vendredi 15 mai 2015

Marine Le Pen vs. Najat Vallaud-Belkacem


Au début de la polémique sur la réforme du collège, je n’ai pas porté beaucoup d’attention à la question. Je me disais que ce n’était qu’un projet de réforme, pas même encore sa forme définitive ; qu’au vu de l’histoire récente, elle avait donc toute les chances de mourir avant de voir le jour. Surtout, les points sur lesquels se focalisait l’opposition me semblaient dénués d’importance : sur l’enseignement de l’histoire en particulier, la réforme avait l’air de renforcer l’approche chronologique, ce qui est à l’évidence une bonne chose ; quant aux contenus de l’enseignement eux-mêmes, j’avais l’impression qu’on agitait des chiffons rouges. Ainsi, le christianisme continue d’être enseigné en 6e et en 5e de manière obligatoire, comme avant, et l’islam en 5e – comme avant. Bref, pas de quoi fouetter un chat.

 Malheureusement, quand on se penche sur les détails – et, paradoxalement, surtout sur les détails dont on parle moins, peut-être parce qu’ils sont plus techniques – on s’aperçoit que la réforme présente plusieurs graves problèmes.

Je suis évidemment allé lire les « questions-réponses » du site Eduscol, ainsi que l’explication du Ministre. Mais ces deux textes ne m’ont guère rassuré. Mme Vallaud-Belkacem part, bien sûr, d’un constat que nous ne pouvons que partager : notre école est une des plus inégalitaires des pays de l’OCDE et fait marcher à plein la reproduction des élites (comme le dit très bien Mme le Ministre, « le collège actuel incarne pour beaucoup d’élèves […] l’impossibilité d’échapper au destin que leur réserve leur origine sociale ») ; elle échoue à transmettre les savoirs fondamentaux ; elle envoie à la casse 140 000 élèves décrocheurs par an ; en outre, le niveau global des élèves baisse et les inégalités s’accroissent. Tout cela, personne ne le nie, et personne ne saurait s’en satisfaire.

En revanche, je suis très sceptique quant aux solutions préconisées. Et de ce point de vue, une chose m’a fait particulièrement bizarre : je me suis trouvé d’accord avec l’essentiel de la lettre que Marine Le Pen a adressée pour l’occasion aux personnels des collèges.

Sans même évoquer les polémiques absurdes sur la place respective du christianisme et de l’islam dans les programmes d’histoire, Mme Le Pen attaque directement le cœur du problème : la réduction des horaires disciplinaires. La réforme, en effet, prévoit que les moyens horaires alloués aux « enseignements pratiques interdisciplinaires » (EPI) et à l’accompagnement personnalisé (AP) soient prélevés sur les horaires disciplinaires, cette réduction étant décidée localement, donc différemment selon les établissements.

Comment se fait-il, alors, que le Ministère assure, par son site Eduscol, qu’il « n’y aura de baisse horaire pour aucun enseignement disciplinaire » ? Parce que, comme le remarque Marine Le Pen, « le raisonnement du gouvernement consiste à dire que les nouveaux EPI […] sont des heures de travail équivalentes aux heures de cours classiques ». Mais rien ne vient appuyer cette théorie. Bien au contraire, si on compare ces futurs EPI à d’autres expériences proches, comme les TPE (travaux personnels encadrés) au lycée, on a plutôt des sujets d’inquiétude : en TPE, l’immense majorité des élèves travaillent très peu, de manière extrêmement peu rentable (ils retirent très peu de chaque heure de cours), et passent l’essentiel de leur temps à traîner sur Internet pour y faire du copier-coller.

Mme Vallaud-Belkacem répond que les EPI « permettront d’améliorer la capacité des élèves à travailler en équipe, par petits groupes, à apprendre la conduite de  projets, à prendre la parole ». Mais c’est précisément là qu’est le drame ! Ce que doivent apprendre des élèves du secondaire, ce n’est pas – et surtout pas au collège – le travail en équipe ou la conduite de projets ! Ce qu’ils doivent apprendre, ce sont la différence entre un COD et un COI, le théorème de Pythagore, ce qui fait de la Première Guerre mondiale un conflit d’un genre nouveau, les principales caractéristiques de l’eau, le fonctionnement de la reproduction sexuée, la lecture d’une partition en clef de sol.

On me dira qu’ils peuvent l’apprendre en petits groupes et en conduisant des projets. C’est, je le crains, une erreur, même si elle part d’une bonne intention. L’expérience le montre : tout le temps passé à apprendre le travail en équipe est perdu pour apprendre le COD. De fait, que ça plaise ou non aux « chercheurs » en « sciences de l’éducation », on n’apprend pas ce qu’est le COD en faisant des recherches sur Internet en équipe, on le fait en écoutant une leçon, puis en faisant des exercices.

Mme Vallaud-Belkacem témoigne d’ailleurs elle-même involontairement de son erreur quand elle écrit que les EPI resteront « toujours autour des savoirs fondamentaux » : mais les savoirs fondamentaux, il ne faut pas être autour ! Il faut être dessus, il faut être dedans. L’interdisciplinarité, le travail en équipe, la conduite de projets sont des choses qui doivent s’apprendre post-bac ; on peut éventuellement commencer le travail au lycée, mais chercher à le faire au collège, c’est en effet « mettre la charrue avant les bœufs ».

Mme Le Pen s’inquiète donc à juste titre du « flou sur la définition des matières », dont « l’exemple le plus flagrant est celui des heures de mathématiques, sur lesquelles on ajoute de manière totalement aberrante un apprentissage de la programmation informatique dès la 6e ». On partage son angoisse ! Les mathématiques, comme science, doivent avoir plus ou moins 7000 ans ; l’informatique, à peine 70. Les mathématiques sont le langage dans lequel le monde de la matière est écrit ; l’informatique, celui par lequel les ordinateurs fonctionnent. Il y en a quand même un qui me semble légèrement plus important que l’autre. Et quand on voit que les élèves ne le maîtrisent, pour beaucoup d’entre eux, que de manière très superficielle, voire pas du tout, on se dit qu’il est dangereux de le délaisser un peu plus au profit d’un autre langage, de surcroît beaucoup moins fondamental.

Idem pour les langues anciennes : à partir du moment où le latin aura un financement spécifique, il faudra que les collèges prenne sur leur marge d’autonomie s’ils souhaitent le maintenir. On peut donc assez logiquement craindre que « dans les faits, l’enseignement du latin sera bien souvent trop compliqué à maintenir, et beaucoup d’établissements tireront un trait sur cette option ».

Alors je dois dire que ça me fait quand même un peu mal de constater que la présidente du FN publie une lettre que j’aurais presque – presque… – pu écrire moi-même, et contre une réforme portée par un gouvernement PS. Heureusement, Mme Le Pen n’est pas la seule à la dénoncer sur ces bases. Le Parti de Gauche a également publié un document dans lequel il dénonce les mêmes risques (ce qui, entre nous soit dit, est un beau pied-de-nez à ceux qui m’ont d’ores et déjà accusé de me droitiser pour mon soutien à la position du FN). Il n’empêche que le constat de base demeure, et demeure choquant – choquant et problématique.

D’autant que je pourrais signer une large partie de ce qu’elle présente comme le programme du FN pour l’école : fin de l’interdisciplinarité au collège, redistribution des heures au profit des fondamentaux, rétablissement des heures perdues en physique-chimie et en SVT, insistance sur l’autorité du maître, promotion des sections linguistiques sont autant de points sur lesquels je ne peux qu’exprimer mon accord.

Reste la question de la suppression du collège unique, sur laquelle je suis beaucoup plus nuancé à la fois que Mme Le Pen et que Mme Vallaud-Belkacem. Bien sûr, la question fondamentale est de savoir ce qu’on demande au collège : dispenser une éducation à tous, ou dégager une élite ? À cela je réponds : les deux, mon capitaine ! C’est possible, si on part des bons présupposés.

La première chose à dire, c’est que la mission de l’école, de la maternelle au secondaire, c’est d’abord de donner à tous les élèves un socle commun de connaissances et de compétences. Cette exigence d’égalité doit être notre point de départ. Elle participe d’une réduction active des inégalités : accorder une culture commune à tous, c’est contrer, même si ce n’est jamais que partiellement, les déterminismes sociaux.

Mais il faut néanmoins ajouter que tous les élèves n’ont pas les mêmes capacités. J’arrête tout de suite ceux que j’entends déjà hurler : je sais que les différences de capacités des élèves sont d’abord dues à leur origine sociale ; je ne prétends pas qu’elles soient innées (même s’il n’est pas exclu que, pour une petite part, elles le soient), je reconnais qu’elles sont au contrairement majoritairement acquises, liées à la chance qu’ont certains, et que d’autres n’ont pas, de recevoir chez eux les bases d’une éducation. C’est sûr qu’un esprit à qui on parlera un français correct et riche, qu’on fera lire dès son plus jeune âge, qu’on confrontera tôt à des calculs mentaux et à des raisonnements abstraits, se développera davantage qu’un autre qui passera son temps entre Direct 8, Candy Crush, et des vidéos de chats.

Cela dit, qu’est-ce que ça change au problème ? Rien, malheureusement. Une fois qu’on a expliqué les différences de capacités entre les élèves, ces différences ne cessent pas d’exister pour autant. Et cela, on ne peut pas ne pas en tenir compte. Car la mission de l’école n’est pas seulement de lutter contre les inégalités et d’offrir une base culturelle et intellectuelle commune à tous ; c’est aussi de pousser chaque élève aussi loin que possible.

Pour autant, faut-il, comme le propose le FN, supprimer le collège unique ? Je ne le crois pas. Je suis d’accord avec Mme le Ministre pour dire que trier les élèves de manière quasi-définitive à 11 ans n’est pas pertinent : il faut laisser leur chance à ceux qui n’ont pas encore pu exprimer pleinement leurs capacités. Or, créer des établissements scolaires séparés dès l’entrée au collège, on sait que c’est rendre ce tri précoce presque définitif, puisque les passerelles prévues pour passer d’un établissement à l’autre ne fonctionnent que dans très peu de cas, surtout dans le sens de la montée – l’exemple allemand l’illustre très bien.

Mais pour conserver le collège unique, il faut l’améliorer, le réformer en profondeur. Pour cela, je ne peux que rappeler les principales propositions de Tol Ardor en matière d’éducation :

1/ La base, la clef de la réussite est la maternelle. En arrivant en CP, certains enfants maîtrisent 500 mots, d’autres 2500. Il faut avant tout lutter contre cette inégalité première qui ne peut qu’en engendrer d’autres avec le temps. Pour cela, deux mesures : rendre la maternelle obligatoire dès la petite section, à trois ans, et limiter le nombre d’élèves à 15 par classe, chaque classe étant gérée par un instituteur aidé d’un ATSEM. Évidemment, cela coûtera cher.

2/ Après la maternelle, la deuxième priorité doit porter sur l’école primaire. Là encore, il faut y limiter le nombre d’élèves, à 20 par classe. Il est essentiel de s’assurer que les élèves ne passent pas en classe supérieure sans maîtriser les fondamentaux d’un niveau. Même constat que précédemment : ce ne sera pas gratuit.

3/ Au collège, le nombre d’élève par classe ne doit pas être supérieur à 25. Les enseignements fondamentaux et disciplinaires doivent y être renforcés. On doit y faire beaucoup lire et beaucoup écrire les élèves. La philosophie doit y être introduite dès la 6e.

Sans supprimer le collège unique, il faut y mettre en place des classes de niveau, la solution la plus simple et la plus efficace pour une pédagogie vraiment différenciée, qu’il est extrêmement difficile de mettre vraiment en œuvre dans des classes très hétérogènes. Chaque classe recevrait un socle éducatif commun, mais les élèves pouvant aller plus loin recevraient un supplément. À la fin de chaque année, chaque élève verrait son classement remis en question : le passage en classe supérieure serait à peu près systématique, mais l’élève pourrait passer dans une classe plus rapide ou plus lente, selon ses besoins.

Ce système présenterait un double avantage : d’une part, il permettrait aux élèves de travailler au plus près de leur rythme et de leurs capacités, sans pour autant perdre des années à redoubler ; d’autre part, il les motiverait pour travailler durant l’année. Actuellement, le passage en classe supérieure étant presque garanti, mais les classes de niveau n’existant pas, beaucoup d’élèves ne voient pas nécessité de faire plus que le strict nécessaire. Dans le système que nous proposons, le passage d’un niveau à l’autre se faisant dans le même établissement, il serait beaucoup plus simple, et un élève qui serait capable de passer dans une classe d’un niveau plus soutenu pourrait le faire bien plus facilement que s’il lui fallait pour cela changer de collège.

4/ Si tous ces principes ont été respectés, on devrait pouvoir, au lycée, passer à un système plus souple. Les classes pourraient sans doute compter jusqu’à 35 élèves, en maintenant le principe des classes de niveau du collège. Les disciplines seraient divisées en trois pôles : lettres, langues et philosophie ; sciences humaines et sociales ; sciences formelles et de la nature. Chaque élève continuerait à suivre toutes les disciplines, mais dans des proportions choisies individuellement à partir de la 1e, en accordant à chaque pôle une importance variable : un pôle principal (environ 15 heures hebdomadaires), un pôle secondaire (environ 10 heures), un pôle complémentaire (environ 5 heures). Cela permettrait à chaque élève de suivre sa vocation de manière plus fine, en cassant le cadre trop strict des séries S, L et ES : après tout, on peut vouloir faire beaucoup de français et de philosophie tout en faisant davantage de maths et de biologie que d’histoire.

Évidemment, il y a à peu près autant de chance de voir ce programme se réaliser que de voir Emmanuel Macron demander la nationalisation complète d’EDF. Ce n’est pas une raison pour ne pas le proposer.

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