Lors de la campagne pour les élections européennes de 2009,
le groupe de pression Libertas, alors dirigé par Philippe de Villiers et
Frédéric Nilhous (et pour lequel, faut-il le préciser, je n’ai pas instinctivement
une immense sympathie), avait réalisé un montage vidéo très bien fait et que j’avais
trouvé très drôle : en utilisant des images de La menace fantôme, il parodiait les instances européennes (en
particulier le Parlement et la Commission) et les représentait sous les traits
d’un groupe de « bullocrates » siégeant dans un « moulodrome »
et dirigés par un « Grand Abstrait », le tout étant occupé à pondre
en permanence des lois inutiles et même nuisibles.
Si les élections européennes avaient lieu prochainement, les
opposants à l’UE telle qu’elle se construit en ce moment pourraient ressortir
cette vidéo sans en changer un pixel, car la réalité rattrape la fiction. Comme
l’indique un article du Monde, un
rapport scientifique mandaté par la Commission de Bruxelles et portant sur la
fabrication des parfums prône l’interdiction de trois ingrédients « potentiellement
allergisants » et une limitation très stricte de certaines substances naturelles.
Problème : tous ces ingrédients sont extrêmement utilisés dans la
parfumerie aujourd’hui.
Qu’on se préoccupe de santé publique, c’est normal. Que l’Union
européenne ponde des normes pour protéger ses citoyens, c’est son rôle. Mais il
faudrait quand même apprendre un peu à faire la différence entre ce qui est
essentiel et ce qui ne l’est pas. Alors que cette même Commission ferraille
tant qu’elle peut pour faire autoriser les OGM, alors qu’elle est incapable de
contrôler efficacement la filière de la viande bovine, alors qu’elle ferme les
yeux sur les conflits d’intérêts, pourtant gros comme des pyramides, de ses
prétendus « experts », je trouve un peu fort qu’elle se préoccupe de
détails aussi infimes.
Parce que tout de même, de quoi parle-t-on ? De
substances « potentiellement allergisantes ». Pas « cancérigènes »,
non : « allergisantes ». À mon avis, on est très loin de l’urgence
sanitaire ; aucune vie ne m’a l’air en danger. Face à ce « risque »
bien minime, on a bien sûr les risques pour les emplois, bien réels quant à eux ;
et sans rien enlever à l’importance de ces considérations économiques (qui
signifient tout pour les familles concernées), je voudrais souligner en outre le
risque pour les parfums eux-mêmes.
On a déjà perdu des parfums. En 2003, d’après le même article
du Monde, la réglementation
européenne (déjà…) avait conduit les industriels du parfum à appliquer un principe
de précaution qui avait été à l’origine de la modification de nombreux parfums
et de la disparition de quelques-uns. Bien sûr, beaucoup de gens diront que ce
n’est pas grave, que ce ne sont que des parfums et qu’ils en font d’autres. Je
suis d’accord pour dire qu’il y a plus grave, évidemment ; mais pas pour
dire que c’est sans aucune importance.
Un parfum, c’est quelque chose qui oscille entre commerce et
génie, entre produit artisanal et œuvre d’art. Perdre une note dans un parfum,
c’est perdre tout le parfum, comme perdre une note dans une symphonie
reviendrait à perdre toute la symphonie. Et perdre un parfum, c’est perdre quelque
chose d’unique. Pas seulement quelque chose qui vous parfume et que vous aimez,
mais quelque chose qui vous évoque des souvenirs, des émotions. C’est perdre une
madeleine de Proust. Quoi de plus évocateur qu’un parfum ? Parfois, je
plonge la tête dans un tiroir ou dans un drap, et sans crier gare, je me
retrouve il y a 20 ans chez ma grand-mère. Quand je m’asperge de Touch, j’ai l’impression d’être revenu
en prépa et de rencontrer à nouveau ma future femme.
La Commission européenne a tout à gagner à se désintéresser
de ce rapport et à se pencher sur quelques vraies questions. Elle évitera de
créer des problèmes là où il n’y en a aucun. Elle aura même une petite chance
de régler un vrai problème ou deux. Et, chez les citoyens qu’elle prétend
diriger, elle fera peut-être renaître un peu de la confiance que, jusqu’à
présent, elle s’est toujours acharnée à dilapider avec la même constance et la même
stupidité.
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