Que les animaux ont une âme, j’en suis convaincu depuis bien
longtemps. Dans le monde catholique, je suis d’ailleurs loin d’être le seul. Tolkien,
dans ses œuvres, accordait aux animaux, et même aux plantes, tout ce qui laissait
supposer la présence d’une âme, en particulier le langage et la pensée. Saint
François d’Assise considérait lui aussi les animaux comme les frères de l’homme,
les soignait et leur parlait.
La Bible elle-même va parfois dans le même sens. Dans sa
vision de la fin des temps décrite dans l’Apocalypse, Jean affirme que « toutes
les créatures qui sont dans le ciel, sur la terre, sur la mer et tout ce qui s’y
trouve […] disaient : “À celui
qui est sur le trône, et à l’Agneau, soient la louange, l’honneur, la gloire et
la force, pour les siècles des siècles !” ». Toutes les créatures
vivantes louent donc Dieu. Daniel va dans le même sens : « Que les
monstres marins et tout ce qui s’agite dans les eaux bénissent le Seigneur, qu’ils
le chantent et le glorifient éternellement ! Que tous les oiseaux du ciel
bénissent le Seigneur, qu’ils le chantent et le glorifient éternellement !
Que toutes les bêtes et tous les animaux bénissent le Seigneur, qu’ils le
chantent et le glorifient éternellement ! »
Les Écritures
tendent aussi à dire que les êtres vivants non humains seront présents au
Paradis. Le psaume 36 déclare ainsi que le salut de Dieu s’étend aux
animaux : « Éternel ! tu sauves les hommes et les bêtes. » De
même, dans la description qu’il fait du Royaume de Dieu, Isaïe affirme que « le
loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau
et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache
et l’ourse auront même pâture, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le
bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra ;
sur le trou de la vipère, l’enfant étendra la main. » Plus loin, il ajoute
que « le serpent se nourrira de poussière ». Non seulement les
animaux sont présents au Royaume de Dieu, mais ils y vivent dans une harmonie
parfaite.
De manière plus générale, les descriptions du Paradis qu’on
peut trouver dans la Bible, particulièrement dans l’Ancien Testament, le font ressembler
à un vaste jardin, ou à une nature idyllique, dans lequel se trouveraient non
seulement des animaux mais aussi des plantes. Ce qui concorde avec nos représentations et
nos désirs ; je pourrais reprendre à mon compte, en les déformant légèrement,
les propos d’une lectrice du International
New York Times qui disait en substance : s’il n’y a pas d’animaux et
de plantes au Paradis, moi, je n’y vais pas.
Cette tradition a enfin été illustrée par plusieurs papes.
Paul VI, à un enfant qui pleurait la mort de son chien, avait répondu qu’« un
jour, nous reverrons nos animaux dans l’éternité du Christ ». Jean-Paul
II, lors de l’audience générale du 10 janvier 1990, avait affirmé que « les
animaux ont eux aussi une respiration ou un souffle vital qu’ils ont reçu de
Dieu. De ce point de vue, l’homme, sorti des mains de Dieu, apparaît solidaire
de tous les êtres vivants. » Contrairement à Paul VI, il n’affirmait pas
qu’ils eussent une âme immortelle, et
Benoît XVI avait même explicitement refusé cette hypothèse dans un sermon de
2008. Mais François, en affirmant que « le Paradis est ouvert à toutes les
créatures de Dieu », reprend la position de Paul VI : non seulement
les animaux ont une âme, mais cette âme est immortelle et destinée au Royaume
de Dieu.
Pour moi, c’est assez évident quand on considère la simple
biologie : certains animaux sont si proches de nous qu’il est assez
délicat de leur refuser une âme à laquelle nous croyons pour nous-mêmes. Mais
une fois ce premier pas franchi, où s’arrête-t-on ? Quand on a pris
conscience qu’il n’y a pas de rupture radicale entre l’homme et les autres
animaux (car l’homme, il faut le rappeler, est aussi un animal), on voit aussi
qu’il n’y a pas de rupture radicale entre les animaux non humains. Ce qu’on
accorde, métaphysiquement, aux singes et aux chiens, puis aux autres
mammifères, pourquoi ne pas l’accorder aux oiseaux et en fait aux autres
vertébrés ? Et pourquoi seulement aux vertébrés ? Et une fois qu’on l’accorde
aux méduses, pourquoi ne pas l’accorder aux plantes ? Autant pour Jean d’Ormesson
qui affirmait bien péremptoirement que « personne
ne pense sérieusement qu’il puisse y avoir, après la mort, une vie éternelle ni
un paradis pour les lézards, pour les fauvettes, pour les gorilles, les bonobos
ou les chimpanzés[1] » !
Quitte à décréter des dogmes à tire-larigot, en voilà un qu’on pourrait poser : l’immortalité de l’âme des êtres vivants non humains.
Quitte à décréter des dogmes à tire-larigot, en voilà un qu’on pourrait poser : l’immortalité de l’âme des êtres vivants non humains.
Quelles en seraient les conséquences concrètes ? Je ne
pense pas, contrairement à ce qu’imaginent certains en ce moment, que les
déclarations du pape soient de nature à pousser les chrétiens au végétarisme ou
a fortiori au véganisme. Les chrétiens
croient en une âme humaine immortelle, et cela ne les empêche pas de tuer d’autres
humains dans certains cas de figure (légitime défense, guerre légitime etc.). De
la même manière, je pense avoir déjà montré qu’on peut parfaitement aimer et
respecter les animaux – et les plantes – tout en les tuant pour satisfaire nos
besoins, en particulier alimentaires.
En revanche, il est certain que croire que les êtres vivants
non humains ont également une âme, et une âme immortelle, change forcément
notre regard sur eux : s’ils ont une âme immortelle, c’est que
fondamentalement ils sont nos égaux, parce que Dieu Se préoccupe autant d’eux
que de nous ; aussi bien que nous, ils sont Ses enfants, nos frères. Nous
n’avons donc pas de domination sur eux, mais seulement une responsabilité – qu’on
relise ce que Tol Bombadil dit des créatures qui vivent sur son domaine. Cela n’interdit
pas de les tuer, mais cela impose un grand respect dans l’élevage, la culture,
le transport, la mise à mort, respect dont notre civilisation techno-industrielle
est, pour l’instant, absolument dépourvue.
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