Au début de la polémique sur la réforme du collège, je n’ai
pas porté beaucoup d’attention à la question. Je me disais que ce n’était qu’un
projet de réforme, pas même encore sa forme définitive ; qu’au vu de l’histoire
récente, elle avait donc toute les chances de mourir avant de voir le jour.
Surtout, les points sur lesquels se focalisait l’opposition me semblaient
dénués d’importance : sur l’enseignement de l’histoire en particulier, la
réforme avait l’air de renforcer l’approche chronologique, ce qui est à
l’évidence une bonne chose ; quant aux contenus de l’enseignement
eux-mêmes, j’avais l’impression qu’on agitait des chiffons rouges. Ainsi, le
christianisme continue d’être enseigné en 6e et en 5e de
manière obligatoire, comme avant, et l’islam en 5e – comme avant.
Bref, pas de quoi fouetter un chat.
Malheureusement,
quand on se penche sur les détails – et, paradoxalement, surtout sur les
détails dont on parle moins, peut-être parce qu’ils sont plus techniques – on
s’aperçoit que la réforme présente plusieurs graves problèmes.
Je suis évidemment allé lire les
« questions-réponses » du site Eduscol, ainsi que l’explication du Ministre. Mais ces deux textes ne m’ont guère rassuré. Mme Vallaud-Belkacem part, bien sûr, d’un constat
que nous ne pouvons que partager : notre école est une des plus
inégalitaires des pays de l’OCDE et fait marcher à plein la reproduction des
élites (comme le dit très bien Mme le Ministre, « le collège actuel
incarne pour beaucoup d’élèves […] l’impossibilité d’échapper au destin que
leur réserve leur origine sociale ») ; elle échoue à transmettre les
savoirs fondamentaux ; elle envoie à la casse 140 000 élèves
décrocheurs par an ; en outre, le niveau global des élèves baisse et les
inégalités s’accroissent. Tout cela, personne ne le nie, et personne ne saurait
s’en satisfaire.
En revanche, je suis très sceptique quant aux solutions
préconisées. Et de ce point de vue, une chose m’a fait particulièrement
bizarre : je me suis trouvé d’accord avec l’essentiel de la lettre que
Marine Le Pen a adressée pour l’occasion aux personnels des collèges.
Sans même évoquer les polémiques absurdes sur la place
respective du christianisme et de l’islam dans les programmes d’histoire, Mme
Le Pen attaque directement le cœur du problème : la réduction des horaires
disciplinaires. La réforme, en effet, prévoit que les moyens horaires alloués
aux « enseignements pratiques interdisciplinaires » (EPI) et à l’accompagnement
personnalisé (AP) soient prélevés sur les horaires disciplinaires, cette
réduction étant décidée localement, donc différemment selon les établissements.
Comment se fait-il, alors, que le Ministère assure, par son
site Eduscol, qu’il « n’y aura de baisse horaire pour aucun enseignement
disciplinaire » ? Parce que, comme le remarque Marine Le Pen,
« le raisonnement du gouvernement consiste à dire que les nouveaux EPI […]
sont des heures de travail équivalentes aux heures de cours classiques ».
Mais rien ne vient appuyer cette théorie. Bien au contraire, si on compare ces
futurs EPI à d’autres expériences proches, comme les TPE (travaux personnels
encadrés) au lycée, on a plutôt des sujets d’inquiétude : en TPE,
l’immense majorité des élèves travaillent très peu, de manière extrêmement peu
rentable (ils retirent très peu de chaque heure de cours), et passent
l’essentiel de leur temps à traîner sur Internet pour y faire du copier-coller.
Mme Vallaud-Belkacem répond que les EPI « permettront
d’améliorer la capacité des élèves à travailler en équipe, par petits groupes,
à apprendre la conduite de projets, à prendre la parole ». Mais
c’est précisément là qu’est le drame ! Ce que doivent apprendre des élèves
du secondaire, ce n’est pas – et surtout pas au collège – le travail en équipe
ou la conduite de projets ! Ce qu’ils doivent apprendre, ce sont la
différence entre un COD et un COI, le théorème de Pythagore, ce qui fait de la
Première Guerre mondiale un conflit d’un genre nouveau, les principales caractéristiques
de l’eau, le fonctionnement de la reproduction sexuée, la lecture d’une
partition en clef de sol.
On me dira qu’ils peuvent l’apprendre en petits groupes et
en conduisant des projets. C’est, je le crains, une erreur, même si elle part
d’une bonne intention. L’expérience le montre : tout le temps passé à
apprendre le travail en équipe est perdu pour apprendre le COD. De fait, que ça
plaise ou non aux « chercheurs » en « sciences de
l’éducation », on n’apprend pas ce qu’est le COD en faisant des recherches
sur Internet en équipe, on le fait en écoutant une leçon, puis en faisant des
exercices.
Mme Vallaud-Belkacem témoigne d’ailleurs elle-même
involontairement de son erreur quand elle écrit que les EPI resteront
« toujours autour des savoirs fondamentaux » : mais les savoirs
fondamentaux, il ne faut pas être autour ! Il faut être dessus, il faut
être dedans. L’interdisciplinarité, le travail en équipe, la conduite de
projets sont des choses qui doivent s’apprendre post-bac ; on peut
éventuellement commencer le travail au lycée, mais chercher à le faire au
collège, c’est en effet « mettre la charrue avant les bœufs ».
Mme Le Pen s’inquiète donc à juste titre du « flou sur
la définition des matières », dont « l’exemple le plus flagrant est
celui des heures de mathématiques, sur lesquelles on ajoute de manière
totalement aberrante un apprentissage de la programmation informatique dès la 6e ».
On partage son angoisse ! Les mathématiques, comme science, doivent avoir
plus ou moins 7000 ans ; l’informatique, à peine 70. Les mathématiques
sont le langage dans lequel le monde de la matière est écrit ;
l’informatique, celui par lequel les ordinateurs fonctionnent. Il y en a quand
même un qui me semble légèrement plus important que l’autre. Et quand on voit
que les élèves ne le maîtrisent, pour beaucoup d’entre eux, que de manière très
superficielle, voire pas du tout, on se dit qu’il est dangereux de le délaisser
un peu plus au profit d’un autre langage, de surcroît beaucoup moins
fondamental.
Idem pour les
langues anciennes : à partir du moment où le latin aura un financement
spécifique, il faudra que les collèges prenne sur leur marge d’autonomie s’ils
souhaitent le maintenir. On peut donc assez logiquement craindre que
« dans les faits, l’enseignement du latin sera bien souvent trop compliqué
à maintenir, et beaucoup d’établissements tireront un trait sur cette
option ».
Alors je dois dire que ça me fait quand même un peu mal de
constater que la présidente du FN publie une lettre que j’aurais presque –
presque… – pu écrire moi-même, et contre une réforme portée par un gouvernement
PS. Heureusement, Mme Le Pen n’est pas la seule à la dénoncer sur ces bases. Le
Parti de Gauche a également publié un document dans lequel il dénonce les mêmes
risques (ce qui, entre nous soit dit, est un beau pied-de-nez à ceux qui m’ont
d’ores et déjà accusé de me droitiser pour mon soutien à la position du FN). Il
n’empêche que le constat de base demeure, et demeure choquant – choquant et
problématique.
D’autant que je pourrais signer une large partie de ce
qu’elle présente comme le programme du FN pour l’école : fin de
l’interdisciplinarité au collège, redistribution des heures au profit des
fondamentaux, rétablissement des heures perdues en physique-chimie et en SVT,
insistance sur l’autorité du maître, promotion des sections linguistiques sont
autant de points sur lesquels je ne peux qu’exprimer mon accord.
Reste la question de la suppression du collège unique, sur
laquelle je suis beaucoup plus nuancé à la fois que Mme Le Pen et que Mme
Vallaud-Belkacem. Bien sûr, la question fondamentale est de savoir ce qu’on
demande au collège : dispenser une éducation à tous, ou dégager une
élite ? À cela je réponds : les deux, mon capitaine ! C’est
possible, si on part des bons présupposés.
La première chose à dire, c’est que la mission de l’école,
de la maternelle au secondaire, c’est d’abord
de donner à tous les élèves un socle commun de connaissances et de compétences.
Cette exigence d’égalité doit être notre point de départ. Elle participe d’une
réduction active des inégalités : accorder une culture commune à tous, c’est contrer, même si ce n’est
jamais que partiellement, les déterminismes sociaux.
Mais il faut néanmoins ajouter que tous les élèves n’ont pas
les mêmes capacités. J’arrête tout de suite ceux que j’entends déjà
hurler : je sais que les différences de capacités des élèves sont d’abord dues à leur origine
sociale ; je ne prétends pas qu’elles soient innées (même s’il n’est pas
exclu que, pour une petite part, elles le soient), je reconnais qu’elles sont
au contrairement majoritairement acquises, liées à la chance qu’ont certains,
et que d’autres n’ont pas, de recevoir chez eux les bases d’une éducation.
C’est sûr qu’un esprit à qui on parlera un français correct et riche, qu’on
fera lire dès son plus jeune âge, qu’on confrontera tôt à des calculs mentaux
et à des raisonnements abstraits, se développera davantage qu’un autre qui
passera son temps entre Direct 8, Candy Crush, et des vidéos de chats.
Cela dit, qu’est-ce que ça change au problème ? Rien,
malheureusement. Une fois qu’on a expliqué les différences de capacités entre
les élèves, ces différences ne cessent pas d’exister pour autant. Et cela, on
ne peut pas ne pas en tenir compte. Car la mission de l’école n’est pas seulement de lutter contre les
inégalités et d’offrir une base culturelle et intellectuelle commune à
tous ; c’est aussi de pousser
chaque élève aussi loin que possible.
Pour autant, faut-il, comme le propose le FN, supprimer le
collège unique ? Je ne le crois pas. Je suis d’accord avec Mme le Ministre
pour dire que trier les élèves de manière quasi-définitive à 11 ans n’est pas
pertinent : il faut laisser leur chance à ceux qui n’ont pas encore pu
exprimer pleinement leurs capacités. Or, créer des établissements scolaires
séparés dès l’entrée au collège, on sait que c’est rendre ce tri précoce
presque définitif, puisque les passerelles prévues pour passer d’un
établissement à l’autre ne fonctionnent que dans très peu de cas, surtout dans
le sens de la montée – l’exemple allemand l’illustre très bien.
Mais pour conserver le collège unique, il faut l’améliorer,
le réformer en profondeur. Pour cela, je ne peux que rappeler les principales
propositions de Tol Ardor en matière d’éducation :
1/ La base, la clef de la réussite est la maternelle. En
arrivant en CP, certains enfants maîtrisent 500 mots, d’autres 2500. Il faut
avant tout lutter contre cette inégalité première qui ne peut qu’en engendrer
d’autres avec le temps. Pour cela, deux mesures : rendre la maternelle
obligatoire dès la petite section, à trois ans, et limiter le nombre d’élèves à
15 par classe, chaque classe étant gérée par un instituteur aidé d’un ATSEM.
Évidemment, cela coûtera cher.
2/ Après la maternelle, la deuxième priorité doit porter sur
l’école primaire. Là encore, il faut y limiter le nombre d’élèves, à 20 par
classe. Il est essentiel de s’assurer que les élèves ne passent pas en classe
supérieure sans maîtriser les fondamentaux d’un niveau. Même constat que
précédemment : ce ne sera pas gratuit.
3/ Au collège, le nombre d’élève par classe ne doit pas être
supérieur à 25. Les enseignements fondamentaux et disciplinaires doivent y être
renforcés. On doit y faire beaucoup lire et beaucoup écrire les élèves. La
philosophie doit y être introduite dès la 6e.
Sans supprimer le collège unique, il faut y mettre en place
des classes de niveau, la solution la plus simple et la plus efficace pour une
pédagogie vraiment différenciée, qu’il est extrêmement difficile de mettre
vraiment en œuvre dans des classes très hétérogènes. Chaque classe recevrait un
socle éducatif commun, mais les élèves pouvant aller plus loin recevraient un
supplément. À la fin de chaque année, chaque élève verrait son classement remis
en question : le passage en classe supérieure serait à peu près
systématique, mais l’élève pourrait passer dans une classe plus rapide ou plus
lente, selon ses besoins.
Ce système présenterait un double avantage : d’une
part, il permettrait aux élèves de travailler au plus près de leur rythme et de
leurs capacités, sans pour autant perdre des années à redoubler ; d’autre
part, il les motiverait pour travailler durant l’année. Actuellement, le
passage en classe supérieure étant presque garanti, mais les classes de niveau
n’existant pas, beaucoup d’élèves ne voient pas nécessité de faire plus que le
strict nécessaire. Dans le système que nous proposons, le passage d’un niveau à
l’autre se faisant dans le même établissement, il serait beaucoup plus simple,
et un élève qui serait capable de passer dans une classe d’un niveau plus
soutenu pourrait le faire bien plus facilement que s’il lui fallait pour cela
changer de collège.
4/ Si tous ces principes ont été respectés, on devrait
pouvoir, au lycée, passer à un système plus souple. Les classes pourraient sans
doute compter jusqu’à 35 élèves, en maintenant le principe des classes de
niveau du collège. Les disciplines seraient divisées en trois pôles :
lettres, langues et philosophie ; sciences humaines et sociales ;
sciences formelles et de la nature. Chaque élève continuerait à suivre toutes
les disciplines, mais dans des proportions choisies individuellement à partir
de la 1e, en accordant à chaque pôle une importance variable :
un pôle principal (environ 15 heures hebdomadaires), un pôle secondaire
(environ 10 heures), un pôle complémentaire (environ 5 heures). Cela
permettrait à chaque élève de suivre sa vocation de manière plus fine, en
cassant le cadre trop strict des séries S, L et ES : après tout, on peut
vouloir faire beaucoup de français et de philosophie tout en faisant davantage
de maths et de biologie que d’histoire.
Évidemment, il y a à peu près autant de chance de voir ce
programme se réaliser que de voir Emmanuel Macron demander la nationalisation
complète d’EDF. Ce n’est pas une raison pour ne pas le proposer.
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