dimanche 4 mai 2014

Un enfant a-t-il droit à un père et une mère ?


Un des principaux arguments déployés par les opposants à la loi Taubira (lors du débat de 2012-2013, mais aussi, aujourd’hui encore, par ceux qui réclament son abrogation) est le prétendu droit des enfants à avoir un père et une mère, droit qui leur serait dénié par la possibilité d’adopter accordée aux couples de même sexe.

Un droit, vraiment ? Un droit non respecté implique réparation. J’ai droit à la liberté d’expression : si quelqu’un prétend me dénier ce droit, ou m’en prive par force, je peux avoir recours à la force de la loi, soutenue par la justice et la police, pour faire rétablir mon droit. Si, sur ce blog, je publie des caricatures de Muhammad, et que, en représailles, un hacker le pirate, je peux porter plainte. J’ai droit à la liberté d’opinion ; si on prétend me convertir par la force à une religion qui n’est pas la mienne, ou si on prétend me faire abandonner ma religion, je peux porter plainte contre mon agresseur, et il sera condamné, de sorte que je jouisse à nouveau de mon droit, de mes libertés.

Si donc un enfant avait « droit » à un père et une mère, alors un enfant privé de ce droit – concrètement, un enfant qui n’aurait pas, ou n’aurait plus, un père et une mère – serait fondé à demander réparation devant la justice. Ainsi, un enfant qui aurait perdu l’un de ses parents devrait logiquement être placé dans une famille d’accueil qui lui assurerait d’avoir de nouveau un père et une mère. De même, un enfant dont les parents divorceraient ne pourrait pas être placé à la garde de l’un d’entre eux, mais devrait obligatoirement être placé, au minimum, en garde alternée.

On va dire que je raisonne par l’absurde. Sans doute ; mais je ne fais que pousser à bout la logique des adversaires de la loi Taubira pour en montrer le caractère fallacieux. La conclusion s’impose d’elle-même : avoir un père et une mère est peut-être une chance ; mais ce n’est certainement pas un droit.

On va maintenant me rétorquer : mais justement, si avoir un père et une mère est une chance, alors il faut offrir cette chance aux enfants adoptés ! Sans doute, on ne peut que vouloir le meilleur pour les enfants, et c’est à eux qu’il faut penser en priorité.

Certes. Mais d’une part, il n’est pas prouvé qu’il soit objectivement meilleur pour un enfant d’avoir un père et une mère que deux pères ou deux mères. Personnellement, je ne le crois pas. Cela étant, ne nous engageons pas sur cette pente : admettons, pour les besoins de la cause, qu’il soit meilleur pour un enfant d’avoir un père et une mère que deux pères ou deux mères. Là encore, c’est le raisonnement par l’absurde qui va nous aider à y voir plus clair.

Si on dit que c’est là ce qu’il y a de meilleur pour les enfants, alors il va falloir, sur cette base, interdire aux personnes seules d’adopter. Personnellement, je ne suis pas pour : je crois qu’un homme ou une femme seul peut parfaitement adopter et élever un enfant, et le rendre tout à fait heureux ; je ne vois donc pas de raison d’interdire ce cas de figure.

Mais je sais que certains de mes adversaires sont prêts à aller jusque-là. Alors allons-y ; mais là encore, allons-y à fond. On veut le meilleur, et seulement le meilleur, pour les enfants ? Il est évident qu’il est meilleur pour un enfant d’être élevé par une famille riche et cultivée du XVIIe arrondissement que par une famille pauvre de Bobigny dont un des parents serait chômeur et qui n’aurait jamais mis les pieds dans un musée. Veut-on toujours le meilleur pour les enfants ? Alors il faut faire adopter en priorité les familles riches et cultivées, et ne permettre aux autres d’adopter qu’en tout dernier recours.

Abject, non ? En effet. Et pourquoi ? Pourquoi sentez-vous que cette idée est abjecte, alors qu’à l’évidence elle est rationnellement exacte ? Parce qu’au fond, on sait que le meilleur pour un enfant, ce n’est pas d’être élevé par une famille riche et cultivée, ni d’avoir un père et une mère ; l’essentiel pour un enfant, c’est d’être aimé. Il vaut infiniment mieux être élevé par une femme seule, ou par un couple d’hommes, ou par un homme et une femme pauvres et qui ne vont jamais au musée, s’ils vous aiment et sont présents pour vous, que par un homme et une femme riches et cultivés mais qui ne s’occupent pas vraiment de leurs enfants, ou qui se déchirent devant eux, ou qui les considèrent comme des défouloirs, comme des exutoires, comme des outils.

Un enfant n’a pas « le droit » d’être élevé dans l’élite sociale, même si c’est objectivement préférable. Faire partie des riches, c’est une chance, c’est un atout, c’est une responsabilité, c’est tout ce que vous voulez, mais ce n’est pas un « droit ». On n’a pas « le droit » à la santé, même si tout le monde préfère être en bonne santé que malade ; on a seulement le droit d’être soigné quand on est malade. On a droit à un traitement, à être examiné par un médecin, à ce que l’État prenne en charge nos médicaments ; mais la bonne santé, c’est une simple chance.

Avoir un père et une mère, c’est peut-être une chance. Peut-être. Mais ce n’est de toute manière pas un droit.

10 commentaires:

  1. J'ai lu l'article en entier, cependant que pensez-vous de l'impact psychologique que le fait d'avoir été élevé par deux pères et deux mères aura sur ces enfants adoptent.

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    1. La plupart des études en la matière tendent à démontrer que les enfants élevés par des couples homoparentaux ne souffrent pas de traumatismes et ne sont pas moins heureux que les autres.

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  2. Ces études qui tendent à démontrer que les enfants des couples homos ne souffrent pas de traumatisme sont peut-être fiables par contre ces enfants manqueront de l'amour d'un père ou d'une mère de plus le regard que les gen porteront sur eux leurs feront comprendre qu'ils sont différents de leurs camarades, certes vous l'avez vous-même dis certains enfants sont orphelins ou ont perdu un parent mais ils savent qu'ils ont pas eu les mêmes chances que les gens normaux, donc je reste perplexe quant à ces études, je porte le regard critique que vous m'avez appris en cours de méthodo.

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    1. J'espère bien, que tu portes un regard critique ! Mais en l'occurrence, justement, je crois que le regard critique doit nous permettre de dépasser nos préjugés. Le meilleur exemple, je crois, ce sont les enfants de couples homos, qui sont nombreux à témoigner de leur bonheur.

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  3. Je ne suis pas certain de bien comprendre votre réponse... Vous semblez dire qu'un couple homosexuel ne peut pas s'aimer ou ne peut pas aimer un enfant, ou encore qu'ils ne peuvent qu'aimer moins qu'un couple hétérosexuel. Si j'ai bien compris, non seulement nous sommes en fondamental désaccord, mais encore je ne vois pas ce qui vous permet de supposer cela ; de même que je ne vois pas ce qui vous permet de parler de "paire" plutôt que de "couple" pour les homosexuel.

    Avancez-vous un nouvel argument ? Si c'est le cas, merci de me l'expliquer, car là je ne le vois pas. Si un couple homo aime un enfant, lequel de ses droits serait bafoué ?

    Vous ramenez encore sur le tapis la différence des sexes ; OK, il y a une différence des sexes, il y a aussi des différences de religion ou de couleur de peau ; est-ce qu'un couple dont les deux membres sont blancs ou catholiques manque fondamentalement de quelque chose ?

    Pour le reste, je ne vois pas bien en quoi je confondrais égalité et indifférenciation... Seulement, il y a quand même des différences injustes et à abolir. Comme il y a des différences justes, sources de richesse, et à conserver. Mais bon, une fois qu'on a dit ça, on n'a pas dit grand-chose...

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  4. Non, je dis qu'une couple homosexuel fait entorse à l'Amour en bannissant une différence fondamentale (ce qui n'empêche bien sûr pas à un couple hétérosexuel de faire entorse à la différence des sexes en bannissant l'Amour). Les deux ne sont pas les meilleurs couples et ne sont pas les meilleurs parents non plus (sauf de rares exceptions) car cette différence dépasse les toutes les autres différences (de religion, de couleur de peau, de niveau social, etc.). Elle dépasse toutes les différences car elle est structurelle à l'être humain.

    Enfin, j'ai parlé "d'unE couple" avant de parler de "paire". Car oui le couple homo en est un dans sa complémentarité de genre, et dans plein d'autres choses. Mais je ne vois pas en quoi il serait choquant de parler de "paire" lorsqu'il s'agit de deux personnes de même sexe.

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    1. Je crois que le fond de notre désaccord est là, et qu'il est irréductible : je ne crois pas, moi, qu'un couple homosexuel fasse entorse à l'Amour en bannissant la différence des sexes.

      Mais surtout, je crois que vous n'avez aucun argument pour défendre cette idée. Que la différence des sexes soit structurante pour l'humanité, sans doute, et alors ? Ça ne veut certainement pas dire qu'un couple fondé sur autre chose fasse entorse à l'Amour. Je ne vois pas le lien, en fait. Je ne vois aucun rapport. Vous avez, je trouve, une vision extrêmement réductrice de ce qu'est l'Amour. Tout le reste de votre argumentaire s'écroule là-dessus.

      Pour le reste, ce que vous dites des couples homos me laisse penser que vous n'en connaissez pas beaucoup. Ainsi, je me demande bien ce que vous voulez dire avec la "complémentarité de genre" qu'ils abriteraient. Qu'est-ce que vous entendez, qu'il y en a toujours un qui "fait la fille" et l'autre qui "fait l'homme" ? Si c'est ça, il faut juste que vous en rencontriez, vous verrez qu'ils sont bien plus divers.

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  5. Prouvez-moi que la perversion narcissique fait entorse à l'Amour, et peut-être qu'alors vous comprendrez mieux de quoi il s'agit. il me semble que cette phrase : "je crois que vous n'avez aucun argument pour défendre cette idée" soit clairement la manifestation d'un déni. Sur ce, adieu !

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    1. Adieu si vous voulez ; mais je ne vois toujours pas ce qui vous autorise à appeler l'amour homosexuel "perversion narcissique". Que la différence des sexes soit consubstantielle à l'humanité, d'accord ; mais je ne vois pas ce qui autorise à passer de cette idée, indéniable, à cette autre, complètement différente, selon laquelle un véritable lien d'amour devrait forcément s'appuyer dessus. Vous faites comme si, de l'une à l'autre idée, le passage était évident, alors qu'il ne l'est nullement.

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