dimanche 29 décembre 2013

Homélie pour ce dimanche : la famille est menacée, protégeons-la !

Le premier dimanche après Noël (c’est ça, c’est aujourd’hui) est, pour les catholiques, le dimanche de la Sainte Famille : on y célèbre donc la famille formée par Jésus, Marie et Joseph (et, selon moi, les frères et sœurs cadets du Christ, mais tout le monde n’est pas d’accord là-dessus). Il est de tradition, à cette occasion, de faire un sermon portant sur la défense des valeurs familiales.

Et ça tombe bien, je trouve qu’il y a de quoi. Oui, dans la société actuelle, la famille est menacée. Ou plutôt, les familles sont menacées. La nuance est de taille : je ne crois pas que le modèle familial qui est le nôtre soit menacé. Par quoi pourrait-il l’être ? Contrairement à ce que beaucoup de prêtres ont dû raconter aujourd’hui, pas par le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels, qui vont au contraire permettre la constitution et surtout la reconnaissance de nouvelles familles aimantes, sans rien enlever à celles qui existent déjà. Pas non plus par la théorie du genre, qui, contrairement à ce qu’on entend encore, n’a pas pour objectif de faire manger leurs couilles aux petits garçons ni d’obliger les petites filles à devenir toutes camionneuses.

Tout cela est de nature à faire évoluer le modèle familial traditionnel, mais pas à le menacer. C’est même devenu un lieu commun pour les catholiques réformistes que de souligner à quel point la famille de Jésus est peu conventionnelle, peu traditionnelle, peu naturelle : un homme y élève l’enfant que sa femme a eu, avant leur mariage, avec un autre, et en plus par un procédé qui n’a rien de « naturel » ou de « biologique ». Selon nos catégories actuelles, l’Incarnation se situerait quelque part entre une gestation pour autrui et une procréation divinement assistée ; on est assez loin du « un papa, une maman, on ne ment pas aux enfants ».

Il y a bien quelques fous furieux qui réclament, à l’Assemblée nationale ou ailleurs, que les enfants soient retirés à leurs parents dès leur naissance ou peu après, et confiés à d’autres familles pour des durées limitées, voire élevés dans des centres publics. Cela, oui, menacerait le modèle familial. Mais ces discours délirants sont fort heureusement extrêmement marginaux et, je pense, ne sont pas en passe d’être appliqués – Dieu merci.

Et pourtant, oui, les familles sont menacées. Les menaces qui pèsent sur elles, ce sont les réductions du nombre de crèches, les suppressions de postes d’instituteurs en maternelle, qui font que les enfants en bas âge sont moins bien accueillis, et leurs parents moins libres. Ce sont les pressions des employeurs pour se donner toujours plus à son travail, et donc toujours moins à ses proches. C’est le chômage qui plonge les familles dans la misère et la désespérance. C’est le travail du dimanche, qui fait que les familles ne peuvent plus se retrouver ni passer du temps ensemble. Ce sont les inégalités, qui font que les couples ne peuvent plus subvenir à leurs besoins essentiels et à ceux de leurs enfants, et que les familles se délitent et se déchirent. Ce sont les immigrés clandestins à Mayotte qui, quand ils sont arrêtés, mentent à la police en disant qu’ils n’ont pas d’enfants, pour être renvoyés seuls aux Comores, et doivent abandonner leurs rejetons sur place pour leur éviter les dangers de la traversée du retour. C’est une organisation sociale qui ne nous offre ni le temps, ni les moyens de nous occuper nous-mêmes des personnes âgées, et qui nous condamne à enfermer nos parents et nos grands-parents dans des mouroirs où ils crèvent de solitude.

Oui, mes frères, les familles sont menacées ; mais pas par ceux que vous montrez ordinairement du doigt parce qu’ils ne sont pas comme vous. Elles le sont par le Système dans lequel nous vivons. Elles le sont par ceux qui sont avides d’argent, et par les incompétents qui les servent et nous dirigent.

lundi 16 décembre 2013

L'Église nous demande notre avis (et c'est pas tous les jours)

Sautez sur l’occasion : pour une fois, l’Église catholique vous demande votre avis sur quelque chose. Un questionnaire circule pour préparer le Synode d’octobre prochain sur la famille. Évidemment, comme c’est une première, c’est un peu brouillon : le Vatican a envoyé ça aux conférences épiscopales partout dans le monde, mais apparemment sans consignes claires sur ce qu’il fallait en faire ; du coup, certaines ont relayé auprès des paroisses ou des diocèses, avec consigne de faire remonter l’avis des laïcs vers la hiérarchie ; alors que d’autres (en France par exemple, ahem) n’ont pas fait ce travail de diffusion, à l’exception de quelques diocèses (il me semble que quelque part dans le Nord, ils ont organisé un Synode diocésain).

Mais bon, ne nous laissons pas abattre : la magie d’Internet nous offre une chance de vaincre les pesanteurs épiscopales et l’inertie hiérarchique ! Je vous propose donc ma réponse à ce questionnaire, réponse pour l’instant toute personnelle, mais que je compte soumettre à la prochaine Assemblée locale de Tol Ardor pour en faire une réponse (un peu plus) collective.

NB : Il est évident que j’invite tous mes amis, en particulier cathos, à remplir ce questionnaire, à le diffuser autour d’eux, et surtout à le renvoyer aux « autorités compétentes », en l’occurrence à votre évêque. Le questionnaire d’origine est assez complexe (organisé en 39 points parfois très techniques). Vous pouvez trouver l’original ici, si vous êtes intéressé ; de mon côté, je n’ai repris que les neuf points de base, et il est évident que vous pouvez faire de même. Il faut être rapide cependant, la consultation des laïcs prend fin à la fin du mois de janvier. Enfin, la CCBF est intéressée par vos réponses : vous pouvez lui renvoyer les questionnaires complétés à synodefamille@baptises.fr.

1. Sur la diffusion des Saintes Écritures et du Magistère de l’Église concernant la famille.

Commençons par une évidence : le Magistère de l’Église sur la famille et la sexualité n’est pas respecté. Il ne l’est pas par les non catholiques, bien sûr, mais il ne l’est pas non plus par les catholiques, même pratiquants. Ces derniers agissent à peu près comme si de rien n’était, se masturbent, ont des relations homosexuelles quand ils sont homosexuels, utilisent la contraception, avortent même parfois. Ils le font avec plus ou moins de bonne conscience, plus ou moins de culpabilité et de souffrance, mais dans leur immense majorité, ils le font.

Est-ce parce que l’enseignement de l’Église ne leur serait pas connu ? De toute évidence, il l’est peu, ou plutôt il est bien connu dans ses très grandes lignes, pas du tout dans les détails. Et c’est vrai y compris des catholiques, et même des pratiquants. Rarissimes en effet, même parmi les déjà rares qui vont à la messe tous les dimanches, sont ceux qui ont lu, ou même qui connaissent l’existence de Gaudium et spes ou de Familiaris consortio.

L’immense majorité des gens, catholiques ou pas, ne retiennent donc du Magistère qu’une liste de condamnations toutes plus exotiques les unes que les autres : refus de la sexualité hors mariage, refus de la masturbation, refus de la contraception, refus des actes sexuels qui ne sont pas « ouverts sur la vie », refus de l’homosexualité, refus de l’avortement quels qu’en soit la date et le motif.

Bien sûr, ils connaissent mal ou pas du tout les argumentaires développés par l’Église pour justifier ces positions. Mais est-ce vraiment bien le problème ? Moi qui les connais, je suis bien placé pour dire qu’ils ne sont pas convaincants du tout. J’ai longuement discuté de cela avec des prêtres ou des intellectuels catholiques, et ils n’ont jamais réussi à me convaincre sur aucun de ces points ; j’ai toujours estimé que la discussion révélait au contraire les impasses logiques, théologiques et intellectuelles dans lesquelles ils s’enferraient.

J’affirme donc que si le Magistère de l’Église sur les questions de famille et de sexualité n’est pas respecté, ce n’est pas d’abord parce qu’il n’est pas connu, mais avant tout parce qu’il est, au fond, indéfendable en raison.

2. Sur le mariage selon la loi naturelle.

Là encore, il y a un malentendu. Il est vrai que la notion de « loi naturelle » est assez obscure pour nombre de catholiques, même pratiquants – ne parlons pas des non croyants. Mais ce n’est pas le problème. La frontière n’est pas tant entre ceux qui croient qu’il y a une loi naturelle et ceux qui ne le croient pas. D’ailleurs, ces derniers sont assez rares : l’immense majorité de la population, quelles que soient ses croyances, accepte intuitivement, instinctivement, l’idée de loi naturelle, même s’ils ne l’appellent pas ainsi. C’est au nom de ce principe supérieur que, par exemple, aucune société développée n’accepterait de légaliser l’infanticide ou les actes de cruauté envers les animaux. Ils n’appellent peut-être pas cela « loi naturelle » ou « volonté de Dieu » (deux expressions absolument synonymes), mais ils croient tout de même, à de rares exceptions près, à des principes moraux transcendants et absolus.

La véritable frontière divise donc plutôt différentes visions de ce qu’est la loi naturelle. Ainsi, de mon point de vue de catholique pratiquant, j’affirme que le mariage ou la possibilité d’adopter des enfants pour les couples homosexuels est parfaitement conforme à la loi naturelle. Ce n’est pas le lieu, dans ce questionnaire, de développer les arguments en faveur de cette position : je l’ai longuement fait ailleurs. Mais il est important de reconnaître qu’accepter le principe de « loi naturelle » est une chose ; croire que l’Église en a une vision correcte en est une autre, bien différente.

De ma position découle naturellement l’idée que l’Église devrait, pour se rapprocher de la volonté de Dieu, réformer ses positions morales et adapter ses rites et ses pratiques en conséquence.

3. La pastorale de la famille dans le contexte de l’évangélisation.

Les familles me semblent le lieu essentiel de transmission de la foi. Mais elles rencontrent un obstacle majeur : même une culture familiale forte ne fait plus le poids face au refus de l’enseignement de l’Église dans la majorité de la société. Un enfant a beau avoir été formé dans la foi la plus solide, dans la prière et les rites, il aura bien du mal, devenu adolescent puis adulte, à résoudre la contradiction entre ce qu’on lui aura appris et l’évidence du monde dans lequel il vit ; et ce d’autant plus que les points précédents ont montré qu’il n’aura pas les outils argumentatifs qui lui permettrait de le faire en faveur du Magistère.

En conséquence, il risque fort de s’éloigner de l’Église, plus ou moins violemment, puis de se couper d’elle. Pour éviter cela, il me semble donc que les familles doivent être le premier lieu de résistance à un enseignement non seulement faux, mais extrêmement dangereux pour l’avenir de l’Église elle-même, car il contribue dramatiquement à la vider de ses forces vives.

4. Sur la pastorale pour affronter certaines situations matrimoniales difficiles.

Sur ce point particulier, on ne peut que répéter ce qui a été dit au 1. : oui, les catholiques, même pratiquants, vivent en couple et ont des relations sexuelles avant le mariage ; oui, certains vivent « en union libre, sans reconnaissance aucune, ni civile ni religieuse » ; oui, certains se séparent, et parfois se remarient.

Coller, comme on nous demande de le faire, des pourcentages à ces réalités indéniables est évidemment bien difficile. Sauf sur un point : le taux de catholiques pratiquants qui ont des relations sexuelles avant le mariage est très probablement supérieur à 90%.

Comment les baptisés vivent-ils ces « situations particulières » ? Cela dépend de beaucoup de facteurs. On ne vit pas de la même manière l’interdiction de la communion après un remariage ou le fait d’avoir, à 25 ans, des relations sexuelles sans être marié. De même, tous n’ont pas la même histoire, les mêmes principes, les mêmes idées, le même ressenti. Certains sont indifférents. D’autres souffrent, parfois beaucoup.

D’après mon expérience, l’enseignement de l’Église est surtout source de souffrance, chez les pratiquants, pour les homosexuels et les divorcés remariés. Les uns comme les autres vivent le discours et les pratiques de l’Église comme une véritable exclusion, voire une manifestation de haine, et comme un rejet de ce qu’ils sont, de leur histoire ou d’une part de leur identité.

Que faire ? ­À partir du moment où la doctrine de l’Église en la matière me semble absolument fausse, il est évident que je ne prône pas la mise en place de « programmes pastoraux adaptés ». C’est au contraire la doctrine même de l’Église qu’il s’agit de changer, en en tirant toutes les conséquences : libre accès à la communion pour les divorcés remariés, remariages religieux, mariages religieux pour les couples homosexuels.

Petite parenthèse à propos des couples divorcés remariés : une facilitation des annulations de mariage pourrait-elle représenter une solution ? Assurément pas. Ce serait éminemment hypocrite. La plupart des mariages qui échouent ont pourtant été, en toute objectivité, parfaitement légaux du point de vue du droit canon. On ne gagnera rien à ménager la chèvre et le chou, c’est-à-dire à vouloir sauver à la fois l’idée que la doctrine de l’Église est juste, mais que les situations particulières des divorcés remariées sont justes aussi. En outre, il y a quelque chose de malsain à vouloir effacer un pan entier de l’histoire d’une personne, à lui dire : « en fait, vous n’avez jamais été marié ». Si, une personne divorcée a été mariée, mais son mariage a été un échec. Toute autre proposition est, au fond, un mensonge.

Et j’insiste : j’invite toute personne qui verrait des empêchements théologiques à tout cela à venir m’en parler ; je suis prêt à un débat public sur toutes ces questions.

5. Sur les unions de personnes de même sexe.

La France a légalisé le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe. En tant que catholique pratiquant, je m’en réjouis sans la moindre réserve. L’Église de France s’est très largement mobilisée contre ce texte, et à mon sens elle, dans la manière dont elle l’a fait, s’est déshonorée de la dernière manière.

Que des évêques s’expriment contre la proposition de loi, c’était leur droit le plus absolu. Mais ils auraient dû entendre la profonde division des catholiques, même pratiquants, sur ce sujet, et en tirer la conclusion qui s’imposait : ils ne pouvaient parler qu’en leur nom propre, pas au nom de l’Église tout entière, car « nous sommes aussi l’Église ». À tout le moins, même quand ils choisissaient de répéter la position officielle de l’Église, ils avaient le devoir de souligner que tous n’étaient pas d’accord avec elle.

Tout au contraire, ils ont choisi, délibérément, d’ignorer, de mépriser, d’étouffer les voix discordantes qui cherchaient pourtant à se faire entendre. Ils ont exigé un débat dans la société qu’ils ont refusé catégoriquement de mener au sein de l’Église. Ainsi, ils ont accentué le malaise dans l’Église de France. Aujourd’hui, ils n’ont toujours pas clairement fait amende honorable, ce qui empêche la cicatrisation des blessures internes et la réduction de la fracture qui nous divise. Ils contribuent donc à ce que les adversaires d’hier ne se reparlent pas.

Aujourd’hui, il faut tourner la page de la lutte pour ou contre la loi Taubira ; mais cela ne pourra se faire que si les catholiques favorables à ce texte sont pleinement et publiquement reconnus a posteriori, à défaut de l’avoir été pendant le débat.

6. Sur l’éducation des enfants au sein de situations de mariages irréguliers.

Il est nécessaire aujourd’hui que l’Église se pose très sérieusement la question de savoir si ce qu’elle a toujours considéré comme « irrégulier » est vraiment contraire à la volonté divine. Un débat franc et ouvert qui donnerait la parole à tout le monde permettrait, je pense, de répondre « non ». Et on dissiperait ainsi nombre de faux problèmes.

7. Sur l’ouverture des époux à la vie.

Encore une question qui ouvre la porte à moult malentendus. Non, les catholiques, même pratiquants, et a fortiori les non pratiquants ou les non chrétiens, ne connaissent en effet pas bien Humanæ vitæ. Mais encore une fois, c’est tant mieux, car cette encyclique est d’une telle viduité intellectuelle, d’une telle fragilité théologique que, mieux connue, elle ne pourrait guère que contribuer à éloigner davantage encore les chrétiens de l’Église. Déjà, lors de sa publication en 1968, elle avait été un rude coup pour tous ceux qui avaient nourri quelque espoir de voir Vatican II permettre une évolution de la doctrine morale de l’Église. Dans le contexte actuel, elle semblerait encore plus ridicule et inadaptée à la réalité de ce que nous vivons.

Le questionnaire nous invite à réfléchir à « l’évaluation morale des différentes méthodes de régulation des naissances ». Que l’Église n’a-t-elle mené elle-même la réflexion à laquelle elle nous incite ! Elle se serait peut-être rendu compte que rien, absolument rien, ne s’oppose théologiquement aux méthodes habituelles de contraception (pilule contraceptive, préservatif, stérilet). De même, elle aurait peut-être compris que, dans un monde aux ressources finies, la croissance de la population humaine doit elle aussi être limitée.

Faute d’une telle réflexion, l’Église vit dans une bulle, dans une tour d’ivoire, loin, très loin de la réalité, du quotidien des fidèles. Sans surprise, ces derniers se moquent éperdument de ses commandements en la matière. Ainsi, puisque la question est évoquée, il est évident que jamais, lors de mes confessions, je ne mentionne mon (notre) usage de la contraception. Cela, en fait, ne me viendrait même pas à l’esprit, tant il est évident pour moi que je ne commets en la matière pas le moindre petit péché.

Dieu merci, l’éducation civile est un peu plus responsabilisante que l’éducation religieuse, sans quoi je ne sais pas où nous en serions. En l’occurrence, la question qui clôt cette partie du questionnaire, et qui invite à réfléchir au meilleur moyen de « favoriser la croissance des naissances », me semble proprement criminelle dans le contexte écologique actuel.

8. Sur le rapport entre la famille et la personne.

Bien sûr que vie de famille et vie de la foi ont une incidence l’une sur l’autre. Bien sûr que la famille est un lieu particulier d’épanouissement et de rencontre avec le Christ.

Pour autant, est-elle forcément le meilleur lieu d’une telle rencontre ? Il me semble qu’à l’heure actuelle, l’Église tend à considérer qu’il n’y a que deux modèles de vie valables : le mariage et la famille d’une part, le sacerdoce d’autre part. Or, entre les deux, il y a tous ces gens qui ne se sont jamais mariés, qui n’ont jamais fondé de famille, mais qui n’ont pas non plus entendu d’appel à devenir prêtres. J’ai souvent parlé avec eux de la souffrance qu’ils ressentaient de voir que l’Église ne parlait jamais d’eux, ne s’adressait jamais spécifiquement à eux. Elle parle aux prêtres, elle parle aux familles, elle parle aux couples, elle parle aux jeunes (c’est-à-dire aux futurs mariés et aux futurs prêtres), elle parle aux vieux (c’est-à-dire aux ex-mariés et aux ex-prêtres) ; mais rien, rien de rien, pour les laïcs célibataires et sans enfants. Il y a là un grand vide à combler d’urgence ; mais bien sûr, pour combler ce vide, il faut corriger les erreurs théologiques sur lesquelles il repose.

9. Autres défis et propositions.

Le questionnaire n’aborde absolument pas le sujet de la place et du rôle des femmes dans l’Église. Or, il me semble qu’il est lié à ceux qui sont abordés ici. L’Église, là encore, commet une erreur théologique fondamentale, encore une fois liée au sexe, au fond, en ne comprenant pas que tout, absolument tout, ce qu’un homme peut faire, une femme peut aussi bien le faire, ou en croyant que Dieu réserve certains rôles aux hommes et d’autres aux femmes, ou en croyant qu’Il est plus masculin que féminin. Il y a là, à mon sens, un autre défi des plus urgents à relever, et qu’on ne peut pas vraiment dissocier des précédents.

Enfin, l’Église devrait engager une réflexion sur les études de genre, pour se rendre compte qu’elles ne sont pas le travail de Satan que certains dépeignent.

dimanche 8 décembre 2013

Pour tourner la page des « Manifs pour tous »


Sur son blog Aigreurs administratives, Emmanuel Navarre a publié un billet tout à fait remarquable dans lequel il raconte la manière dont il a vécu l’année des « manifs pour tous ». Il décrit en particulier son cheminement intellectuel et émotionnel : ses hésitations du début face à la question de l’homosexualité (toujours officiellement condamnée comme un « désordre » dans la doctrine morale de l’Église) et face à la loi Taubira, puis la manière dont les arguments des partisans du projet de loi ont peu à peu emporté son adhésion, alors même que les opposants s’enferraient dans ce qu’il voyait comme des impasses intellectuelles, et enfin le basculement final et la réalisation, très douloureuse, qu’il avait été longtemps imprégné de préjugés homophobes.

Je recommande chaudement la lecture de ce billet à tout le monde, en particulier aux catholiques, et tout spécialement aux opposants à la loi Taubira. Pour ma part, il m’a beaucoup touché, et a fait écho à ce que j’ai moi-même ressenti.

Pourtant, je n’ai pas du tout vécu la même année que lui. Sans doute parce que je partais sur des bases radicalement différentes. Catholique pratiquant, mon parcours spirituel très atypique et dont je n’ai renié aucune étape m’a donné pas mal de recul face à l’institution et à ses dogmes. J’ai rejoint l’Église catholique, et je ne le regrette pas, pour « le bien que j’y ai vu et par amour pour son unité », pour reprendre les termes d’Emmanuel. Mais il y a beaucoup de choses que je ne digère pas, et j’essaye de dialoguer avec les fidèles, avec l’institution, et avec les non catholiques, dans le but avoué et afficher de les faire évoluer.

Pour ma part, cela fait des années que je suis favorable au mariage et à l’adoption pour les couples homosexuels. Il s’agissait donc d’une des rares promesses de Hollande dont j’espérais la réalisation. Et, circonstance aggravante, en tant que catholique pratiquant, je suis également favorable à ce que l’Église accorde le sacrement de mariage aux couples homosexuels, ce contre quoi je ne vois absolument aucun argument théologique tenable.

J’ai donc réagi très tôt sur le sujet. J’ai publié un premier billet sur mon blog à l’occasion de l’élection de Hollande, puis un autre, nettement plus énervé, après la « prière du 15 août » de l’évêque Vingt-Trois, qui a été, selon moi, le point de départ de la mobilisation (et je sentais bien, déjà, que ça risquait fort de déraper). Ensuite, j’ai essayé de synthétiser les arguments, tant civils que religieux, dans deux autres billets, l’un en réponse à Civitas, l’autre en réponse au texte du Conseil famille et société de la Conférence des évêques de France. À partir de là, j’ai publié pas mal de billets, au gré de l’actualité de la Manif pour Tous, de l’Église et de la sphère politique.

Mais, comme Emmanuel, j’ai eu la nette et désagréable impression que, dans leur immense majorité, les opposants à la loi Taubira cherchaient moins le débat que l’anathème. On m’a beaucoup rappelé à mon prétendu devoir d’obéissance au Magistère et à la Tradition. On m’a beaucoup envoyé d’infaillibilité (à laquelle je ne crois pas du tout, elle est logiquement impossible) à la figure. On m’a beaucoup dit que j’aurais mieux fait de ne pas rejoindre l’Église, si c’était pour chercher à la changer. On m’a beaucoup dit que je ferais mieux de me faire protestant.

Beaucoup de catholiques, même favorables au projet de loi, affirment n’avoir pas senti de haine de la part des opposants. Tant mieux pour eux, bien sûr ; et tant mieux pour leurs paroisses, surtout. Ça témoigne qu’il y en a où, même sur un sujet polémique, les relations peuvent être paisibles.

Mais moi, je l’ai senti, cette haine. Pas vraiment dans ma belle-famille – alors qu’ils étaient pour la plupart très opposés à la loi – parce que ce sont des gens bien, gentils et intelligents, et que malgré l’incompréhension et le rejet profonds que leur inspiraient à la fois l’homosexualité, la loi Taubira et ma position réformiste au sein de l’Église, ils sont toujours restés courtois et bienveillants.

Ça a été un peu plus difficile dans ma paroisse. J’avoue, moi qui suis plutôt grande gueule, là je ne la ramenais pas trop. Mais quand, sur la feuille de chant de la messe dominicale, j’ai trouvé un petit encart appelant à manifester « au nom de notre opposition à la loi Taubira », j’ai craqué, et j’ai dit publiquement qu’il n’y avait pas de « notre » opposition, que beaucoup de catholiques pratiquants étaient favorables à la loi, souvent sans réserve, et que l’Église ne s’honorait pas à faire comme s’ils n’existaient pas. Les gens sont restés polis, bien sûr, mais je ne me suis plus senti intégré de la même manière après ça (c’est une paroisse d’outre-mer, avec un turn-over important, donc les relations ne sont pas aussi anciennes et sans doute pas aussi profondes que dans une paroisse où on connaît des gens depuis très longtemps). Et alors sur les blogs et les réseaux sociaux, où n’existaient plus les barrières de politesse de la vie de tous les jours, ça a souvent été l’hallali.

Est-ce que ça m’a affecté ? Peut-être moins que d’autres dont j’ai lu les récits ici ou là – moins qu’Emmanuel, par exemple, puisque ce billet lui est dédié. Christine Pedotti m’a dit un jour, avec beaucoup de justesse, que j’étais trop orgueilleux pour pouvoir être susceptible. Néanmoins, je ne peux pas dire que ces réactions ne m’ont pas touché. Je ne me sentais plus à ma place dans l’Église, tout simplement. J’avais l’impression qu’elle avait changé, qu’elle n’était plus celle qui m’avait baptisé, ou qu’elle avait montré un visage que je ne lui connaissais pas, et que je n’aimais pas. Emmanuel écrit qu’il a pensé partir pour une communauté protestante ; de mon côté, j’attendais le résultat de l’élection du pape, en mars dernier, pour savoir si j’allais ou non rejoindre l’Église vieille-catholique. C’eût été Ranjith ou Scola que je ne serais probablement plus parmi vous (parmi nous ^^). Finalement, François m’a convaincu de rester encore un peu.

Et après ? La Manif pour tous est toujours là, avec ses petites sœurs de l’Avenir pour tous et du Printemps français (on attend avec impatience, au gré des querelles d’idées ou même de personnes, la création d’un « printemps français pour tous », ou d’une « manif pour tous les Français », ou même d’un « français printemps pour tous d’avenir », façon Bourgeois gentilhomme), mais tous ces groupes devenus groupuscules ont clairement perdu la bataille politique, et, bien plus important, ils sont en train de perdre la bataille idéologique. Alors pourquoi y revenir encore ?

Parce qu’il y a quand même, à mon sens, une leçon à retenir de tout ça.

Pendant tout le temps qu’a duré la mobilisation, je me suis beaucoup démené. J’ai discuté des heures et des heures avec ma famille et mes amis, à table, en soirée, sur les réseaux sociaux, par mails. J’ai écrit billet sur billet pour mon blog. J’ai écrit à de nombreux évêques. Et pendant tout ce temps, j’ai eu l’impression d’être très, très seul… alors que je ne l’étais pas. Je ne parle pas seulement des sondages, dont l’un, déjà mentionné sur ce blog, montrait que près de la moitié des catholiques pratiquants (oui, pratiquants !) était favorable au mariage des couples homos, et qu’un tiers était également favorable à l’adoption pour ces mêmes couples ; je parle surtout des langues qui se sont déliées après le passage de la loi, quand les évêques français, sentant la bataille perdue (et un peu aidés, il faut le souligner, par le changement de ton induit par la double élection du pape François à la tête de l’Église et de Georges Pontier à celle de la Conférence des Évêques de France), ont commencé à dire qu’il fallait changer de disque. Là, tout d’un coup, beaucoup de catholiques ont (enfin) parlé pour dire, a posteriori, leur soutien à la loi et leur malaise pendant l’année écoulée.

C’est là qu’à mon sens, il y un problème. J’ai l’impression que les catholiques (surtout pratiquants) qui soutenaient le projet de loi ont bien souvent fait le gros dos en fermant leur gueule et en laissant passer l’orage. Beaucoup des pro ont été, bien plus que les antis, sensibles au risque de déchirure dans l’Église, et ont préféré se taire pour ne pas jeter d’huile sur le feu. L’intention était louable, mais est-il préférable de maintenir une unité de façade plutôt que de crever les abcès douloureux ?

D’autres, sachant que la bataille finirait par être gagnée, se sont dit qu’il n’était pas nécessaire de prendre (ou de donner) des coups pour rien. Je ne peux pas dire que je ne les comprends pas. Pour l’ouvrir, il fallait avoir les reins solides. À la CCBF, par exemple, on en a discuté, et ça a été très tendu, très houleux, parfois agressif, alors qu’on était entre gens bien et qui s’apprécient, entre amis pourrait-on dire. Alors dans une paroisse lambda… Mais là encore, était-ce la meilleure manière de rendre service à l’Église ?

Finalement, il nous aura manqué de nous structurer et de nous faire entendre collectivement. Les médias ont peut-être leur part de responsabilité : pour eux, il était plus croustillant de présenter une Église unie dans la réaction et le rejet de l’homosexualité que d’en peindre, plus fidèlement, les complexités et les nuances. Mais je reste persuadé que l’essentiel de la responsabilité est nôtre. Je ne peux pas m’empêcher de me dire que justement, si tous ceux qui soutenaient le projet de loi l’avaient dit publiquement, ça aurait forcément été moins difficile à gérer. Nous n’avons pas assez cherché à prendre la parole. Or, l’Église pouvait faire semblant de ne pas entendre une majorité (ou une forte minorité, la question n’est pas vraiment là) silencieuse et atomisée ; je ne pense pas que ça aurait été si simple avec le même groupe parlant haut et s’organisant. Et ça, j’aimerais bien qu’on s’en souvienne pour le prochain débat de société où l’Église s’impliquera à tort. Qu’on se rassure, il ne devrait pas tarder.

samedi 7 décembre 2013

Des vertus du retrait


Plus d’un mois sans écrire sur ce blog. Ça vous a paru long, pas vrai ? Moi aussi. En plus, j’avais des sujets, des choses à dire. Tous les deux jours, je voyais passer quelque chose qui me faisait me dire : « ah, faut que j’écrive là-dessus ! » ; ce que je ne faisais pas.

Si ça peut vous rassurer, il y a beaucoup de choses que je ne faisais plus trop, ce dernier mois. De la même manière que je gardais ouvertes des dizaines de fenêtres ouvertes sur mon navigateur internet, pour me faire penser à écrire sur tel ou tel sujet, je rangeais des dizaines de mails dans un petit dossier « urgent ». À la fin, j’aurais pu en rajouter d’autres : « très urgent », « très très urgent », « trop tard »… Ça ne s’arrêtait pas là, et les élèves d’une de mes classes pourraient témoigner qu’ils ont attendu longtemps certain paquet de copies.

Mais pourquoi, pourquoi, me direz-vous ? Pourquoi nous avoir ainsi fait languir ? C’est compliqué, comme on dit. Un combat syndical, d’abord. Je vous la fais courte, mais le gouvernement a trahi en octobre toutes les promesses qu’il avait faites aux fonctionnaires de Mayotte en juin (oh ! quoi ! le gouvernement a trahi ses promesses ! pas croyable !). D’où colère, grève, blocage des établissements scolaires, coups de gueule, coups de sang, coups de poings, AG, re-blocage, manifs, défonçage de cordons de gendarmes mobiles, brûlage de pneus, toussa-toussa. Et grosse fatigue (eh oui, une vraie grève, ça fatigue, figurez-vous). Et puis déprime, en fin de compte : déprime de voir le gouvernement mentir comme autant d’arracheurs de dents, justifiant la chansonnette (« tout le monde ment, tout le monde ment, le gouvernement ment énormément… ») ; et déprime de voir que tant de profs étaient des petites bites, molles comme du beurre (ou des sociaux-traîtres, au choix).

Tout ça ne me donnait pas envie d’agir plus. Et donc, je n’ai pas écrit, et j’ai négligé d’autres devoirs bien plus importants que ce blog (et je ne parle pas de mes copies, pour ceux qui auraient des doutes).

Mais ça m’a permis d’apprendre deux ou trois choses. Sans même parler de ce que j’ai pu apprendre au plan personnel, je me suis aperçu de deux ou trois choses. Par exemple, alors même que j’ai été trop silencieux, mes lecteurs ne m’ont pas complètement abandonné : même pendant le temps où je faisais la gueule, des gens venaient me lire. C’est gentil, merci à eux. Et aussi deux ou trois choses un peu plus rigolotes. Ainsi, le dernier mois, une grosse minorité des lecteurs de mon blog sont arrivés dessus depuis… un site de rencontre. Et le mot-clef de recherche Google qui m’a amené le plus de monde est « arabes nus en érection ». Les voies du Seigneur sont impénétrables. Ou alors, il va vraiment falloir que je dise un mot à mon directeur de la communication.

Bref, me revoilou un peu. Un peu, car j’ai encore pas mal de choses à préparer : les vacances, puisque c’est bien connu, quand un prof n’est pas en grève, eh bien c’est qu’il est en vacances. Et blagues à part, j’ai vraiment des choses à faire, urgentes et importantes ; mais j’essaierai quand même de reprendre un rythme ici aussi. Inch’Allah, comme on dit ici. Eru valuva, comme on dit chez moi.