Le Brésil discute actuellement de la légalisation de l’avortement ;
selon l’agence de presse (très) favorable au Vatican ZENIT, ce projet « inquiète
la communauté catholique du pays ». Comme d’habitude dans ce genre d’affaires,
je ne suis pas bien certain que ZENIT se soit vraiment soucié de consulter
ladite « communauté catholique » avant de se prononcer aussi
formellement, ni que tous les
catholiques du pays soient si inquiets que ça, mais passons : ce genre de
manipulation et de récupération est devenu extrêmement courant et je sens qu’il
vaut mieux s’y habituer ; dans les années à venir, de nombreux catholiques
apprendront ainsi par certains médias qu’ils « s’inquiètent » de
discussions sur le mariage homosexuel, l’avortement, l’euthanasie etc. Peut-être
même leur apprendra-t-on qu’ils sont carrément hostiles à tout cela.
Toujours est-il que ZENIT a profité de l’occasion pour
donner la parole au père Paulo Ricardo Avezedo Jr., de l’archidiocèse de
Cuiabá, apparemment célèbre pour ses prédications. Et on se retrouve avec un
discours qui, lui aussi, devient habituel : l’Église « n’a pas de
candidats à elle », mais tout de même, elle « oriente les fidèles à
choisir les candidats qui œuvrent au bien commun ». Et pour définir le « bien
commun » en question, notre brave père Avezedo nous récite, au cas où on
les aurait oubliées, les fameuses « valeurs non négociables » dont
Benoît XVI parle à l’envi.
Pour mémoire, ces « valeurs non négociables » sont
les enseignements de l’Église qui, sans relever de la Révélation ou du dépôt de
la foi, n’en constitueraient pas moins des pierres d’achoppement sur lesquelles
il ne serait pas possible de transiger. On nous les ressort donc à chaque
élection, en nous rappelant bien qu’on vote pour qui on veut, mais qu’il y a
des choses qui devraient empêcher un catholique de voter pour un candidat.
Or, ça vaut le coup d’y réfléchir : même si, en France,
on vient de passer les élections les plus importantes, et que donc on a la paix
pour quelque temps, mieux vaut se préparer assez tôt, pour ce genre de choses. Et
puis l’avantage en démocratie, c’est que des élections, on s’en fait un peu
tout le temps et pour n’importe quoi, si bien que les prochaines arriveront
avant qu’on y prenne garde. Quelles sont-elles donc, ces valeurs dites non négociables ?
Elles sont de trois ordres, que je laisse au père Avezedo le soin de développer :
« D’abord :
le respect de la vie humaine, dès sa conception jusqu’à sa mort naturelle. Là
entre toute la question de l’avortement, de l’euthanasie etc. Deuxièmement :
la famille, fruit d’un mariage monogamique, unique, indissoluble, entre un
homme et une femme. […] Et troisièmement : l’éducation des enfants, soit
la liberté des parents d’éduquer leurs enfants sans interférences de l’Etat sur
la nature des valeurs à leur transmettre. »
C’est tout ? Ah ! non ! c’est un peu court,
jeune homme ! C’est ça qu’il faudrait considérer avant de glisser un
bulletin dans l’urne ? L’humanité n’aurait pas à faire face à des problèmes
un peu plus graves, un peu plus sérieux, un peu plus urgents que le mariage
homosexuel ou la place de l’école privée ?
Rêvons un peu : si j’étais pape (qui sait ?), qu’est-ce
que je déclarerais non négociable ? Selon quels critères demanderais-je à
mes fidèles de déterminer leurs choix électoraux ? J’en prendrais trois,
moi aussi (trois, ça fait toujours son petit effet).
1/ La défense de la vie humaine, ok. Mais d’une vie humaine
bien entendue : c’est-à-dire en comprenant qu’elle ne commence pas
forcément avec la pénétration d’un spermatozoïde dans un ovule ; et en
admettant que tout le monde n’a pas forcément la même idée de ce qu’est une vie
digne d’être vécue, et que donc chacun est libre de choisir sa mort, et peut, dans
certains cas extrêmes, demander à cette fin l’aide de la société.
2/ La défense de la justice sociale : des aides aux
plus fragiles et aux plus pauvres, des écarts de revenus pas démesurés, la
construction d’un système qui broie moins les individus qu’il dirige. La lutte
pour la tolérance et pour le respect de la différence, y compris sexuelle. La
lutte aussi contre les abus du pouvoir, contre les dérives sécuritaires, contre
le déni de certaines libertés fondamentales, contre la surveillance de la vie
privée, contre la torture. Tout ça, ce sont des choses qui existent. C’est quand
même curieux que le Vatican considère ça comme moins important, plus négociable
que le mariage gay.
3/ La défense de la nature : l’exigence du respect
envers toutes les formes de vie, non seulement parce qu’elles nous sont utiles,
mais aussi pour leur valeur intrinsèque ; une action efficace en faveur de
la protection des écosystèmes et des espèces menacés ; la lutte contre les
modifications climatiques, contre les pollutions, contre la surpopulation
humaine. Est-ce vraiment moins important que l’école privée ?
Allez Benoît, un bon mouvement : tu as encore un peu d’influence,
et sans doute pas mal d’élections devant toi. Il est encore temps de redevenir
à la fois crédible, audible, pertinent et utile.
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