Ne boudons pas notre plaisir : après avoir vu les
barons socialistes se déchirer pour prendre la tête de leur parti ou le
représenter aux élections présidentielles, ça fait du bien de constater que la
droite n’est pas épargnée par la guerre des égos. Oui, je le confesse, j’adore
assister au match Copé/Fillon et voir qu’ils ne se ménagent guère, eux qui se
gaussaient des petites piques, des petites phrases, voire des grosses insultes
que se lançaient sans vergogne Hollande, Aubry et Royal.
Ils soulignaient l’immaturité politique, le narcissisme de
leurs adversaires, et les voilà qui rejouent le même scénario. C’est d’autant
plus comique qu’ils avaient raison, tout comme ont raison ceux qui aujourd’hui
se moquent d’eux : une guerre des chefs est potentiellement ravageuse pour
un mouvement ou un groupe. Pour peu qu’elle s’éternise, qu’aucun camp n’emporte
rapidement une franche victoire, le royaume peut se trouver divisé contre
lui-même et devoir en affronter les conséquences.
Il est donc normal que je ne sois pas le seul à sourire avec
délectation. Le blog « L’humour de droite », pour ne citer que lui,
s’en donne à cœur joie : « L’UMP doit choisir entre Jean-François
Peste, alias le couillu, et François Choléra, alias le boiteux. Tension » ;
« Robocopé vs. The Fion », etc. Et même si on ne peut pas dire que je
sois franchement de gauche, je suis tout de même beaucoup plus de gauche que de
droite, et ça fait du bien de voir que l’espoir a changé de camp (et le combat
d’âme).
Le seul problème, c’est que ça risque bien de ne pas durer
très longtemps. Alors que le PS a mis une bonne dizaine d’année à régler son
petit souci de leadership, faisant traîner les choses avec gourmandise,
organisant des rebondissements à chaque fois que la situation présentait un
risque de résolution, comme s’il prenait plaisir à se vautrer dans la guerre
civile et voulait à tout prix illustrer les théories psychanalytiques sur le
masochisme et la jouissance de l’échec, l’UMP risque d’aller beaucoup plus vite
en besogne.
En effet, au 25 novembre prochain, tout sera bouclé, le
parti aura un nouveau président, et a
priori, toute forme de lutte ouverte cessera. Oh, bien sûr, le perdant ne
sera pas content. Pas content du tout même. Mais il y a fort à parier qu’il ne
se rebiffera pas pour autant. Certes, ce sera plus dur si c’est Copé – question
de caractère. Mais même si c’est lui qui finit par mordre la poussière, le plus
probable est qu’il acceptera la défaite, et que même s’il ne l’accepte pas, il
ne trouvera pas de supporters pour lui permettre de continuer le combat.
Pourquoi ? Parce que c’est une des caractéristiques de
la droite – une de ses forces majeures : sa soumission au chef. Je sais,
ça ne plaît pas au « peuple de gauche ». Mais il faut bien le
reconnaître, ça marche. Regardez des gens comme de Villepin ou Dupont-Aignan,
qui ont voulu jouer les trouble-fête en 2012 : ils étaient seuls. C’est
également ce qui a plongé Bayrou dans le coma politique où il se trouve
toujours : à partir du moment où il s’est clairement et définitivement rebellé
contre l’autorité suprême à droite, à l’époque Nicolas Sarkozy, il a cessé
d’être suivi. On pourrait également prendre l’exemple du flop de Bruno Mégret
lorsqu’il a quitté le Front National, ou de ceux qui sont partis par la suite
(Carl Lang, Bernard Anthony etc.).
Inversement, plus on va à gauche, plus la haine du chef est
marquée, donc plus le leadership est compliqué et instable. J’ai déjà parlé des
socialistes ; le reste est à l’avenant. Mélenchon a eu besoin de tout son
charisme, de toute sa poigne, de toute sa fougue pour imposer sa domination sur
le Front de Gauche. Et suite à ses échecs cette année, il n’est pas du tout
certain qu’il le conserve longtemps ; qu’on se souvienne du précédent de
Besancenot, qui s’est effondré après avoir un temps donné l’impression qu’il
allait réussir à fédérer toute la gauche radicale. On peut également regarder
le nombre de micro-partis qui composent la gauche radicale, et qui semblent
faire le concours de celui qui aura le moins d’adhérents.
S’il fallait expliquer cette différence entre les deux
camps, je dirais qu’à mon avis, cela vient du fait que la passion démocratique est
la plupart du temps beaucoup plus forte à gauche qu’à droite, d’où un respect
extrême pour les opinions minoritaires. A gauche, le moindre désaccord peut
donner légitimement naissance à un courant dissident. Pour citer Terry
Pratchett, « même les anarchistes révolutionnaires ont envie de
stabilité ; ils disposent ainsi d’un instant de répit pour combattre leurs
véritables ennemis, c’est-à-dire leurs supérieurs au conseil anarchiste
révolutionnaire et les hérétiques dont la définition de l’anarchie révolutionnaire
diffère de la leur d’une demi phrase au paragraphe 97 des statuts ». Plus
on va vers la gauche, plus il se trouve des gens pour crier plus fort « A mort
les chefs ! » dès qu’une tête dépasse.
Inversement, l’homme de droite a un respect inné,
instinctif, bestial pour le chef, car il considère plus généralement que les
divergences d’opinion ont une légitimité moindre que le respect à l’autorité. On
peut penser que c’est une faiblesse, que ce manque d’esprit critique ne permet
pas de lutter contre les mauvaises idées ; mais enfin, il permet quand
même aussi de présenter la plupart du temps un front uni face aux adversaires,
dans les moments difficiles comme dans l’exercice du pouvoir. C’est une des
causes qui expliquent la domination très nette de la droite sur la Ve
République ; car pour gagner une bataille, il faut des généraux, et qu’on
leur obéisse.
Ceux qui, comme moi, se réjouissent de voir la droite
affaiblie par ce combat des chefs, feraient donc bien de profiter intensément
du spectacle : il aura toutes les marques d’un grand show, il sera sale,
violent, dur, intense, mais il sera de courte durée. Dans ces conditions, une
telle lutte peut être stimulante : elle force les membres du groupe à s’impliquer
dans le projet collectif, elle ramène le parti sur le devant de la scène
médiatique, sans pour autant nuire à son unité puisque le perdant fait sa
soumission et que ses troupes restent au sein de l’ensemble. C’est ainsi que
Marine Le Pen a véritablement pris son envol lors des élections internes au FN.
Au début de l’année
prochaine au plus tard, l’UMP sera en ordre de bataille. Elle aura son général,
et elle frappera de nouveau, et dur.
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