mardi 25 mars 2014

Pourquoi je n'aime (décidément) pas (trop) le tirage au sort en politique


On me dit dans l’oreillette que, dans ma précédente chronique, je n’ai pas bien répondu aux défenseurs du tirage au sort. Tous ne proposent pas que quelques dirigeants soient tirés au sort (échec assuré), certains veulent plutôt une assemblée de gens tirés au sort. Arguments à l’appui :

1/ Puisqu’il y aura toute une assemblée, donc des dizaines ou des centaines de personnes, il y en aura bien des compétentes et des intelligentes dans le lot, et la discussion entre tout ce beau monde sera le meilleur moyen de faire émerger de bonnes idées.

2/ Contrairement aux élus, les tirés au sort ne peuvent pas travailler à la réélection de leur camp, et se consacrent donc à l’intérêt général.

3/ Comme l’assemblée est tirée au sort, les citoyens se méfient instinctivement d’eux, mais cette méfiance est salutaire car elle justifie le contrôle de l’institution et l’obligation pour elle de rendre des comptes aux citoyens, pendant leur mandat ou à la fin de celui-ci.

4/ Parce qu’elle est donc étroitement contrôlée, encadrée, surveillée, elle ne se consacre pas à des intérêts particuliers, et (re)travaille donc à l’intérêt général.

C’est très séduisant sur le papier, mais je crains que ça ne méconnaisse deux choses.

a) Plus l’assemblée sera nombreuse, plus elle sera à même de faire émerger des idées, le nombre d’individus tendant a priori à compenser l’incompétence de la plupart. De nombreuses personnes, avec la diversité de leurs idées, de leurs histoires, de leurs expériences, de leurs croyances, pourrait être à même de faire émerger des idées. Mais, et c’est là le problème majeur, elle sera aussi moins à même de trancher : plus il y aura de personnes dans l’assemblée, plus il sera difficile de les mettre d’accord ou simplement de prendre une décision. La compétence et l’efficacité de l’assemblée tirée au sort seraient donc inversement proportionnelles. Un équilibre satisfaisant me semble difficile à trouver.

b) On croit souvent qu’un groupe sans hiérarchie officielle, affichée, fonctionne de manière horizontale, sans structures de pouvoir ou de domination. C’est faux, car c’est malheureusement contraire à la nature humaine. Quand les hiérarchies ne sont pas affichées, codifiées, données d’emblée, elles se récréent sous une forme officieuse qui n’est pas moins terrible. Dans une assemblée de gens tirés au sort, les rapports de pouvoir, de hiérarchie, de domination vont fatalement se recréer : il y aura ceux qui parleront plus fort, ceux qui seront de meilleurs orateurs, ceux qui seront plus sympathiques, ceux qui seront plus beaux, ceux qui seront plus cultivés, ceux qui seront plus charismatiques ; et il y aura les autres. Un fonctionnement prétendument horizontal recrée toujours de la verticalité, et parce que ces nouveaux rapports de pouvoir ne sont pas affichés, il est beaucoup plus difficile de les penser, de les dire, et donc de les contourner ou de les remettre en question. À ceux qui n’en seraient pas convaincus, je conseille la lecture des Dépossédés, d’Ursula Le Guin.

Bref, je préfère encore le système ardorien, qui est un système délibératif et participatif (à toutes les échelles, ce qui permet de faire émerger les idées) mais autoritaire (ce qui permet de trancher les débats et de prendre des décisions de manière efficace).

lundi 24 mars 2014

Municipales : le bon peuple a raison, le bon peuple a toujours raison


En salle de profs, croyez-moi, ça ne parle plus de la nullité crasse de la 2nde 19 ou de l’insolence sidérante du petit Karim Ousseni (ou du petit Kévin Vergel si on n’enseigne pas à Mayotte). Là, on est repassés aux choses sérieuses, aux grandes choses, on est remontés dans les hautes sphères de la politique et on parle des municipales. Les mines sont graves, soucieuses, cette abstention ! ces scores du FN ! Moi, je rigole comme un bossu.

Comment diable mes collègues peuvent-ils être encore surpris ? D’accord, les sondages nous avaient préparés à la claque, mais pas à son ampleur ; mais enfin, s’il y a des gens qui devraient pouvoir jouer les Pythies modernes, ce sont bien les profs ! Ceux qui, aujourd’hui, restent chez eux les dimanches électoraux (et dont, pour cette fois, je précise que j’ai fait partie), ou qui vont voter FN, ont tous défilé dans nos classes. On les connaît, les futurs électeurs : ce sont nos élèves ! Tout le corps enseignant ou presque passe sa vie à se lamenter sur le niveau qui baisse, sur les élèves qui ne savent plus écrire, pour qui un livre est un objet aussi exotique qu’un billet de 500 euros, l’attrait en moins, sur leur incapacité incurable à faire preuve de recul, d’analyse, d’esprit critique, de rigueur ; comment s’étonnent-ils ensuite que ça donne des électeurs qui élisent ou réélisent Copé, Woerth ou Briois dès le premier tour ? Qu’est-ce qu’ils croient, que le bac qu’on leur offre leur confère à tous, subitement, une intelligence et une culture politique hors du commun ?

Il y a quelques années, j’avais une collègue nettement plus lucide que la moyenne. Une prof de lettres classiques – ça doit aider. On parlait du vide sidéral qui semblait s’étendre entre les deux oreilles de Sarkozy, et on en était venus à l’idée qu’un type qui s’exprimerait comme Mitterrand ne pourrait plus être élu dans les années 2010. Mais pour elle, c’était normal. Elle disait que, le peuple étant largement con, il était légitime qu’il fût gouverné par un con à son image. Parce que les intellectuels étaient une minorité, elle aurait trouvé anormal qu’ils se trouvassent au pouvoir. Je ne peux pas dire que j’approuve ses conclusions, mais au moins je dois lui reconnaître ceci : c’est une des très rares démocrates cohérentes qu’il m’ait été donné de rencontrer.

Parce qu’en général, les gens sont démocrates, mais pas trop quand même : tant que le peuple vote comme eux, tout va bien, la Justice, le Droit et la Démocratie triomphent ; mais dès que le peuple vote autrement, c’est fini, tout part à vau-l’eau, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche, donc il faut trouver des coupables.

Évidemment, ce n’est jamais, jamais la faute du peuple, ça ne se peut pas. Le peuple a raison ; le peuple a toujours raison ; le peuple a toujours raison, même quand il a tort, d’ailleurs il ne peut pas avoir tort. Sinon, ça conduirait à remettre en cause le système démocratique lui-même, or c’est forcément Le-Souverain-Bien. Si le PS (le centre-droit), l’UMP (la droite dure) et le FN (la droite qui pourrait nous faire regretter même Copé) se partagent joyeusement les voix et les pouvoirs, c’est à cause d’un autre ennemi.

Mais alors qui ? Les médias servent souvent de bouc émissaire. D’abord, on les accuse de mentir, d’être stupides, de mal évaluer les phénomènes. Hier, par exemple, plein de gens très bien de ma connaissance jouaient aux trois petits singes en se répétant comme un mantra que non non, tout va très bien, madame la marquise, le FN ne progresse pas, c’est du pipeau, c’est les journaleux qui montent ça en épingle tellement ils sont cons tellement ils ont rien à dire tellement ils veulent le retour de Sarko, ah les chiens.

Si d’aventure on leur montre que, ben si, le FN progresse, qu’il progresse vraiment, nos petits singes ont encore moyen de se retourner contre les médias, puisque si le FN progresse, c’est parce qu’ils ont « banalisé leur discours » (et si les médias ont banalisé le discours du FN, à ton avis, ce n’était pas un peu parce qu’il se banalisait déjà très bien tout seul dans la population ? ah non ? ah bon, c’est un complot alors, je ne vois plus que ça.)

Autre coupable tout désigné : les politiciens eux-mêmes, puisqu’ils dégoûtent les gens en étant tous pourris. C’est vrai qu’ils sont très pourris, rien à redire là-dessus. Mais je répondrai quand même deux choses. La première, c’est que le pourrissement des élites est, à mon avis, une conséquence naturelle et malheureusement inéluctable du système démocratique lui-même. La seconde, c’est que si, par dégoût de gens malhonnêtes et inefficaces, le peuple vote pour des gens qui ne seront pas plus honnêtes ni plus efficaces, mais qui en plus seront dangereux, ce n’est pas franchement une preuve de son intelligence ni de sa compétence politique.

D’autres pointent le manque d’éducation : si le peuple était éduqué, il voterait bien (bien = comme le locuteur, suivez un peu, bordel !). Et si ma tante en avait, ce serait mon oncle. Peut-être faudrait-il s’interroger un peu sur la seule possibilité d’entraîner une large majorité de la population vers l’intelligence politique. Perso, j’en doute.

Enfin, dernier coupable idéal : le Système, qui ne serait – admirez l’astuce ! – pas assez démocratique. Tadaaam !!! Les gens de gauche ont piqué leur argument principal aux libéraux : si tout va mal, ce n’est pas à cause de la démocratie, non, c’est justement parce qu’on n’aurait pas assez de démocratie. Bon sang, mais c’est bien sûr ! C’est parce qu’on est au milieu du gué qu’on a encore les pieds mouillés.

Alors évidemment, on leur demande que faire pour rendre le système plus démocratique et meilleur. Assez peu (c’est rassurant) proposent une démocratie directe, tant ils voient bien qu’à 65 millions, elle serait complètement inapplicable. Il y en a bien qui proposent plus de proportionnelle, parce que de toute évidence ce serait plus démocratique, mais les expériences malheureuses de la IVe République ou même de l’Italie actuelle refroidissent un peu les enthousiasmes : on sent revenir le régime des partis, les petits arrangements, le blocage perpétuel. Alors arrive la vraie grosse bonne idée : le tirage au sort. De toute évidence, c’est ce qui est le plus démocratique possible, bien plus encore que la proportionnelle. Plus de partis, plus de représentants, plus d’intermédiaires, et, par les lois de la statistique et des probabilités, des dirigeants vraiment représentatifs de leurs administrés.

Bon. À ce stade, j’en reviens au début de ce billet : pour voir défiler les futurs citoyens, je n’ai pas franchement envie, à vrai dire, qu’on tire au sort ceux qui vont décider des lois ou les faire appliquer. Mais ça, c’est chacun qui voit.

Un dernier mot pour finir. Les Grands Démocrates qui-veulent-réformer-pour-aller-vers-encore-plus-de-démocratie ont souvent un exemple qu’ils ressortent à tire-larigot, qui est un peu leur terre promise où coule (ou plutôt coulait) le lait et le miel : Athènes au Ve siècle av. J.-C. Je devrais me réjouir : tout ne se perd pas dans nos cours de 6e et de 2nde. Mais il faut quand même rappeler aux apologistes d’Aristote et de Périclès deux ou trois faits historiques.

Le premier, c’est que la démocratie athénienne n’était que partiellement directe. Les lois étaient certes votées par l’Ecclésia, mais elles étaient préparées par un conseil, la Boulè, qui ne laissait pas passer n’importe quoi. Un citoyen ne pouvait pas se lever et proposer une loi n’importe comment.

Le deuxième, c’est que la démocratie athénienne était tout ce qu’il y a de plus ploutocratique : les riches y étaient extrêmement favorisés. On tirait au sort, certes, mais on tirait au sort parmi les volontaires de plus de 30 ans, et c’étaient les riches, plus libres de leur temps, qui se portaient presque toujours volontaires. D’autant que certaines magistratures, si elles rapportaient du prestige, n’étaient pas rémunérées et pouvaient même être extrêmement coûteuse, ce qui les réservait de facto à l’élite économique de la société. Quant aux postes de réel pouvoir, en particulier les stratégies, elles faisaient l’objet d’élections, donc les riches y retrouvaient automatiquement tous leurs avantages.

Tout cela permet de régler le troisième point, celui du tirage au sort : il était limité aux volontaires, il ne concernait pas les postes de pouvoir. Autrement dit, les Athéniens avaient bien compris qu’on n’aimerait pas vivre dans une société qui tirerait vraiment les dirigeants au sort.

samedi 22 mars 2014

Sarkozy est (toujours) un bouffon


J’avais consacré une de mes premières chroniques sur ce blog à la manière dont Sarkozy était passé du « Grenelle de l’environnement » à l’idée que l’environnement, « ça commen[çait] à bien faire », prouvant ainsi son absence totale de convictions fortes sur le sujet et sa ressemblance frappante avec une girouette. À l’époque, ses pitreries étaient d’autant plus comiques que, s’il était encore au pouvoir, on avait bon espoir que ça ne durerait pas.

Maintenant qu’il n’y est plus, mais qu’il espère bien y revenir, sa bouffonnerie ne me fait qu’à moitié sourire, son taux de popularité restant suffisamment haut pour être préoccupant. Mais tout de même, sa lettre ouverte aux Français (ou en tout cas aux lecteurs du Figaro) est un morceau de bravoure qui mérite quelques applaudissements. Je passe sur la comparaison de la France de 2014 avec l’Allemagne de l’Est pendant la guerre froide, et sur son rapprochement de nos juges avec les espions de la Stasi ; visiblement, au lycée, le petit Nicolas séchait les cours d’histoire et préférait aller au café avec ceux qui parlent de « dictature socialiste » (quand je dis à mes élèves qu’ils doivent apprendre leurs définitions…), voire de « totalitarisme » (ce qui les place quelque part entre l’ignorance, triste mais excusable, et le delirium tremens).

J’en viens directement à mon passage préféré, celui où M. Sarkozy se plaint que snif, snif, on a mis ses téléphones sur écoute, ses deux téléphones, ma bonne dame, si vous pouvez le croire, même celui qu’il avait sous un faux nom, et qu’il n’y a plus de vie privée dans ce pays ; on pourrait le croire tenté d’ajouter que si ça continue, il va partir en Russie, avec son pote Depardieu, où là, au moins, on respecte les honnêtes gens.

En lisant ça, je crois que, à mon corps défendant, j’ai dû faire exactement la tête de Nabila : nan mais allô quoi ! allô quoi !

En 2009, en plein quinquennat Sarkozy, 100 000 écoutes étaient pratiquées en France, ce qui représentait une multiplication par 4 depuis 2001. En 2012, il y a eu 650 000 réquisitions auprès des opérateurs téléphoniques, que ce soit pour des contrats, des appels, des SMS (contenus ou métadonnées), ce qui représentait une hausse de 44% par rapport à 2006. Pardon, mais qui a été au pouvoir en France de 2001 à 2012 ? La droite, il me semble ; et Sarkozy, en tant que ministre de l’Intérieur, puis en tant que Président de la République, ne peut qu’avoir joué un grand rôle dans cette inflation des écoutes et de l’intrusion des policiers et des juges dans l’intimité de gens.

Alors quoi ? Comment un des architectes de cette politique sécuritaire qui tend à ruiner peu à peu notre vie privée peut-il oser se plaindre d’en être la victime ? Aurait-il lancé, avec Copé, un grand jeu concours intitulé « On ose tout, comme ça on nous reconnaîtra » ? Si c’est le cas, c’est perdu d’avance ! Copé a des années-lumière d’avance, surtout depuis que ressortent ses propres casseroles.

Au fond, tout est là : les partisans de la surveillance à outrance espèrent toujours qu’ils passeront au travers des mailles du filet. Bon. Ils sont malhonnêtes, hypocrites, partisans du deux poids, deux mesures. C’est moche, mais on est habitué. Ce qui en dit long, en revanche, sur l’état de décrépitude de l’opinion publique et du niveau politique, c’est qu’ils osent l’assumer de manière aussi visible.

vendredi 7 mars 2014

À bas les professions libérales : traitons les médecins comme des sages-femmes


Pas contentes, les sages-femmes. Elles ont bien compris, dans l’ensemble, qu’avec son « statut médical » qui n’est quand même pas le statut de « praticien hospitalier » qu’elles réclament, Marisol Touraine, le ministre de la santé, les balade allègrement. Elles se doutent bien, en particulier, que de l’augmentation salariale qu’elles espéraient, elles ne verront pas trop la couleur. Mais aussi, qu’est-ce qu’elles croyaient ? Le point d’indice des fonctionnaires est bloqué depuis Sarkozy, c’est la crise (ma bonne dame), et elles s’imaginaient qu’on allait leur donner subito le salaire d’un médecin ? Soyons sérieux.

Cela étant, leurs revendications sont-elles injustes ? Non, au fond. Comme les médecins, elles peuvent prescrire, disent-elles ; elles demandent à être traitées comme les médecins. On peut les comprendre.

Pour ma part, je ne crois pas qu’il faille traiter les sages-femmes comme les médecins ; je crois plutôt qu’il faudrait traiter les médecins comme des sages-femmes. Transformons les médecins en fonctionnaires ! À dire vrai, ils en ont déjà tous les avantages. Qui paye les médecins ? Certainement pas leurs patients : c’est la Sécurité sociale, donc l’État. Qui leur assure un emploi sans aucun risque, en parfaite sécurité, et la rente perpétuelle de leur salaire ? L’État. Idem pour les pharmaciens, d’ailleurs.

Puisque ces gens ont tous les avantages de la fonction publique, que n’en ont-ils les inconvénients ? Les salaires encadrés par une grille, les horaires imposés, et surtout la mutation sur un lieu déterminé en fonction de la nécessité du service. Les médecins sont payés par l’État, mais en tant que profession libérale, ils peuvent s’installer où ils veulent ; et après, on s’étonne qu’il y ait des déserts médicaux. Cette blague ! Si on laissait les profs s’installer où ils veulent, où ils trouvent des élèves, il y aurait aussi des déserts éducatifs, vous pouvez m’en croire.

Les médecins n’ont aucune raison de rester une profession libérale. Faisons d’eux des fonctionnaires, ou plutôt forçons-les à assumer leur statut de fonctionnaires ; et, pour faire bonne mesure, transformons toutes les cliniques privées en hôpitaux publics. On réglerait d’un coup bien des problèmes, et tout particulièrement les grandes inégalités devant la santé : inégalités entre les déserts médicaux et les régions où il y a tant de médecins que les jeunes ont parfois du mal à trouver leur patientèle ; inégalité entre les plus riches, qui peuvent s’offrir le luxe des médecins non conventionnés ou des cliniques prestigieuses, et les autres. La consultation et les traitements seraient gratuits, on éviterait ainsi toute la lourdeur bureaucratique qu’impose le système de remboursement a posteriori par la Sécu et les mutuelles, et on ferait du même coup de belles économies.

Les médecins avancent, évidemment, tout un tas de raison pour rester libres de gagner plus d’argent. Je n’en ai jamais entendu une bonne. La qualité des services ? Que je sache, les juges, les professeurs, les policiers, les infirmiers, les procureurs, les soldats, les sages-femmes (justement) ne font pas spécialement du sale boulot, alors qu’ils sont fonctionnaires. Comme partout, il y a de bons profs et de mauvais profs, de bons flics et de mauvais flics, de bons médecins et de mauvais médecins : le statut n’a rien à voir là-dedans. Les exemples britannique et américain des années 1980 ont bien montré que la libéralisation des professions ou des services publics ne rendaient pas ces derniers plus efficaces. Bien au contraire, il faudrait peut-être se dire que ceux qui entrent dans cette profession pour l’argent qu’ils y gagneront ne seront pas forcément les meilleurs praticiens.

Et ce que je dis là vaut aussi pour bien d’autres professions libérales. Oui, vous, là, les avocats ! Vous croyez que je ne vous vois pas, à essayer de rentrer la tête dans votre robe, de vous cacher derrière un poteau pour éviter mon ire ? Vous non plus, vous n’avez aucun raison de rester une profession libérale ! Il faut une relation de confiance entre un avocat et son client ? Un avocat doit pouvoir refuser un client ? Pas de problème, on va vous pondre un décret sur mesure, tenant compte des besoins de votre profession ; ce n’est nullement incompatible avec un passage dans la fonction publique.

Je ne suis pas communiste. Je ne suis pas un partisan de l’État partout. Mais les hommes ont droit à un certain nombre de choses, dont une éducation, la sécurité, mais aussi les traitements médicaux, ou une défense en justice ; c’est le travail de l’État que de les leur fournir. Ce sont, tout simplement, des services publics ; il n’y a pas de raison que des services publics soient assurés par d’autres institutions que celles de l’État.

mercredi 5 mars 2014

Le dictateur et le champignon


Il y a des dictateurs qui sont de vrais dangers publics. Regardez Castro, il était sans doute très dangereux pour son peuple. Encore que… son régime, plein d’indéniables inconvénients, n’était pas dénué de quelques avantages compensatoires. Mais il y a pire : voyez Poutine, ou Ahmadinejad ! Il est vrai que ce ne sont pas d’authentiques dictateurs, des qui assument, mais seulement des gens qui se sont portés au pouvoir lors d’élections un peu douteuses.

Cela dit, le monde est plein de chefs d’État ou de gouvernement, démocratiquement élus, qui ne sont pas plus sages. Ainsi, Tony Abbott, conservateur premier ministre australien, demande très officiellement le retrait du label « Patrimoine mondial de l’UNESCO » à plus de 70 000 hectares de forêt en Tasmanie. Pour se faire élire, il a également promis de supprimer la taxe carbone, votée par le précédent gouvernement travailliste. Et pour montrer qu’il ne plaisantait pas, il a donné, en décembre dernier, son feu vert à l’extension d’un port d’exportation du charbon (du charbon, en plus…) qui menace la barrière de corail. Le personnage est campé.

D’Abbott ou de Castro, qui est le plus fou ? Qui est le plus dangereux ? Détruire les océans, favoriser le réchauffement climatique, abattre des forêts, tout cela a des conséquences pour l’humanité tout entière. Quand il saccage la Tasmanie, c’est très triste pour la Tasmanie, mais cela va beaucoup plus loin, et c’est l’avenir des petits Français, des petits Japonais, des petits Ougandais que M. Abbott met en danger.

Les exemples similaires, bien sûr, sont légions. Il y en a en fait à peu près autant que de gouvernements élus, tant il est vrai que ceux à qui nous avons confié la charge du monde n’ont aucune vision au-delà du prochain renouvellement électoral, et ne sauraient donc se préoccuper réellement d’écologie.

La conclusion est très simple : c’est que le processus démocratique n’est pas forcément le meilleur moyen de mettre au pouvoir les gens les plus compétents. C’est certainement le cas par temps calme ; mais dans la grave crise que nous traversons, et tout particulièrement dans la crise écologique, qui impose des décisions de très long terme, forcément impopulaires, la démocratie n’est pas une solution, c’est un problème.

Je n’appelle évidemment pas à la dictature, moins encore au totalitarisme. Mais c’est une illusion totale que de croire que nous serions enfermés dans une alternative binaire entre d’un côté la démocratie et ses bienfaits, et de l’autre une abominable dictature. Il y a une infinité de régimes politiques possibles, dont la plupart n’ont jamais été expérimentés. On peut très bien concevoir, comme le fait Tol Ardor, un régime autoritaire mais constitutionnel et protecteur des droits de l’homme, en plus de ceux de la nature.

Combien faudra-t-il de gouvernements démocratiquement élus,  et pourtant criminels – je pèse le mot – par leur non-respect de notre planète, pour que s’en aperçoivent ceux qui ont conscience de l’enjeu environnemental ?