samedi 28 janvier 2012

Salauds de riches !

Mon avant-dernière chronique s’intitulait « Salauds de pauvres ! ». Ce titre était naturellement ironique. Celui d’aujourd’hui l’est beaucoup moins.

Il semble de moins en moins improbable que la gauche revienne au pouvoir suite aux élections présidentielles et législatives des mois prochains. La présidence de la République à la gauche, voilà 17 ans qu’on n’aurait plus vu ça ! Et comme en 1981, les riches semblent prendre peur. Avec Mitterrand, ils brandissaient le spectre des chars soviétiques sur les Champs-Élysées ; mais les riches d’aujourd’hui sont plus francs, moins hypocrites, plus décomplexés en fait : ils disent clairement que ce qu’ils redoutent, c’est qu’on les taxe davantage. Le résultat est le même : beaucoup semblent prêts à quitter la France si cette perspective devient réalité. Certains ont l’air de s’y préparer de manière très concrète : d’après Le Monde, les agences immobilières belges ou suisses voient affluer des riches affolés en recherche d’un exil sous des cieux fiscaux plus sereins (ou plus accommodants, en tout cas).

Il y a là quelque chose de scandaleux. Plus encore : de répugnant. Ces gens doivent tout à la France : elle les a nourris, soignés, éduqués, leur a donné leurs compétences, souvent leur a permis d’hériter ; ils ont bâti (ou perpétué) leur fortune en France et grâce aux Français. Ils possèdent non seulement bien plus que la moyenne des gens, mais surtout bien plus que ce dont ils ont besoin !

Et le jour où la France va mal, le jour où beaucoup de Français manquent du nécessaire et ne parviennent plus à joindre les deux bouts, ils refusent la moindre aide supplémentaire. On ne leur demande même pas de se sacrifier vraiment : car enfin, ce n’est pas Mélenchon qui a la moindre chance d’être élu ! Hollande n’étant pas précisément une incarnation de l’audace, tout au plus va-t-on leur demander de donner un peu plus. De quoi devront-ils se priver ? Concrètement, de rien. Peut-être qu’ils pourront, ces années-là, amasser un peu moins, ou investir un peu moins, bref gagner un peu moins ; mais au quotidien, le PS ne fera jamais passer une mesure qui les taxerait suffisamment pour les empêcher de changer de Ferrari.

Mais même ce petit peu, ils ne veulent pas. Ils ne veulent rien donner. Rien.

Qu’est-ce qu’on peut en dire ? Que pour eux, la fraternité, la solidarité ne sont plus que des mots creux, sans signification. Qu’ils ne pensent plus qu’à eux, ayant sans doute pleinement intégré « l’idéal » de compétition et de concurrence entre les hommes.

On ne pourra pas y faire grand-chose. S’ils veulent partir, ils partiront. Mais il ne faut pas s’étonner que certains candidats à la présidentielle proposent de tout leur prendre. Il ne faut pas non plus s’étonner que les gens votent pour d’autres candidats, tout aussi extrêmes, mais dans un autre sens. Et comme ces candidats du (vrai) changement (en bien ou en mal, d’ailleurs) ne seront pas élus, il ne faudra pas s’étonner qu’un jour des gens finissent par se dire que les choses ne changeront qu’avec la violence. Plus le niveau d’inégalité sera élevé, plus la violence aura des chances d’advenir, et plus elle sera forte.

L’Angleterre a fait sa révolution à un moment où le niveau des inégalités n’était pas encore très fort. On n’y a pas coupé beaucoup de têtes. La France a fait la sienne presque 150 ans plus tard, alors que les inégalités étaient devenues abyssales et insoutenables. On y a coupé beaucoup, beaucoup de têtes.

Je ne dis pas que c’est ce que je souhaite : la peine de mort ne me semble jamais être une solution. Mais il faut être lucide. Les gens ont une capacité finie de résister, d’endurer, de supporter.

samedi 21 janvier 2012

Sarkozy est un bouffon (y a pas d’autre mot)

Vers le début de son quinquennat, Nicolas Sarkozy a commencé à faire la danse des sept voiles aux écologistes : le Grenelle Environnement, en particulier, a été lancé dès septembre 2007 et a immédiatement été l’objet d’une mise en scène spectaculaire visant à assurer sa publicité : Nicolas Sarkozy dirigeait le premier gouvernement vraiment écologiste de l’Histoire de France, qu’on se le dise !

Bien sûr, c’était du flan, et tous ceux qui étaient un tout petit peu malins ou lucides l’ont parfaitement vu tout de suite. De manière générale, le monde de l’écologie radicale, d’ailleurs pas invité à participer aux discussions, n’a pas cédé à l’opération de charme. D’autres sont tombés dans le panneau ; on se demande un peu comment, étant donné que les signes annonciateurs ne manquaient pas. Dès le départ, la question du nucléaire était taboue et ne devait même pas être abordée. Et vu la manière dont étaient constitués les groupes de travail et prises les décisions, il était facile de comprendre que la montagne ne pouvait accoucher que d’une souris (voire d’une musaraigne).

Mais passons. Il n’empêche que quelque chose de nouveau se produisait : certes, on n’aboutirait à rien, mais enfin, on débattait ; la droite au pouvoir organisait un spectacle, un show. C’était une vraie nouveauté : d’ordinaire, la droite était auparavant plutôt sceptique, voire goguenarde, quand on abordait la question de l’écologie ou de l’environnement ; qu’elle organisât en 2007 même un simulacre de débat était la preuve qu’un tournant avait été pris.

Mais une question demeurait : ce tournant avait-il été pris de manière profonde, mesurée, réfléchie, pesée, parce que Nicolas Sarkozy était vraiment convaincu de l’urgence écologique ? Ou bien n’était-ce que pour agir dans le sens du vent, et ne pas perdre le nombre croissant d’électeurs préoccupés de l’avenir de l’environnement ? Beaucoup ont voulu croire à la première réponse ; je pariais sans hésitation sur la seconde.

La suite m’a donné raison. En 2009, le président avait prévu un remaniement ministériel pour après les élections européennes. Il est de notoriété publique que Claude Allègre, pas vraiment connu pour être un grand écologiste devant l’Éternel, y avait sa place. Sarkozy a dû reculer devant les 16,28% de voix obtenues par Europe Écologie/Les Verts. Elles ne l’ont pas empêché, en revanche, d’abandonner les unes après les autres les décisions prises au Grenelle Environnement, sous la pression des lobbies qu’elles gênaient. Et puis notre Sarko national s’est mis à s’adresser aux agriculteurs, aux chasseurs, à dire que l’écologie, « ça commençait à bien faire », et que la préservation de l’environnement « ça n’est pas empêcher quiconque de faire quoi que ce soit » (ah bon) et qu’il fallait « absolument lever le pied de ce point de vue ».

Nicolas Sarkozy est donc une girouette : il indique le sens du vent, mais semble incapable d’une conviction forte et réelle en quelque matière que ce soit. On pourrait rapprocher cela d’autres thèmes, comme l’économie, pour laquelle il semble passer sans le moindre problème de l’ultralibéralisme au marxisme selon la crise du moment.

Selon, surtout, l’opinion des électeurs. Le but est évidemment là : favoriser sa réélection. Mais qu’est-ce qu’un homme politique qui fait fi de toute conviction uniquement dans le but d’assurer sa puissance ? C’est d’abord quelqu’un qui n’a rien compris à ce que devrait être la politique.

Bien sûr, il n’est pas le seul. Dans le système actuel, les hommes de conviction sont rares, et surtout ils ne parviennent jamais au pouvoir. Mais ce qui est étonnant, c’est d’une part que tant de gens continuent de voter pour des personnes qui s’exposent à un ridicule aussi poussé, comme si on leur demandait d’élire non un leader, mais le clown pour le prochain spectacle du cirque d’hiver ; et d’autre part, que tant de gens continuent de mettre leur foi et leur espoir dans un système qui tend avec autant de constance à porter au pouvoir des hommes aussi médiocres.

dimanche 15 janvier 2012

Salauds de pauvres !

Un peu d’histoire. Déformation professionnelle. Au Moyen Age, le mendiant est une figure plutôt positive. Image du Christ, qui S’adressait d’abord aux pauvres et leur promettait de passer devant les riches pour entrer dans Son Royaume, il est considéré comme celui qui permet aux nantis de faire leur salut : « ce que vous avez fait aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ». Le pauvre n’est donc pas chassé mais accueilli : ce qu’on donne aux pauvres, c’est « la part à Dieu ».

L’image du mendiant commence à changer à la Renaissance, en partie sous l’influence du protestantisme qui commence à favoriser l’idée que si on est pauvre, c’est qu’on l’a cherché, bien cherché, ou qu’on a fait quelque chose qui mérite cette punition, ou que c’est ce que Dieu avait prévu pour nous (toutes choses qui ont tendance à revenir un peu au même dans la tête des bourgeois).

Cette évolution se renforce au XVIIe siècle, car les pouvoirs politiques et économiques, en plus d’être préoccupés d’une religion de plus en plus éloignée de ses racines, commencent à vouloir de l’ordre partout. Or, le mendiant bouge, n’a pas de résidence, change de rue, de quartier, de ville, peut-être même de pays, qui sait ! avec ces gens-là. Le mendiant est alors facilement assimilé à l’étranger, au gitan, à « l’Égyptien » (origine du mot anglais pour « gitan », gypsy). On ne sait pas où le joindre, donc on ne peut pas lui mettre facilement la main dessus. Pauvre et donc étranger, le mendiant cumule deux formes de l’altérité et donc de l’exclusion. Bref, il fait désordre. Il fait tache. Dans le mendiant, on ne voit plus le Christ, on ne voit plus que le mendiant.

Aujourd’hui, on a un peu l’impression, néanmoins, d’avoir encore descendu un cran dans l’inhumanité. Arrêtés anti-mendicité dans les villes, interdiction de fouiller dans les poubelles, le tout sous peine d’amende (eux qui ont tant d’argent pour les payer), voire de prison (la solution, sans le moindre doute). Ce fut le cas à Nice, Montpellier, Chartres, sous prétexte de ne pas faire fuir les touristes. Ah. Le fait que les touristes puissent garder un air béat et ignorer la réalité du pays ou de la région qu’ils visitent passe donc avant des réalités humaines pourtant bien plus tragiques. Puis, dans d’autres villes qui n’avaient plus rien de touristique, comme La Madeleine, banlieue résidentielle de Lille, ou Nogent-sur-Marne. Les arrêtés, censés être provisoires, deviennent permanents. Certains maires poussent le cynisme jusqu’à traduire leurs écriteaux minables en roumain et en bulgare ; d’autres, à prendre de telles mesures un 17 octobre, journée internationale du refus de la misère.

Mais qu’ont-ils dans la tête ? et qu’ont-ils dans le cœur ? Est-ce qu’ils s’imaginent qu’on mendie par plaisir, par paresse, ou qu’on fouille dans les poubelles par goût ? Les mendiants, dans leur immense majorité, sont des personnes qui ont été frappées durement par la vie, et qui souffrent d’une manière qu’aucun de nous, les nantis, ne peut comprendre. La société ne les aide pas, ou bien peu ; mais il faut que nous soyons tombés à niveau d’humanité bien bas pour imaginer et mettre en œuvre les mesures auxquelles on assiste aujourd’hui.

Parfois, j’aimerais pouvoir, comme les prédicateurs du Moyen Age, promettre l’Enfer à ceux qui ont aussi peu d’amour pour leurs frères humains. Pour qu’ils agissent bien par peur, à défaut de le faire par charité.

Je ne crois pas à l’Enfer. Je ne crois pas à l’éternité de la damnation, ni même à la damnation, d’ailleurs. Je ne crois pas que Dieu nous vengera, ou Se vengera de nous, ou vengera les pauvres. Mais je crois que Jésus dira vraiment : « à chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait ». Et ceux qui, maintenant, peuvent se bercer d’illusions et endormir leur conscience par des mensonges, ne pourront plus le faire. Ils verront leur vie telle qu’elle aura été vraiment, nue, déshabillée de toutes leurs justifications. Rien que cela devrait suffire à leur faire peur.

mardi 10 janvier 2012

Hongrie : la démocratie quand ça m’arrange

Mais de quoi se plaignent les Hongrois ? En 2010, lors des élections législatives, ils ont donné 52% de leurs voix au Fidesz, parti conservateur qui ne faisait pas mystère de ses positions de droite, disons, dure. Ce parti a obtenu 263 sièges au Parlement sur 386, davantage donc que la majorité qualifiée des deux tiers (258 élus). Logiquement, Viktor Orbán, chef de file du Fidesz, est devenu ministre-président.

Depuis, il a appliqué son programme préfasciste. Il ne cesse de stigmatiser les Roms. Il a pondu une réforme de la Constitution qui transforme la « République de Hongrie » en « Hongrie », piétine l’indépendance de la justice et l’équilibre des pouvoirs, introduit la possibilité d’un emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle, interdit le mariage homosexuel, ne mentionne pas l’orientation sexuelle dans son article sur les discriminations, remet l’avortement en question. Ce texte place également un grand nombre de choix politiques en-dehors des compétences d’une majorité simple au Parlement, réduisant ainsi les marges de manœuvre d’un futur gouvernement dirigé par un autre parti. Cette Constitution a été adoptée en urgence, sans réelle possibilité de débat.

Viktor Orbán a également lancé une réforme du contrôle des médias qui a déjà abouti à une censure très efficace. Un Conseil des Médias, nommé par le premier ministre (une garantie d’indépendance…), décide par exemple de l’attribution des fréquences radio selon un système de points qui privilégie les stations qui diffusent des informations locales et consacrent au moins 60% de leur temps d’antenne à la musique. Ce système a permis d’ordonner la fermeture de Klubradio, la dernière radio politique indépendante du pouvoir. Plus généralement, une véritable purge est actuellement en cours dans les médias hongrois pour en éliminer tous les dissidents.

La situation hongroise valide ainsi un certain nombre de points importants de la pensée politique ardorienne :

1/ L’idée que les démocraties peuvent parfaitement mener à une restriction des droits fondamentaux. C’est le cas avec la censure contre les médias ou les attaques contre les homosexuels ou les Roms ;

2/ L’idée que les démocraties peuvent se « suicider » légalement, c’est-à-dire organiser dans le cadre légal et de manière démocratique la fin du régime démocratique lui-même. C’est partiellement le cas avec le grand nombre de questions qui ne pourront plus être modifiées par une future Assemblée dirigée par une majorité simple, ce qui constitue bien une nette diminution du pouvoir d’élus futurs au profit des élus actuels, et donc une perte démocratique.

A présent, la situation est incertaine. Une partie de la population hongroise commence enfin à protester et à manifester. La Commission européenne proteste. Les Etats-Unis protestent. Mais il faut remarquer deux choses.

D’abord, il est loin d’être certain que ces mouvements de protestation aboutissent à quoi que ce soit de tangible. Le plus probable est que le gouvernement Orbán fera avec la Constitution comme il a fait avec la loi sur les médias : quelques concessions de façade qui permettront de faire passer l’essentiel de la pilule.

Ensuite, et surtout, il faut bien comprendre que si, par extraordinaire, M. Orbán et ses troupes pliaient, malgré l’écrasante majorité dont ils disposent, ce serait sous le poids de la rue, de puissances étrangères comme les Etats-Unis et d’autorités non élues comme la Commission. Bref, si la démocratie finissait par vraiment subsister en Hongrie, ce serait à l’encontre des élus du peuple, donc à l’encontre de la démocratie elle-même et grâce à des forces non démocratiques.

lundi 9 janvier 2012

A quelle vitesse marche une loi ?

Amis profs de maths, voilà un petit problème sympa à poser à vos élèves pour la rentrée : « une commission est chargée de préparer un projet de loi en avril 2002 ; elle rend son rapport en décembre de la même année. En juillet 2003, un projet de loi constitutionnelle, inspiré de ses propositions, est présenté en conseil des ministres. Cette révision est adoptée en 2006. En 2011, un des projets de loi du gouvernement organisant un aspect de cette révision a été déposé mais jamais inscrit à l’ordre du jour, et donc pas encore examiné (sans parler d’être adopté). Sachant que le Palais de l’Élysée, l’Assemblée Nationale et l’hôtel Matignon sont situés sur une ligne de 3Km de long environ, à quelle vitesse marche une loi ? »

Évidemment, les bons élèves sentiront la question piège et donneront la bonne réponse : ça dépend de la loi !

Pour ceux que ça intéresse, la réforme dont il est question plus haut concerne le statut pénal du chef de l’État. La nouvelle Constitution de la République française dispose, dans son article 67, que « le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité ». C’est ce qu’on appelle l’immunité pénale du chef de l’État : tant qu’il reste chef de l’État, on ne peut pas le juger. Pour qu’il ne fasse pas complètement n’importe quoi, on a ajouté l’article 68, qui dispose que « le Président de la République […] peut être destitué […] en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour. »

Le problème, c’est que ce qui n’a toujours pas été examiné par l’Assemblée, c’est le projet de loi qui organiserait la destitution. Celui qui organise l’immunité, lui, a été examiné et adopté. Bilan des courses : à l’heure actuelle, le président bénéficie de l’immunité pénale, mais il ne peut pas être destitué. L’article de la Constitution qui lui est favorable est effectif, l’autre pas.

La loi va donc vite quand il s’agit de protéger les puissants. On en a eu une autre illustration quand il s’est agi de faire voter le bouclier fiscal voulu par Sarkozy en 2007 – un des premiers actes de son mandat. Pour s’attaquer à l’oligarchie politique ou financière en place, en revanche, résoudre notre petit problème mathématique nous indique que la loi va plutôt à la vitesse de l’escargot. Pour ne pas dire d’une moule bien accrochée à son confortable rocher.

dimanche 1 janvier 2012

Contra Ferryum, Allegrum et Brucknerum : le catastrophisme comme lucidité

En ce début d’année qui, pour ceux qui comprennent mal les prophéties mayas, devrait être celle de la fin du monde, il est intéressant de revenir sur l’écolo-scepticisme et sur sa nouvelle arme de destruction massive, la notion de « catastrophisme ».

L’écolo-scepticisme peut se définir comme le courant de pensée qui nie, relativise ou doute d’un au moins des trois piliers qui fondent l’écologie politique : l’ampleur des transformations que connaît actuellement notre environnement, la responsabilité première de l’humanité dans ces changements, et leurs futures conséquences dramatiques.

L’écolo-scepticisme est un courant qui monte, il est même en plein essor. C’est normal : à mesure que le temps passe, la crise écologique est chaque jour plus évidente ; l’écologie politique ne peut donc que se développer, entraînant ses adversaires dans le même mouvement. C’est ainsi qu’on voit régulièrement sortir en France des livres comme Le Nouvel Ordre écologique, de Luc Ferry (1992), L’imposture climatique, de Claude Allègre (2010) ou Le Fanatisme de l’apocalypse, de Pascal Bruckner (2011) ; ou qu’éclatent de temps à autres de prétendus scandales autour des climatologues, qui tournent inévitablement en eau de boudin.

Pour nous, la progression de l’écolo-scepticisme est donc plutôt bon signe : les coups qu’on nous porte prouvent notre importance grandissante. Mais elle est également dangereuse.

Pas parce qu’ils auraient des arguments : bien au contraire. Les « affaires » autour des mails des climatologues ou du comportement des membres du GIEC se révèlent être des baudruches vides ; les essais écolo-sceptiques révèlent uniquement le peu de connaissances et de sérieux de leurs auteurs sur ces dossiers : leurs méthodes sont injures, manipulations, citations tronquées etc. Allègre, toujours champion dans l’excès, a été celui qui a réussi à liguer contre lui le plus grand nombre de scientifiques : 600 chercheurs ont publié un courrier commun de protestation contre son ouvrage ! Mais Bruckner, dans le sien, n’a pas fait beaucoup mieux. Leur but n’est en fait pas de débattre mais de détruire les conditions mêmes du débat.

Mon objet n’est pas de revenir sur chacune de leurs erreurs, ce qui a déjà été fait. D’un point de vue scientifique, la nullité, l’inanité des thèses écolo-sceptiques est une certitude bien documentée et qui fait l’objet d’un consensus total parmi les vrais spécialistes de ces questions. Il faut donc chercher ailleurs la raison de leur succès.

Il tient évidemment en grande partie à la place qui leur est réservée dans les médias. Sous couvert de « débat démocratique » (inviter un représentant de chaque thèse en présence), les élucubrations écolo-sceptiques se voient offrir le même espace de parole que les points scientifiquement établis. De ce point de vue, la présence et la visibilité de l’écolo-scepticisme sont en eux-mêmes une validation des idées ardoriennes sur le rapport entre médias de masses, opinion publique et pouvoir : si le rôle des médias comme « quatrième pouvoir » est légitime et nécessaire, il n’est pas bon de donner la puissance décisionnelle à ceux qui sont profondément influencés par des mensonges et des approximations.

D’autant plus qu’il ne faut pas négliger un autre élément du poids écolo-sceptique : la mauvaise foi. Derrière leur posture de dissidents, ils sont en fait les défenseurs les plus acharnés du Système dominant. Les écolo-sceptiques ont par exemple forgé la notion de « catastrophisme » pour dénigrer systématiquement ceux qui affirment que les transformations subies par l’environnement sont porteuses de conséquences futures extrêmement graves. Ils utilisent ainsi à merveille le stratagème n°32 de L’art d’avoir toujours raison, de Schopenhauer :

« Nous pouvons nous débarrasser rapidement d’une affirmation de notre adversaire contraire aux nôtres, ou du moins la rendre suspecte, en la rangeant dans une catégorie généralement détestée, lorsqu’elle ne s’y rattache que par similitude ou quelque autre rapport vague : par exemple : « Mais c’est du manichéisme […] ; […] c’est de l’athéisme ; c’est du rationalisme ; c’est du spiritualisme ; c’est du mysticisme, etc. ». Nous postulons, ainsi, deux faits : 1) que l’affirmation adverse est réellement identique à cette catégorie, ou au moins en elle, et nous nous écrions : “oh ! nous savons ce qu’il en est !” – et 2) que cette catégorie est déjà totalement réfutée, et ne peut contenir un seul mot de vrai. »

Or, qu’en est-il de cette notion de « catastrophisme » ? La seule question valide est de savoir si, oui ou non, nous allons vers une ou des catastrophes. D’un point de vue écologique, tous les chercheurs spécialistes de ces questions disent que oui. A cela s’ajoute ce qu’on peut prévoir dans les domaines économique, politique et social.

Moralité : contrairement à ce que voudrait faire croire « l’invincible propension des chroniqueurs à taxer de “psychose d’Apocalypse” toute dénonciation d’un facteur de danger bien avéré », pour citer Denis de Rougemont, le catastrophisme n’est pas l’enfermement dans une idéologie de la peur ou du dolorisme. Bien au contraire, c’est la voie de la lucidité. Si nous voulons éviter que la catastrophe n’advienne, il faut être catastrophiste : c’est l’optimisme suicidaire de la politique de l’autruche que nous devons combattre.