Évidemment, on va m’accuser de prêcher pour ma paroisse.
Voire de vouloir m’en mettre plein les poches, alors que je suis déjà si
privilégié, puisque je ne travaille pas (bien sûr, tout le monde sait ça, et
j’ai plein de vacances, aussi). Même certains collègues vont regarder ailleurs,
l’air gêné, tant ça se fait peu, dans le métier, de demander de l’argent. Mais
tant pis, je me risque, je persiste et je signe : oui, il faut payer
davantage les profs (dont je suis).
Pourquoi ? Je pourrais déjà commencer par l’argument traditionnel :
objectivement, les enseignants sont mal payés en France par rapport à la
difficulté de leur métier et à leur niveau d’études. Dans l’ensemble de l’OCDE,
le traitement brut d’un professeur certifié exerçant son métier depuis 15 ans
représentait en moyenne 1,42 fois le PIB/hab. ; en France, il n’est que de
1,17 fois le PIB/hab. Une étude indépendante indiquait que le pouvoir d’achat
des enseignants avait baissé de 20% entre 1981 et 2004 ; même en prenant
en compte les contre-arguments du ministère de l’Éducation nationale, la baisse
resterait de 10%, ce qui est considérable. Dans le même temps, le pouvoir d’achat
moyen des salariés a augmenté de 16% et le SMIC de 24%. Il y a une injustice
manifeste.
Mais il faut aller plus loin que ce premier constat. Aujourd’hui,
notre nouveau ministre, Vincent Peillon, nous promet « le respect ». « Le
regard sur le métier va changer », nous annonce-t-il. Ah ? Dans le
même temps, il reconnaît que les enseignants ne sont pas assez payés, mais nous
fait comprendre qu’il ne peut rien faire. Toute la question est de savoir si
les deux points sont compatibles ; et pour ma part, je ne le pense pas.
Bien sûr, le ministre en appelle à nos valeurs : « le
désintéressement » et « la justice », c’est bien connu, « sont
bien davantage les nôtres que [celles] de l’argent ». Certes ! Nous
ne sommes pas devenus professeurs en France pour nous enrichir. Eût-ce été mon
but que je serais resté en Écosse. Là-bas, un full registered teacher gagne £25 716 par an, c’est-à-dire 32 500€
au cours actuel de la livre (et encore bien plus lorsque j’y étais) ; l’équivalent,
chez nous, un enseignant débutant venant juste de valider son année de stage,
gagne 24 003€ (et encore, pour ceux qui sont arrivés après la réforme de
la mastérisation ; moi, après 5 ans d’enseignement, je n’en ai pas autant).
Toujours en Écosse, un chartered teacher,
c’est-à-dire un enseignant qui acquiert de nouvelles compétences par la
formation continue, gagne au bout de sept ans £41 925 par an (presque 53 000€) ;
un head teacher (l’équivalent en France
des professeurs principaux et des coordonnateurs de discipline) gagne entre £42 288
et £82 542 (donc entre 53 450€ et 104 300€ par an). Par
comparaison, un certifié au sommet de sa carrière (hors-classe au dernier
échelon, ce que peu atteignent), gagne 43 500€ par an ; et ceux qui ne
passent pas à la hors-classe gagnent au plus 36 500€ par an.
Donc on est d’accord, si nous sommes profs en France, ce n’est
pas pour remplir nos comptes bancaires. Mais si nos valeurs ne sont pas celles
de l’argent, il n’en va pas de même pour la société dans son ensemble. Nos
élèves, les parents de nos élèves, nos voisins valorisent l’argent, et mesurent
la « réussite » à cette aune. Nous n’avons pas à nous plier à cette
vision des choses, nous n’avons pas à l’adopter ; mais nous devons bien
faire avec ; nous devons nous y adapter.
Or, pour nos élèves et leurs parents, notre salaire médiocre
par rapport à notre qualification (ils sont bien conscients des deux éléments)
ne peut que traduire une sorte d’échec. J’affirme donc que ni les élèves, ni
leurs parents, ni la société dans son ensemble ne pourront nous respecter tant
que nos salaires ne seront pas revalorisés. En métropole (pas à Mayotte il est
vrai), j’ai toujours eu des élèves qui arrivaient au lycée dans des voitures trois
fois plus chères que la mienne. Honnêtement, pour ma part, je m’en moque :
je n’ai jamais aimé les voitures et je n’ai jamais eu envie d’y mettre de l’argent.
Mais nous ne pouvons pas rester aveugles au fait que ce genre de choses est
pour eux signifiant. Nos voitures mais aussi nos vêtements, notre matériel, nos
chaussures leur parlent de nous ; eux-mêmes nous en disent assez là-dessus
pour que nous n’ayons pas de doute à ce sujet.
Il n’est pas suffisant d’invoquer le respect ou d’en faire la promesse ;
il faut le faire advenir. Or, aujourd’hui, le respect s’acquiert par l’argent.
Je suis le premier à le déplorer, mais c’est une réalité dont nous ne nous
débarrasserons qu’en même temps que du capitalisme. J’y travaille, mais je sais
que ce n’est pas demain la veille.
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