La plupart des combats que je mène ont toutes les chances d’échouer.
Il est hautement probable que nous tomberons, à moyen terme, dans un
totalitarisme technologique hautement inégalitaire, qui permettra à une poignée
de privilégiés de mener une vie de plaisirs (autant que possible) sur une
planète détruite, dévastée, où la plupart des paysages et des formes de vie que
nous connaissons aujourd’hui aurons disparu. Même dans l’hypothèse un peu plus
réjouissante d’un chaos général ou d’une meilleure résistance de la nature, le
plus vraisemblable reste que personne n’aura eu le temps de se préparer
suffisamment pour permettre à une communauté humaine de survivre – et de faire
survivre notre culture et notre civilisation – au-delà de quelques générations.
Dans ce tableau peu glorieux, les combats qui avancent sont
donc les bienvenus. Ainsi de l’égalité des droits entre homo- et hétérosexuels.
Sur ce front, deux bonnes nouvelles.
La première, dans le domaine civil : l’Irlande vient d’adopter
le mariage pour les couples du même sexe, réformant ainsi sa constitution. Et
tout concourt à l’idéal du bonheur : d’abord, la réforme n’a pas été
imposée par la caste des dirigeants politiques, mais adoptée par référendum, et
qui mieux est avec un score tout à fait honorable de 62% de « oui »,
avec un taux de participation qui a dépassé 60%. Ensuite, tous les partis politiques
appelaient à voter « oui » : contrairement à ce qui s’est passé
en France, où on a vu l’UMP s’emparer bassement de la question et chercher à
récupérer l’hostilité à la loi Taubira pour en faire une arme contre le gouvernement
PS, l’opposition irlandaise a admis le caractère positif du mariage homo. Chez
nous, il n’y a que pour les lois qui légalisent le travail le dimanche qu’on
peut espérer trouver une telle unanimité… Enfin, last but not least, l’Église catholique, autrefois toute-puissante dans
le pays, s’est fait toute petite, et n’a pas fait campagne pour le « non ».
Ce dernier point est digne d’être particulièrement noté dans
un pays qui reste un des plus catholiques d’Europe ; rappelons que l’homosexualité
et la contraception n’y ont été autorisées qu’en 1993 et le divorce qu’en 1995.
Comme pour la classe politique, on aurait bien aimé que le père Vingt-Trois, et
tant d’autres, se comportassent de la même manière en 2012-2013, ou au minimum
permissent l’ouverture d’un véritable débat au sein de l’Église de France ;
mais passons. Plus intéressant encore : après le vote, la hiérarchie
ecclésiastique a fait preuve d’une attitude exemplaire au point d’en être étonnante.
Ainsi, l’évêque de Dublin, Diarmuid Martin, s’est « réjoui » du
bonheur « que les gays et lesbiennes doivent ressentir en ce jour ».
Waow ! Bon, il ne va pas jusqu’à se réjouir du vote lui-même, mais enfin,
ça témoigne quand même d’une attitude plutôt ouverte.
La seconde bonne nouvelle se situe d’ailleurs également dans
le domaine religieux : le Synode national de l’Église protestante unie de France,
née de la fusion de l’Église réformée de France et de l’Église évangélique
luthérienne de France et qui rassemble 270 000 fidèles, plus de 450
ministres du culte et près d’un millier de temples, vient d’accorder à ses
pasteurs la possibilité de bénir les unions de couples de même sexe. Cette
possibilité n’est pas un droit, puisqu’un pasteur reste libre de refuser une
telle bénédiction ; il n’en reste pas moins que l’avancée est
fondamentale.
Évidemment, les réactions n’ont pas traîné, tant chez les
protestants que chez les catholiques. Les mécontents se sont particulièrement fait
entendre, avec une accusation récurrente : « et la Bible ? Vous
oubliez la Bible ! » Sur ce point, je n’ai rien à ajouter à ce que j’ai
déjà dit. On brandit généralement Sodome et Gomorrhe. Là, c’est très simple,
puisque bon nombre d’obligations morales de l’Ancien testament n’ont jamais représenté
le moins du monde la volonté divine, sauf à considérer que Dieu ait pu vouloir
la lapidation des adultères ou des femmes n’arrivant pas vierges au mariage.
À ce stade, l’opposant au mariage des couples homosexuels
répond en général : mais, et saint Paul ? Lui aussi condamne l’homosexualité,
et c’est dans le Nouveau Testament, pas dans l’Ancien ! Ah aaah !
Non, pas ah aaah. D’abord, parce que Paul lui-même passe son temps à écrire « Ça,
c’est Dieu qui vous le dit » et « Ça, ce n’est pas Dieu, c’est moi
qui vous le dis. » Alors ne soyons pas plus paulinien que Paul : lui-même
ne considérait pas tout ce qui sortait de sa plume comme la Parole de Dieu.
Ensuite, et c’est bien le plus important, parce que s’il fallait appliquer à la
lettre tout ce qui dit Paul, les hommes ne devraient jamais avoir les cheveux
longs, ce qu’il considère comme une abomination, les femmes devraient être
voilées dans les assemblées publiques, et la femme devrait obéir à l’homme.
Bref, pour l’argument sur les épîtres, on repassera.
Il est vrai qu’il s’agit d’une remise en cause de l’anthropologie
traditionnelle de l’Église et plus généralement du christianisme. Mais cela ne
prouve pas que cette remise en cause soit forcément mauvaise. Comme le note
René Poujol sur son blog, « cette “condamnation des actes homosexuels” […]
n’est plus “reçue” ni comprise par nombre de catholiques pratiquants […]. Chez
un certain nombre de croyants, le principe d’autorité ne fonctionne plus. »
On touche là un point fondamental, parce que ce rejet du principe
d’autorité n’est pas le fait « d’un certain nombre de croyants », c’est
la tendance générale de l’évolution des mentalités depuis la Renaissance :
de plus en plus de gens refusent de plus en plus nettement de croire ou de
faire quelque chose pour la seule raison qu’une autorité, même une autorité qu’ils
reconnaissent, leur a dit de le croire ou de le faire. Les gens veulent
examiner la validité d’une croyance ou la justesse d’une action d’abord à l’aune
de leur propre conscience. Il est très intéressant de remarquer que cette
autonomie croissante par rapport à l’autorité, même considérée comme légitime,
n’est pas seulement le fait des réformateurs, mais bien de tous les courants de
l’Église, y compris les plus traditionnalistes. C’est l’essence même de la
rébellion de Marcel Lefebvre contre l’Église de Vatican II ; mais même des
catholiques traditionnalistes, mais qui sont restés fidèles aux papes et à la
hiérarchie catholique romaine, n’hésitent pas à affirmer que les Constitutions
dogmatiques issues du concile contiennent des erreurs. Je ne vois pas de
meilleure preuve que le principe d’autorité, en effet, ne fonctionne plus, plus
du tout, même chez ceux qui s’en revendiquent.
Voilà pourquoi je pense que les gens ont tort de me rire au
nez quand je leur dis que mon combat pour que l’Église catholique accorde le
sacrement de mariage aux couples homosexuels est gagné d’avance. Bien sûr, on
en est encore très loin, mais petit à petit, les choses avancent, même au sein
des Églises, même pour les institutions. Je vois mal comment elles pourraient
revenir en arrière.
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