mercredi 17 décembre 2014

Soit les animaux ont une âme, soit le pape est un peu hérétique

Que les animaux ont une âme, j’en suis convaincu depuis bien longtemps. Dans le monde catholique, je suis d’ailleurs loin d’être le seul. Tolkien, dans ses œuvres, accordait aux animaux, et même aux plantes, tout ce qui laissait supposer la présence d’une âme, en particulier le langage et la pensée. Saint François d’Assise considérait lui aussi les animaux comme les frères de l’homme, les soignait et leur parlait.

La Bible elle-même va parfois dans le même sens. Dans sa vision de la fin des temps décrite dans l’Apocalypse, Jean affirme que « toutes les créatures qui sont dans le ciel, sur la terre, sur la mer et tout ce qui s’y trouve […] disaient : “À celui qui est sur le trône, et à l’Agneau, soient la louange, l’honneur, la gloire et la force, pour les siècles des siècles !” ». Toutes les créatures vivantes louent donc Dieu. Daniel va dans le même sens : « Que les monstres marins et tout ce qui s’agite dans les eaux bénissent le Seigneur, qu’ils le chantent et le glorifient éternellement ! Que tous les oiseaux du ciel bénissent le Seigneur, qu’ils le chantent et le glorifient éternellement ! Que toutes les bêtes et tous les animaux bénissent le Seigneur, qu’ils le chantent et le glorifient éternellement ! »

Les Écritures tendent aussi à dire que les êtres vivants non humains seront présents au Paradis. Le psaume 36 déclare ainsi que le salut de Dieu s’étend aux animaux : « Éternel ! tu sauves les hommes et les bêtes. » De même, dans la description qu’il fait du Royaume de Dieu, Isaïe affirme que « le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra ; sur le trou de la vipère, l’enfant étendra la main. » Plus loin, il ajoute que « le serpent se nourrira de poussière ». Non seulement les animaux sont présents au Royaume de Dieu, mais ils y vivent dans une harmonie parfaite.

De manière plus générale, les descriptions du Paradis qu’on peut trouver dans la Bible, particulièrement dans l’Ancien Testament, le font ressembler à un vaste jardin, ou à une nature idyllique, dans lequel se trouveraient non seulement des animaux mais aussi des plantes.  Ce qui concorde avec nos représentations et nos désirs ; je pourrais reprendre à mon compte, en les déformant légèrement, les propos d’une lectrice du International New York Times qui disait en substance : s’il n’y a pas d’animaux et de plantes au Paradis, moi, je n’y vais pas.

Cette tradition a enfin été illustrée par plusieurs papes. Paul VI, à un enfant qui pleurait la mort de son chien, avait répondu qu’« un jour, nous reverrons nos animaux dans l’éternité du Christ ». Jean-Paul II, lors de l’audience générale du 10 janvier 1990, avait affirmé que « les animaux ont eux aussi une respiration ou un souffle vital qu’ils ont reçu de Dieu. De ce point de vue, l’homme, sorti des mains de Dieu, apparaît solidaire de tous les êtres vivants. » Contrairement à Paul VI, il n’affirmait pas qu’ils eussent une âme immortelle, et Benoît XVI avait même explicitement refusé cette hypothèse dans un sermon de 2008. Mais François, en affirmant que « le Paradis est ouvert à toutes les créatures de Dieu », reprend la position de Paul VI : non seulement les animaux ont une âme, mais cette âme est immortelle et destinée au Royaume de Dieu.

Pour moi, c’est assez évident quand on considère la simple biologie : certains animaux sont si proches de nous qu’il est assez délicat de leur refuser une âme à laquelle nous croyons pour nous-mêmes. Mais une fois ce premier pas franchi, où s’arrête-t-on ? Quand on a pris conscience qu’il n’y a pas de rupture radicale entre l’homme et les autres animaux (car l’homme, il faut le rappeler, est aussi un animal), on voit aussi qu’il n’y a pas de rupture radicale entre les animaux non humains. Ce qu’on accorde, métaphysiquement, aux singes et aux chiens, puis aux autres mammifères, pourquoi ne pas l’accorder aux oiseaux et en fait aux autres vertébrés ? Et pourquoi seulement aux vertébrés ? Et une fois qu’on l’accorde aux méduses, pourquoi ne pas l’accorder aux plantes ? Autant pour Jean d’Ormesson qui affirmait bien péremptoirement que « personne ne pense sérieusement qu’il puisse y avoir, après la mort, une vie éternelle ni un paradis pour les lézards, pour les fauvettes, pour les gorilles, les bonobos ou les chimpanzés[1] » !

Quitte à décréter des dogmes à tire-larigot, en voilà un qu’on pourrait poser : l’immortalité de l’âme des êtres vivants non humains.

Quelles en seraient les conséquences concrètes ? Je ne pense pas, contrairement à ce qu’imaginent certains en ce moment, que les déclarations du pape soient de nature à pousser les chrétiens au végétarisme ou a fortiori au véganisme. Les chrétiens croient en une âme humaine immortelle, et cela ne les empêche pas de tuer d’autres humains dans certains cas de figure (légitime défense, guerre légitime etc.). De la même manière, je pense avoir déjà montré qu’on peut parfaitement aimer et respecter les animaux – et les plantes – tout en les tuant pour satisfaire nos besoins, en particulier alimentaires.

En revanche, il est certain que croire que les êtres vivants non humains ont également une âme, et une âme immortelle, change forcément notre regard sur eux : s’ils ont une âme immortelle, c’est que fondamentalement ils sont nos égaux, parce que Dieu Se préoccupe autant d’eux que de nous ; aussi bien que nous, ils sont Ses enfants, nos frères. Nous n’avons donc pas de domination sur eux, mais seulement une responsabilité – qu’on relise ce que Tol Bombadil dit des créatures qui vivent sur son domaine. Cela n’interdit pas de les tuer, mais cela impose un grand respect dans l’élevage, la culture, le transport, la mise à mort, respect dont notre civilisation techno-industrielle est, pour l’instant, absolument dépourvue.



[1] Jean d’Ormesson, Comme un chant d’espérance, chapitre XXVII.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire