jeudi 13 septembre 2012

La mort de mon chien et la diversité des religions

La bouéni qui s’occupe de mes enfants, une musulmane très pratiquante, et qui a été presque aussi bouleversée que moi par la disparition de ma chienne, nous a dit que l’islam, bien que considérant le chien comme un animal impur, interdisait de le détester car il s’agit d’une créature de Dieu. Pour illustrer cela, elle nous a raconté l’histoire de deux femmes, l’une qui faisait toujours la prière, l’autre qui ne la faisait jamais, et à côté desquelles se trouvait un chien malade. Celle qui faisait la prière, ne voulant pas se souiller, choisit de le laisser mourir ; mais l’autre accepta de le toucher pour lui venir en aide. Dieu la récompensa en l’envoyant au Paradis, tandis que l’autre, malgré ses prières, allait en enfer.

Je n’ai pas trouvé trace de cette histoire dans le Coran ; mais cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas authentique : elle peut provenir des hadiths ou d’une des biographies de Muhammad, les Sîra, tous ces textes faisant autorité pour les musulmans. Elle me semble en tout cas extrêmement intéressante. Les quelques recherches que j’ai faites m’ont permis de découvrir l’existence d’autres récits qui témoignent de ce respect des êtres vivants.

Ainsi, le Coran affirme que « c’est devant Allah que se prosterne tout être vivant dans les cieux et sur la terre » (16:49) et qu’il n’est « nulle bête marchant sur la terre, nul oiseau volant de ses ailes qui ne forme comme [nous] une nation » (6:38). Selon un récit, une femme serait allée en enfer pour avoir laissé mourir de faim une chatte qu’elle avait enfermée dans une cage. Ibn Mas’ud affirme que Muhammad lui aurait ordonné de rendre ses petits à un oiseau pour ne pas lui faire de peine. Abd-Allah Ibn Ja`far rapporte que Muhammad aurait vilipendé un jeune homme dont le chameau s’était plaint auprès de lui qu’il le faisait trop travailler. Selon un autre récit, lorsqu’un musulman plante ou sème quelque chose et qu’une bête s’en nourrit, c’est une aumône aux yeux de Dieu. Muhammad interdit d’attacher un animal pour s’en servir de cible, de mutiler un animal, de le tuer sans raison, de les marquer ou de les frapper au visage.

Comme dans le récit raconté par la bouéni, un autre porte justement sur les chiens :

« Un homme qui marchait éprouva une soif très violente en cours de route. Trouvant un puits, il y descendit et bu. Quand il sortit, il vit un chien haletant et tellement assoiffé qu’il mordait la terre humide. Ce chien, dit l’homme, éprouve une soif aussi grande que celle que j’éprouvais moi-même tout à l’heure. Il descendit alors dans le puits, remplit sa bottine d’eau, la tint entre les dents, sortit du puits, puis abreuva le chien. Allah lui en fut reconnaissant et lui pardonna ses péchés. Ô Envoyé d’Allah, dirent alors les fidèles, serons-nous donc récompensés à cause des animaux ?Oui, répondit-il ; pour le bien fait à tout être vivant. »

Cela me rappelle l’histoire racontée par Michel Onfray dans la préface de son Traité d’athéologie. Il affirme avoir rencontré un Bédouin qui menait une vie juste et intègre, mais qui doutait de pouvoir accéder au Paradis : il avait un jour fait un excès de vitesse en roulant dans le désert et avait écrasé un chacal. Onfray voit là l’illustration parfaite de la culpabilité qu’il dénonce et que, selon lui, les monothéismes entretiennent en l’homme. Il écrit : « Que n’aurais-je donné pour que ce chacal déguerpisse et libère l’âme de cet homme intègre ».

Pour ma part, j’ai de cette anecdote une interprétation complètement opposée : je trouve qu’elle illustre la juste préoccupation de l’islam (ou d’un certain islam) pour les animaux. Car faire un excès de vitesse et tuer ainsi un être vivant, ce n’est effectivement pas bien. Est-il vraiment pervers ou inutile d’éprouver de la culpabilité pour ce qu’on a fait de mal ? Que penserait-on de quelqu’un qui, suite à un excès de vitesse, aurait écrasé, mettons, un enfant, et n’en éprouverait aucun remord ? L’incompréhension de Michel Onfray est donc surtout révélatrice du peu de cas qu’il fait de la vie d’un chacal.

Et moi qui suis chrétien, j’aimerais trouver cette attitude chez davantage de mes coreligionnaires, et trouver des récits similaires dans les textes qui fondent traditionnellement ma religion. Mais, à ma connaissance, il n’y a rien, surtout dans le Nouveau Testament, uniquement préoccupé de l’homme et de Dieu.

Bien sûr, je ne vais pas me faire musulman pour autant, et surtout je ne tombe pas dans l’angélisme. Je sais que l’islam reste néanmoins une religion qui continue à considérer des animaux comme « impurs ». Je sais que les autorités musulmanes actuelles recommandent aux convertis d’abandonner les chiens qu’ils pouvaient posséder. Je sais que beaucoup refusent l’étourdissement avant l’abattage rituel. Je sais que l’islam ordonne même de tuer certains animaux : les serpents, les corbeaux, les rats, certains lézards. Je ne fais donc pas de l’islam une religion d’amour universel envers tous les êtres vivants, ce qu’elle n’est certainement pas.

Néanmoins, je crois que nous ne pouvons que le reconnaître : dans les récits que je viens de citer, il y a une réflexion morale qu’on ne trouve nulle part dans les textes fondamentaux du christianisme. Nous avons François d’Assise ; mais on n’a jamais accordé à sa vie ou à ses écrits l’importance qu’a Muhammad chez les musulmans ; et ses idées n’ont jamais été prises très au sérieux par les autorités catholiques : qui en leur sein considère véritablement les animaux comme nos « frères », avec tout ce que cela implique ?

Je considère donc cela comme une bonne illustration de nos thèses en la matière : même si toutes les religions ne se valent pas, et même en se tenant éloigné de toute forme de relativisme, il semble évident que toutes les croyances contiennent des étincelles de vérité. Il ne faut pas chercher à les faire fusionner, processus impossible ; mais il faut dialoguer avec l’autre pour trouver ces étincelles partout où elles se trouvent, en se souvenant que personne, individu ou institution, ne peut prétendre avoir reçu l’intégralité de la Vérité ou de la Révélation.

1 commentaire:

  1. Very enlightening Meneldil. I so enjoyed reading this. It is the first, but definitely not the last. Thank you for sharing.

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