« J’ai parfois l’impression d’être enfermé dans un asile de fous », écrivait Tolkien dans une lettre. On peut dire la même chose.
Petit retour sur l’actualité de l’oligarchie politico-financière européenne.
Épisode 1 : le 1er novembre 2011 à la Banque Centrale Européenne. L’Italien Mario Draghi, gouverneur de la Banque d’Italie, succède au Français Jean-Claude Trichet comme président de la BCE. De 2002 à 2005, ce même Mario Draghi était vice-président de la branche européenne de la banque d’affaire Goldman Sachs.
Épisode 2 : le 10 novembre 2011 en Grèce. Loukás Papadímos succède à Geórgios Papandréou comme premier ministre. Papadímos n’a certes pas travaillé directement pour Goldman Sachs ; mais de 1994 à 2002, il était gouverneur de la banque centrale grecque. En tant que tel, il a largement contribué à faire entrer son pays dans la zone euro, au moment où la banque américaine « aidait » l’État grec en maquillant ses comptes.
Épisode 3 : le 13 novembre 2011 en Italie. Mario Monti est nommé président du Conseil par le président de la République, Giorgio Napolitano, en remplacement de Silvio Berlusconi, démissionnaire. Mario Monti, lui, est bien un ancien de Goldman Sachs : il en est « conseiller international » depuis 2005.
Nos trois dirigeants, Draghi, Papadímos et Monti sont donc tous les trois des économistes. En période de crise économique, cela pourrait sembler être une bonne idée. Ça le serait, même, si les économistes en question avaient dans le passé dénoncé le Système économique qui nous a menés à la Crise. Manque de chance, ils ont plutôt fait le contraire : ils ont chacun des liens, plus ou moins forts, avec Goldman Sachs ; ils étaient, jusqu’à la Crise, de fervents défenseurs d’un Système qui s’est avéré être pourri de l’intérieur. Il est donc permis de douter de leur compétence économique.
Mais Goldman Sachs, Goldman Sachs… Attendez voir… Ça me dit quelque chose… Pas la banque d’affaire frappée de plusieurs plaintes pour fraudes ? Pas celle qui a maquillé les comptes de la Grèce, diminuant artificiellement sa dette, et contribuant ainsi à la plonger dans la pire crise économique et financière de son histoire ? Pas celle impliquée dans la crise des subprimes en 2007/2008, crise qui fut l’événement déclencheur du marasme économique dans lequel nous nous débattons depuis bientôt quatre ans ? Mais si, mais si : celle-là même.
Autrement dit, l’Europe, la Grèce et l’Italie, trois espaces qui sont, de diverses manières, tout particulièrement englués dans la crise économique que le monde traverse, viennent de recevoir pour dirigeant (politique ou économique) des membres éminents du Système même qui les a plongés dans la Crise.
Et on voudrait qu’ils s’en sortent ? En fait, pas vraiment, et c’est bien là le plus scandaleux, le plus extraordinaire. Pour comprendre ces nominations passablement ubuesques, il faut réaliser que l’Europe et les États européens ne font en réalité que s’enfoncer et s’enfermer dans les œillères de leur idéologie : contre les faits, contre toute raison et contre toute évidence, ils persistent dans le néo-libéralisme.
En sauvant les banques en 2008, ils ne se sont pas donné les moyens de les contrôler, comme ils auraient pu et dû le faire. Pourquoi ? Parce qu’ils ne l’ont pas voulu, parce que cela aurait été contraire à leur idéologie. De la même manière, aujourd’hui, ils ne font rien pour contrer l’emprise des agences de notation, alors même que leur peu de crédibilité a éclaté au grand jour (elles ont toujours accordé la note maximale aux produits subprimes jusqu’en 2008), parce qu’ils continuent de croire aveuglément aux vertus de la prétendue main invisible du marché. C’est ce qui motive aussi la transformation toujours plus poussée des États en vastes entreprises incapables de comprendre le monde autrement qu’en termes de comptabilité.
Par cette idéologie mortifère, les États contribuent au triomphe de l’individualisme intégral, à la disparition progressive de tout ce qui est commun ou collectif. Les mêmes restent toujours au pouvoir, les inégalités se creusent ; et pour reprendre une phrase d’Yves Charles Zarka, « la société des individus devient une juxtaposition de solitudes ».
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