Il y a des choses qui m’énervent. C’est pas nouveau, vous
allez me dire. Plus souvent qu’à votre tour, allez-vous ajouter si vous êtes un
de mes élèves (je blague, mes élèves ne parlent pas comme ça). Oui mais qui m’énervent
vraiment vraiment. Deux trucs, récemment.
Premier truc : je tombe sur un article du Monde, daté du 25 octobre dernier, et
intitulé « Windows 8 : une prise de risque forte mais obligatoire ».
Moi, bien surpris (« Quoi ? Ils sortent Windows 8 ? Déjà ? »),
très vite affolé (ceux qui se souviennent de mon article du 20 novembre 2011,
tiens, il y a presque pile un an, savent que je me méfie instinctivement de ce
genre de nouveauté, alors quand on m’annonce « une prise de risque forte »,
je commence à suer à grosses gouttes en m’imaginant déjà devoir déployer des
ruses sans fin pour faire tourner mes vieux jeux sur la nouvelle machine), je
me rue là-dessus.
Et là, au cœur d’un article qui me fait pressentir que mes
pires craintes concernant cette nouvelle version satanique vont être non seulement
confirmées mais dépassées, donc m’ayant déjà mis d’une humeur assez noire, je
tombe sur une phrase qui me fige. Je vous la cite in extenso :
« [Les tablettes]
font la différence par leur esthétique dépouillée, leur maniabilité et,
surtout, le fait qu’elles se connectent immédiatement à Internet, alors qu’il
faut encore quelques secondes, voire quelques minutes avec un PC. »
Pardon ? Le fait qu’il faille « quelques secondes »
à un PC pour se connecter à Internet nécessite qu’on perde un temps et une
énergie incroyables à concevoir un nouveau système d’exploitation pour PC ?
Mais dans quel monde vit-on ? Je sais bien qu’on vit dans le « siècle
de la vitesse » et que le Système impose d’aller vite, toujours plus vite.
Je suis bien placé pour le savoir, je lutte contre. Mais qu’un journaliste du Monde écrive sans ciller une énormité
pareille, en ayant l’air de se prendre complètement au sérieux, moi-même, ça me
glace.
Pour me détendre, je vais mater un peu les Guignols de l’info.
Site de Canal+, lancement de la vidéo, évidemment précédée d’une pub. Jusque-là,
rien que de très banal. Ça faisait d’ailleurs longtemps qu’elles me
cherchaient, ces pubs de plus en plus inévitables sur les vidéos. Vous vous
souvenez, au début, il y en avait une, avant la vidéo. Maintenant, sur Youtube,
elles sont partout : en bas, en haut, elles vous cachent l’image, il faut
les minimiser, et encore, elles ne disparaissent jamais complètement, il y a
toujours une vieille flèche pourrie ou un petit onglet en carton pour vous
rappeler que oui oui, si vous avez envie, vous pouvez toujours aller acheter
des guitares ou faire une croisière avec frais de dossier offerts, plutôt que
de regarder tranquillement votre truc. Connard, t’es demeuré ou quoi ? Si
j’avais voulu faire une croisière avec frais de dossier offerts, j’aurais pas
tapé « Rondeau des Indes galantes », j’aurais tapé « Croisière
avec frais de dossier offerts » !
Bref. Énervé mais habitué, je coupe le son de la pub et je
passe sur un nouvel onglet pour vivre ma vie pendant les 30 secondes que va
durer cette petite plaie du quotidien. Les 30 secondes quasiment passées, je
reviens… pour m’apercevoir avec stupéfaction que la pub n’a pas bougé. C’était
tellement énorme que j’ai cru que je l’avais mise involontairement en pause,
Dieu sait comment. J’ai refait le test : eh bien non, c’est comme ça que
ça marche, maintenant. Sur le site de Canal+, quand tu changes d’onglet pendant
les pubs qui précèdent les vidéos, ou quand tu minimises la fenêtre (ils ont
pensé à tout, les salauds, pas d’échappatoire), ta pub se met sagement en pause
en attendant que tu daignes lui accorder toute l’attention qu’elle mérite.
Bon, eh bien ça, je trouve que c’est la goutte d’eau qui
fait déborder le vase. Je suis d’ordinaire un anti-pub nuancé : loin du
fanatisme de certains de mes amis écologistes radicaux, je trouve que les
publicitaires font parfois un boulot génial ; certaines de leurs œuvres sont
extrêmement drôles ; d’autres font indéniablement partie de l’art. Je
regrette évidemment toujours les causes qu’elles servent, le profit et la
consommation, mais je peux trouver du positif dans leur travail (et ce même si
la plupart des pubs sont infiniment merdiques).
En revanche, je trouve absolument insupportable qu’on
cherche à nous imposer de les
regarder. La pub n’a pas à être un sas d’entrée obligatoire vers une vidéo ou
une musique. Comme à la télé, on doit pouvoir changer de chaîne. Bien sûr, je
peux toujours couper le son et ouvrir mon bouquin, voire éteindre mon écran si
je veux absolument préserver mes fragiles pupilles ; mais quand même,
cette manière de faire est mesquine, sournoise, petite, minable.
Il y a un lien entre les deux anecdotes, les plus malins d’entre
vous l’auront bien vu : ils révèlent une société qui a complètement perdu
de vue les choses importantes, qui ne sait plus du tout faire la différence entre
l’essentiel et l’accessoire, et qui cherche à nous imposer l’accessoire en nous
détournant de l’essentiel. Consternant.
Voilà, pour moi ce fut une semaine de merde, alors imaginez…
En même temps, tu vas bien sur internet : Rien ne t'empêchait d'aller te noyer dans la profondeur d'un Héraclite d'Ephèse ou dans la pertinence absolue d'un Platon !
RépondreSupprimerEt après tu oses nous parler de priorité avec des ce symbole de la consommation et de la culture de l'obsolescence que sont les ordinateurs... Ok, mon écran cathodique prend de la place et pollue, mais je le savais, d'abord !