Les années n’ayant pas réussi à ternir le charme de
Christian Bale aux yeux de ma femme, je suis allé voir The Dark Knight Rises. Bon, c’est vrai, moi aussi j’avais envie d’y
aller. Peut-être pas pour la même raison qu’elle, mais quand même. Entre
autres, j’avais envie de me faire mon idée sur une polémique de l’été (encore
une) : est-ce un film néo-conservateur ?
J’ai ma réponse : c’est définitivement un film
néo-conservateur. On m’avait prévenu. Pourtant, c’est toujours un choc de voir
que le génie qui a réalisé Inception,
ainsi que deux ou trois autres choses d’excellente facture comme Memento ou Le prestige, peut par ailleurs nourrir des idées, disons,
douteuses. Il faut se faire à cette idée, je pense : un génie du cinéma n’est
pas forcément un génie de la politique. Après tout, je ne suis pas un génie du
cinéma.
Qu’est-ce qui fait de ce nouveau Batman un monsieur
foncièrement de droite ? A peu près tout le scénario dans lequel il se
vautre. En gros, pour ceux qui ne l’auraient pas vu, et sans rien gâcher du
suspens, une bande d’affreux méchants dont la seule envie réelle est de
détruire entièrement la bonne ville de Gotham et ses 12 ou 13 millions d’habitants
déclenchent une révolution et font croire au peuple qu’ils lui rendent le
pouvoir contre les élites.
S’ensuit une caricature assez grotesque qui mélange assez
allègrement Révolution française et totalitarisme stalinien, dans laquelle les
bons policiers de la ville sont tous enfermés dans les égouts tandis que les citoyens
riches se font exécuter à tire-larigot à la suite de procès truqués, le tout
sur fond de violences, de chaos et de drapeaux américains déchirés et mis en
lambeaux (ouch). La caricature culmine dans une scène de bataille rangée entre
la belle armée des policiers libérés de leurs égouts (mais qui ont
miraculeusement trouvé le temps de repasser leur uniforme) et les voyous
anarchistes qui forment les milices haineuses d’en face.
Le message est très clair : la révolution, c’est le
mal. Il ne peut pas y en avoir de bonne, puisque ceux qui prétendent améliorer
les conditions de vie du peuple ne peuvent être que des salauds dont le but
réel est la destruction de la civilisation et non pas son perfectionnement
(ceux qui les suivent ne pouvant donc être que des idiots utiles).
Évidemment, il n’est pas question de défendre ici tous les
aspects de la Révolution française, encore moins du totalitarisme stalinien. Bien
sûr que la Terreur de 1794 a été excessive. Bien sûr qu’un procès truqué n’est jamais
une bonne chose. Bien sûr qu’il faut punir la violence dans la rue. Ce qui est
assez infect, en revanche, c’est de faire de ces épisodes historiques des moments
d’affrontement manichéen entre Bien et Mal en attribuant toute la valeur morale
à un camp contre l’autre, alors que la réalité a évidemment été infiniment plus
complexe et plus nuancée.
On me dira que Batman combat l’injustice ; mais ce n’est
pas vrai. Batman combat les voleurs, les assassins, les corrompus ; bref,
il combat les hors-la-loi. Mais ce n’est pas la même chose. Le combat contre l’injustice
pourrait se réduire au combat contre les hors-la-loi si et seulement si la loi
était parfaitement juste elle-même, ce qu’à l’évidence elle n’est pas. Le
combat de Batman contre l’injustice sociale se résume donc à la charité :
sa fondation aide les orphelins etc. Ce n’est bien entendu déjà pas si mal.
Mais c’est très loin de faire de sa vie un combat contre l’injustice. Fondamentalement,
Bruce Wayne est un conservateur : le monde dans lequel il vit lui va très
bien et il n’a aucune intention de le transformer ; tout au plus, de le
rendre un peu moins pire, mais sans toucher à sa structure.
Par ailleurs, et à part ce message peu sympathique, The Dark Knight Rises n’est pas un
mauvais film. Il est même plutôt bon, sans pour autant être le film du mois.
Mais surtout, il a un petit côté ardorien. Eh oui, c’est surprenant, n’est-ce
pas ? Comment croire ça d’un film dont le héros ne semble pas être en
mesure de se déplacer s’il n’est pas greffé sur une machine qui consomme
probablement 80 litres de kérosène aux 100Km (quand elle reste au sol ; la
version volante doit bien boire le triple) ?
Et pourtant. La bande d’affreux qui veut détruire la ville
prévoit d’employer une bombe nucléaire créée par Bruce Wayne lui-même en tant
que cœur d’un réacteur nucléaire parfaitement propre, sur fond de projet d’énergies
renouvelables (oui, entre temps, le nucléaire est devenu propre et renouvelable).
Pour soutenir la dictature qu’elle impose, elle utilise aussi l’arsenal de
gadgets militaires également créés par la compagnie de Bruce Wayne.
Évidemment, dans le film, la ville s’en tire indemne à la
fin ; mais dans la vraie vie, nous avons effectivement créé les techniques
qui peuvent détruire la planète ou asservir les sociétés. Sauf que bien sûr,
nous, nous n’avons pas de superhéros qui puisse annihiler leur pouvoir
destructeur au dernier moment. Peut-être donc qu’on ferait bien de ne pas les
créer du tout.
Vous voyez bien que c’est assez ardorien, comme réflexion.
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