samedi 19 avril 2014

L'UMPS, une triste réalité


Dans un précédent billet, j’avais tenté un début de réflexion sur les divisions de l’échiquier politique aujourd’hui. J’étais parvenu à la conclusion que la distinction essentielle ne séparait plus la gauche de la droite mais plutôt les conservateurs d’une part, c’est-à-dire ceux qui souhaitent maintenir en place les fondements du Système, en le faisant plus ou moins évoluer dans ses détails, et d’autre part ceux qui souhaitent changer radicalement de modèle de société. Pour désigner ces derniers, le terme « révolutionnaires » me semble mal choisi, car beaucoup ne considèrent pas la révolution comme un bon moyen de parvenir au bouleversement qu’ils appellent de leurs vœux. En revanche, même si beaucoup d’entre eux (et, puisque je m’inclus moi-même dans cette catégorie, je pourrais aussi bien dire « d’entre nous ») rejetteraient probablement ce nom, je trouve assez justifié de les qualifier « d’utopistes », étant donné qu’ils veulent construire une société entièrement nouvelle.

J’avais donc proposé de schématiser l’échiquier politique occidental actuel non pas sous la forme d’une ligne où on se situerait plus ou moins à gauche ou à droite, mais plutôt selon deux cercles concentriques ainsi divisés :


Au centre se trouvent les conservateurs ; aux marges, les utopistes. Les deux catégories sont elles-mêmes subdivisées, mais pas de manière symétrique.

Le cercle concentrique extérieur, qui rassemble les marges de la radicalité, est clairement divisé en trois catégories selon la vision de la société dont chaque segment est porteur : la gauche radicale insiste sur l’égalité sociale, ce qui la pousse à exiger une forte limitation des inégalités économiques et une démocratie dans laquelle le peuple serait plus réellement au pouvoir ; la droite radicale insiste sur l’homogénéité sociale, ce qui la pousse à rejeter toute forme de différence (l’étranger, celui qui n’a pas la même religion etc.) ; l’écologie radicale, enfin, place la défense de la vie, sous toutes ses formes, au cœur de son projet.

Cette séparation nette en trois segments ne signifie pas que ces trois formes de la radicalité soient sans liens les unes avec les autres. Cette schématisation permet au contraire de rendre compte de ce qui s’explique mal si l’on pense l’échiquier politique comme une ligne allant de l’extrême-gauche à l’extrême-droite (vision selon laquelle tout devrait opposer ces deux extrêmes), à savoir la fréquence des passages individuels de la gauche radicale à la droite radicale – d’anciens syndicalistes de la CGT se présentent aux élections sous l’étiquette FN, et on ne compte plus les anciens maoïstes passés à l’extrême-droite. De la même manière, l’écologie radicale, sans être ni de droite, ni de gauche, peut emprunter des éléments de l’une et de l’autre, dans des dosages qui diffèrent profondément d’un courant à l’autre – l’écologie radicale étant encore une nébuleuse extrêmement diverse.

Il n’en va pas de même pour les conservateurs. Bien entendu, conservateurs de la droite modérée et conservateurs de la gauche modérée ne sont pas exactement de la même nature, et cela pour deux raisons.

La première, c’est qu’ils diffèrent tout de même, de manière assez notable, par des détails – mais les détails ont leur importance ! – de la vision sociale qu’ils portent. Ainsi, le mariage pour les couples homosexuels, ou, en son temps, l’abolition de la peine de mort, auraient eu très peu de chances d’être portés par les conservateurs de droite. Ceux qui se revendiquent de gauche ont gardé de leurs lointaines origines un vague idéal d’égalité ou de justice qui les pousse à ces réformes sociétales – c’est mieux que rien.

La seconde, c’est qu’à l’intérieur de chaque camp se cachent des individus plus ou moins utopistes sous leurs habits de conservateurs. Parmi les partis conservateurs de droite ou de gauche modérée (concrètement, à l’UMP, au PS ou parmi les mille et un micro-partis centristes) se trouvent quelques personnes qui espèrent changer plus ou moins radicalement le Système, et qui se disent qu’ils seront plus efficaces s’ils agissent de l’intérieur d’un « parti de gouvernement ». Au PS, il y a des gens qui sont idéologiquement assez proches du Parti de Gauche, de même qu’à l’UMP, il y a des gens qui sont assez proches du Front National. Ceux-là commettent une énorme erreur stratégique : ils n’ont tout simplement pas compris que ces partis sont là pour maintenir le Système en l’état, et que les idéalistes ou les utopistes déguisés y seront toujours noyés par les réalistes autoproclamés. Mais leur présence contribue à brouiller le message.

Finalement, on pourrait rendre le schéma un peu plus dynamique :


Cela étant, ces deux réalités ne changent rien au fait que sur l’essentiel, PS et UMP se ressemblent de plus en plus. Ce n’est pas tant que la frontière entre droite et gauche n’existe plus ; c’est qu’elle n’existe plus que dans le champ de la radicalité (et encore, comme on l’a vu, de manière assez complexe). Entre les conservateurs de droite et de gauche modérées, elle est devenue extrêmement poreuse, ce qui justifie que, sur le schéma, elle ne soit représentée qu’en pointillés, et que les conservateurs de droite et de gauche soient représentés par la même couleur (ou, dans la seconde version, par un dégradé de la même couleur).

À cet égard, les récentes évolutions au plus haut degré de l’État sont révélatrices. La cinglante défaite du PS aux municipales a entraîné de sa part un énième virage à droite avec la nomination de Manuel Valls à Matignon. Contrairement à ce que crient les représentants de la gauche radicale, ce virage est parfaitement logique, et surtout parfaitement démocratique, le peuple ayant, de fait, accordé une nette victoire à l’UMP et au FN, bien plus qu’au Front de Gauche.

Il est en tout cas confirmé par les annonces politiques du Premier ministre : gel du point d’indice des fonctionnaires, gel des retraites sont autant de mesures « de droite » – un récent article du Monde démontrait même que le plan d’austérité de Valls était plus à droite que celui de Fillon en 2011. Mais il faut avant tout les analyser comme des mesures de conservation de l’existant, ce qui est la marque de fabrique des conservateurs qui détiennent le pouvoir depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce sont les mesures d’un groupe qui s’imagine que nous avons encore la moindre chance de rembourser notre dette publique, ce qui est une chimère, ou que, plus généralement, nous serons à même de résister au multiple choc écologique, économique, politique, social et moral qui s’annonce – autre rêve de singe.

L’expression « UMPS » a été lancée par Marine Le Pen, président du Front National, pour fustiger la proximité idéologique (et surtout la proximité des politiques menées et des pratiques individuelles) entre l’UMP et le PS. Je regrette d’avoir à le dire, car je n’ai aucune affection ni pour elle, ni pour son parti, mais son analyse est, en l’occurrence, parfaitement justifiée.

1 commentaire: