Vingt ans après avoir autorisé l’accès des femmes à la
prêtrise, l’Église anglicane leur ouvre enfin les portes de l’épiscopat. Vingt
ans de querelles sur la question : l’Église d’Angleterre elle-même s’est
déchirée entre progressistes et traditionnalistes, mais plus largement la
communion anglicane a elle aussi souffert : plusieurs Églises (aux
États-Unis et au Canada par exemple) étaient très favorables à cette évolution,
alors que d’autres (surtout en Afrique) y demeurent farouchement opposées.
Britishness
oblige, le texte adopté par le Synode reste prudent. Les diocèses qui ne
voudront pas être dirigés par une femme pourront le refuser, à condition de
justifier théologiquement leur refus. Autant dire que ça a peu de chances
d’arriver : les arguments théologiques contre l’accès des femmes à la
prêtrise ou à l’ordination sont d’une vacuité absolue. Que le prêtre configure
le Christ, soit. Mais d’une part, le fait que le Fils Se soit incarné dans un
homme plutôt que dans une femme est-il à ce point signifiant ? N’est-ce
pas plutôt une simple nécessité contingente de l’époque ? Et surtout, le
Christ était juif, circoncis, âgé de moins de 40 ans etc. : demande-t-on à
un prêtre de partager ces caractéristiques ? Il n’y a que l’habitude et la
misogynie qui empêchent les femmes de devenir prêtresses : les
« arguments » en faveur de cette position ne résistent pas à
l’analyse.
La prudence du texte est donc purement tactique : il
s’agit en fait d’éliminer le point de vue traditionnaliste sur la question tout
en ayant l’air de préserver ses prérogatives et de lui donner droit de cité.
L’archevêque de Cantorbéry vient de refaire à ses adversaires le coup qu’Henri
IV avait asséné aux protestants avec l’édit de Nantes : viens dans mes
bras que je te poignarde ! On peut prévoir qu’en Angleterre, très peu de
diocèses imposeront un évêque masculin, et que dans 10 ou 20 ans, les femmes
évêques seront aussi banales que les couples homos mariés (et leurs adversaires
aussi exotiques que Christine Boutin). En Afrique, ce sera une autre paire de
manches, mais ce n’est pas fondamental pour la question.
Je ne peux donc que me réjouir de cette évolution, moi qui
la réclame à cor et à cri pour ma propre Église. Mais – allons-y pour le in cauda venenum – il y a quelque chose
qui semble avoir échappé à beaucoup d’observateurs.
Les journalistes, qui aiment bien jouer à se (et nous) faire
peur, ont bien parlé, dans les semaines qui ont précédé le vote, du risque
qu’il présentait. Les membres du Synode n’avaient-ils pas, en 2012, rejeté à
six voix près cette même évolution ? N’allaient-ils pas encore manquer
d’atteindre la majorité des deux-tiers requise ? Ouhlala ! Crainte,
peur, danger, suspense, tension !
En fait, c’était complètement plié d’avance. D’abord parce
que plusieurs de ceux qui avaient voté non il y a deux ans avaient publiquement
déclaré qu’ils se rangeaient au texte de « compromis » présenté par
Welby. Même si, comme je viens de le dire, ce n’en est un qu’en apparence, les
traditionnalistes lucides (c’est-à-dire ceux qui l’ont compris) avaient déjà
pour la plupart accepté d’avaler la couleuvre, l’apparence de compromis étant
finalement suffisante pour leur permettre de sortir du conflit la tête haute et
de ne pas perdre trop de fidèles parmi les plus conservateurs.
Ensuite, et surtout – et c’est justement ce qui explique le
passage de la couleuvre – parce que le Synode n’était pas du tout seul à
décider. Le Royaume-Uni ignore la laïcité, et l’anglicanisme y est religion
d’État. In fine, c’est donc le
Parlement et la Reine qui décident ; la décision du Synode doit d’ailleurs
à présent être traduite dans la loi par le Parlement. Et en l’occurrence, ce
dernier avait été très clair : si le Synode s’obstinait dans son refus, il
lui forcerait la main en passant directement par la loi. La résistance des
traditionnalistes n’auraient donc pas pu aboutir à leur succès ; elle
n’aurait abouti qu’à une crise qu’ils ne pouvaient que perdre et qui aurait
abîmé l’Église tout entière.
Conclusion ? Dans notre République laïque,
l’Église est parfaitement autonome de l’État, elle fait ce qu’elle veut, et
continue à traiter les femmes en inférieures ; au Royaume-Uni, la société
et l’État ont pu faire réellement pression sur une Église qui, parce qu’elle
est liée à eux, ne peut pas se permettre l’autisme du catholicisme. Non, la
laïcité n’est pas toujours facteur de progrès, et non, une religion d’État
n’est pas toujours synonyme d’arriération.
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