Le pire des personnages de Tintin n’est pas à proprement
parler un « méchant ». Ce n’est pas Allan Thompson, pas
Rastapopoulos, pas le général Tapioca, certainement pas le colonel Sponsz, moins
encore Mitsuhirato. Non, le plus abominable de tous n’est pas un criminel, ni un
bandit assoiffé de pouvoir ou d’argent ; c’est celui que Cavanna appelait « l’authentique
ordure, le vrai Dracula, le roi des cons-méchants, l’assassin du genre humain,
le con-chieur de planète fleurie : monsieur tout-le-monde ». J’ai
nommé Séraphin Lampion.
C’est le beauf de Cabu, en moins méchant et en pas politisé.
À part ça, c’est bien lui. Il a sa bêtise, son ignorance crasse, sa vulgarité. Éternel
importun, souvent à la limite de l’incorrection, parfois franchement grossier, il
ne sert à rien les rares fois où on pourrait avoir besoin de lui. Quand il n’est
pas en train de déranger le capitaine Haddock, il est devant sa télévision. Il
culmine dans une merveilleuse page des Bijoux
de la Castafiore où, apprenant que la diva possède une fortune en joyaux,
il se lance dans une tirade, sa bière à la main : « C’est fou ce que
ça rapporte, chanter ! Hein ? On ne croirait pas ! Notez que je
ne suis pas contre la musique, mais franchement, là, dans la journée, je
préfère un bon demi. » Air pincé de la cantatrice, qui a la classe, elle, même
si elle est aussi un peu ridicule (mais n’est-elle pas la seule à ne jamais trébucher
sur la marche brisée ?), et qui supporte la conversation, assise à côté de
lui.
Bref, Lampion est un rustre, un nuisible, un parasite. Il
est aussi assureur. Il le rappelle à l’envi, dès qu’il se présente : « Séraphin
Lampion, des assurances Mondass. » Ce n’est pas un hasard, naturellement.
Sa profession n’est qu’une autre manière de dire la même chose, et il est un
parasite jusque dans son métier.
Oui, les assureurs sont des parasites ! Pas tous, bien
sûr. Y en a des bien, comme dirait l’autre. Certaines mutuelles, indépendantes
des grands groupes financiers, sans intermédiaires commissionnés, qui ne
pratiquent pas la réassurance et, n’ayant pas d’actionnaires à rémunérer,
peuvent redistribuer l’essentiel des bénéfices aux adhérents (suivez mon
regard), font un très bon travail. D’ailleurs, l’assurance est une mission
essentielle : la plupart des gens ne pourraient pas assumer financièrement
le coût des accidents de la vie qui leur pleuvent dessus comme la vérole sur le
bas-clergé breton. Si la maison d’un ouvrier à la chaîne prend feu, il faut
bien que quelqu’un paye pour la reconstruire, et ce ne sera certainement pas
lui.
Mais c’est justement parce
qu’ils assurent (ah-ah) une mission aussi importante qu’il devrait s’agir d’une
mission de service publique, intégralement prise en charge par l’État, donc conduite
par des fonctionnaires (ce qui est tout aussi vrai pour d’autres activités
comparables comme la banque, la médecine ou la défense des prévenus devant la
justice). Au lieu de quoi, ce service est livré en pâture à une bande de
vautours au milieu desquels seule une infime minorité de mutuelles respecte
les vertueux principes énoncés plus haut.
C’est bien simple : promenez-vous dans votre quartier
et comptez combien il y a de banques ou de compagnies d’assurance. Il y en a
davantage que de boulangeries ! C’est une formidable perte d’énergie et de
moyens. Une agence bancaire ou d’assurance, ce sont des guichetiers, mais ce
sont aussi des chefs de service, un directeur d’agence, des bâtiments, que
sais-je encore. Si on nationalisait tout cela, on n’aurait plus qu’une seule
agence par quartier (ce qui n’a rien à voir avec le communisme, je ne propose
pas de nationaliser les terrains agricoles ou l’artisanat). Bien sûr, il
faudrait davantage de guichetiers pour répondre aussi efficacement aux besoins
du public ; mais on réaliserait d’énormes économies d’échelle en se
contentant d’une seule hiérarchie, d’un seul bâtiment etc. au lieu d’en avoir
dix. On
nous parle de la crise, des dettes publiques ? Mais de qui se moque-t-on ! Des gens qui pompent nos ressources vitales sans rien nous apporter, dont
on pourrait si aisément se passer, n’est-ce pas la définition même d’un
parasite ?
Alors bien sûr, je sais que certains vont me proposer
de rebaptiser ce blog « Chroniques misanthropiques », voire « Meneldil
n’aime pas les gens ». Mais pas du tout, en fait. Je ne propose pas de
pendre avec leurs tripes ces gens dont je devine qu’ils ont quelque talent. Mais
qu’on les mette enfin à une tâche utile ! Et puis que voulez-vous ? Pour
moi ce fut une semaine de merde, souvenez-vous.
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