Commençons par dire les choses clairement : je ne suis
pas un adversaire radical de l’avortement. Je considère que, jusqu’aux premiers
signes d’activité du système nerveux central, c’est-à-dire pas avant la 8e
semaine de grossesse, l’embryon n’est pas un être humain, et que les parents
(en dernière analyse la mère, puisqu’il faut bien que quelqu’un tranche en cas
de désaccord) sont libres de le garder ou non, quels que soient les motifs de
leur décision.
Pour autant, il est permis de se demander si certains de ces
motifs ne comportent pas certains risques. Prenons l’exemple de la trisomie 21.
Je me représente à quel point élever un enfant trisomique doit être difficile,
et je ne jetterais certainement pas la pierre à un couple qui déciderait
d’avorter dans ce cas avant la 10e semaine d’aménorrhée. Cela étant,
puisque 97% des enfants ou des embryons porteurs de la trisomie 21
« bénéficient » aujourd’hui d’une IMG, on peut dire qu’on a fait
d’une maladie jamais mortelle, qui ne fait pas souffrir ceux qui en sont
porteurs, et qui ne réduit pas sensiblement leur espérance de vie, une maladie
mortelle dans 97% des cas. Cela pose à tout le moins question.
Comme le remarquait aujourd’hui dans Le Monde Science et techno le chirurgien Laurent Alexandre, le
risque est réel qu’on passe rapidement de « l’élimination du pire » à
« la sélection du meilleur ». Et après tout, pourquoi pas ? La
plupart des gens ne verront pas le problème moral : ne serions-nous pas
plus heureux sans la myopie, les fragilités cardiaques ou les risques d’arthrose ?
Telle était la question posée dans l’excellent film Gattaca. Il montrait de manière
lumineuse que, si l’eugénisme finit par être accepté socialement, il cessera d’être
un choix pour devenir très rapidement une obligation : ceux qui seraient
nés autrement, étant fatalement porteurs de plus de faiblesses, de fragilités,
de « défauts » que les autres, ne pourraient qu’être stigmatisés. Soit
la société deviendrait fortement inégalitaire, les personnes nées naturellement
devenant une sous-classe dépréciée socialement ; soit l’eugénisme
concernerait l’intégralité de la population, mais c’est alors que, justement,
il cesserait d’être un choix librement consenti pour devenir une obligation
sociale.
Devant la complexité et la subtilité de ce questionnement moral,
je crois qu’il faut voir ou revoir ce film, et ne se poser qu’une question :
est-ce dans cette société que nous voulons vivre ? Il est urgent de se la
poser, car cette société, il semble bien que nous y allions.
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