lundi 21 avril 2014

Les autorités catholiques et les fidèles, ou le bonheur conjugal par l'ignorance mutuelle


Après avoir écrit, plein d’une auguste rage, mon billet d’hier (et l’avoir dûment posté à l’archevêque de Marseille), le doute et l’hébétement ont refermé sur moi leurs serres cruelles.

Je me suis en effet senti bien seul. Pas complètement, bien sûr : sur Facebook, sur Twitter, à la CCBF, à Tol Ardor même (hem), j’ai plein d’amis, catholique pratiquants, qui me disent à quel point j’ai raison de me battre et comme ils sont d’accord avec moi. Des gens qui sont à la messe tous les dimanches que Dieu fait et qui sont pour la loi Taubira.

Mais autour de moi, pourquoi je ne les vois pas ? Si nous sommes si nombreux à soutenir le mariage homo (45%, selon l’IFOP) ou même l’adoption (entre 31 et 36%), pourquoi je me sens si seul dans ma paroisse ? D’accord, la sociologie des chrétiens de Mayotte n’aide probablement pas. Mais même quand je rentre en métropole, je n’ai pas le sentiment que le courant réformiste de l’Église s’exprime plus que ça à l’échelle locale, dans la réalité concrète des paroisses et des rassemblements dominicaux. Sur les réseaux sociaux, oui ; mais dès qu’il n’y a plus l’intermédiaire de l’écran, j’ai l’impression qu’il y a tout de suite moins de monde. Dans ma paroisse, je crois bien être le seul à m’être publiquement opposé (après coup, malheureusement) à l’insertion dans la feuille de chant d’un appel à aller manifester le 26 mai dernier.

Deux possibilités, donc. La première : les sondages se trompent, et les cathos réformistes sont en fait beaucoup moins nombreux que ça. Mais c’est assez peu probable : je vois mal les non chrétiens se faire passer pour des pratiquants simplement pour faire croire à l’existence de divisions dans l’Église ; et je vois encore moins des pratiquants opposés à la loi Taubira mentir et se faire passer pour ses défenseurs.

Reste donc la seconde option : les catholiques réformistes évitent de trop se montrer, même auprès de gens qui pensent comme eux. La raison est assez facile à deviner : ils ont peur (et à juste titre) de se retrouver exclus, considérés comme des traîtres et mis au ban de toutes les activités de la paroisse, voire de la communauté elle-même. Donc, ils restent dans l’Église, mais ils se taisent. Ils ne sont pas d’accord avec le Magistère, mais ils ne le disent pas.

Ça semble évident, mais si on creuse un peu, on s’aperçoit qu’il y a là une petite découverte. Certes, l’Église, comme je le dénonce depuis plus d’un an, est indifférente à son aile réformiste, elle fait semblant de ne pas la voir, de ne pas l’entendre, elle cherche à tout prix à éviter le débat interne ; mais cette indifférence est en fait à double sens. Les catholiques progressistes, de leur côté, ne cherchent pas plus que ça le dialogue non plus. Ils sont finalement assez peu nombreux à protester en public, sur le Net, et encore bien moins nombreux à s’exprimer localement, avec les catholiques autour d’eux.

Et en y réfléchissant un peu plus, j’ai compris que cela n’était pas vrai seulement pour les catholiques réformistes, mais était en fait une réalité structurante de l’Église aujourd’hui, y compris dans les milieux conservateurs ou même traditionnalistes : la hiérarchie et les fidèles catholiques s’ignorent mutuellement de la manière la plus superbe.

Tout d’abord, l’Église ignore les fidèles. Elle n’ignore pas que les réformistes, même s’ils sont l’objet de son silence le plus assourdissant. Elle ignore également les traditionnalistes. Cela est plus difficile à voir, parce qu’elle négocie avec eux. Mais elle les ignore en ce qu’elle n’écoute absolument pas leurs arguments, leurs raisonnements, et cherche uniquement, dans les « négociations », à les faire rentrer dans le rang sans concession d’ampleur. Or, les traditionnalistes ne sont pas sans arguments ! Quand ils disent que Vatican II est en contradiction à peu près totale avec tout le Magistère antérieur, ils ont évidemment raison ; il suffit de se pencher sur ce qu’ont écrit des papes comme Grégoire XVI, Pie IX, Pie X, ou même sur les documents issus du Concile de Trente pour s’en rendre compte.

Les tradis en tirent la conclusion qu’il faut jeter Vatican II aux orties, et à mon sens c’est là qu’ils se trompent – pour moi, c’est au contraire une bonne partie du Magistère antérieur, et bien sûr l’aberrant dogme de l’infaillibilité de l’Église, qu’il faut jeter aux orties. Mais il n’en reste pas moins que leur constat de base est juste. Et c’est là-dessus que les autorités de l’Église, foncièrement conservatrices, refusent de les entendre, font comme si leur raisonnement n’existait pas, ânonnent l’illusoire « herméneutique de la continuité », bref les ignorent, d’une manière finalement assez proche de celle dont elle traite les réformateurs.

Enfin, l’Église ignore même les conservateurs bon teint dès qu’ils cessent d’agir en parfaite conformité avec le Magistère. Ainsi, vu que 99% des catholiques pratiquants pratiquent aussi le sexe avant le mariage et la contraception « artificielle », on pourrait penser que les autorités romaines vont en tenir compte et modifier le Magistère en fonction de ce sensus fidelium. Mais non : là encore, c’est l’autisme le plus complet qui prévaut. On fait comme si ça n’existait pas.

Et de leur côté, les fidèles ignorent, dans une symétrie assez troublante, les autorités de l’Église. C’est bien sûr vrai pour les réformistes, qui continuent à soutenir la contraception, le mariage homo, l’adoption pour ces couples, voire la possibilité d’avorter, et ne parlons même pas de profondes réformes structurelles dans l’Église, comme le mariage des prêtres, les femmes prêtres etc., sans se soucier le moins du monde des condamnations répétées de toutes ces propositions.

Mais c’est aussi vrai pour les traditionnalistes. Bien sûr, ce n’est pas sur les mêmes choses, mais l’ignorance est pourtant là. Ils savent parfaitement, par exemple, que les Constitutions dogmatiques adoptées lors de Vatican II sont, eh bien, « dogmatiques », justement, et ont été prises de manière totalement légale et canonique ; et que donc, elles devraient s’imposer à tous les fidèles. Et pourtant, ils en nient un grand nombre de propositions, qui vont du dialogue inter-religieux à l’idée que chrétiens et musulmans adorent le même Dieu, en passant par la liberté religieuse. Ils trouvent les arguments les plus farfelus (et parfois ne s’embarrassent même pas de chercher des arguments) pour faire comme si ces déclarations n’existaient pas.

Et c’est tout aussi vrai pour les conservateurs. Ainsi, Humanae vitae, dont les conclusions ont pourtant réaffirmées par le Magistère encore et encore, avec la dernière énergie, est superbement ignorée par l’immense majorité des fidèles. Comme je le disais, ils prennent des pilules, ils se posent des stérilets, des patchs, ils couchent avant le mariage, et sans le moindre complexe.

Le plus stupéfiant est qu’à côté de ça, conservateurs et traditionnalistes sont parfaitement capables de vous asséner que l’Église a raison, l’Église a raison, l’Église a toujours raison. Dans une attitude absolument schizophrène, ils prétendent que l’Église ne se trompe pas, qu’elle ne se trompe même jamais, mais ils continuent à dire qu’elle se trompe quand on les met face à des affirmations qui les dérangent, ou à agir en parfaite contradiction avec ce qu’elle dit. Les mettre face à cette contradiction pourtant évidente ne sert absolument de rien : rien ne change.

Voilà donc à quoi peut se récapituler une bonne part des rapports entre la hiérarchie catholiques et les fidèles de l’Église : beaucoup d’ignorance réciproque, et une grosse dose de schizophrénie. Pas vraiment une base solide pour construire une relation durable.

2 commentaires:

  1. J'ai distribué - avec l'accord de mon curé - dans ma paroisse des textes chrétiens favorables à l'ouverture du mariage aux couples de même sexe. L'initiative a été accueillie aimablement par les paroissiens, certains m'ont manifesté leur soutien.
    Ensuite ? rien.
    Au mieux, à l'échelle locale, ça discute (y compris sur les différents sujets que vous évoquez dans ce billet). ça râle, éventuellement, que "la hiérarchie" ne soit pas d'accord avec ceci ou cela. et puis tout le monde fait comme si ça n'avait pas d'importance (c'est patent sur la contraception ; le mariage homo aura eu le mérite que le malaise a été visible et le reste, au moins sur le net).
    Maintenant, concrètement, que faire ? Je ne vois pas d'issue. Claquer la porte n'est pas une solution. Crier plus fort ne servirait à rien, tellement on a le sentiment qu'il y a là surdité volontaire.
    Alors ? Témoigner là où on est, parler patiemment, aimer dans le désaccord.
    Mouais. J'aurais besoin d'un bon coup d'Esprit saint pour encore y parvenir. ça tombe bien, c'est la saison.

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  2. un seul être vous manque et tout est dépeuplé... où es-tu mon frère, ma soeur?

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