dimanche 31 janvier 2016

Le Club des Cinq au Congo


Décidément, la culture se porte mal. Il y a un peu plus d’un an, j’avais écrit un premier billet sur le sujet pour dénoncer la déprogrammation (la censure, en réalité) de Carmen, de Bizet, au West Australian Opera de Perth, au motif que les femmes y fumaient et donc faisaient implicitement l’apologie du tabagisme. Aujourd’hui, deux autres formes de censure frappent le monde de la culture.

La première se déroule en Italie. Pour accueillir le président iranien, Hassan Rohani, les autorités italiennes ont décidé d’encoffrer les statues dénudées du musée du Capitole où avait lieu la rencontre. Autre complaisance du même tonneau – si j’ose dire ! – : aucune boisson alcoolisée ne sera servie au déjeuner du Quirinal.

Que la délégation iranienne présente ce genre de demandes est gonflé, mais après tout, ils sont dans leur rôle. Ce qui pose problème, c’est que les autorités de l’Italie – le 9e pays le plus riche du monde ! – acceptent de s’y plier. Car comment peut-on cacher, comme si on en avait honte, ce que notre culture et notre civilisation ont produit de plus beau, donc ce dont nous devrions être le plus fier ? Si la culture d’un pays est constitutive de son âme, alors l’Italie est prête à vendre son âme pour quelques contrats, qu’elle obtiendrait sans doute même sans cette bassesse : notre économie a besoin de ceux qui achètent nos produits, mais il ne faut pas se voiler la face : s’ils les achètent, c’est qu’eux aussi en ont besoin.

D’ailleurs, pendant ce temps, l’Iran continue de pendre les homosexuels, les apostats et les opposants politiques, et permet de condamner les filles à mort dès l’âge de 9 ans ; il faut croire qu’ils ne se préoccupent pas tellement, eux, de notre sensibilité et de notre culture, tout comme la majeure partie des pays du Moyen-Orient.

Et c’est précisément cela que beaucoup d’Occidentaux, surtout parmi nos dirigeants, ne parviennent pas à comprendre : si les Iraniens ne se préoccupent pas plus de ne pas nous choquer, c’est parce qu’ils n’ont aucun respect pour ceux qui renient leur culture pour ne pas heurter leurs interlocuteurs. Autrement dit, ce reniement, cette soumission des autorités italiennes ne sert à rien à moyen terme : même sans prendre en considération la valeur intrinsèque des œuvres d’art qui sont ainsi niées, nous ne gagnerons pas le respect ou l’amitié de ceux que nous prétendons ainsi honorer. Bien au contraire, ils y verront un aveu de faiblesse et nous n’y gagnerons que leur mépris.

La seconde affaire touche la série de romans d’Enid Blyton, Le Club des Cinq. Elle n’est pas vraiment nouvelle : elle concerne la nouvelle traduction – parler de « réécriture » serait plus juste – des romans. En 2011, un professeur l’avait déjà dénoncée sur son blog. Il notait d’abord un abaissement général du niveau de langue : remplacement des passés simples par du présent, appauvrissement du vocabulaire, disparition des descriptions un peu longues… Il en accusait, à juste titre, la baisse générale du niveau des enfants et l’exigence de rentabilité : si c’est trop dur à lire, on ne fait pas assez de ventes. On retrouve ce que je disais en octobre 2014, à savoir la trop importante dépendance de la culture par rapport au capitalisme et aux puissances de l’argent.

Plus grave encore, l’auteur de l’article notait que des passages entiers avaient été purement et simplement réécrits pour être plus conformes à l’esprit du temps. Menant une analyse de quelques passages du Club des cinq et les saltimbanques (d’ailleurs rebaptisé Le Club des Cinq et le cirque de l’étoile), il notait la disparition de plusieurs passages qui faisaient d’Annie une petite fille un peu trop… eh bien, un peu trop conforme au cliché de la petite fille traditionnelle : qui pleurniche et qui fait la cuisine. La volonté de faire reculer le sexisme est louable ; mais dans le texte original, le personnage de Claude ne suffit-il pas amplement à montrer qu’on peut être une fille sans correspondre à ce cliché ?

De la même manière, il remarquait l’absence de passages ou de phrases qui pouvaient heurter la sensibilité d’un jeune lecteur : un enfant battu par son oncle, la méfiance des forains envers la police, ou à l’inverse les préjugés qui les font tous passer pour des voleurs ; la liste est longue. De nombreux personnages en perdaient leur cohérence ; et tout ça pour quoi ? Croit-on qu’on fera reculer le racisme dans la société en le faisant disparaître de la littérature pour enfants ?

Au-delà de la seule question de l’efficacité ou non de ces procédés pour faire évoluer les mentalités dans le bon sens, ils posent quand même un énorme problème moral, et je m’étonne qu’ils soient tout simplement légaux. Quand bien même les œuvres d’Enid Blyton seraient tombés dans le domaine public – ce qui n’est, je crois, pas le cas –, il ne me semble pas qu’on puisse moralement faire n’importe quoi de l’œuvre d’un auteur – ou même que ses ayants droit puissent en faire n’importe quoi. S’il me prend l’envie de réécrire du tout au tout Cyrano de Bergerac ou Le rouge et le noir, je dois avoir le droit de le faire, mais de le faire en mon nom. Il me semblerait tout à fait aberrant qu’on ait le droit de publier sous le nom d’Edmond Rostand un nouveau Cyrano dans lequel Roxane finirait comme une heureuse bigame, ou dans lequel Cyrano et Christian se marieraient et adopteraient des enfants. Au-delà de toute querelle idéologique, c’est une question de respect d’une œuvre et de son auteur.

Il y a cependant une modification qui avait échappé à l’auteur de l’article mentionné : dans le chapitre 5 du Club des Cinq au bord de la mer, la nouvelle traduction ne montre plus les enfants aller à la messe mais… au marché. Après la découverte des portables par nos quatre enfants, c’est un peu le coup de grâce. Mais quel est le but de la manœuvre ? Pour le racisme ou le sexisme, on se dit au moins que ce sont effectivement des choses qu’on aimerait voir disparaître de nos sociétés. Mais la religion ? Le christianisme et la messe sont-ils des choses si abjectes qu’il faille absolument éviter d’en donner aux enfants la moindre connaissance ?

Le point commun de ces deux affaires, c’est le mépris de notre histoire, de notre passé, donc de notre culture et de notre civilisation, bref de ce que nous sommes. Tout est là : nous cherchons à faire oublier – et pire, à oublier nous-mêmes – ce que nous sommes, ce qui constitue notre richesse, notre apport essentiel à l’humanité. Pris dans le culte de la fuite en avant pour elle-même, nous jetons sur ce qui se trouve derrière nous un regard méprisant et condescendant. Ce faisant, nous oublions deux choses.

La première, c’est que toute œuvre d’art est historiquement datée, donc liée à une époque et dépendante d’un contexte. Il peut y avoir des préjugés racistes et sexistes dans le Club des Cinq, ou dans Tintin au Congo. Céline était antisémite ; Voltaire aussi. Sade écrivait des textes pédophiles, mais Gide et Montherlant faisaient de même. Aristote défendait l’esclavage, et Hésiode écrivait que les femmes étaient le pire fléau qui se soit abattu sur l’humanité et la source de tous ses maux – et je ne parle même pas des textes sacrés de la plupart des religions monothéistes. Enid Blyton peut aller se rhabiller. Allons-nous réécrire toutes ces œuvres au motif que nous ne pensons plus de la même manière aujourd’hui ?

Ce serait oublier – et c’est en effet notre second grand oubli – que nous aussi, nous sommes datés. Nietzche dénonçait déjà cette erreur commune à tous les temps : la conviction d’être parvenu au terme et au sommet de l’Histoire. Les Romains regardaient comme barbares les sacrifices humains des Celtes et des Carthaginois ; ils ne se doutaient pas que nous porterions le même regard sur les combats de gladiateurs. Jusqu’au XVIIIe siècle au moins, les autorités de toutes les Églises chrétiennes considéraient comme absolument normal et même nécessaire d’envoyer les sorcières au bûcher et de massacrer ceux qui n’adhéraient pas au dogme officiel. Nous croyons-nous différents ? Dans deux cents ans, une grande partie de ce qui est notre quotidien, que nous considérons comme normal, nécessaire ou même plaisant, sera abominable à nos descendants.

La tentation de réécrire le passé est le propre d’une société soumise à un tropisme totalitaire ; Orwell la dénonçait déjà dans 1984. Ce n’est donc pas en nous reniant nous-mêmes que nous pourrons réellement progresser. Bien au contraire, c’est le refus de ce que nous sommes qui rend difficile le dialogue international, problématique l’intégration de populations nouvelles sur nos territoires, et qui aggrave chaque jour un peu plus les fractures internes à nos sociétés. Soyons conscients que nos civilisations ont écrit des pages qui sont parmi les plus noires de l’Histoire humaine ; soyons aussi conscients qu’elle en a écrit quelques-unes des plus belles.

dimanche 24 janvier 2016

Si Taylor Lautner voulait bien me filer son corps, histoire que je puisse y greffer ma tête…


Dans That Hideous Strength, troisième et dernier volet de sa Trilogie cosmique, C.S. Lewis, auteur des Chroniques de Narnia et grand ami de J.R.R. Tolkien, avait imaginé un laboratoire monstrueux au cœur duquel des scientifiques maintenaient en vie la tête coupée d’un homme guillotiné afin qu’elle pût être possédée et animée par une force démoniaque.

Plus près de nous, la série télévisée Dollhouse imaginait un autre merveilleux progrès : la possibilité de traiter le cerveau humain comme un simple disque dur, par exemple pour le vider des données qu’il contient et les remplacer par d’autres, extraites d’un autre cerveau : un moyen comme un autre de devenir immortel, et en plus en ayant le choix du corps dans lequel on va poursuivre l’existence (viens là, Taylor). Jusqu’à ce qu’à son tour, il se dégrade, nous forçant à en choisir un autre et à prendre possession de son cerveau. Réjouissante perspective, non ?

Une fois de plus, la réalité de la civilisation techno-industrielle rattrape peu à peu la fiction. Après de nombreuses expériences réussies sur des souris, une équipe de chercheurs chinois a réussi à greffer la tête d’un singe sur le corps d’un autre – il serait d’ailleurs plus rigoureux de dire que c’est le corps qui a été greffé sur la tête, non l’inverse. Les auteurs affirment tenir la preuve que ce type de transplantation est « prêt pour les humains ». Miam.

Évidemment, tout n’est pas parfaitement au point. Le singe greffé a été maintenu en vie pendant vingt heures – on est encore loin de l’immortalité. Mais personne ne peut sérieusement nier que les progrès seront rapides. On peut imaginer que, d’ici quelques décennies au plus, la greffe tiendra sans limitation de durée. Les expériences sur les cadavres humains ont d’ailleurs déjà commencé, toujours en Chine – on ne soulignera jamais assez les avantages d’une bonne vieille dictature communiste pour le progrès scientifique et technique.

Sergio Canavero, un des membres de cette fine équipe, estime qu’il s’agit d’une « vraie victoire pour l’humanité ». Il pense, par exemple, à refaire marcher les tétraplégiques. Sans nier ce genre d’intérêts éventuels, j’avoue être beaucoup plus sceptique. Bien sûr, ça n’offre pas la solution de l’immortalité : la greffe de corps n’empêchera pas le vieillissement du cerveau, et donc, à terme, la mort. Mais ça offre tout de même des solutions de survie dans tout un tas de situations : cancer sans métastase au cerveau, problèmes cardiaques, dysfonctionnements divers… Or, qui pourra servir de donneur ? Peu de gens : il faudra des gens en état de mort cérébrale, mais dont le corps est en parfait état ; ce n’est pas si commun.

Autrement dit, la demande excédera immédiatement l’offre, et de très loin. Dans ces conditions, comment imaginer que les riches, les politiciens, les élites, voire les chercheurs, bref tous ceux qui auront les moyens économiques, politiques ou techniques de profiter de cette chance, ne céderont pas à la tentation ? Comment garantir qu’on n’ira pas de servir dans les prisons, dans les bidonvilles ou chez les marginaux ? Voire que des gens ne seront pas spécialement élevés pour servir de donneurs, façon Auprès de moi toujours ?

Les problèmes éthiques couramment envisagés à propos de ce genre d’expériences biotechnologiques sont donc bien plus importants que les simples questions usuelles (« Quelle est l’identité de la personne qui a sa tête mais le corps d’un autre ? » ; « Dans quelles conditions a-t-on le droit de disposer d’un corps cliniquement mort ? » etc.) : une fois de plus, la puissance technique de l’humanité dépasse, et de plus en plus loin, son niveau d’avancement moral et spirituel.

Ça n’augure rien de bon, vous pouvez m’en croire. Décidément, la belle humeur dans laquelle Sarko m’avait mis n’aura pas duré longtemps.

vendredi 22 janvier 2016

La Manif Pour Tous : chronique d’une défaite annoncée


Il ne faut pas que je boude mon plaisir : c’est rare que l’actualité m’en donne autant. C’est encore plus rare quand ça vient de Sarkozy. Et surtout, c’est rare que j’aie raison et que ça me plaise : en général, la réalité confirme mes pronostics, mais ça me désole. Tandis que là, mmmmm ! qu’est-ce que c’est bon. Qu’est-ce que j’ai aimé cette séquence ! J’ai nommé : « le grand reniement de Nicolas Sarkozy façon saint Pierre ». Ou « Sarko à contre-Sens commun ». Ou encore « attention, Sarko ne met plus de beurre ».

Mais que s’est-il donc passé pour mettre le sombre, le pessimiste Meneldil en joie ? Nicolas Sarkozy sort un livre intitulé La France pour la vie (il paraît qu’il voulait l’appeler Président pour la vie, mais que son conseiller en com’ a dit non). Jusque-là, pas de quoi sauter au plafond. Mais dans ce livre, que dit-il ? Que s’il récupère le pouvoir, il ne reviendra pas sur la loi Taubira.

Quoi ? Ô surprise ! Mais quel étonnement ! Oui, croyez-le ou non, il y a des gens qui ont l’air de vraiment tomber des nues. Allez, je ne résiste plus, je vous balance la première, ma préférée : Madeleine Bazin de Jessey ! Porte-parole de « Sens commun », association intégrée à l’UMP et dont la vocation est justement de pousser ce parti à abroger la loi Taubira, mais également secrétaire nationale dudit parti (nommée par Sarko, me semble-t-il) ; et on voit qu’elle n’est pas contente, mais alors là pas contente du tout. Regardez, je vous la fais en triptyque, façon Philippe de Champaigne :


Regardez-moi la gueule de six pieds de long qu’elle tire ! Aux dernières nouvelles, elle aurait été contactée pour doubler Dégoût dans Vice versa 2. Elle n’est d’ailleurs pas la seule à tirer la tronche. Hervé Mariton, dont le combat se résume à peu près à l’abrogation de la loi Taubira, mais qui trouve que c’était bien suffisant pour justifier sa participation à la primaire de l’UMP (6,3% des voix), dénonce le « parjure » de son patron. Jean-Frédéric Poisson, du Parti Chrétien-Démocrate (celui de Christine Boutin, au cas où son intense rayonnement médiatique vous aurait échappé), se demande « où est passée la droite ».

Et pourquoi ils sont si fâchés, ces braves gens ? Parce que Nico la leur avait promise, l’abrogation ! Mais si, souvenez-vous, à ce meeting de Sens commun, justement, pendant la primaire pour la présidence de l’UMP, en novembre 2014 :


C’était encore un grand moment, ce meeting. Qu’est-ce qu’il était mal, ce pauvre Sarkozy ! Qu’est-ce qu’ils le faisaient chier, ces militants de Sens commun, à vouloir le forcer à clarifier sa position ! Il n’est pas bête, et il avait parfaitement compris qu’il avait le cul entre deux chaises, pour ne pas dire la tête dans un étau. D’un côté, il savait pertinemment qu’il ne reviendrait pas, en fait, sur la loi Taubira, s’il était élu, ni pour l’abroger, ni pour la réécrire ; il savait bien que le mariage pour tous serait un non-sujet pour l’élection présidentielle de 2017, contrairement à ce dont LMPT essaye désespérément de se convaincre ; mais en même temps, il savait aussi qu’il avait réellement besoin des anti-Taubira pour gagner la présidence de l’UMP.

Aussi sortait-il des phrases alambiquées. « Avec le mariage pour tous tel qu’il est organisé, la séparation entre la filiation et le mariage est impossible, et à ce moment-là, si nous gardons les choses en état, cela voudra dire qu’on ne pourra pas faire la différence entre un mariage homosexuel et un mariage hétérosexuel dans ses conséquences sur la filiation, donc ça ne sert à rien de dire qu’on est contre la GPA ou contre la PMA si on n’abroge pas la loi Taubira puisque la loi Taubira justement conduira à ça. » La journaliste de BFM-TV, croyez-le ou non, estime qu’il a « clarifié sa position ».

Bon, il avait quand même dit des choses plus explicites : « la loi Taubira devra être réécrite de fond en comble ». Hurlements de la salle : « A-brogation ! A-brogation ! » Sarko fou de rage. Il le cache, mais ça se sent : « Parfait ! Parfait ! [Il est coupé par la foule] Parfait ! Quand on dit que la loi va être réécrite de fond en comble, si vous préférez qu’on dise qu’on doit l’abroger pour en faire une autre, en français ça veut dire la même chose, mais ça aboutit au même résultat ! Enfin, si ça vous fait plaisir, franchement ça coûte pas très cher. »

Ah ah, le piège ! Ça, ça s’appelle plier sous les huées : vox populi, vox dei. Sauf que bien sûr, dans la politique contemporaine, les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Pas étonnant qu’après un tel discours, et même si on sentait bien qu’on lui avait un peu forcé la main, la frange homophobe de l’UMP ait la gueule de bois. LMPT, qui sait écrire, tweete lestement : « Allo Nicolas Sarkozy ? Pas d’abrogation, plus d’élection ! » Mais non, pauvre cruche : la seule élection où il avait besoin de vous, c’était celle de la présidence de l’UMP, et il l’a gagnée, en partie grâce au mensonge qu’il vous a fait avaler. Maintenant, il n’a plus besoin de vous ; pire : vous êtes en train de devenir un gros boulet.

Mais aussi, si vous lisiez un peu blog, les gens de la Manif pour Tous ! En novembre 2012, je vous le disais déjà, que la droite au pouvoir ne reviendrait pas sur la loi Taubira. Que non seulement les « démariages » proposés par Valérie Pécresse et d’autres étaient une absurdité totale, mais qu’il n’y aurait pas d’abrogation, et pas même de réécriture. Suivez, bon sang !

C’est d’autant plus vrai qu’à présent, tout le monde va se lâcher, à l’UMP – euh, pardon, chez les Républicains. Pécresse avait déjà bien retourné sa veste (indispensable si elle voulait gagner l’Île-de-France) ; maintenant que Sarko, donc le grand totem du parti, a fait de même, tout le reste va suivre. On va voir la différence, à droite, entre ceux qui étaient vraiment contre le mariage pour tous, par conviction, et ceux qui ne faisaient que suivre la rue : seuls les premiers vont continuer à se battre contre vents et marées, sans « rien lâcher », comme ils disent. Mais on va voir, pour ceux qui ne s’en étaient pas encore rendu compte, qu’ils sont bien peu nombreux, et que ce sont tous des gens qui n’ont aucune chance de l’emporter. Les seconds, eux, vont tous entonner le même couplet : « c’est vrai, là-dessus, j’ai changé… Ah oui, c’est vrai, j’ai réfléchi… C’est-un-sujet-sur-lequel-j’ai-évolué… On-a-bien-le-droit-de-changer-d’avis… »

Bref. Rien de surprenant dans tout ça, mais c’était quand même une bonne séquence. Comme disait Al Pacino dans L’avocat du diable : « Ah ah! Invigorating. »

dimanche 10 janvier 2016

L’UE et la démocratie sans pouvoir face au totalitarisme

Vais-je finir par me lasser ? Les exemples se suivent et se ressemblent pour confirmer ce que Tol Ardor annonce depuis des années déjà.

Un peu d’exotisme, d’abord : commençons par ce qui se passe en Pologne. Le gouvernement conservateur fraîchement élu a dans un premier temps modifié illégalement la composition du Tribunal constitutionnel du pays, sa plus haute juridiction, afin d’avoir les mains libres pour pouvoir appliquer son programme tranquillou-quillou. Ils ont bien raison : ce serait quand même bien con de se laisser emmerder par des magistrats (des « petits pois », selon Sarko, souvenez-vous) qui pinaillent sur une broutille comme la Constitution quand on a la légitimité démocratique avec soi, pas vrai ? C’est bien le principe, après tout : le peuple est souverain. Souverain, bordel ! « Souverain », ça veut dire qu’il impose sa volonté à qui il veut, et que personne ne lui impose sa volonté. Donc, les gouvernements précédents (ceux qui avaient rédigé ladite Constitution) n’ont pas à imposer leur volonté (comprenez : à emmerder) le gouvernement nouvellement élu, donc expression de la volonté populaire souveraine, qui fait donc ce qu’il veut. CQFD.

Évidemment, nos amis polonais n’allaient pas s’arrêter en si bon chemin. Il y a une dizaine de jours, ils ont également pondu une loi mettant fin aux mandats des dirigeants de la radio et de la télévision publiques. Ben oui, soyons logiques : si on met les juges au pas, autant faire pareil avec les journaleux. D’ailleurs, le chef du groupe parlementaire du parti au pouvoir, « Droit et justice » (euh, comment dire… a very poor choice of words), n’y va pas par quatre chemins : « Les médias ne pouvaient pas critiquer constamment les changements de loi mis en place par le PiS. » Ah, d’accord. Les médias publics « ne peuvent pas » critiquer le gouvernement.

Bon, mais l’Union européenne va réagir, n’est-ce pas ? C’est quand même une atteinte assez grave à la liberté de la presse et au pluralisme des médias. Qu’est-ce que vous croyez ? C’est déjà fait, mon bon monsieur ! La Commission européenne a en effet annoncé, j’espère que vous êtes assis, qu’elle allait commencer l’étude d’une procédure (faudrait quand même pas aller trop vite) afin d’évaluer les risques de « menaces systémiques envers l’État de droit » en Pologne. Pesez bien chaque mot : on va commencer à réfléchir à un truc pour évaluer le risque présenté par le gouvernement polonais. Ils doivent trembler, les types.

Ça ne vous rappelle rien ? Il y a quelques années, la Pologne, déjà elle, avait annoncé qu’elle désirait réfléchir à un rétablissement de la peine de mort. L’Union européenne avait déjà réagi avec la dernière fermeté en disant que ce n’était pas bien. Il y a aussi la Hongrie, dirigée par le gouvernement de droite dure, pour ne pas dire d’extrême-droite, tenu par Victor Orban : là encore, l’Union européenne n’a pas trouvé les moyens de réagir à sa dérive liberticide, pourtant extrêmement inquiétante.

Voilà donc un premier point : l’Union européenne est un merveilleux outil économique ; elle nous apporte une grande prospérité et un confort matériel exceptionnel. Mais elle n’est que cela : elle n’a qu’un faible pouvoir politique, non seulement sur la scène internationale, mais même envers ses propres membres. Pour ce qui est de préserver nos libertés fondamentales de l’appétit de nos dirigeants, il n’y a plus personne (sauf pour crier, bien sûr).

Et chez nous, à présent ? Parce qu’on ne va pas faire que taper sur l’Europe de l’Est ; on a aussi largement de quoi balayer devant notre porte. Eh bien chez nous, la réforme constitutionnelle voulue par l’exécutif (et, avouons-le, par 9 Français sur 10) a de bonnes chances de passer, grâce à la belle union entre le PS et l’UMP, qui tels les cochons et les hommes dans La ferme des animaux, sont de plus en plus difficiles à distinguer l’un de l’autre.

Les joyeux drilles qui nous gouvernent se lâchent de plus en plus. Ainsi, Jean-Vincent Placé, qui ne perd que rarement l’occasion de dire une connerie, propose d’étendre la déchéance de la nationalité française à tout le monde, histoire qu’elle ne soit pas réservée aux binationaux. Ça créera des apatrides, en contradiction avec les droits de l’homme et les traités internationaux ? Pas grave, on n’a qu’à modifier les traités ! Sic. Pendant ce temps, Nicolas Sarkozy, en ballottage serré avec M. Placé pour le titre de l’énormité du mois, demande que soient assignés à résidence avec bracelet électronique tous les fichés S, comme ça, juste parce qu’ils ont été fichés par les services secrets. Guillaume Larrivé, un de ses fidèles, et accessoirement député (comme quoi ça ne veut plus dire grand-chose), demande que soient déchus de leur nationalité française non seulement ceux qui auront commis des crimes terroristes, même aussi ceux qui seront condamnés pour de simples délits en la matière. Pourquoi pas ? L’avantage quand on a déjà passé les bornes, c’est qu’il n’y a plus de limites.

Pour conclure, ai-je besoin de faire un dessin ? Ce sont des gouvernements démocratiquement élus, expression de la souveraineté populaire, qui, partout en Europe, mettent en place des mesures liberticides qui ne peuvent que nous mener, à terme, vers le totalitarisme.

On ne peut même pas se réfugier derrière l’idée que nous ne serions pas dans de vraies démocraties mais dans des ploutocraties puisque, que ce soit vrai ou pas, ces mesures liberticides bénéficient d’un exceptionnel soutien de la part des populations. Le parti au pouvoir en Pologne ne fait qu’appliquer le programme sur lequel il a été élu. Quant à nous, quand plus de 80% des Français affirment soutenir les mesures projetées par le gouvernement, on ne peut pas faire semblant de croire que notre politique serait moins dangereuse pour nos libertés fondamentales si nous étions dans une vraie démocratie.


Et pour couronner le tout, l’Union européenne, qui était censée, entre autres, assurer le respect de nos grands principes politiques, s’en révèle absolument incapable. Bref, on n’a pas les couilles sorties des ronces.