L’institut Civitas s’apprête à frapper encore. Fin 2011, ce
groupuscule aux ambitions politiques affichées avait montré son hostilité à la
liberté d’expression en cherchant à faire interdire, ou à empêcher de facto, des expositions ou des pièces
de théâtre par lui jugées « christianophobes », en particulier Piss Christ, Sur le concept du visage du fils de Dieu et Golgotha Picnic. A l’époque, fatigué de toujours parler de ça avec
tout le monde, je n’avais pas eu envie d’en parler ici. J’aurais dû, car la
liberté d’expression est véritablement
menacée, et de plus en plus : autant par certains athées qui voudraient
cantonner le religieux à la seule sphère privée que par certains croyants qui
voudraient rétablir le délit de blasphème (et c’est un catholique pratiquant
qui le dit).
Bref. Toujours est-il que Civitas, qui doit faire parler d’elle
régulièrement afin de préparer sa campagne pour les élections de 2014, revient
sur le devant de la scène au profit de l’actualité. François Hollande veut
autoriser en France le mariage pour les personnes du même sexe ? Civitas lance
une vaste campagne de lobbying visant à empêcher le projet d’aboutir. Affiches,
autocollants, pétitions, d’autres choses suivront encore probablement ;
ils sont très fiers et très contents d’eux.
Eh bien cette campagne, je l’attends avec impatience. Qu’on
organise un véritable débat sur le mariage et l’adoption pour les couples
homosexuels : je ne demande que cela ! Et je vais plus loin :
organisons non seulement un débat de société en France, mais organisons un
débat dans l’Église ! Ainsi apparaîtra la vacuité des arguments de mes
adversaires.
Aussi suis-je bien certain que Civitas, en fait, se gardera
bien loin de tout débat véritable. Elle collera ses petits autocollants,
utilisera ses petits slogans, jouera sur les peurs des gens, mais elle n’entrera
probablement pas dans une véritable discussion.
Posons donc, nous, quelques réflexions préalables, pour déminer
le terrain, en attendant qu’ils tirent.
1. Ils nous disent que le mariage, c’est un homme et une
femme ; que la famille, c’est un père et une mère. Voilà typiquement le
raisonnement qui tourne en rond en partant de ce qu’il veut démontrer : « Le
mariage entre deux personnes du même sexe est impossible ! Pourquoi ?
Parce que le mariage ne peut être qu’entre deux personnes de sexes différents. »
Autrement dit, le mariage homosexuel est impossible parce que le mariage homosexuel
est impossible. Mais cela, ce n’est qu’une
définition possible de la famille et du mariage. Si rien ne vient conforter
cette vision en raison, pourquoi ne
pas l’abandonner pour une autre ? Au cours de notre histoire, nous avons
déjà changé notre conception de l’État, de l’autorité, de la religion, de l’éducation ;
pourquoi la famille échapperait-elle seule à cette règle ?
2. Ils nous disent que la différence des sexes est
constitutive de l’humanité, qu’elle est une réalité naturelle avant d’être une
réalité culturelle, et qu’elle est donc incontournable. Certes, je suis absolument
d’accord ; mais cela ne justifie pas qu’on pose cette différence comme
étant un élément constitutif de ce qu’on appelle une « famille » ou
un « mariage » ; c’est encore et toujours une question de
définition.
3. Ils nous disent que le mariage doit être ouvert aux
enfants, et que les homosexuels ne peuvent pas en avoir. Certes. Mais alors, qu’ils
aillent au bout de leur raisonnement : si ne peuvent se marier que deux personnes
qui pourraient avoir des enfants, alors le mariage doit être rigoureusement interdit
aux personnes stériles ainsi qu’aux femmes ménopausées, qui ne peuvent pas plus
avoir d’enfants que les homosexuels.
4. Ils nous disent que le mariage homosexuel est interdit
par la Bible. Ça ne gêne pas beaucoup les incroyants. Ça ne me gêne pas beaucoup
non plus : comme je le répète sans arrêt, la Bible commande de mettre à
mort les femmes qui n’arriveraient pas vierges au mariage, les apostats, les
adultères et bien d’autres ; de toute évidence, il ne faut donc pas
prendre tout ce qu’il y a dedans au pied de la lettre.
5. Ils nous disent que le mariage homosexuel est contraire à
la volonté de Dieu, ou à la loi naturelle (deux mots pour dire la même chose). Encore
quelque chose qui ne gêne pas les incroyants. Mais qui ne me gêne pas du tout
non plus, car comment le savoir ? Non pas que la volonté de Dieu ne puisse
être l’objet d’aucune forme de connaissance, mais elle ne peut certainement être
l’objet d’aucune certitude. Moi je dis qu’il y est conforme, au contraire :
pourquoi aurais-je moins raison que les autres ? Ils me répondent que le
Magistère et la Tradition de l’Église sont de leur côté : certes, mais comme
ils ont dit à peu près autant de bêtises que la Bible, je crains qu’on ne
puisse pas davantage les prendre comme parfaitement sûrs. Je suis tout à fait d’accord
pour dire qu’il est possible de porter des jugements en matière de sexualité :
pour moi, la pédophilie ou la zoophilie sont objectivement mauvaises et
condamnables. Mais je sais dire pourquoi : parce qu’elles impliquent des
relations sexuelles avec des êtres qui, pour des raisons diverses, ne peuvent
pas être considérés comme libres et consentants. Ceux qui portent un jugement
moral négatif sur l’homosexualité peuvent-ils, eux aussi, expliquer les raisons de ce jugement ?
6. Ils nous disent qu’autoriser le mariage homosexuel nous
conduirait à adopter plus tard d’autres évolutions comme la polygamie (certains
parlent même de l’inceste ou du mariage avec des animaux). C’est évidemment stupide :
parce qu’ils trouvent deux choses également ignobles, ils ne peuvent pas s’imaginer
que nous aimions l’une et pas l’autre. C’est aussi idiot que de dire que si on
autorise le haschisch, on autorisera forcément l’héroïne ou le LSD. Ou que de
dire que si on abaisse la majorité à 18 ans, on finira par l’abaisser à 3 ans.
Ou que de dire que si on monte dans un train, on ne pourra plus jamais l’arrêter
et qu’on finira dans un mur. Et puis d’ailleurs, pourquoi s’arrêter à la polygamie ou à l’inceste, alors que le mariage homosexuel nous amènera sans doute au sacrifice humain et à l’anthropophagie ?
7. Ils nous disent que le mariage homosexuel fait perdre de
son sens au mariage hétérosexuel. Au contraire ! Ce qui fait perdre de son
sens au mariage hétérosexuel, ce sont des choses comme le PACS, qui rabaissent
le mariage au rang de simple contrat parmi d’autres – ce qu’à mon avis il n’est
pas. Mais justement, pour n’avoir plus besoin de ces contrats, l’idéal est d’avoir
le mariage pour tous. Et que le mariage soit bien plus qu’un contrat n’empêche
en rien les homosexuels d’y accéder – nous y reviendrons.
8. Ils nous disent que si les homosexuels élèvent des
enfants, ces derniers auront plus de chances de devenir homosexuels eux-mêmes. Mais
d’abord, quand bien même ce serait vrai, cela ne me dérangerait pas, puisque je
ne considère l’homosexualité ni comme un vice, ni comme une perversion, ni
comme un désordre, ni comme une maladie, mais comme une partie normale et
naturelle de ce que Dieu veut pour l’humanité. Cela étant, il devrait être
évident que l’homosexualité n’est pas si contagieuse ; d’ailleurs, les
homosexuels qui existent aujourd’hui ne sont-ils pas tous élevés par des
couples hétérosexuels ?
9. Ils nous disent que si l’on autorise l’adoption par les
couples homosexuels, nous serons obligés d’accepter les mères porteuses. Pas du
tout, ce sont deux problèmes parfaitement distincts, le second se posant tout
autant pour les couples hétérosexuels qu’homosexuels.
10. Ils nous disent que pour se construire, un enfant a
besoin d’un père et d’une mère. Là encore, il faut pousser le raisonnement :
si c’est vraiment le cas, il faut interdire d’adopter aux célibataires. Qui est
prêt à le faire ? En attendant, toutes les études sérieuses prouvent que
les enfants élevés par les couples homosexuels n’ont pas plus de problèmes que
les autres.
11. Ils disent que les enfants élevés par des couples
homosexuels seront moqués et donc malheureux. Peut-être. Mais alors ce n’est
pas le mariage homosexuel qui est en cause, c’est la bêtise et l’intolérance de
la société. Travaillons donc à réduire cette intolérance en banalisant l’homosexualité,
et le problème cessera de se poser sans qu’on ait à maintenir une injustice.
Je ne vois donc aucune raison,
aucun argument pour empêcher les
couples de même sexe de se marier et d’adopter des enfants. Nous avons l’occasion
de mettre fin à une injustice, faisons-le ! Et qu’on ne vienne pas me
parler de traitement différencié, d’utiliser un autre mot que « mariage »
en y fourrant les mêmes droits ; que penseriez-vous de quelqu’un qui vous
dirait que les couples interraciaux ou les couples interreligieux devraient
avoir les mêmes droits que les autres, mais qu’il faudrait appeler leur union
autrement que « mariage » ? Idem
pour l’adoption : qu’on ne nous parle pas de « parrainage » ou
autres ; ce serait par avance stigmatiser les enfants concernés comme différents.
Je vais plus loin encore, non plus en tant que citoyen, mais
en tant que croyant et catholique cette fois : exactement pour les mêmes
raisons que je viens d’exposer, il n’y a, pour moi, aucun obstacle théologique
à ce que les homosexuels qui le désirent reçoivent le sacrement du mariage.
Leur refuser ce sacrement est, de la part de l’Église, une injustice tout à
fait équivalente à celle qui consistait pour l’État à leur refuser le mariage
civil. Bien sûr, l’État ne va pas contraindre
l’Église à changer : ce serait dramatique, chaque groupe, chaque Église
est libre de faire ce qu’il veut. Mais l’Église doit comprendre qu’en la
matière, elle est sous le poids de préjugés issus de son passé. Rien, aujourd’hui,
ne justifie le maintien des règles qui en sont issues.
Il ne s’agit aucunement de se plier à une norme sociale : quand la
société se trompe, l’Église (ou n’importe qui d’autre) a le droit et même le
devoir de tenter de la remettre dans le droit chemin. Je ne dis pas toujours cela,
car je ne suis pas un démocrate, et je pense que le peuple peut se tromper,
surtout en matière de morale ou de conduite des affaires publiques ; mais dans
le cas présent, c’est la société qui a raison contre les autorités suprêmes de
l’Église.
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