jeudi 28 juillet 2016

Saint-Sarkozy

La mort, abjecte, mardi dernier, du père Jacques Hamel, à Saint-Étienne-du-Rouvray, a confirmé l’évolution du discours politique déjà observable après l’attentat de Nice : finie l’unité nationale, bonjour la polémique et la surenchère sécuritaire. Et l’opposition de droite d’enfourcher son cheval de bataille préféré : « si seulement on avait réduit encore plus nos libertés pour assurer davantage de sécurité, cet attentat n’aurait pas eu lieu. »

Que ce soit débile est une évidence. Il est clair qu’on ne peut pas protéger les dizaines de milliers d’églises en France, et moins encore la liste complète des lieux qui pourraient servir de cibles aux terroristes. De même qu’il est strictement impossible d’écouter les conversations de millions de Français (ou de résidents en France), de lire tous leurs textos, et moins encore de surveiller les pensées de tous ceux qui se radicalisent tout seuls. Impossible donc d’empêcher les attentats : soit on s’attaque à leurs causes, soit on s’habitue à vivre avec.

Mais certains réclament néanmoins plus de sécurité, même au prix de la liberté. « Quand même, des attentats, on en arrêtera toujours plus avec les lois sécuritaires que sans. » Peut-être ; et c’est sûr que si, comme l’affirme Le Monde, « le terrorisme islamiste a fait 236 morts en France en 18 mois », on comprend que certains paniquent. Mais est-ce vraiment une bonne idée pour autant ?

Examinons ce que propose Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République, et dont les chances de revenir à l’Élysée ne sont pas nulles. Il voudrait faire assigner à résidence, voire enfermer dans des centres de rétention, tous les individus fichés S ou suspects de radicalisation islamiste, et ce sur simple décision administrative, donc sans passer par un juge. C’est gros, mais ça passe, plein de gens soutiennent cette mesure. Enfermer des gens sans jugement ? Abandonner la présomption d’innocence ? Mais pourquoi pas, après tout ! Pas de réactions, le bon peuple opine.

Petit problème, ça viole la Constitution, et plus précisément son article 66, qui dispose que nul ne peut être détenu arbitrairement. Ben ouais, dans un pays qui se vante d’avoir aboli les lettres de cachets des anciens rois, ça ferait un peu désordre de les rétablir aussi évidemment. Notre Fouquier-Tinville national, ça ne le gêne pas trop, puisque pour lui, tout ça, ce sont des « arguties juridiques » (le respect de la Constitution ? des arguties juridiques ? de la part d’un ancien Président de la République ? Bon.)

Mais il faut compter avec le Conseil constitutionnel, qui peut retoquer une loi violant la Constitution. Heureusement, tandis que Sarko envisage carrément que la France se retire de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, un de ses conseiller a trouvé la parade : « Il faut le tenter ! Et si cela ne passe pas le cap du Conseil constitutionnel, révisons l’article 66. »

Là, tout est dit, je crois. Les politiciens de notre pays (aujourd’hui de droite, mais quand ce sera eux qui seront au pouvoir et qu’il y aura toujours des attentats, le PS ne manquera pas de demander exactement la même chose) affirment sans honte, sans frémir, d’abolir les derniers remparts qui protègent nos droits, nos libertés, et tout simplement la possibilité même de toute justice.

C’est lassant d’avoir si constamment raison. Tout cela confirme non seulement les pronostics de Tol Ardor quant à l’évolution liberticide de nos sociétés, mais également nos analyses politiques : décidément, les libertés fondamentales n’ont pas grand-chose à voir avec la démocratie. Elles peuvent parfaitement exister en-dehors d’un régime démocratique ; inversement, la démocratie s’accommode très bien de leur disparition progressive. Et rien ne servirait de convoquer le caractère éventuellement non démocratique de notre société : en l’occurrence, le peuple est parfaitement d’accord avec les élites pour réduire les libertés formelles.

Ceux qui soutiennent ce genre de mesure devraient réfléchir au fait qu’en pavant ainsi la voie à de futurs totalitarismes, ils se mettent eux-mêmes en danger : le principe même du totalitarisme, c’est que personne n’est jamais innocent face à l’État. Ceux qui se disent que, n’ayant rien à se reprocher, ils n’ont rien à craindre, devraient étudier l’Histoire : les SA ont été massacrés par Hitler alors même qu’ils l’avaient porté au pouvoir ; Staline a exterminé méthodiquement l’essentiel des révolutionnaires de 1917 et des anciens camarades de Lénine.

En France aussi, nous avons eu une expérience qui, sans relever du totalitarisme (car à l’époque, ils n’avaient pas les moyens techniques de leurs objectifs), relevait d’une ambition totalitaire. Ça a commencé entre septembre 1792, avec les massacres de masse et sans procès de nombreuses personnes dans les prisons de Paris, et mars 1793, avec la création du Tribunal révolutionnaire. Ça s’est terminé le 28 juillet 1794 avec l’exécution de Robespierre, de Saint-Just et de nombre de leurs proches. Ça s’est appelé la Terreur.

La Terreur a eu à cœur, elle aussi, de « lutter contre l’ennemi de l’intérieur », de « gagner la guerre déclarée à la France par les ennemis de la Patrie ». Et elle aussi a fait de jolies lois. Le 17 septembre 1793, la « loi des suspects » déclare comme tels tous ceux qui se sont montrés « ennemis de la liberté », et cela que ce soit « par leur conduite, par leurs relations, par leurs propos ou par leurs écrits ». Sont également suspects les anciens nobles, bien sûr, mais aussi tous les membres de leurs familles. Toutes ces personnes doivent être arrêtées immédiatement. Ça vous rappelle quelque chose ?

Le 10 juin 1794, la loi de prairial ouvre la « Grande Terreur ». Elle prive les accusés du droit à une défense ainsi que du droit de recours. Le Tribunal révolutionnaire n’a plus le choix qu’entre l’acquittement et la mort. Pour être déclaré « ennemi du peuple », il suffit d’inspirer le découragement, de chercher à dépraver les mœurs (tient, ça doit plaire au cardinal Vingt-Trois, qui trace des parallèles entre les terroristes et la légalisation du mariage homo) ou encore « d’altérer la pureté et l’énergie des principes révolutionnaires ». Aujourd’hui comme à l’époque, le flou de la loi est un outil pour pouvoir englober tout le monde dans la répression.


Alors, la Terreur pour répondre au terrorisme ? Je sais bien qu’à l’heure actuelle, certains, et même des qui d’ordinaire ne sont pas de grands amis de Saint-Just, de Robespierre ou de la révolution française en général, se mettent tout d’un coup à prôner pour nous, aujourd’hui, exactement ce qu’ils faisaient à l’époque. Mais la dernière fois qu’on a essayé, il y a eu 17 000 guillotinés, entre 25 000 et 30 000 fusillés, et peut-être 100 000 morts en tout. 83 morts par jour en moyenne. Vous êtes sûrs que vous voulez retenter l’expérience ?

jeudi 14 juillet 2016

Petit bilan de santé de la liberté d’expression

La liberté d’expression n’est pas au mieux de sa forme, chez nous, ces temps-ci. Bien sûr, contrairement à ce qu’on entend ici ou là (trop souvent), nous ne sommes ni dans un totalitarisme, ni même dans une dictature ; il ne faut pas abuser de ces concepts, sinon ils perdront tout leur sens, et alors comment ferons-nous pour reconnaître ces tristes réalités quand elles reviendront ? Je ne serai pas dans un camp demain pour avoir écrit ce billet. Et pourtant.

Dernièrement, nous avons eu une belle illustration des menaces qui pèsent sur ce droit fondamental à travers la polémique déclenchée par une œuvre de street art réalisée à Grenoble par l’artiste Goin et intitulée « L’État matraquant la liberté ». Cette fresque murale, la voici :



Elle a été réalisée dans un double contexte. D’une part, évidemment, celui auquel l’artiste fait explicitement référence : les manifestations contre la loi travail et leur répression, parfois très dure, par le gouvernement et les forces de l’ordre. Et d’autre part, le contexte non prévu par le peintre, celui de l’assassinat de deux policiers à Magnanville au nom de l’islam radical.

Les choses sont parfaitement claires. Cette fresque appelle-t-elle à la haine ou à la violence ? Non. Insulte-t-elle publiquement quelqu’un ? Diffame-t-elle quelqu’un ? Est-elle attentatoire à la vie privée de quelqu’un ? Non. Donc tout est simple, l’auteur avait le droit de réaliser cette affiche, et nul ne peut prétendre la faire interdire. On peut la trouver choquante eu égard au contexte, bien sûr, même si ce n’est pas mon cas ; mais bon, il serait impensable d’en faire une raison pour l’interdire.

Impensable ? Non, en fait, et c’est bien ça le problème. De nombreuses voix se sont au contraire élevées pour réclamer une telle interdiction. Parmi elles, un élu de la République, qui se dit « gêné » par cette liberté d’expression. Et là… là on reste un peu muet. Que dire devant cela ? Que répondre ? Si un élu peut dire une chose pareille et rester en place, n’est-ce que c’est déjà trop tard, que les masses ont déjà acté, au fond, la fin de la liberté d’expression, et de tant d’autres droits fondamentaux ?

Ce n’est pas un cas isolé, bien sûr. Au Luxembourg, la condamnation de deux lanceurs d’alerte à de la prison avec sursis montre bien que les intérêts économiques des entreprises privées priment déjà à la fois les libertés individuelles et la défense de l’intérêt général. La décision contraire, dans une autre affaire, de la Cour de cassation française est évidemment une bonne nouvelle, mais il ne faut pas trop pavoiser : d’une part parce que si la France est seule à accorder un statut un peu protecteur aux lanceurs d’alerte, ça ne vaudra pas grand-chose ; d’autre part parce que, même ici, les lobbies industriels et financiers ont les moyens, à terme, de faire évoluer la législation dans leur sens. Ce n’est pas chez nous qu’Edward Snowden a trouvé refuge ; « la-France-pays-des-droits-de-l’homme », c’est du passé.

Enfin, il ne faut pas oublier que la liberté d’expression perd en efficacité à mesure qu’elle s’applique moins de manière effective. C’est pourquoi je me suis toujours opposé à ceux qui d’une main se posaient en défenseurs de ce droit fondamental, et de l’autre appelaient à l’autocensure sous couvert de « retenue », de « respect », de « ne-pas-jeter-de-l’huile-sur-le-feu ». Ils se sont fait entendre, notamment, lors des attentats contre Charlie Hebdo : souvenez-vous comme on entendait avec récurrence le couplet du « oui-mais-quand-même-ils-l’ont-un-peu-cherché ».

Mais ils ne sont pas les seuls à être d’accord avec la liberté d’expression tant qu’elle reste un principe désincarné, mais la refusent dès lors qu’elle prend chair. Les puissances de l’argent, en collusion avec le monde politicien, n’utilisent pas seulement les condamnations judiciaires pour faire taire les voix qui s’opposent à elles ; parfois, une euthanasie plus douce, plus lente, plus insidieuse leur semble plus efficace.

J’ai déjà dit tout le mal que je pensais de la disparition du Petit journal, une des rares émissions de télé qui embêtaient vraiment les oligarques, les riches, les puissants, et dénonçait leurs incohérences, leurs mensonges, leurs conflits d’intérêts. L’hécatombe continue sur Canal + : le Zapping et Spécial investigation disparaissent également. C’est beaucoup moins anecdotique qu’il n’y paraît de prime abord. Le Zapping, par exemple, dénonçait, bien que de manière subtile et discrète, à la fois les maux de notre société en général et ceux dont souffrent les médias et la télévision en particulier : baisse du niveau des émissions, prédominance des micros-trottoirs et de la télé-réalité etc.

En faisant disparaître ces émissions, Vincent Bolloré, ami de Nicolas Sarkozy, grand patron de droite engagé politiquement pour la défense de ses seuls intérêts privés, contribue donc à la diminution effective de la liberté d’expression : il ne l’attaque pas sur le principe, mais il utilise son argent pour faire taire des voix qui lui déplaisent. Il les achète, puis, comme il les possède, il les tue en toute légalité.


La liberté d’expression est donc de plus en plus cernée : elle l’est en tant que principe, elle l’est en tant que réalité concrète et appliquée ; elle l’est par les puissances politiques, elle l’est par les puissances de l’argent. Ce soir du 14 juillet est l’occasion de rappeler que, dans la plupart des domaines, nos libertés ne progressent plus : elles régressent. Et ce qui vient de se passer à Nice ne sera qu’un pas de plus dans cette funeste direction ; on peut déjà prévoir la prolongation de l’état d’urgence et de nouvelles lois sécuritaires. Bref, estimons-nous heureux de pouvoir encore publier des bilans de santé de la liberté d’expression : bientôt, il se pourrait que nous ayons à rédiger un faire-part de décès.

lundi 4 juillet 2016

Où va l’Union européenne


Les conséquences du Brexit sont si incertaines qu’au départ, je ne voulais même pas en parler ici. On ne sait même pas, au fond, si le Royaume-Uni va vraiment sortir de l’Union européenne, ni, le cas échéant, dans quelle mesure, ni surtout à quel rythme. En droit anglais, le référendum n’existe pas vraiment et ne saurait, a priori, être contraignant ; la démocratie britannique n’est que représentative. Logiquement, Westminster aurait donc à valider le Brexit. Le fera-t-il ? Rien n’est moins sûr.

De même, l’Union européenne est impuissante : c’est au Royaume-Uni d’envoyer la lettre demandant la sortie de l’Union ; tant qu’il ne le fait pas, aucun processus de sortie n’est seulement enclenché. David Cameron s’y est d’ores et déjà refusé ; le suivant agira-t-il ? Et quand ? Et s’il le fait, qu’en sera-t-il du marché commun (le principal) ? On n’en sait rien. Des formalités pour les voyageurs ? Idem. Du statut des étudiants ou des travailleurs ? Même topo. Bref, on nage en plein brouillard (c’est le cas de le dire). Cette histoire peut encore prendre des années pour aboutir, si tant est qu’elle aboutisse, et le plus probable est, au fond, que ça ne change pas grand-chose ni pour les Britanniques, ni pour les autres ressortissants de l’Union.

Pas de quoi, donc, fouetter un chat ; pas encore, du moins. Mais ce qui est intéressant dans cette affaire, ce ne sont pas tant les événements en eux-mêmes que ce qu’ils révèlent du point de vue de l’évolution des mentalités.

Évidemment, la première leçon qui vienne à l’esprit, c’est la défiance des citoyens européens envers les institutions de l’UE : perçues comme technocratiques, nommées de manière obscure et certainement pas démocratique, au fonctionnement opaque, éloignées de la vie et des besoins réels des citoyens de base, soumises aux lobbies industriels et financiers et aux puissances de l’argent, elles sont complètement décrédibilisées. En témoigne, sur le sujet, une réelle rupture entre les élites et les citoyens sur la question européenne. Interrogez les parlements nationaux (toujours composés, comme on le sait bien, d’une oligarchie locale), ils diront systématiquement oui à l’Union telle qu’elle va. En revanche, interrogez les peuples, n’importe quel peuple (les Français, les Irlandais, les Néerlandais, les Britanniques) : depuis le début des années 2000, ils disent toujours non. Morale : les élites voient l’UE comme un atout, une force, un avantage ; les peuples la voient comme une menace, un danger. Mais cela, ce n’est pas nouveau : on le sait au moins depuis le rejet du traité constitutionnel de 2005.

Ce qui est plus intéressant, c’est que le Brexit, ce n’est pas seulement un vote de défiance envers l’ensemble géo-politico-économique qu’est l’Union européenne et envers ses institutions ; c’est aussi un saut dans l’inconnu. Parce que tout de même, depuis 1957 et le traité de Rome, une telle chose ne s’était jamais produite. Durant toute l’histoire de la CEE, puis, depuis 1992, de l’UE, il n’y a eu que des élargissements ; jamais personne n’est parti. Les Britanniques ont donc fait le choix d’une certaine audace, en particulier du point de vue économique.

C’est encore plus intéressant quand on rapproche la situation anglaise de ce qui s’est passé en Espagne. Les Espagnols, rappelés récemment aux urnes suite à l’absence de majorité claire issue des dernières législatives, n’ont pas confirmé la percée amorcée de Podemos, le parti issu du mouvement des Indignés. Or, cela aussi aurait été un saut dans l’inconnu : la sortie du bipartisme, l’arrivée sur la scène politique de nouvelles têtes, pour l’essentiel des non professionnels, des gens qui ne sortent pas du sérail et qui portent des idées souvent novatrices, hétérodoxes, originales.

La différence entre les deux situations ? Podemos représentait un saut dans l’inconnu en direction de la gauche radicale. Je ne dis pas que leur programme est franchement marxiste-léniniste, mais enfin, il est clairement ancré à gauche. Le Brexit, lui, était au contraire porté par la droite radicale et europhobe. Bien sûr, il y a des eurosceptiques de gauche (nous en avons de bons exemples en France), mais ils assument rarement leur euroscepticisme et affichent plutôt un désir de réformer – voire de refonder – l’UE que de la quitter : fondamentalement, le franc repli national et patriote contre l’élargissement européen est un marqueur d’une frange de la droite radicale.

La leçon à en tirer, c’est donc que les peuples européens semblent plus prêts à un saut dans l’inconnu d’extrême-droite que dans l’inconnu d’extrême-gauche. On me dira que ce n’est pas précisément une surprise : l’évolution de la Hongrie, de la Pologne, voire de l’Autriche et de plusieurs autres pays d’Europe de l’Est, mais aussi la montée des populismes en Europe de l’Ouest, en étaient déjà des signes clairs. Mais c’en est tout de même une confirmation inquiétante.

Contrairement à l’impression que je donne parfois, je ne suis pas opposé à la construction européenne. Je ne suis certainement pas europhobe : je me sens au contraire très européen. Je crois en l’unité européenne, celle de la culture : le double héritage gréco-latin et judéo-chrétien, les langues indo-européennes en quasi-exclusivité, une histoire commune. Je trouve normal et bon que cette unité s’exprime dans des formes politiques et économiques, des institutions communes, des échanges sans taxes, la liberté de circulation des personnes et des biens, des politiques communes, une monnaie commune même.

En revanche, je suis « eurosceptique » (radicalement même) au sens où j’exècre la construction européenne telle qu’elle se fait. Pour lutter contre le dumping social et environnemental, l’Europe devrait être protectionniste ; au contraire, elle cède à toutes les sirènes du néo-libéralisme. Elle devrait, grâce à ce protectionnisme, être capable de niveler par le haut les salaires et la protection sociale et environnementale ; au lieu de cela, elle se lance dans une course à la compétitivité perdue d’avance contre les pays d’Asie de l’Est et du Sud. Enfin, pour ce qui est de la politique, je ne suis pas spécialement favorable à ce que les institutions européennes deviennent plus démocratiques (la démocratie, on voit où elle nous mène, et à qui les peuples choisissent de plus en plus de donner le pouvoir) ; en revanche, il faudrait arracher Bruxelles au pouvoir des lobbies et des intérêts économiques, industriels et financiers. Il est aberrant de constater que, pour un produit aussi évidemment dangereux que le glyphosate, c’est l’UE qui pousse à sa réintroduction alors que ce sont les États qui résistent. C’est le signe clair de l’échec du projet européen.

Pas étonnant, donc, que les citoyens européens sanctionnent un projet qui est si manifestement en panne. Le problème, c’est que si l’UE telle qu’elle se fait est à l’évidence gravement malade, celle qui devrait se faire ne se profile même pas à l’horizon. Ce qui semble nous arriver dessus, bien au contraire, c’est une Europe encore pire que celle que nous avons : une Europe faite de nationalismes populistes, autoritaires et sécuritaires, sans respect ni pour la nature, ni pour les acquis sociaux, ni pour les droits de l’homme. C’est pour cela que, bien qu’il ne soit pas possible de soutenir ou de promouvoir l’Union européenne telle qu’elle existe, il n’y a pas non plus lieu de se réjouir de ses insuccès : parce qu’il n’y a rien de mieux derrière. Derrière, il y a juste encore pire.