Pas contentes, les sages-femmes. Elles ont bien compris, dans
l’ensemble, qu’avec son « statut médical » qui n’est quand même pas
le statut de « praticien hospitalier » qu’elles réclament, Marisol
Touraine, le ministre de la santé, les balade allègrement. Elles se doutent
bien, en particulier, que de l’augmentation salariale qu’elles espéraient,
elles ne verront pas trop la couleur. Mais aussi, qu’est-ce qu’elles croyaient ?
Le point d’indice des fonctionnaires est bloqué depuis Sarkozy, c’est la crise
(ma bonne dame), et elles s’imaginaient qu’on allait leur donner subito le salaire d’un médecin ?
Soyons sérieux.
Cela étant, leurs revendications sont-elles injustes ? Non,
au fond. Comme les médecins, elles peuvent prescrire, disent-elles ; elles
demandent à être traitées comme les médecins. On peut les comprendre.
Pour ma part, je ne crois pas qu’il faille traiter les
sages-femmes comme les médecins ; je crois plutôt qu’il faudrait traiter
les médecins comme des sages-femmes. Transformons les médecins en
fonctionnaires ! À dire vrai, ils en ont déjà tous les avantages. Qui paye
les médecins ? Certainement pas leurs patients : c’est la Sécurité
sociale, donc l’État. Qui leur assure un emploi sans aucun risque, en parfaite
sécurité, et la rente perpétuelle de leur salaire ? L’État. Idem pour les
pharmaciens, d’ailleurs.
Puisque ces gens ont tous les avantages de la fonction
publique, que n’en ont-ils les inconvénients ? Les salaires encadrés par
une grille, les horaires imposés, et surtout la mutation sur un lieu déterminé en
fonction de la nécessité du service. Les médecins sont payés par l’État, mais
en tant que profession libérale, ils peuvent s’installer où ils veulent ;
et après, on s’étonne qu’il y ait des déserts médicaux. Cette blague ! Si
on laissait les profs s’installer où ils veulent, où ils trouvent des élèves,
il y aurait aussi des déserts éducatifs, vous pouvez m’en croire.
Les médecins n’ont aucune raison de rester une profession
libérale. Faisons d’eux des fonctionnaires, ou plutôt forçons-les à assumer
leur statut de fonctionnaires ; et, pour faire bonne mesure, transformons
toutes les cliniques privées en hôpitaux publics. On réglerait d’un coup bien
des problèmes, et tout particulièrement les grandes inégalités devant la santé :
inégalités entre les déserts médicaux et les régions où il y a tant de médecins
que les jeunes ont parfois du mal à trouver leur patientèle ; inégalité
entre les plus riches, qui peuvent s’offrir le luxe des médecins non
conventionnés ou des cliniques prestigieuses, et les autres. La consultation et
les traitements seraient gratuits, on éviterait ainsi toute la lourdeur bureaucratique
qu’impose le système de remboursement a
posteriori par la Sécu et les mutuelles, et on ferait du même coup de
belles économies.
Les médecins avancent, évidemment, tout un tas de raison
pour rester libres de gagner plus d’argent. Je n’en ai jamais entendu une
bonne. La qualité des services ? Que je sache, les juges, les professeurs,
les policiers, les infirmiers, les procureurs, les soldats, les sages-femmes
(justement) ne font pas spécialement du sale boulot, alors qu’ils sont
fonctionnaires. Comme partout, il y a de bons profs et de mauvais profs, de
bons flics et de mauvais flics, de bons médecins et de mauvais médecins : le
statut n’a rien à voir là-dedans. Les exemples britannique et américain des
années 1980 ont bien montré que la libéralisation des professions ou des
services publics ne rendaient pas ces derniers plus efficaces. Bien au
contraire, il faudrait peut-être se dire que ceux qui entrent dans cette
profession pour l’argent qu’ils y gagneront ne seront pas forcément les
meilleurs praticiens.
Et ce que je dis là vaut aussi pour bien d’autres professions
libérales. Oui, vous, là, les avocats ! Vous croyez que je ne vous vois
pas, à essayer de rentrer la tête dans votre robe, de vous cacher derrière un
poteau pour éviter mon ire ? Vous non plus, vous n’avez aucun raison de
rester une profession libérale ! Il faut une relation de confiance entre
un avocat et son client ? Un avocat doit pouvoir refuser un client ? Pas
de problème, on va vous pondre un décret sur mesure, tenant compte des besoins
de votre profession ; ce n’est nullement incompatible avec un passage dans
la fonction publique.
Je ne suis pas communiste. Je ne suis pas un partisan
de l’État partout. Mais les hommes ont droit à un certain nombre de choses,
dont une éducation, la sécurité, mais aussi les traitements médicaux, ou une
défense en justice ; c’est le travail de l’État que de les leur fournir. Ce
sont, tout simplement, des services publics ; il n’y a pas de raison que
des services publics soient assurés par d’autres institutions que celles de l’État.
Je suis totalement d'accord !
RépondreSupprimerUn médecin de ma connaissance m'a dit un jour qu'on payait plus cher pour faire soigner son chien que pour se faire soigner, et qu'il ne trouvait pas ça normal (l'idée était de libérer les tarifs de consultation, évidemment). Autant dire que quand j'évoque l'idée d'une nomination d'office dans un endroit donné (ne serait-ce qu'en contrepartie d'une formation qui reste quasi gratuite), même temporaire, je me fais traiter de staliniste...