Sur son blog Aigreurs administratives,
Emmanuel Navarre a publié un billet tout à fait remarquable dans lequel il
raconte la manière dont il a vécu l’année des « manifs pour tous ».
Il décrit en particulier son cheminement intellectuel et émotionnel : ses
hésitations du début face à la question de l’homosexualité (toujours officiellement
condamnée comme un « désordre » dans la doctrine morale de l’Église)
et face à la loi Taubira, puis la manière dont les arguments des partisans du
projet de loi ont peu à peu emporté son adhésion, alors même que les opposants
s’enferraient dans ce qu’il voyait comme des impasses intellectuelles, et enfin
le basculement final et la réalisation, très douloureuse, qu’il avait été longtemps
imprégné de préjugés homophobes.
Je recommande chaudement la lecture de ce billet à tout le
monde, en particulier aux catholiques, et tout spécialement aux opposants à la
loi Taubira. Pour ma part, il m’a beaucoup touché, et a fait écho à ce que j’ai
moi-même ressenti.
Pourtant, je n’ai pas du tout vécu la même année que lui.
Sans doute parce que je partais sur des bases radicalement différentes. Catholique
pratiquant, mon parcours spirituel très atypique et dont je n’ai renié aucune
étape m’a donné pas mal de recul face à l’institution et à ses dogmes. J’ai
rejoint l’Église catholique, et je ne le regrette pas, pour « le bien que
j’y ai vu et par amour pour son unité », pour reprendre les termes d’Emmanuel.
Mais il y a beaucoup de choses que je ne digère pas, et j’essaye de dialoguer
avec les fidèles, avec l’institution, et avec les non catholiques, dans le but
avoué et afficher de les faire évoluer.
Pour ma part, cela fait des années que je suis favorable au
mariage et à l’adoption pour les couples homosexuels. Il s’agissait donc d’une des
rares promesses de Hollande dont j’espérais la réalisation. Et, circonstance
aggravante, en tant que catholique pratiquant, je suis également favorable à ce
que l’Église accorde le sacrement de mariage aux couples homosexuels, ce contre
quoi je ne vois absolument aucun argument théologique tenable.
J’ai donc réagi très tôt sur le sujet. J’ai publié un premier billet sur mon blog à l’occasion de l’élection de Hollande, puis un autre, nettement plus énervé, après la « prière du 15 août » de l’évêque
Vingt-Trois, qui a été, selon moi, le point de départ de la mobilisation (et je
sentais bien, déjà, que ça risquait fort de déraper). Ensuite, j’ai essayé de
synthétiser les arguments, tant civils que religieux, dans deux autres billets,
l’un en réponse à Civitas, l’autre en réponse au texte du Conseil famille et
société de la Conférence des évêques de France. À partir de là, j’ai publié pas
mal de billets, au gré de l’actualité de la Manif pour Tous, de l’Église et de
la sphère politique.
Mais, comme Emmanuel, j’ai eu la nette et désagréable
impression que, dans leur immense majorité, les opposants à la loi Taubira cherchaient
moins le débat que l’anathème. On m’a beaucoup rappelé à mon prétendu devoir d’obéissance
au Magistère et à la Tradition. On m’a beaucoup envoyé d’infaillibilité (à
laquelle je ne crois pas du tout, elle est logiquement impossible) à la figure.
On m’a beaucoup dit que j’aurais mieux fait de ne pas rejoindre l’Église, si c’était
pour chercher à la changer. On m’a beaucoup dit que je ferais mieux de me faire
protestant.
Beaucoup de catholiques, même favorables au projet de loi,
affirment n’avoir pas senti de haine de la part des opposants. Tant mieux pour
eux, bien sûr ; et tant mieux pour leurs paroisses, surtout. Ça témoigne qu’il
y en a où, même sur un sujet polémique, les relations peuvent être paisibles.
Mais moi, je l’ai senti, cette haine. Pas vraiment dans ma
belle-famille – alors qu’ils étaient pour la plupart très opposés à la loi – parce
que ce sont des gens bien, gentils et intelligents, et que malgré l’incompréhension
et le rejet profonds que leur inspiraient à la fois l’homosexualité, la loi
Taubira et ma position réformiste au sein de l’Église, ils sont toujours restés
courtois et bienveillants.
Ça a été un peu plus difficile dans ma paroisse. J’avoue,
moi qui suis plutôt grande gueule, là je ne la ramenais pas trop. Mais quand,
sur la feuille de chant de la messe dominicale, j’ai trouvé un petit encart
appelant à manifester « au nom de notre opposition à la loi Taubira »,
j’ai craqué, et j’ai dit publiquement qu’il n’y avait pas de « notre »
opposition, que beaucoup de catholiques pratiquants étaient favorables à la
loi, souvent sans réserve, et que l’Église ne s’honorait pas à faire comme s’ils
n’existaient pas. Les gens sont restés polis, bien sûr, mais je ne me suis plus
senti intégré de la même manière après ça (c’est une paroisse d’outre-mer, avec
un turn-over important, donc les relations ne sont pas aussi anciennes et sans
doute pas aussi profondes que dans une paroisse où on connaît des gens depuis
très longtemps). Et alors sur les blogs et les réseaux sociaux, où n’existaient
plus les barrières de politesse de la vie de tous les jours, ça a souvent été l’hallali.
Est-ce que ça m’a affecté ? Peut-être moins que d’autres
dont j’ai lu les récits ici ou là – moins qu’Emmanuel, par exemple, puisque ce
billet lui est dédié. Christine Pedotti m’a dit un jour, avec beaucoup de
justesse, que j’étais trop orgueilleux pour pouvoir être susceptible.
Néanmoins, je ne peux pas dire que ces réactions ne m’ont pas touché. Je ne me
sentais plus à ma place dans l’Église, tout simplement. J’avais l’impression qu’elle
avait changé, qu’elle n’était plus celle qui m’avait baptisé, ou qu’elle avait
montré un visage que je ne lui connaissais pas, et que je n’aimais pas. Emmanuel
écrit qu’il a pensé partir pour une communauté protestante ; de mon côté, j’attendais
le résultat de l’élection du pape, en mars dernier, pour savoir si j’allais ou
non rejoindre l’Église vieille-catholique. C’eût été Ranjith ou Scola que je ne
serais probablement plus parmi vous (parmi nous ^^). Finalement, François m’a
convaincu de rester encore un peu.
Et après ? La Manif pour tous est toujours là, avec ses
petites sœurs de l’Avenir pour tous et du Printemps français (on attend avec
impatience, au gré des querelles d’idées ou même de personnes, la création d’un
« printemps français pour tous », ou d’une « manif pour tous les
Français », ou même d’un « français printemps pour tous d’avenir »,
façon Bourgeois gentilhomme), mais
tous ces groupes devenus groupuscules ont clairement perdu la bataille politique,
et, bien plus important, ils sont en train de perdre la bataille idéologique.
Alors pourquoi y revenir encore ?
Parce qu’il y a quand même, à mon sens, une leçon à retenir
de tout ça.
Pendant tout le temps qu’a duré la mobilisation, je me suis
beaucoup démené. J’ai discuté des heures et des heures avec ma famille et mes
amis, à table, en soirée, sur les réseaux sociaux, par mails. J’ai écrit billet
sur billet pour mon blog. J’ai écrit à de nombreux évêques. Et pendant tout ce
temps, j’ai eu l’impression d’être très, très seul… alors que je ne l’étais
pas. Je ne parle pas seulement des sondages, dont l’un, déjà mentionné sur ce
blog, montrait que près de la moitié des catholiques pratiquants (oui,
pratiquants !) était favorable au mariage des couples homos, et qu’un
tiers était également favorable à l’adoption pour ces mêmes couples ; je
parle surtout des langues qui se sont déliées après le passage de la loi, quand
les évêques français, sentant la bataille perdue (et un peu aidés, il faut le
souligner, par le changement de ton induit par la double élection du pape
François à la tête de l’Église et de Georges Pontier à celle de la Conférence
des Évêques de France), ont commencé à dire qu’il fallait changer de disque.
Là, tout d’un coup, beaucoup de catholiques ont (enfin) parlé pour dire, a posteriori, leur soutien à la loi et
leur malaise pendant l’année écoulée.
C’est là qu’à mon sens, il y un problème. J’ai l’impression
que les catholiques (surtout pratiquants) qui soutenaient le projet de loi ont bien
souvent fait le gros dos en fermant leur gueule et en laissant passer l’orage. Beaucoup
des pro ont été, bien plus que les antis, sensibles au risque de déchirure dans
l’Église, et ont préféré se taire pour ne pas jeter d’huile sur le feu. L’intention
était louable, mais est-il préférable de maintenir une unité de façade plutôt que
de crever les abcès douloureux ?
D’autres, sachant que la bataille finirait par être gagnée,
se sont dit qu’il n’était pas nécessaire de prendre (ou de donner) des coups
pour rien. Je ne peux pas dire que je ne les comprends pas. Pour l’ouvrir, il
fallait avoir les reins solides. À la CCBF, par exemple, on en a discuté, et ça
a été très tendu, très houleux, parfois agressif, alors qu’on était entre gens
bien et qui s’apprécient, entre amis pourrait-on dire. Alors dans une paroisse
lambda… Mais là encore, était-ce la meilleure manière de rendre service à l’Église ?
Finalement, il nous aura manqué de nous structurer et
de nous faire entendre collectivement. Les médias ont peut-être leur part de
responsabilité : pour eux, il était plus croustillant de présenter une Église
unie dans la réaction et le rejet de l’homosexualité que d’en peindre, plus
fidèlement, les complexités et les nuances. Mais je reste persuadé que l’essentiel
de la responsabilité est nôtre. Je ne peux pas m’empêcher de me dire que
justement, si tous ceux qui soutenaient le projet de loi l’avaient dit
publiquement, ça aurait forcément été moins difficile à gérer. Nous n’avons pas
assez cherché à prendre la parole. Or, l’Église pouvait faire semblant de ne
pas entendre une majorité (ou une forte minorité, la question n’est pas
vraiment là) silencieuse et atomisée ; je ne pense pas que ça aurait été
si simple avec le même groupe parlant haut et s’organisant. Et ça, j’aimerais
bien qu’on s’en souvienne pour le prochain débat de société où l’Église
s’impliquera à tort. Qu’on se rassure, il ne devrait pas tarder.
Merci pour ce texte. En dépit de nos différences de génération, de passé, j'ai ressenti la même souffrance qu'Emmanuel et le même sentiment de solitude que vous. Ce sont d'ailleurs vos blogs, vos interventions Fb, de vous et de quelques autres qui m'ont aidé à "tenir". J'ai aussi tenté parfois de donner mon avis ( blog et fb)...
RépondreSupprimerJ'ai déploré que les voix qui n'étaient pas celles de l'Eglise ne se fassent pas entendre, mais je crois que c'était vraiment difficile. Un hebdomadaire comme La Vie ( j'ai résilié mon abonnement à cause de cela), ne nous a pas "aidés"...J'ai adhéré aux Poissons Roses à leur création pensant que ce mouvement allait pouvoir servir de relais à une parole autre, originale, ouverte mais j'ai vite déchanté et l'ai rapidement quitté et j'ai été déçue aussi par certaines prises de position de personnes écrivant sur le blog "A la table des chrétiens de gauche".Je pense aussi que de nombreux pro-loi ne se sentaient pas et ne se sentent pas toujours pas à l'aise avec la question de l'adoption et que ce pourrait être une des causes de leur silence...Tout cela pour dire que finalement reste encore peut-être à trouver un espace rassembleur ou fédérateur dans lequel une parole de catholiques, différente, engagée, mobilisatrice et constructive pourrait s'exprimer. ( Bien qu'il Il existe déjà la CCBF ?)
Je suis content si, à ma bien modeste mesure, j'ai pu vous aider à "tenir". Et je vous retourne d'ailleurs le remerciement, car les commentaires positifs que vous avez laissés sur mon blog, avec d'autres, m'ont aussi aidé à me sentir un peu moins seul.
SupprimerIl est vrai que la question de l'adoption a divisé. Je le reconnais d'ailleurs implicitement, puisque le sondage que je cite indique un décalage, au sein des cathos pratiquants, entre ceux qui étaient pour le seul mariage et ceux qui étaient, en plus, pour l'adoption. Je le regrette, parce que je pense sincèrement que les arguments contre l'adoption n'étaient pas meilleurs que ceux contre le mariage, j'ai essayé de le montrer (mais je n'ai sans doute pas réussi).
Il est vrai que les médias ne nous ont pas aidés, surtout les médias catholiques. C'était assez logique, parce que le sentiment du devoir d'obéissance est très fort (c'en est même impressionnant) chez beaucoup de catholiques. Mais les médias non confessionnels nous auraient davantage donné la parole si nous l'avions davantage prise.
Comme vous dites, il y la CCBF, à laquelle j'appartiens aussi. Mais justement, elle a refusé de prendre position dans le débat. Certains l'ont apprécié, d'autres se sont éloignés à cause de cela. Je crois, au fond, qu'elle ne pouvait pas faire autrement, mais elle n'a pas non plus réussi son pari d'être un espace de débat libre au sein de l'Eglise sur ces questions.
En fait, mon billet soulignait ce que je vois comme un manque, mais je n'ai pas vraiment de réponse à ce qu'il aurait fallu faire. Je ne suis pas certain qu'une nouvelle association aurait pu changer quoi que ce soit ; peut-être un simple déclaration commune, signée par le plus possible d'associations et d'individus, doublée d'un gros travail de communication.
Je crois que beaucoup de catholiques se reconnaîtront dans ce billet, en ce qu'ils ont vécu cette année. Pour ma part et comme bien d'autres - chacun à la mesure de ses engagements (et sans parler de ceux directement concernés car touchés au plus profond de leur identité) - j'ai eu le sentiment d'en prendre plein la gueule: j'ai écrit à maintes reprises à la CEF, à son ex président Mgr Vingt-Trois sans avoir reçu ne serait-ce qu'un simple accusé de réception; j'ai interpelé mon évêque sur le parvis de mon église le jour du 15 août, avec pour résultat, la suppression de mon commentaire sur la note théologique n°5 éditée sur son site par la CEF pour la préparation de Diaconia2013, dont je lui avais fait part... Ironie du sort, j'avais dans ce commentaire, donc quelques mois avant la grande polémique, attiré l'attention de la CEF en ces termes "Je sais, le sujet fâche parfois un tantinet dans nos communautés et toujours beaucoup à Rome ; mais la proximité d’un débat politique, dans notre Pays, sur le sujet du mariage civil homosexuel n’est-il pas l’occasion de mettre la question [je parlais de la reconsidération de l'homosexualité par le Magistère] sur le tapis dans le cadre des diaconies et de montrer, avant que certains média n’exacerbent les tensions qui ne manqueront pas de se manifester sur ce thème, que « les communautés catholiques(…)sont capables de prendre publiquement position sur des points qui défient le respect d’autrui et la pratique de la justice pour tous et, dès qu’elles le peuvent, à s’engager dans des actions et propositions susceptibles de changer l’ordre des choses. » Citant là les mots mêmes de l'épiscopat ! "Ils disent et ne font point"...
RépondreSupprimerAlors moi aussi je me suis vu invité à maintes reprises à "aller voir ailleurs", mais je t'avoue que ma réaction est plutôt du style "j'y suis, j'y reste et je ne vous laisserai pas confisquer l’Église catholique"; c'est pourquoi je me sens très proche de la CCBF et que je pense que nous devrions nous rassembler sous cette bannière comme le suggère Else pour faire un front commun qui a cruellement manqué hier pour contrer "la manif pour tous" - pour des raisons que tu analyses très bien - et aujourd'hui, encouragé (à tort peut-être?) par un pape François qui nous demande à penser et agir au plus près de l’Évangile et non pas de la Doctrine, pour faire entendre plus fortement notre voix.
Jean-Christian Hervé