jeudi 24 novembre 2011

L’insécurité dont on parle (et celle dont on ne parle pas)

Sur tous nos écrans ces jours-ci, le viol et le meurtre d’Agnès, bien sûr. Ils tombent vraiment trop bien, ce viol et ce meurtre, pour une partie de la classe politique, dans le contexte actuel de campagne préélectorale, pour que certains médias ne se sentent pas obligés d’en faire des tonnes – obligeant les autres à suivre.

On retombe donc dans les travers et les idioties communes dans ce genre d’affaires, puisqu’on cède alors systématiquement à l’émotion au détriment de la raison. Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit ! Évidemment, ce qu’il s’est passé est tragique, bouleversant. De même, peut-être que certaines erreurs ont été commises. En revanche, il est certaines choses qu’on ne devrait pas dire ; on peut les penser, sous le choc, mais chacun serait bien avisé de les garder pour soi.

Par exemple, il n’est pas sain que l’on soit déjà dans la recherche des responsables, des coupables, des boucs émissaires. On a l’impression que tout le monde traque les juges, les éducateurs, les chefs d’établissement etc. qui ont commis l’erreur d’appréciation fatale : alors que le jeune assassin présumé avait déjà été condamné pour viol, il a été placé en liberté (surveillée) dans un collège mixte ! Or, on oublie ainsi qu’en la matière, le risque zéro n’existe pas : l’homme n’est pas déterminé, il est libre de ses actes ; les prévoir avec certitude est donc impossible, surtout dans une période comme l’adolescence. Allons-nous enfermer systématiquement ceux qui pourraient se révéler dangereux ? Le monde de Minority Report est-il vraiment celui dans lequel nous voulons vivre ?

De la même manière, on assiste toujours aux mêmes lamentables entorses aux droits fondamentaux. Ainsi Claude Guéant, sacrifiant à ce qui semble devenir un passage obligé pour tout ministre de l’intérieur qui se respecte sous la législature actuelle, piétine le secret de l’instruction, puis la présomption d’innocence, au prétexte que le jeune homme a avoué. Doit-on rappeler au ministre que la présomption d’innocence, c’est jusqu’à la décision d’un tribunal légalement constitué, pas jusqu’aux aveux ?

Et puis, on peut se repaître des inéluctables laïus sur la récidive : comme les délinquants sont dangereux, mauvais, pervers, et comme il vaudrait mieux les garder à vie derrière les barreaux, même après leur peine purgée, au moindre risque, pour qu’ils ne puissent plus faire du mal aux braves gens.

On sait où tout ça peut mener : comme en 2002, l’extrême médiatisation de l’insécurité peut aboutir à la présence de l’extrême-droite au second tour de la présidentielle. C’est évidemment le but recherché par beaucoup, tant cela semble être le seul moyen capable d’assurer la réélection de Nicolas Sarkozy.
Et pourtant, il y a bien d’autres fautes dont on parle moins, y compris quand il y a récidive. Est-ce qu’on s’interroge sur les chiffres de la récidive des délits économiques, par exemple, ou du détournement de fonds publics par nos élus ?

On devrait. Un chiffre : depuis 1996, la Security & Exchange Commission (la SEC, le contrôleur des marchés américains) a engagé 51 poursuites pour fraude contre un grand opérateur financier ; mais aucun n’a jamais fait l’objet d’un procès. À chaque fois, l’institution poursuivie a vu reconnaître son innocence… tout en acceptant de payer une amende à l’amiable et de mettre fin à ses pratiques illégales. Puis, un juge valide l’opération… et l’institution récidive de manière systématique.

Est-ce moins grave que ce qui est arrivé à Agnès ? Je ne sais pas. Il n’y a pas directement mort d’homme, mais milliers de personnes se retrouvent au chômage. Si on insistait un peu plus sur cette criminalité-là, le second tour de la présidentielle de 2012 opposerait peut-être François Hollande à Jean-Luc Mélenchon.

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