Hier, ma chienne est morte. Sans doute. Renversée par une
voiture, elle s’est enfuie sur le côté de la route ; le temps que je passe
mon fils à sa nounou qui arrivait, elle avait disparu. Trois heures de recherches
aidé de tout le quartier n’ont rien donné, et personne ne l’a vue plus loin. Le
plus probable est donc qu’elle soit morte, ou mourante, cachée dans un trou
suffisamment bien dissimulé pour qu’on ne la trouve pas. Elle n’avait que cinq
ans.
La disparition de l’être aimé entraine une double douleur.
La première est celle de la perte, de l’absence, du manque. La seconde est
celle de la culpabilité, puisque vous êtes responsable de l’être plus faible,
plus fragile – quel qu’il soit : la plante, l’animal, l’enfant, le
handicapé – qui vous est confié. Je suis responsable de ma fleur.
Pour affronter cette double douleur, le croyant peut espérer
s’appuyer sur sa foi. Mais la première réponse qu’il trouve alors consiste à
essayer de donner un sens à cette mort : elle est morte « pour »…
pour que j’apprenne ceci, pour qu’il advienne cela. Cette réponse est
particulièrement forte pour les chrétiens, formatés par la compréhension
habituelle de la mort du Christ : Il serait mort pour que les hommes
fussent pardonnés.
Mais cette première réponse est illusion, comme est fausse
cette compréhension de la mort du Christ. Dieu n’avait pas besoin que les
fautes des hommes fussent rachetées, car Son amour comme Son pardon sont
infinis. Si Jésus est mort sur la croix, c’est d’abord parce que, comme
l’explique François Varone dans son livre Ce
Dieu censé aimer la souffrance, ayant vécu la vie qu’Il avait vécue, ayant
dit ce qu’Il avait dit, les autorités juives ne pouvaient pas Le laisser vivre.
Dieu nous montre ainsi qu’une vie vraiment parfaite peut, dans certaines
circonstances, imposer le don de sa propre vie. Mais par la résurrection du
Christ, qui est selon moi une réalité historique et non pas seulement
symbolique, Dieu nous montre aussi que la mort n’est pas une fin. Le Christ est
donc mort sur la croix pour nous montrer le chemin à suivre : celui de la
vie parfaite, quel qu’en soit le prix, la résurrection étant la garantie que
cette perfection n’est pas en vain.
A cette première dimension, on peut en ajouter une
autre : l’idée selon laquelle le sacrifice de sa propre vie a une vertu magique
– j’assume ce mot – en faveur de la réalisation du but vers lequel cette vie a
tendu. C’est de cette manière que les moines bouddhistes qui s’immolent par le
feu pour une cause ne font pas seulement voir un geste de protestation ;
ils pensent que leur mort sacrificielle sera véritablement l’origine d’un
progrès de leur dessein, et pas seulement parce qu’elle entrainera des
sympathisants à sa suite.
Mais tout cela n’a rien à voir avec les comptes de
boutiquier (« à faute infinie, rachat infini ») qu’une certaine
théologie prête bien injustement à Dieu. Et surtout, cela n’enlève rien au fait
que la mort violente reste toujours une défaite, car elle n’est jamais ce que
Dieu avait voulu pour nous. Bien sûr, Dieu utilise le mal pour en faire jaillir
du bien ; mais ce n’est pas le bien initialement prévu. C. S. Lewis
l’exprimait admirablement dans Perelandra :
« Bien sûr que du
bien en est sorti. Maleldil est-Il une bête, que l’on puisse barrer Son chemin,
ou une feuille, que l’on puisse Le déformer ? Quoi que l’on fasse, Il en fera
un bien. Mais pas le bien qu’Il avait préparé pour le cas où on Lui aurait
obéi. Ce bien-là est perdu à jamais. Le premier Roi et la première Femme de
notre monde ont enfreint l’interdit, et Il en fait sortir un bien au final, mais
ce qu’ils ont fait n’était pas bien, et ce qu’ils ont perdu, nous ne l’avons
pas vu. Pour certains, aucun bien n’en est sorti ni n’en sortira jamais. »
Voilà pourquoi la première réponse est une chimère. La mort
brutale de l’être aimé est une défaite, une défaite du Bien face au mal, et ce
n’est justement que notre incapacité à accepter cette défaite pour ce qu’elle
est qui nous pousse à inventer des buts fantasmagoriques qui pourraient lui
donner du sens et en faire une victoire.
La seconde réponse est celle de l’Espérance : l’espoir de retrouver
le mort, l’espoir d’un après, l’espoir que, justement, la mort ne soit pas une
fin, même pour un animal. Cette seconde réponse apaise moins, parce qu’elle est
moins immédiate ; on ne peut la tenir pour certaine, on ne peut en avoir
aucune preuve avant longtemps. Mais elle est la seule qui vaille, car pour
n’être pas certaine, elle n’est cependant pas une illusion.
Bonjour, merci pour vos posts intéressants et rafraichissants. Je suis contente de voir que je ne suis pas la seule à lire et apprécier François Varone, car à chaque fois que je parle de ce théologien autour de moi, personne ne le connaît. A chaque fois, on me répond:" François Varillon?" et moi Non: " Varone!"
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