Occupy Wall Street est un mouvement qui a toute ma
sympathie. Son optique principale étant de dénoncer les abus du capitalisme
financier, il ne pouvait a priori que
me plaire ; et pour une fois qu’une telle initiative émane des Américains
eux-mêmes, on ne va pas bouder notre plaisir.
Cela étant, j’ai dit dès le commencement de cette aventure
qu’elle n’irait pas très loin, tout comme le mouvement des Indignés en Europe,
dont elle s’inspirait. A l’heure du premier bilan – le mouvement aura un an dans
deux jours –, je crois que je peux commencer à me donner raison. Dommage :
j’aurais adoré avoir tort.
Ce bilan négatif est tracé aujourd’hui dans Le Monde par Mark Greif, un des premiers
occupants du Zuccotti Park. Il commence par rappeler les principales
revendications du mouvement : la dénonciation des inégalités et des
dérives de la démocratie américaine, qui donne de facto le pouvoir et la richesse à une toute petite élite au
détriment du reste de la population, inondant les banques de liquidités tout en
refusant d’aider les Américains surendettés ; la lutte contre le rôle
démesuré de l’argent dans la vie politique américaine, coincée entre les lobbys
et le financement des campagnes électorales par des milliardaires et de grandes
entreprises aux intérêts très clairs.
La mobilisation a été réelle : Occupy Wall Street et
les Indignés européens ont réussi à rassembler, au plus fort de leur action,
des centaines de milliers de personnes, ce qui est considérable ; en
outre, même si les participants n’ont pas tous tenu le même temps, ces mouvements
se sont prolongés pendant des mois et des mois.
Pour quel résultat ? Je laisse à Greif le soin du bilan :
« Un an après, on
peut considérer qu’Occupy a échoué dans la plupart de ses objectifs. Le projet
qui consistait à amender la Constitution pour renverser la décision Citizens United n’a rien donné. Il a été
question de lutter contre le financement privé des partis politiques,
mais, aujourd’hui, à l’approche de l’élection présidentielle aux États-Unis,
les citoyens américains sont […] matraqués de spots publicitaires financés par
des intérêts privés.
Après avoir arrosé le président Barack Obama en 2008, Wall
Street finance maintenant son rival républicain Mitt Romney. Les efforts
déployés par les militants pour faire savoir aux banques et à la Bourse qu’ils étaient à leurs
portes auront été vains : ces institutions sont si bien fortifiées qu’elles
résistent à l’assaut. »
Mark Greif ne donne pas vraiment d’explication à cet échec.
Il pointe du doigt la « stratégie déconcertante » des militants, qui
ont refusé d’exprimer clairement leurs revendications. Il indique également que
la transformation du mouvement en centre d’action sociale et donc la présence
de gens vraiment démunis a desservi sa réputation auprès du grand public, puisque
« ce visage-là du peuple, personne n’a envie de le voir ».
Est-ce suffisant ? Je ne pense pas. Pour moi, l’échec d’Occupy
Wall Street signe surtout l’échec, à notre époque, du mouvement social et plus
généralement des actions à petite échelle comme mode de transformation réelle de la société. Les révolutions
arabes l’ont montré : celles qui ont réussi ont été violentes. Rien de
plus normal : les oligarchies du monde entier ne sont pas prêtes à se laisser
arracher leurs privilèges sans réagir.
Si on ne veut pas utiliser la force, il faut donc, comme Tol
Ardor le propose, bâtir des communautés autonomes qui puissent prouver au monde
qu’on peut organiser la société autrement que selon le paradigme de la démocratie
représentative, capitaliste et libérale. Mais ces contre-modèles devraient être
crédibles et visibles, c’est-à-dire qu’ils devraient être vraiment indépendants
du reste du monde, et d’une taille suffisante pour pouvoir rayonner. Ni Occupy
ni les Indignés ne remplissaient ces conditions.
Bien sûr, on ne peut pas dire que le résultat soit nul :
Greif souligne lui-même qu’aux États-Unis, grâce à ce courant, « les
inégalités […] sont désormais un vrai sujet de débat », ou que « des
technocrates s’occupent de mettre en œuvre la loi Dodd-Franck, qui prévoit de
renforcer le contrôle des autorités sur le système financier ». Mais
enfin, tout cela n’est pas grand-chose en regard de la mobilisation populaire
qui en a été à l’origine. Du saupoudrage, qui ne tiendra sans doute pas bien longtemps
– car le monde de la finance se débarrasse en général promptement de tous les
contrôles qu’on lui impose –, et qui ne saurait remplacer ce dont nous avons
vraiment besoin : la transformation radicale de la société.
Bref, on ne comprend pas très bien la fin de l’article :
juste après avoir écrit que « cette confrontation n’a hélas rien donné »,
Greif ajoute : « mais tous ceux qui en ont été témoins savent
désormais de quoi la démocratie est capable. » La réponse, à l’évidence,
est : de pas grand-chose.
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