français et Hongrois de 2020, infiniment plus proches de son régime que de la monarchie de Louis XIV. Bien sûr, nous ne sommes pas la même chose que l’Athènes de Périclès. Mais ce régime n’était guère plus égalitaire que le nôtre. Sans même parler des femmes et des esclaves, dont on peut mettre l’exclusion de la vie politique sur le compte de contingences culturelles, les citoyens pauvres n’avaient aucun moyen d’accéder aux réels postes de pouvoir, qui non seulement n’étaient pas rémunérés, mais étaient même fort coûteux, une fois qu’on y était désigné.

Alors de deux choses l’une. Soit Athènes était bien une démocratie, et alors, étant bien plus proches d’eux que de Staline, nous pouvons aussi appeler qualifier notre régime de « démocratique » – et plus encore le régime hongrois, où le parlement est élu avec une part de proportionnelle. Soit Athènes ne l’était pas, et la démocratie n’a jamais existé nulle part, tous les régimes de l’Histoire étant non-démocratiques à des degrés divers. Pourquoi pas ? Je ne suis pas d’accord, mais ça renforcerait mon idée que décidément la « vraie » démocratie est un régime qui n’est pas pour demain.

2. Au fond, cette question de savoir si oui ou non nous sommes en démocratie, et si la démocratie serait bonne ou mauvaise, est sans aucun intérêt. C’est un piège et un attrape-nigaud.

D’abord parce que, contrairement à ce que beaucoup pensent, la démocratie n’est pas une fin en soi. Elle est un moyen, ni plus ni moins : un moyen d’atteindre le bonheur. Les libertés fondamentales, elles, sont un fin en soi, parce qu’elles sont une condition du bonheur. Mais la démocratie n’est qu’un outil, pas un but. Et comme tout outil, parfois elle est adaptée, parfois elle ne l’est pas. Un marteau, c’est super pour enfoncer un clou, c’est nul pour retirer une vis. La démocratie, c’est pareil ! En 1792 et en 1940, il fallait être démocrate. La démocratie était l’outil adapté pour répondre aux crises de cette époque.

La seule question qui compte, c’est donc de savoir si la démocratie est un outil adapté à la crise que nous devons affronter, nous, maintenant. Pour y répondre, une question simple : les mauvaises décisions, celles qui contribuent à détruire la planète ou à abolir les libertés, sont-elles oui ou non démocratiques ? En d’autres termes, si on donnait vraiment le pouvoir au peuple, qu’en ferait-il ?

Sentant se refermer sur eux le piège, à ce stade les partisans de la démocratie hurlent : « On peut pas savoir ! Rien ne nous dit ce que ferait le peuple s’il avait le pouvoir ! » Ben si, cocotte. Quand une décision gouvernementale soulève une vague de protestation (comme c’est le cas pour la réforme des retraites, pour la taxe carbone, etc.), on peut se dire qu’elle est non démocratique, et que le peuple au pouvoir ferait autrement. Un doute peut subsister, bien sûr ; les partisans du gouvernement peuvent toujours s’appuyer sur la bonne veille « majorité silencieuse » pour dire que leur réforme est quand même populaire ; mais enfin, on a un élément pour dire qu’elle ne l’est pas.

Mais dans le cas contraire ? Quand une réforme passe comme une lettre à la poste, quand elle ne soulève aucune protestation populaire, voire quand elle est plébiscitée ? Alors sauf à être d’une mauvaise foi débordante, la conclusion s’impose : cette réforme est démocratique.

Du coup, si on ouvre les yeux, on doit reconnaître que :

1. Oui, le peuple est entièrement d’accord pour supprimer des libertés fondamentales si ça accroît sa sécurité (ou même son sentiment de sécurité). Non seulement il est d’accord, mais même il le réclame ! Regardez la popularité des mesures liberticides de tous les gouvernements dans tous les pays : nous sommes une poignée à protester. Nous protestons contre le peuple, certainement pas avec lui. C’est spécialement vrai en Hongrie, où le Fidesz n’a pas caché son jeu ou avancé masqué. Ne nous y trompons pas : ça n’a rien à voir avec le FN français, il n’y a pas eu de « dédiabolisation », et les Hongrois ont voté en toute connaissance de cause.

2. De même, le peuple veut que son niveau de vie augmente, même si ça bousille la nature. Les gens ne veulent pas tuer les riches, ils veulent vivre comme eux.

La sénatrice Amidala, dans une réplique devenue culte, disait : “So this is how liberty dies: with thunderous applause.” Notez qu’elle ne parlait pas de la démocratie, mais bien de la liberté. Déjà c’était le Sénat (instance démocratique de la République) qui confiait à son chef les pleins pouvoirs. Vision prophétique ; c’est ainsi que meurt la liberté : sous les applaudissements du peuple.

Certains s’imaginent que le capitalisme est le seul problème de notre société, et que tout le reste en découle. Ils pensent que seuls les riches aspirent au mode de vie qu’ils ont, et qu’en supprimant la bourgeoisie et en donnant le pouvoir au peuple, on supprimera du même coup la crise sociale et la crise écologique. C’est très noble, très généreux, très beau, mais c’est faux. Le capitalisme est un problème, bien sûr ; il ne peut pas être réformé et doit être supprimé, j’en conviens ; mais il n’est pas le seul problème, ni même le principal. Ceux qui croient le contraire se sont choisi une illusion magnifique. C’est néanmoins une illusion.