Chère Christiane Taubira,
Umberto Eco commençait ainsi une lettre au cardinal Martini,
qu’il apostrophait par son nom :
« Ne voyez aucun
irrespect de ma part si je vous appelle par votre nom, sans faire la moindre référence
à l’habit que vous portez. Prenez-le comme un hommage et un acte de prudence.
Hommage car j’ai toujours été frappé par la façon dont les Français, quand ils
interviewent un écrivain, un artiste ou une personnalité politique, évitent d’employer
des titres réducteurs, du type professeur, éminence ou ministre. Il est des
gens dont le capital est le nom sous lequel ils signent leurs idées. Aussi les Français
s’adressent-ils à ceux dont le nom est le titre le plus prestigieux en disant “Bonjour,
Jacques Maritain” ou “Dites-moi, Claude Lévi-Strauss”. C’est reconnaître une
autorité qui existerait même si le sujet n’était pas devenu ambassadeur ou
académicien. »
Vous, entre toutes, saurez me pardonner cette longue
citation introductive. Hommage donc, et acte de prudence aussi, quoique pour d’autres
raisons que celles qu’évoquait Umberto Eco.
Il y a longtemps que je voulais vous dire l’admiration que j’ai
pour vous, et l’entrevue que vous avez bien voulu accorder au Petit Journal de
Canal + m’en donne l’occasion. Vous y apparaissez telle que je vous pensais, et
assez largement, je crois, telle que vous êtes.
Merci d’abord pour votre caractère. On vous voit râleuse et
bougonne, on vous devine assez autoritaire, parfois cassante. Mais ce ne sont
pas des défauts : ce sont les marques d’une humanité que, trop souvent,
les politiciens cherchent à gommer pour ne plus présenter qu’une image lisse et
consensuelle. Ils oublient qu’ils ne sont ni des robots, ni des surhommes, et
par-dessus tout ils oublient que nous, nous ne l’oublions pas ; ainsi
cherchent-ils à paraître ce qu’ils ne sont pas. Vous, vous venez comme vous êtes.
Vous n’essayez pas de vous conformer à ce qu’on attend de vous, ou à ce que
vous pensez qu’on attend de vous, contrairement à d’autres qui tournent avec le
vent et veulent nous persuader tantôt qu’ils changent, tantôt qu’ils sont toujours
les mêmes, tantôt qu’ils sont énergiques et violents, tantôt qu’ils sont calmes
et posés.
Merci donc pour vos coups de gueule, pour vos répliques
cinglantes et drôles, pour votre autorité si nécessaire à une action politique efficace.
C’est ce qui fait le sel de la vie politique, quand tant d’autres n’ont à y
apporter que de la naphtaline.
Merci aussi pour votre culture. Parmi des hommes politiques incultes,
sans vision, sans profondeur de pensée, dont on se demande s’ils lisent, s’ils
vont au théâtre ou au concert, vous incarnez l’héritage d’une autre époque.
Presque seule – Jean-Luc Mélenchon, parmi les politiciens encore actif, est à
peu près le seul à vous rejoindre là-dessus –, vous êtes capable de citer des
poètes, des écrivains, des philosophes. Alors que tant d’autres sont enfermés dans
une bulle, vous savez leur rappeler qu’il y a une vie en-dehors de la politique,
et même que la vraie vie est en-dehors de la politique. Vous savez bien en tout
cas que cette dernière ne peut pas être auto-référencée, qu’elle n’est en fin
de compte qu’un moyen et non une fin, et que le but qu’elle sert, c’est le
bonheur, dont l’art et la philosophie, par les accomplissements qu’ils permettent
à l’homme, sont deux piliers essentiels.
Merci enfin pour votre courage, pour votre persévérance et
pour votre action politique en général. Merci bien sûr pour la loi qui porte
votre nom et qui, vous le savez, est d’une ampleur, d’une portée historiques.
Elle dépasse de très loin en importance la réforme du PACS, qui était peut-être
une étape nécessaire dans la marche vers l’égalité entre homosexuels et hétérosexuels,
mais qui était également une manière de refuser encore ce but ultime, ou du
moins de le différer. L’opposition, le rejet, la haine dont votre projet, puis
votre loi, enfin votre personne ont fait l’objet sont la meilleure preuve de l’ampleur
du changement de société que votre texte a renforcé.
La loi sanctionne parfois une évolution des représentations
déjà accomplie ; parfois elle la précède et l’initie ou la fortifie.
Certains peuvent avoir peur des déchirures sociales qui ont lieu alors, de la
division du pays ; certains disent qu’avoir raison avant tout le monde est
une manière d’avoir tort. Je crois qu’ils se trompent : on n’a jamais raison
à contretemps, et ce sont les précurseurs qui font l’histoire. Vous n’avez jamais
baissé les bras, et la loi Taubira – c’est d’ailleurs cela la vraie raison
cachée derrière tant de discours qui ont pris les enfants pour prétexte – va
banaliser l’homosexualité dans notre pays. Banaliser, rendre normal, donc
rendre acceptable par le plus grand nombre : tout est là, et on ne pouvait
pas faire de plus grand cadeau aux homosexuels. Si ce n’était que pour cela,
vous pourriez, pour reprendre vos termes, partir sans regret au moment de
baisser les paupières.
Vous ne vous êtes pas laissé décourager par tous ceux qui
hurlaient, qui concentraient sur vous leur colère, leur haine, leur rage d’avoir
perdu la bataille idéologique : les Morano, les Dati, les Ciotti, les Le
Pen père, fille et petite-fille, les Zemmour, tous les représentants de la politique
de la non-pensée – je reprends encore vos termes si vrais –, tous ceux que vous
surpassez et surclassez de si loin. Je ne suis pas aussi sûr que vous,
malheureusement, que le vent les ait déjà balayés ; l’histoire montre que
la politique par la négation de la pensée a parfois de beaux jours devant elle,
qui sont de tristes jours pour beaucoup, avant que d’être balayée. Mais vous
avez raison sur le long terme ; pour citer un auteur qui m’est très cher, « l’Ombre
n’est en fin de compte qu’une petite chose passagère : il existe, à jamais
hors de son atteinte, une lumière et une grande beauté ».
Merci donc pour le choix que vous avez fait de participer à
la politique de ce gouvernement. On vous le reproche, parfois avec de bons
arguments. Il est vrai que vous apportez une certaine caution à un gouvernement
qui ne la mérite pas. Mais c’est accessoire, et chacun devrait le comprendre.
Vous avez fait le choix d’agir et de faire changer les choses hic et nunc ; cela nécessite d’avoir
le pouvoir politique, et cela implique donc de s’allier aux hommes moindres qui
peuvent l’obtenir. Jean-Luc Mélenchon, encore lui, a fait le choix inverse :
plutôt que de faire changer les choses de l’intérieur du Système, ce qui
implique d’en conserver l’essentiel, lui a choisi d’en sortir pour le critiquer
de l’extérieur et chercher à le déconstruire entièrement. Son choix n’est ni
moins noble, ni moins courageux, ni moins utile que le vôtre, mais il ne l’est
pas non plus davantage. En un clin d’œil à vos adversaires, qui sont aussi les
miens, je dirais que vos deux choix sont complémentaires.
Merci, et restez celle que vous êtes. Ce n’est pas tant la France
que vous servez avec opiniâtreté : c’est l’Amour. C’est autrement plus important.
Meneldil Palantír Talmayar
Catholique pratiquant
Président
de l’association Tol Ardor
Superbe lettre. Christiane Taubira est une femme très brillante.
RépondreSupprimerSauf qu'elle a fait arrêter la construction de prisons (et on s'aperçoit à la fin du mandat de Hollande qu'elles sont surpeuplées), qu'elle a légalisé le fait que des enfants ne puissent pas savoir leur père/mère (et le problème des enfants nés sous X est connu), qu'elle souhaite faire venir plus d'immigrés (mais que le 115 est surchargé : si on n'a pas de quoi gérer les pauvres déjà chez nous n'est-ce pas bizarre de vouloir en faire venir plus ?). Bref, elle met la gauche devant ses propres contradictions. Mais ces contradictions renforcent la droite. Et si on essayait d'être moins idéologue à gauche et moins brutal à droite ? A mon avis les deux se répondent et Mme Taubira a sa place dans cet échiquier.
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