dimanche 15 avril 2012

Qui veut gagner des bulletins ?


A une semaine du premier tour de l’élection présidentielle, il est temps de se demander pour qui on va voter. Il faut se poser deux questions : qui voudrions-nous voir arriver au pouvoir ? Qui a des chances d’arriver au pouvoir ? La réponse à ces deux questions, malheureusement, n’est pas du tout la même.

Qui voudrions-nous voir arriver au pouvoir ? Il est évident qu’il n’y a pas de candidat ardorien. Il n’y a même pas de candidat qui porte une vision véritablement lucide de la crise que nous traversons, en particulier de son aspect écologique : aucun n’assume l’idée de décroissance, sans même parler de réduction technologique. Puisque les meilleurs ou les moins mauvais des candidats ânonnent l’idylle de la croissance verte et du développement durable, il nous faut choisir le moindre de plusieurs maux.

Pour autant, il serait dangereux de se détourner de cette élection sur ce prétexte ou sur celui qu’elle serait jouée d’avance : car entre deux maux, l’un peut très bien être bien pire que l’autre. Autrement dit, nous avons un vrai choix devant nous : entre la dengue et le choléra, je choisis la dengue, même si elle n’est pas précisément une partie de plaisir.

Alors ? Qui parle (même pas très adroitement) des problèmes auxquels nous devons faire face ?

Laissons un moment l’économie de côté pour nous concentrer sur l’écologie. On peut déjà dire qui n’en parle pas. Le sortant, pour qui, on l’a bien compris, « l’écologie, ça commence à bien faire ». Et son principal adversaire, qui est un des responsables socialistes les moins intéressés par cette question (il a bien précisé à quel point il ne se sentait pas lié par l’accord conclu par son parti avec EELV).

Du côté des candidats suivants, ce n’est guère mieux. Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan n’ont pas un mot là-dessus. François Bayrou non plus, obsédé par la seule question de la dette publique. Philippe Poutou et Nathalie Arthaud (et alors que cette dernière semble plutôt plus intelligente que la moyenne) non plus, obsédés par la seule question sociale. Enfin, Jacques Cheminade, qui semble pourtant, lui aussi, être un homme intelligent et cultivé, s’imagine qu’on réglera les problèmes posés par la technique moderne par encore plus de technique.

Restent donc Eva Joly et Jean-Luc Mélenchon. Évidemment, aucun d’entre eux n’a la moindre chance d’accéder au second tour, sans même parler du pouvoir suprême.

Dans ces conditions, que faire ? Cette fois-ci, l’argument du vote utile ne tient en faveur de personne. Il est certain que François Hollande arrivera au second tour, donc inutile de voter pour lui au premier ; et il est tout à fait capable de battre Sarkozy au second, donc inutile de le remplacer par Bayrou en votant pour ce dernier au premier tour (ce qui était la seule stratégie possible en 2007).

Entre Eva Joly et Jean-Luc Mélenchon, pour ma part, mon choix est fait : je voterai Jean-Luc Mélenchon. Non pas que ce candidat m’enthousiasme outre mesure. Non seulement il reste, comme je l’ai dit, finalement assez tiède en matière d’écologie, mais son programme économique me laisse particulièrement perplexe. Je suis plutôt d’accord avec lui sur le fond des mesures qu’il propose, mais je ne pense pas qu’elles soient applicables sans des évolutions très radicales (sortie de l’euro et probablement de l’Union européenne, mesures coercitives contre les plus riches etc.) que, pour le moment, il n’assume pas. Mais il a fait une bonne campagne, quand Eva Joly en a fait une très mauvaise. C’est un meneur d’hommes, ce qu’Eva Joly n’est pas.

Ne nous méprenons pas : j’ai infiniment de respect et beaucoup d’affection pour elle ; mais l’élection présidentielle, ce n’est pas qu’une affaire d’intégrité, de droiture ou de bonnes idées. C’est aussi une affaire de personne et de caractère. Eva Joly aurait été parfaite dans l’équipe de Jean-Luc Mélenchon, justement. Ce n’aurait pas été très difficile : les propositions des deux partis ne diffèrent pas tant que ça sur l’essentiel, quand on prend la peine de lire leurs programmes. Et la candidature d’EELV serait revenue à Nicolas Hulot, qui aurait été bien plus rassembleur, et à qui le parti était allé faire la danse des sept voiles avant de lui imposer une primaire, finalement.

Il y a une dernière bonne raison de voter Mélenchon plutôt que Joly, et c’est qu’il n’est sans doute pas mauvais qu’EELV prenne une bonne claque à cette élection. Ils veulent jouer au grand parti de gouvernement, mais ils n’ont aucune maturité politique. Ils ont sabordé la campagne de leur candidate. Ils s’imaginent que renier leurs idéaux pour faire de la realpolitik va leur apporter des voix. Autant leur montrer le contraire.

samedi 7 avril 2012

Bienvenue à Gattaca !

Commençons par dire les choses clairement : je ne suis pas un adversaire radical de l’avortement. Je considère que, jusqu’aux premiers signes d’activité du système nerveux central, c’est-à-dire pas avant la 8e semaine de grossesse, l’embryon n’est pas un être humain, et que les parents (en dernière analyse la mère, puisqu’il faut bien que quelqu’un tranche en cas de désaccord) sont libres de le garder ou non, quels que soient les motifs de leur décision.

Pour autant, il est permis de se demander si certains de ces motifs ne comportent pas certains risques. Prenons l’exemple de la trisomie 21. Je me représente à quel point élever un enfant trisomique doit être difficile, et je ne jetterais certainement pas la pierre à un couple qui déciderait d’avorter dans ce cas avant la 10e semaine d’aménorrhée. Cela étant, puisque 97% des enfants ou des embryons porteurs de la trisomie 21 « bénéficient » aujourd’hui d’une IMG, on peut dire qu’on a fait d’une maladie jamais mortelle, qui ne fait pas souffrir ceux qui en sont porteurs, et qui ne réduit pas sensiblement leur espérance de vie, une maladie mortelle dans 97% des cas. Cela pose à tout le moins question.

Comme le remarquait aujourd’hui dans Le Monde Science et techno le chirurgien Laurent Alexandre, le risque est réel qu’on passe rapidement de « l’élimination du pire » à « la sélection du meilleur ». Et après tout, pourquoi pas ? La plupart des gens ne verront pas le problème moral : ne serions-nous pas plus heureux sans la myopie, les fragilités cardiaques ou les risques d’arthrose ?

Telle était la question posée dans l’excellent film Gattaca. Il montrait de manière lumineuse que, si l’eugénisme finit par être accepté socialement, il cessera d’être un choix pour devenir très rapidement une obligation : ceux qui seraient nés autrement, étant fatalement porteurs de plus de faiblesses, de fragilités, de « défauts » que les autres, ne pourraient qu’être stigmatisés. Soit la société deviendrait fortement inégalitaire, les personnes nées naturellement devenant une sous-classe dépréciée socialement ; soit l’eugénisme concernerait l’intégralité de la population, mais c’est alors que, justement, il cesserait d’être un choix librement consenti pour devenir une obligation sociale.

Devant la complexité et la subtilité de ce questionnement moral, je crois qu’il faut voir ou revoir ce film, et ne se poser qu’une question : est-ce dans cette société que nous voulons vivre ? Il est urgent de se la poser, car cette société, il semble bien que nous y allions.