jeudi 11 avril 2013

Désespérer de l'humain

En perdant du temps sur Facebook, je tombe sur cette image, postée sur le mur d’une connaissance végane :
 

Consternation. Sidération. C’était tellement… tellement énorme, tellement impensable, que j’ai d’abord cru à de l’humour. Une forme d’humour douteuse, très noire et pas drôle à la fois (et c’est quelqu’un qui aime l’humour noir qui vous dit ça). Mais si le slogan pouvait passer pour une vilaine blague, le sous-titre avait l’air de se prendre au sérieux.

J’ai donc regardé le paratexte. La personne qui avait partagé ça avait simplement surtitré : « yeahhhhh si ça pouvait être vrai !!!!!! » Bon. Un peu flippant, mais je me suis dit qu’elle avait dû mettre ça sous le coup de l’émotion, ou en rentrant de boîte de nuit à 5h du mat’ chargée comme un âne, ou qu’un ami taquin lui avait piraté son compte (après tout, je ne compte plus le nombre de mes amis qui se sont retrouvés un beau matin avec un statut Facebook comme « miam les bites » ou « je suce des queues », alors pourquoi pas un truc qui promeut la torture des pédophiles ?).

Pour aller plus loin, j’ai lu un peu les commentaires des « amis » de cette personne. C’est là que j’ai commencé à sentir les gouttes froides me rouler sérieusement dans le dos. « C’est clair », « Oh yes », « Je ferais aussi le don des assassins », « les pédophiles, les violeurs, les tortionnaires, les assassins »…

Alors je me suis dit qu’il fallait que je participe. Je crois que je sentais que le combat était perdu d’avance, mais ce n’était pas la question : ce que je cherchais, c’était surtout une confirmation. Est-ce que, avec une petite discussion raisonnée, ils allaient reprendre leurs esprits et me dire que oui, ils étaient très en colère contre les pédophiles, mais que quand même, en effet, on ne pouvait pas les torturer ? Ou allaient-ils s’enferrer ?

Ils s’enferrèrent.

Ils s’enferrèrent même à un degré que je n’avais pas imaginé. Évidemment, on m’a sorti que je n’avais pas d’enfants et que je ne pouvais pas me mettre à la place d’un parent. Ah, manque de bol, j’en ai deux. Bon, mais alors, je suis un père indigne, forcément (forcément, puisqu’un père digne promeut la torture et la mort pour les pédophiles, rappelez-vous). Les droits de l’homme ? Des conneries, puisque ce qu’ont fait les pédophiles, ce n’est pas conforme aux droits de l’homme, et que donc (donc ?) ils n’y ont plus droit (gné ?). La différence entre justice et vengeance ? Mais pourquoi faire une différence, déjà ?

Ceux qui me suivent assidûment se souviennent peut-être que j’avais déjà parlé de mon désarroi devant la conception de la justice de mes élèves de 4e dans un billet intitulé « Difficulté de la miséricorde ». Je ne retire rien à ce billet, et je constate que mes élèves, devenus adultes, continuent de confondre justice et vengeance. Mais je crois qu’on peut tirer de tout cela quelques conclusions politiques.

Souvent, les gens s’imaginent que si je suis royaliste, c’est parce que je considère que le peuple n’a pas les compétences techniques pour gouverner. En effet, il ne les a pas : il ne connaît pas les grands principes politiques, il n’est informé de la situation présente ou de l’histoire passée que de manière très superficielle, il ne comprend qu’assez mal les enjeux des grandes questions qui se posent à nous ; mais au fond, tout cela est assez secondaire. Certes, ça obscurcit la vision de ce qu’il est possible de faire et des moyens à mettre en œuvre pour atteindre un but ; mais on peut toujours constituer une administration exécutive de techniciens de la politique qui rempliront cette fonction.

Si Tol Ardor promeut une Royauté, ce n’est donc pas parce que le peuple manque des compétences techniques pour gouverner, c’est parce qu’il manque des compétences morales. La première qualité du dirigeant, Platon le disait déjà, est d’être philosophe, c’est-à-dire d’avoir une vision aussi claire que possible de ce qui est bien et de ce qui est mal. De ce qui est juste et de ce qui est injuste. De ce qui est vrai et de ce qui est faux.

La page Facebook d’où provenait cette image a été ouverte le 28 novembre 2009. Elle affiche clairement la couleur et s’intitule « Pour que les pédophiles remplacent les animaux dans les labos. » Elle a 41 886 likes. Alors que Facebook censure sans pitié le moindre morceau de fesse, celle-ci, qui, en plus de faire des amalgames assez douteux entre prêtres et pédophiles, appelle quand même au meurtre et à la torture, n’a pas l’air plus inquiétée que ça. Le blog associé, du même nom, a quand même été suspendu par OverBlog « suite à un signalement d’abus ».

 



 












Alors moi, quand je vois qu’on offre le droit de vote, donc qu’on confie une participation – même infime (Dieu merci) – au processus d’élaboration des lois à des gens qui écrivent sans ciller que « moi, si je devais punir les pédophiles ce serait d’abord les couilles que je leur arrache et ensuite leur infliger les souffrances qu’ils infligent aux enfants », ou qui utilisent comme « argument » l’idée que « la justice ahahah… j’en resterai là !!! », ça me rend malade.

Franchement, les gens… Mais comment peut-on être démocrate ?

3 commentaires:

  1. I constantly have to remind myself that revenge should only be the work of God. That justice should not be motivated by revenge. Nice of you to share this. Very enlightening, as always.

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  2. Heu ... alors je suis totalement d'accord avec toi pour dire que c'est du grand n'importe quoi. Les pédophiles le but c'est de les neutraliser pour qu'ils cessent de nuire, pas de les faire souffrir. La justice se doit d'être impartiale et la torture pratiquée pour autre chose qu'obtenir des réponses à des questions indique clairement un parti pris (pas que je sois pour la torture dans le but d'obtenir des infos, hein, mais au moins là ça a une logique, abominable certes, mais une logique).
    En revanche, la limite entre justice et vengeance me semble moins radicale que ce que tu sembles dire. La seule différence à mon sens est que la vengeance est une justice personnelle alors que ce que l'on appelle aujourd'hui la Justice est une justice communautaire / étatique / royale ... selon l'endroit ou elle est pratiquée. Il est évident qu'une justice personnelle ne peut en aucun cas fonctionner dans une société, mais de la à lui refuser le terme de "justice" c'est un peu sévère !

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  3. "la torture pratiquée pour autre chose qu'obtenir des réponses à des questions indique clairement un parti pris (pas que je sois pour la torture dans le but d'obtenir des infos, hein, mais au moins là ça a une logique, abominable certes, mais une logique)."

    En fait non, cela n'en a réellement pas plus que la torture pour rendre justice - les deux ayant été pratiquées couramment jusqu'à la Renaissance au moins (voir l'ouverture assez hard de "Surveiller et Punir" de Michel Foucault). On torturait pour aveux, on torturait pour l'exemple, on torturait en rétribution d'une faute. Tout cela a une logique, voire une certaine efficacité (horresco referens). La question n'est pas tant liée au degré de l'efficacité ou à l'inanité de la pratique qu'au caractère non négociable de sa barbarie.

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