samedi 4 août 2012

Serais-je un islamophobe contrarié ?

Dans son petit livre L’art d’avoir toujours raison (une lecture des plus utiles), Arthur Schopenhauer écrivait :

« Lorsque l’on est confronté à une assertion de l’adversaire, il y a une façon de l’écarter rapidement, ou du moins de jeter l’opprobre dessus, en la plaçant dans une catégorie généralement détestée, même si l’association n’est qu’apparente ou très ténue. Par exemple dire que c’est du manichéisme, […] ou de l’idéalisme, […] de l’athéisme, du rationalisme, du spiritualisme, du mysticisme, etc. Nous acceptons du coup deux choses :
1. Que l’assertion en question est apparentée ou contenue dans la catégorie citée […] ;
2. Que le système auquel on se réfère a déjà été complètement réfuté et ne contient pas un seul mot de vrai. »

Pour ceux que ça intéresse, il s’agit du Stratagème 32. Il est redoutable. C’est sans doute pourquoi il est fort employé de nos jours par des gens qui n’ont pas lu Schopenhauer mais qui semblent l’avoir dans le sang.

Et quand la « catégorie généralement détestée » n’existe pas encore, il suffit… de la créer ! C’est exactement ce qu’il est en train de se produire avec le concept « d’islamophobie ».

Qu’une islamophobie existe, je le crois. Mais encore faut-il s’entendre sur ce qu’on met derrière le terme. Pour moi, l’islamophobie ne peut être que le rejet, le mépris, la peur ou la haine des musulmans ou de l’islam dans sa généralité. Quelqu’un qui détesterait les musulmans en général et sans raison particulière serait évidemment islamophobe. De même, quelqu’un qui considérerait que l’islam est une religion intrinsèquement et fondamentalement mauvaise serait islamophobe, même s’il n’avait ni haine ni mépris pour les musulmans ; de la même manière qu’est homophobe quelqu’un qui considère l’homosexualité comme un mal ou comme une maladie mentale, et ce même s’il ne ressent aucun mépris mais seulement de la compassion pour les homosexuels.

Pour accepter cela, il faut évidemment comprendre que dans toute haine, dans tout rejet, dans tout mépris, il y a des degrés. Celui qui considère l’islam comme foncièrement pervers mais ressent de la compassion pour les musulmans est moins islamophobe que celui qui veut les mettre dans des camps (ou dans des chambres à gaz). Cela n’empêche pas qu’il est islamophobe quand même.

Bon bon bon. Ce petit point lexicographique étant clos, entré-je dans ladite catégorie ? Pour certains de mes amis, il semblerait que oui : je serais un islamophobe refoulé (et encore, à peine refoulé). Pourquoi ?

D’abord parce que j’accorde une pertinence aux termes « islam » ou « musulman ». Rien de bien grave, me direz-vous ? Que nenni ! Pour les inquisiteurs qui, infatigablement, traquent l’islamophobie sous ses formes les plus improbables, dire cela, c’est déjà tomber dans une pensée « dangereuse » (je cite Alain Gresch). Citant Edward Said, ce même Alain Gresch reprend : « Le terme islam définit une relativement petite proportion de ce qui se passe dans le monde musulman, qui compte un milliard d’individus, et comprend des dizaines de pays, de sociétés, de traditions, de langues et, bien sûr, un nombre infini d’expériences différentes. C’est tout simplement faux de tenter de réduire tout cela à quelque chose appelé islam ».

Ah ? Parce que le monde musulman compte un milliard d’individus et un nombre infini d’expérience, il faudrait « en finir avec l’adjectif musulman » ? Ce que Gresch ne semble pas comprendre, c’est que tout concept, toute notion, tout terme générique regroupe, par définition, des choses différentes. Quand on dit « les chrétiens », « le christianisme », « les gros », « l’homosexualité », « les chevaliers », « les chevaux », « le courage », on emploie à chaque fois un même terme pour désigner des choses différentes, mais qui ont suffisamment de points communs pour justifier l’emploi d’un générique. Nier toute pertinence aux termes « islam » ou « musulman », c’est tout simplement nier une réalité historique, sociologique, religieuse etc.

Autre signe de ma supposée islamophobie : j’ose critiquer certains aspects de l’islam actuel. Oui, il y a des aspects presque universels de l’islam contemporain et qui me semblent objectivement mauvais. Voiler les femmes ou interdire aux homosexuels de baiser me semblent être des discriminations injustes ; égorger selon le rite hallal, une forme inutile de cruauté envers les animaux ; circoncire les enfants mâles, une mutilation inacceptable ; et (aggravons notre cas) je pourrais allonger la liste.

Est-ce à dire que j’ai une peur, un rejet, un mépris ou une haine pour l’islam dans sa généralité ? Non, car j’insiste bien : je ne rejette que certains aspects de l’islam tel qu’il existe aujourd’hui. Comme le christianisme, comme toutes les religions, comme toutes les réalités humaines en fait, l’islam est un ensemble complexe qui a évolué et qui évoluera encore. Certains dans le monde musulman (rares il est vrai) se battent pour de telles évolutions.

Je ne suis donc de toute évidence pas islamophobe. Ceux qui me connaissent ou ont un peu lu ce que j’écris savent bien que, tout chrétien que je sois, je suis plus tolérant que beaucoup : pour moi, rien ne serait plus triste qu’un monde où tout le monde croirait les mêmes choses que moi. Je considère la diversité des religions comme faisant partie de l’ordre naturel des choses, et comme un moyen pour les hommes de mieux appréhender la diversité des chemins qui mènent à Dieu, au Bien.

Pour autant, je suis à l’opposé du relativisme, et je considère que tout ne se vaut pas. Par conséquent, je me réserve le droit de juger, selon mes humbles lumières morales, tout aspect d’un système idéologique, fût-il religieux ou culturel. Et j’aimerais bien qu’on arrête de me qualifier de néocolonialiste, de réac ou de fasciste quand je déclare qu’il serait bon que disparussent certaines choses objectivement mauvaises comme la corrida ou l’excision. Ou les burqas.

4 commentaires:

  1. "catégorie généralement détestée" : Le problème étant que cette catégorie d'islamophobie, dans un premier temps, n'est pas "généralement détesté". Elle est remise en cause par ceux sur qui on l'applique (ex : Fourest qui y voit une invention des islamistes "extrêmistes" pour faire taire l'opposition), ou elle est acceptée benoîtement (Claude Imbert, dont la déclaration est reprise dans tous les articles sur le sujet).

    Donc, voilà pour la catégorie "détestée" : en fait, elle provoque au mieux un haussement d'épaules, un "et alors ?" énoncé de manière désinvolte par un bovin remuant la queue pour chasser les mouches.
    Au pire, et c'est ce qui me gêne, c'est que ce néologisme est renvoyé par certains théoriciens au néant, en général parce que c'est un nouveau mot, et qu'il ne couvre pas de réalité existante, ou alors pour manipuler l'opinion, etc., lui valant d'être souvent attaqué pour qu'on abandonne enfin ce qualificatif, car tout le monde sait qu'en France, les gens subissent les musulmans plus qu'ils n'agissent sur eux, ceux-ci sont plus des problèmes à supporter ou tolérer que des individus qui supportent ou tolèrent...
    Pour ce qui est de la réalité, j'ai mentionné sur Fb trois rapports écrits cette année concernant la situation en France.

    ( http://religion.blog.lemonde.fr/2012/04/13/islamophobie-augmentation-de-72-des-actes-visant-les-personnes-selon-une-association/ ; http://www.amnesty.fr/AI-en-action/Discriminations/Discriminations/Actualites/Europe-les-musulmans-discrimines-parce-qu-ils-expriment-leur-foi-5270 ; http://www.france24.com/fr/20120731-etats-unis-critiquent-loi-anti-burqa-france-musulmans-juifs-voile-integral-washington )

    Or, il est possible d'insister sur le fait que ce sont des "actes" qui sont mis en cause, bien plus que des "discours". Et on aura raison de souligner que l'islamophobie est très difficile à définir en tant que discours. Autant il est facile de catégoriser des actes, autant, concernant le discours, il y a des ambiguïtés.

    1. j'aimerais rappeler que l'islamophobie est simplement une forme de racisme touchant les musulmans (bien qu'elle s'inspire d'une mythologie plus large synthétisant : le jeune des quartiers défavorisés, l'immigré, l'arabe et le musulman). Définissons le racisme en suivant la définition de Memmi augmentée par Tévanian : http://lmsi.net/La-mecanique-raciste
    Dazns ce cas, concernant le discours tu n'es pas raciste car je veux bien croire que tu ne cherches pas à légitimer l'oppression à l'encontre de ces populations.

    2. Il faut signaler, dans le cadre d'un racisme "discursif", en quoi celui-ci gêne : il facilite la mise en pratique et les actes racistes. Il permet de faire dominer une certaine "idéologie" à l'intérieur de laquelle on justifie le traitement de certaines personnes comme inférieures. Et c'est là que le bât blesse : Comme dans l'article de Gresh, tu justifies ta position d'un "je n'épargne personne", sans prendre en compte le fait que tu participes d'un acharnement plus lourd que toi, comme ce fut le cas pour les juifs il y a 100 ans : "Certains dénoncent toutes les religions, comme si c’était un combat abstrait qui se menait en dehors de tout contexte politique : mesure-t-on, par exemple, que la critique de la religion juive dans les années 1930 pouvait être légitime pour ceux qui combattaient toutes les religions, mais avoir en même temps des implications graves ?"

    3. Ton discours accompagne ou renforce les préjugés racistes par le processus d'essentialisation et de péjoration. En raison de l'orage, je terminerai plus tard...

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  2. 3. Ton discours accompagne ou renforce les préjugés racistes par le processus d'essentialisation et de péjoration.
    Avant cela, je rappelle qu'il y a des degrés d'islamophobie, autant qu'il y a des niveaux de conscience de l'islamophobie. ça peut être un réflexe malheureux, une habitude impensée car légitime socialement, un trait de langage traditionnel que l'on perpétue, un type de raisonnement simplificateur qu'on sème aux quatre vents sans jamais être conscient d'être islamophobe. D'abord parce qu'il faut distinguer entre l'intention et l'action, et ensuite, dans l'action, entre ses effets directs et indirects.
    De ce fait, en disant : "je ne suis pas islamophobe, mais...", "l'islam n'est pas une religion fondamentalement mauvaise mais...", "je n'infériorise pas, je critique...", tu contribues à véhiculer une rhétorique raciste (islamophobe).

    ex : "Ah ? Parce que le monde musulman compte un milliard d’individus et un nombre infini d’expérience, il faudrait « en finir avec l’adjectif “musulman” » ?"

    Pour moi, cela, c'est du relativisme. Edward Saïd ne voulait pas simplement signifier que c'était un milliard d'expériences, car en faisant cela, on rend inefficace toute critique de toute appartenance ou forme identitaire collective, on rend impossible la critique sociale (ex : "il n'y a plus de classes sociales, seulement une myriade de positions occupées par les agents sur une échelle qui tend à s'horizontaliser" Ah, ben s'il n'y a plus de domination...). Et il ne reste que des individus, eux-mêmes "pas totalement" mauvais. Non, ce n'est pas ça qu'il dit. Ce qu'il dit (et je ne retire qu'une idée pour que ça soit plus simple), c'est que l'on attribue à l'islam en général des comportements qui n'ont rien à voir avec l'islam ou le fait d'appartenir à la communauté musulmane. On pourrait dire, pour aller encore plus loin que lui, par exemple, que l'appartenance religieuse dans l'explication du terrorisme n'est qu'un épiphénomène. Ce n'est pas le coran qui a fait d'eux des terroristes, ce n'est pas l'imam, la doctrine, bla bla bla, c'est, imaginons que nous soyons marxistes, l'oppression via l'impérialisme.
    Par conséquent, Saïd ne nie absolument pas "toute pertinence aux termes « islam » ou « musulman »" en niant "une réalité historique, sociologique, religieuse etc."
    C'est la pertinence de l'utilisation de la catégorie qui est mauvaise.

    Ce n'est pas l'islam qui fait qu'ils égorgent des moutons dans des baignoires, c'est la situation misérable des musulmans français imputable aux politiques néocoloniales (par symétrie, le cochon égorgé à la ferme, on s'en branle, donc ce n'est pas l'animal qui est le véritable vecteur de ce discours).

    Le voile : et la liberté de se vêtir ? (par symétrie, empêche-t-on les nanas aliénées par la société de consommation et la libido masculine de se déguiser en poufs ?), qui accompagne la liberté de conscience et d'opinion ? (élément qui conforte l'identité sociale)
    Si c'est dans des pays où c'est une obligation : Dans ce cas, ce n'est pas l'islam, il ne sert que de prétexte à une oppression masculine beaucoup plus diffuse, tout comme l'oppression des femmes par les catholiques n'est pas catholique mais un rouage dans une machinerie sociale beaucoup plus large. Bref, c'est attribuer à l'islam des torts qui ne reviennent pas à la religion (en tant que quoi ? institution ? corpus doctrinal ? ensemble de rituels ? modèle culturel, architectural ? mythologie ? pratiquants ? tu vois, il n'y a pas d'unité dans la religion. Le mot "religion" ou les mots désignant des "religions" ne désignent que du flou), mais à d'autres phénomènes plus ou moins tangibles.

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  3. l'homosexualité : pareillement. Tu fais l'amalgame entre une traditionalité genrée et un texte qui a été écrit dans cette traditionalité, mais dont les conceptions sont partagées avant et après, dans l'islam et au dehors de celui-ci. Il n'apparaît encore comme un prétexte.


    L'égorgement rituel : Là, c'est une inversion des valeurs, puisque cet élément de ritualité est justement là pour rendre compte de la sacralité de l'animal. C'est un acte de profanation conscient de lui-même (Contrairement aux tueries rationalisées et industrialisées "laïques", où l'animal n'est qu'objet consommable), et par là, un élément civilisationnel qui permet de distinguer les hommes des barbares. (tant qu'à tuer un animal pour le bouffer, autant le faire avec respect).


    la circoncision : un marqueur identitaire "groupal" que l'on peut critiquer au nom de nos valeurs concernant l'inviolabilité et l'inaliénabilité du corps humain, sans oublier les pratiques du tatouage ou des scarifications dans certains pays (avec la même fonction identitaire groupale), là où dans notre pays, on perce surtout la peau pour permettre aux femmes (et maintenant aux hommes) d'avoir des bijoux sur le corps. L'argument du consentement n'est évidemment pas valable : une personne aliénée (comme peut l'être la musulmane mettant un voile, la petite fille voulant des boucles d'oreille à l'instar de sa mère, la jeune mettant un string avec un jean taille basse) est toujours consentante.
    Nulle histoire de religion, mais simplement pratique identitaire, individuelle ou non, inscrite dans la vie sociale en général.
    J'accepte par contre l'argument de la non-symétrie dans le cadre de la différenciation sexuelle (pourquoi nous mutilons nos femmes sans aucune référence à la religion et à un degré moindre, mais pas les hommes ; et pourquoi eux mutilent leurs hommes à un degré relativement élevé, mais pas leurs femmes ?).

    Enfin, la conclusion suivra

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  4. Plutôt que de définir ton comportement en fonction de la critique "positive" que tu fais du christianisme, pourquoi ne prends-tu pas le problème dans le bon sens : à partir d'une certaine christianophobie que tu ne reconnais pas, tu développes un discours islamophobe. Et dans les circonstances politiques actuelles, c'en est gênant (http://lmsi.net/Un-racisme-qui-vient-d-en-haut ; http://lmsi.net/Un-racisme-post-colonial).
    Car oui, dire que c'est le christianisme qui pose problème dans la pédophilie des prêtres, ce n'est pas vrai. Le christianisme n'est pas en cause. Pas en tant que corps des croyants. Pas en tant qu'ensemble de rituels, pas en tant que corps doctrinal (vraiment marginal, la preuve, tu n'es pas pédophile, que je sache), mais en tant qu'agencement entre une règle d'abstinence (élément de spiritualité pré-chrétien), une rigidité institutionnelle (élément d'historicisation de la branche catholique "romaine"), et la gestion des pulsions sexuelles par des représentants du culte. Ce n'est pas "le christianisme", ça.
    Il en va presque de même pour le caractère "rétrograde" du refus de l'homosexualité. C'est l'institution "Eglise" et ses "hauts-fonctionnaires" qui sont en cause. Pas les croyants, pas la doctrine (ou à la marge, encore une fois, la preuve, tu n'es pas homophobe), pas les rituels, pas la mythologie, etc.

    Ce n'est jamais la religion qui est en cause, très rarement les croyants ou le corpus de textes "sacrés", mais très souvent des agencements institutionnels sociaux dépendants d'un type de structuration sociale, politique et culturelle d'un pays ou d'un territoire.

    Ainsi, ton islamophobie et ta christianophobie sont des effets de discours non-intentionnels quand tu attribues à des essences et que tu généralises à une énorme population des torts qui ne sont pas les siens (ou encore une fois, à la marge).

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