Les élections présidentielles sont parfois assez ennuyeuses.
Celle de 2007 n’a pas été très rigolote. Une fois manquée la tentative de
Bayrou d’arriver au second tour (seule et unique possibilité pour éviter l’élection
de Sarkozy, comme la plupart de mes amis de gauche ne l’ont pas compris – mais
comme Sarkozy l’avait bien compris, lui, l’acharnement qu’il a mis ensuite à le
détruire en témoigne), le résultat final ne faisait plus le moindre doute. Pire
encore en 2012, avec des résultats parfaitement prévisibles (et prévus). Aucune
surprise, ni au premier tour, ni au second : Hollande a été un peu moins
bien élu que prévu, mais il a été élu. J’étais content, mais ce n’était pas la
gaudriole.
2017 pourrait nous amuser un peu plus. Au stade actuel, les
pronostics sont assez difficiles à faire ; c’est pourquoi ils sont si
rigolos.
Il y a en effet beaucoup de variables à prendre en compte.
Tout le monde pense bien sûr au score du FN au premier tour. Vu l’état de
déréliction de la vie politique française (et, en fait, mondiale), un passage
au second est possible. Le ras-le-bol, le (manque de) bilan de l’équipe
sortante, l’absence de foi populaire envers les « solutions »
proposées par la gauche radicale, le pourquoi-ne-pas-les-essayer, le
ils-ne-seront-pas-pires-que-les-autres, tout jouera en leur faveur.
Tout le monde pense aussi au candidat de la droite modérée.
Copé, Fillon, Juppé, Sarkozy ? Un autre, qui ferait, d’une manière ou d’une
autre, une ascension fulgurante d’ici deux ans (peu probable, mais jamais exclu) ?
Beaucoup dépend de ça. Moi, par exemple, je voterais Fillon ou Juppé contre Le
Pen, mais ni Copé, ni Sarkozy. J’assume : je n’irais pas voter du tout.
Mais la variable essentielle, à mon avis, n’est pas
celle-là. Le plus important, c’est le candidat de la gauche modérée. J’ai l’impression
que tout le monde prend pour acquis que Hollande se représentera ; or, c’est
loin d’être une évidence. Quelques signes vont déjà dans le sens contraire.
D’abord, une petite phrase passée un peu inaperçue, où le
Président liait le fait de se représenter à une décrue du chômage. Il
affirmait, en substance, que si le chômage n’avait pas commencé à baisser en
2017, il n’avait aucune chance d’être réélu et aucune raison de se représenter.
On peut comprendre cette phrase de plusieurs manières : il peut vouloir
dire que l’échec de sa mission principale rendrait le fait de se représenter
non pertinent ; ou alors, il peut vouloir dire que c’est le fait de n’avoir
aucune chance de l’emporter qui rendrait le fait de se représenter non
pertinent. De toute manière, comme le chômage n’a quasiment aucune chance de
baisser d’ici-là (et ça, Hollande le sait très probablement), on peut penser qu’il
prépare le terrain en fournissant dès aujourd’hui un motif de ne pas se
représenter.
La raison est un autre argument dans ce sens. Hollande n’a en
effet aucune chance d’être réélu sans une baisse du chômage. D’un point de vue collectif,
il peut préférer faire gagner son camp sans lui que de le faire perdre avec
lui. D’un point de vue personnel, il peut préférer une retraite honorable (« j’ai
essayé, je n’ai pas pleinement réussi, j’ai fait mon temps, place aux jeunes »)
à une défaite humiliante. Pourquoi s’infligerait-il ce qu’il a infligé à
Sarkozy alors qu’il peut y échapper par une porte de sortie qui lui permettrait
de garder la tête haute ? Pourquoi offrir à l’UMP (voire à Sarkozy, s’il
est leur candidat) la revanche dont elle rêve ?
Enfin, il y a la nomination de Valls à Matignon. Tout le
monde va répétant qu’ils se détestent, que le Président n’a pas eu le choix, qu’il
espère qu’il va se griller à la fonction. Je n’en suis pas si sûr. Hollande est
moins falot qu’il n’en a l’air. Il sait qu’avec la présidentialisation de la République,
le Premier ministre peut de moins en moins servir de fusible : c’est le
Président qui est, de plus en plus, personnellement exposé. Être Premier
ministre est de moins en moins risqué : il n’y a qu’à voir la chute de
popularité de Sarkozy, alors que Fillon se maintient passablement bien, pour s’en
convaincre. Hollande pourrait bien, là encore, préparer le terrain au seul
successeur dont il pense qu’il ait quelque chance d’emporter le morceau.
Et cette variable, c’est justement ce qui peut tout changer.
Sauf miracle, Hollande perd en 2017 dans toutes les configurations :
contre l’UMP, mais aussi, très probablement, contre Marine Le Pen. Mais avec
Valls, ce n’est pas certain. Valls l’emporterait probablement face à Le Pen, et
pourrait même l’emporter face à l’UMP. Les gens ne sont pas malins, et ils ont
la mémoire courte : ils ne pardonneront pas à Hollande, mais ils peuvent
exempter Valls de toute responsabilité pour la politique qu’il aura pourtant
menée – de même qu’un récent sondage a révélé qu’ils voulaient à la fois plus d’intervention
de l’État dans l’économie et plus de libéralisme (WTF ?).
Alors attendons. Attendons de voir comment les Lannisters,
les Boltons et les Freys vont jouer cette prochaine manche du jeu des trônes.
Mais n’oublions pas l’essentiel : tout ça, au fond, c’est l’écume, la
surface, la superstructure. C’est amusant, parce que ça remue, ça bouge, ça
trahit, ça complote, ça palabre, ça discoure, ça grandiloque, ça fait la
guerre, ça fait la danse des sept voiles ; mais ce n’est pas très utile.
Des trois partis qui peuvent emporter les élections, deux sont des
conservateurs qui proposent de garder en place un Système qui ne marche pas, et
le dernier est un radical qui propose de changer pour encore pire. Aucune
solution ne sortira de là. Allons donc au théâtre ; allons nous régaler du
spectacle de leur guerre, du sang de ces petits gladiateurs modernes. Mais
entre deux représentations, n’oublions pas de faire de la politique. De la politique
utile, je veux dire.
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