Dans un précédent billet, j’avais tenté un début de
réflexion sur les divisions de l’échiquier politique aujourd’hui. J’étais
parvenu à la conclusion que la distinction essentielle ne séparait plus la
gauche de la droite mais plutôt les conservateurs d’une part, c’est-à-dire ceux
qui souhaitent maintenir en place les fondements du Système, en le faisant plus
ou moins évoluer dans ses détails, et d’autre part ceux qui souhaitent changer
radicalement de modèle de société. Pour désigner ces derniers, le terme « révolutionnaires »
me semble mal choisi, car beaucoup ne considèrent pas la révolution comme un
bon moyen de parvenir au bouleversement qu’ils appellent de leurs vœux. En
revanche, même si beaucoup d’entre eux (et, puisque je m’inclus moi-même dans cette
catégorie, je pourrais aussi bien dire « d’entre nous »)
rejetteraient probablement ce nom, je trouve assez justifié de les qualifier « d’utopistes »,
étant donné qu’ils veulent construire une société entièrement nouvelle.
J’avais donc proposé de schématiser l’échiquier politique occidental
actuel non pas sous la forme d’une ligne où on se situerait plus ou moins à
gauche ou à droite, mais plutôt selon deux cercles concentriques ainsi divisés :
Au centre se trouvent les conservateurs ; aux marges,
les utopistes. Les deux catégories sont elles-mêmes subdivisées, mais pas de
manière symétrique.
Le cercle concentrique extérieur, qui rassemble les marges
de la radicalité, est clairement divisé en trois catégories selon la vision de
la société dont chaque segment est porteur : la gauche radicale insiste
sur l’égalité sociale, ce qui la pousse à exiger une forte limitation des
inégalités économiques et une démocratie dans laquelle le peuple serait plus
réellement au pouvoir ; la droite radicale insiste sur l’homogénéité
sociale, ce qui la pousse à rejeter toute forme de différence (l’étranger,
celui qui n’a pas la même religion etc.) ; l’écologie radicale, enfin,
place la défense de la vie, sous toutes ses formes, au cœur de son projet.
Cette séparation nette en trois segments ne signifie pas que
ces trois formes de la radicalité soient sans liens les unes avec les autres. Cette
schématisation permet au contraire de rendre compte de ce qui s’explique mal si
l’on pense l’échiquier politique comme une ligne allant de l’extrême-gauche à l’extrême-droite
(vision selon laquelle tout devrait opposer ces deux extrêmes), à savoir la
fréquence des passages individuels de la gauche radicale à la droite radicale –
d’anciens syndicalistes de la CGT se présentent aux élections sous l’étiquette
FN, et on ne compte plus les anciens maoïstes passés à l’extrême-droite. De la même
manière, l’écologie radicale, sans être ni de droite, ni de gauche, peut
emprunter des éléments de l’une et de l’autre, dans des dosages qui diffèrent profondément
d’un courant à l’autre – l’écologie radicale étant encore une nébuleuse extrêmement
diverse.
Il n’en va pas de même pour les conservateurs. Bien entendu,
conservateurs de la droite modérée et conservateurs de la gauche modérée ne
sont pas exactement de la même nature, et cela pour deux raisons.
La première, c’est qu’ils diffèrent tout de même, de manière
assez notable, par des détails – mais les détails ont leur importance ! –
de la vision sociale qu’ils portent. Ainsi, le mariage pour les couples
homosexuels, ou, en son temps, l’abolition de la peine de mort, auraient eu
très peu de chances d’être portés par les conservateurs de droite. Ceux qui se
revendiquent de gauche ont gardé de leurs lointaines origines un vague idéal d’égalité
ou de justice qui les pousse à ces réformes sociétales – c’est mieux que rien.
La seconde, c’est qu’à l’intérieur de chaque camp se cachent
des individus plus ou moins utopistes sous leurs habits de conservateurs. Parmi
les partis conservateurs de droite ou de gauche modérée (concrètement, à l’UMP,
au PS ou parmi les mille et un micro-partis centristes) se trouvent quelques personnes
qui espèrent changer plus ou moins radicalement le Système, et qui se disent qu’ils
seront plus efficaces s’ils agissent de l’intérieur d’un « parti de gouvernement ».
Au PS, il y a des gens qui sont idéologiquement assez proches du Parti de
Gauche, de même qu’à l’UMP, il y a des gens qui sont assez proches du Front
National. Ceux-là commettent une énorme erreur stratégique : ils n’ont
tout simplement pas compris que ces partis sont là pour maintenir le Système en
l’état, et que les idéalistes ou les utopistes déguisés y seront toujours noyés
par les réalistes autoproclamés. Mais leur présence contribue à brouiller le
message.
Finalement, on pourrait rendre le schéma un peu plus dynamique :
Cela étant, ces deux réalités ne changent rien au fait que
sur l’essentiel, PS et UMP se ressemblent de plus en plus. Ce n’est pas tant
que la frontière entre droite et gauche n’existe plus ; c’est qu’elle n’existe
plus que dans le champ de la radicalité (et encore, comme on l’a vu, de manière
assez complexe). Entre les conservateurs de droite et de gauche modérées, elle
est devenue extrêmement poreuse, ce qui justifie que, sur le schéma, elle ne
soit représentée qu’en pointillés, et que les conservateurs de droite et de
gauche soient représentés par la même couleur (ou, dans la seconde version, par
un dégradé de la même couleur).
À cet égard, les récentes évolutions au plus haut degré de l’État
sont révélatrices. La cinglante défaite du PS aux municipales a entraîné de sa
part un énième virage à droite avec la nomination de Manuel Valls à Matignon. Contrairement
à ce que crient les représentants de la gauche radicale, ce virage est
parfaitement logique, et surtout parfaitement démocratique, le peuple ayant, de
fait, accordé une nette victoire à l’UMP et au FN, bien plus qu’au Front de
Gauche.
Il est en tout cas confirmé par les annonces politiques du
Premier ministre : gel du point d’indice des fonctionnaires, gel des
retraites sont autant de mesures « de droite » – un récent article du
Monde démontrait même que le plan d’austérité
de Valls était plus à droite que celui de Fillon en 2011. Mais il faut avant
tout les analyser comme des mesures de conservation de l’existant, ce qui est
la marque de fabrique des conservateurs qui détiennent le pouvoir depuis la fin
de la Seconde Guerre mondiale. Ce sont les mesures d’un groupe qui s’imagine
que nous avons encore la moindre chance de rembourser notre dette publique, ce
qui est une chimère, ou que, plus généralement, nous serons à même de résister
au multiple choc écologique, économique, politique, social et moral qui s’annonce
– autre rêve de singe.
L’expression « UMPS » a été lancée par Marine Le
Pen, président du Front National, pour fustiger la proximité idéologique (et
surtout la proximité des politiques menées et des pratiques individuelles)
entre l’UMP et le PS. Je regrette d’avoir à le dire, car je n’ai aucune
affection ni pour elle, ni pour son parti, mais son analyse est, en l’occurrence,
parfaitement justifiée.
merci pour cet article
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