L’accord électoral qui a été conclu entre le parti socialiste et Europe Écologie Les Verts est révélateur des mutations qui ont récemment touché ce dernier mouvement politique. Passons sur les coups bas et retournements de chemise qui ont contribué à écorner l’image de François Hollande : malgré la place médiatique qui leur a été faite, ils ne sont pas le plus intéressant ; car au fond, cet accord en dit bien plus sur les Verts que sur le PS.
Quelques jours avant la signature de l’accord, Cécile Duflot, secrétaire nationale d’EELV, affirmait publiquement que son parti n’avait pas de considérations électoralistes, et qu’il renoncerait à un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale en 2012 plutôt qu’à ses principes et à ses idées, en particulier sur le nucléaire. Premier sujet de rire, car en fin de compte, l’accord fait avaler aux Verts la double couleuvre du maintien du nucléaire dans le bouquet énergétique français et de l’EPR de Flamanville.
Cécile Duflot était-elle hypocrite, ou sa position a-t-elle été défaite par une autre ? Difficile à dire. Mais il est clair que les Verts ont changé : désormais, l’intérêt électoral, le nombre d’élus, de sièges, de postes occupés, font partie de leurs priorités. Plus que leurs idées, leurs principes ? Ils diraient qu’ils ne veulent des postes que pour mieux défendre leur cause. C’est bien possible ; mais l’évolution est néanmoins inquiétante. Les Verts ont commencé par se battre pour défendre leurs idées. Aujourd’hui, ils se battent pour un groupe parlementaire pour défendre leurs idées. Mais en 2017, ils pourraient bien ne plus se battre que pour défendre leur groupe parlementaire.
Un homme semble incarner cette évolution : Jean-Vincent Placé. Qualifié de « requin », de « redoutable animal politique », il assume d’aimer la realpolitik, les manœuvres, la face sombre de la politique. Pourquoi pas ? Quand elles servent vraiment des idées, elles sont sans aucun doute nécessaires, et les mépriser revient à faire preuve d’angélisme.
Mais ce déploiement de stratégie et de tactique est-il vraiment (et durablement) au service d’idées (quoi qu’on pense de ces idées) ? Combien de temps avant qu’il ne se mette au service de la seule ambition, personnelle ou de groupe ?
Principal négociateur de l’accord avec le PS pour EELV, sénateur depuis peu, Jean-Vincent Placé est évidemment un homme qui monte. Mais est-il pour autant un si grand politique ? Le surnom de « Richelieu des Verts » lui va-t-il si bien ? Richelieu était un géant de la politique, un homme qui avait compris ce dont la France avait besoin. Placé, de son côté, affirme être quelqu’un « qui croit dans les partis politiques, dans les syndicats, dans les institutions ». Il en est fier, mais étant donné la coupure qui se creuse entre le peuple et la politique traditionnelle, cela donne plutôt l’impression d’un homme en retard sur son époque, qui n’a pas compris les grandes évolutions en cours.
D’une certaine manière, il résume la dramatique évolution des Verts : d’un parti différent des autres (et donc, par définition, peu efficace dans le système de la démocratie représentative), ils sont en train de devenir, de souplesse en renoncement, un parti comme les autres. De toute évidence, ils gagneront en efficacité au sein des institutions. Je veux bien prendre le pari qu'ils auront les postes, au moins un ministère en cas de (probable) victoire présidentielle à gauche, les groupes parlementaires et les élus qu’ils espèrent. Mais comme ces institutions font de plus en plus la preuve de leur incompétente et de leur incapacité à faire face aux problèmes du monde, EELV va en réalité perdre tout pouvoir réel.
Jean-Vincent Placé, un élu plus qu’un militant, qui n’a jamais travaillé, prévisible au possible, symbolise le triomphe au sein des Verts de l’illusion selon laquelle ce sont les moins convaincus qui font le plus avancer les idées. Il fera sans doute une carrière aussi longue et brillante que possible. La professionnalisation de la politique au seul profit des élus et des notables : c’est exactement ce que, de plus en plus, le peuple rejette en politique. Contrairement à ce qu'ils s'imaginent, les Verts ne sont pas en train d'acheter le pouvoir, ils sont en train de vendre leur âme.
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