Encore un gouvernement ! Un peu de piquant sur cette
rentrée. La politique – j’entends le jeu politique, la « politique politicienne »,
le jeu des trônes –, c’est comme le sel, c’est une drogue douce. Si vous mangez
tout le temps trop salé, très vite vous trouvez tout ce qui ne l’est pas un peu
fade. Les rebondissements politiques, pour ceux qui s’y intéressent,
ressemblent un peu à ça : ça ne sert strictement à rien, mais ça amuse.
Ça ne sert à rien, puisque depuis plus de trente ans, la France
ne mène plus que des politiques presque absolument semblables ; donc les
rebondissements n’en sont pas vraiment. Même les « alternances » n’en
sont pas, les partis de pouvoir menant tous, sur le fond, la même politique conservatrice
et centriste, qu’ils se revendiquent « de droite » ou « de
gauche » (souvenez-vous de mon petit schéma). Rare qu’on ait quelque chose
de vraiment neuf à se mettre sous la dent ! Les vraies inflexions de fond,
comme le mariage pour tous, n’arrivent pas tous les quatre matins (vous me
direz que, pour celles qui vont dans le bon sens, elles n’en sont que plus
précieuses).
Mais même en ne servant à rien, un remaniement, ça reste un
remaniement, c’est marrant, on voit qui entre, qui sort, qui bouge. Qui bouge
surtout. Ça c’est rigolo, vraiment rigolo. Je me suis toujours demandé comment
on pouvait rester crédible avec des raisonnements pareils. Franchement, comment
peut-on défendre l’idée qu’une seule et même personne soit justement la personne qu’il fallait pour défendre
les femmes, puis la personne qu’il
fallait pour s’occuper du sport, puis la
personne qu’il fallait à l’éducation nationale ? Si elle est si
polyvalente, pourquoi Mme Vallaud-Belkacem n’est-elle pas Premier ministre,
voire Présidente ? Ça révèle vraiment, me semble-t-il, que les ministres
ne connaissent au fond rien à leurs dossiers, qu’ils sont parfaitement
interchangeables, et que finalement ils n’ont que trois fonctions : la
première à destination de la plèbe (incarner la fonction), la deuxième à
destination du parti (représenter tel courant) ou des alliés (fournir un poste
à un parti allié), la troisième étant bien sûr de rémunérer un fidèle ou de
neutraliser un adversaire en satisfaisant son ambition personnelle. Pas grand-chose
à voir, à chaque fois, avec le destin d’un pays.
Puisque ça sert si peu, pourquoi parler de ce remaniement,
me direz-vous ? Parce qu’il y a quand même des signes intéressants. Un
moyen assez pertinent de juger un nouveau gouvernement, c’est de regarder qui
est content et qui ne l’est pas. Qui n’est pas content, aujourd’hui ?
Toute la gauche réelle (aile gauche du PS et gauche radicale). Qui est content ?
Le patron du Medef, Pierre Gattaz, une abominable ordure qui ne pense qu’à
enrichir les riches, dont il fait évidemment partie ; et les marchés
financiers, qui ont « bien réagi » à l’annonce du remaniement. Le Frankfurter Allgemeine Zeitung y voit la
preuve que l’événement est positif ; moi j’y vois la preuve, si besoin
était, 1) que l’événement n’est pas positif du tout, et 2) que le FAZ est bien un journal conservateur
libéral, on est rassurés.
Pas une bonne nouvelle, donc : le nouveau gouvernement va
aller encore plus vite et encore plus fort dans le mur en continuant la même politique
débile. Au moins, les choses ont le mérite d’être claires, ce qui n’était pas
vraiment le cas tant que l’aile gauche du parti participait à l’exécutif.
Taubira reste, ce qui est bien généreux de sa part et apporte la caution d’une
femme bien à un gouvernement merdique, mais il ne faut pas perdre une occasion
de faire enrager la Manif pour tous, alors alléluia.
Quid de la suite ? Je reste persuadé que Hollande ne se
représentera pas et qu’il pousse Valls vers une candidature. Mais à mon avis,
il a perdu une bonne occasion de s’assurer la victoire en 2017. S’il avait quelque
chose dans le pantalon, il aurait dissout l’Assemblée nationale, l’UMP se
serait empressée de remporter les législatives anticipées, on aurait eu une
belle cohabitation (en plus les Français adoraient ça, les cohabitations, je
suis sûr qu’au fond ça leur manque), mais bien sûr le nouveau gouvernement n’aurait
pas fait mieux que le PS en matière d’économie (puisque l’économie n’est pas
sauvable dans le cadre du système actuel), et donc l’UMP aurait perdu les
présidentielles (et donc les législatives anticipées) de 2017.
C’était un pari, bien sûr, mais qui avait peu de chances d’être
perdu. D’ailleurs, les vieux renards de l’UMP comme Juppé ou Raffarin ne s’y
sont pas trompés, et ils ont bien dit qu’à leur avis une dissolution n’était
pas la solution (au passage, regardez qui, à l’UMP, a demandé ladite
dissolution, vous pouvez ainsi repérer aisément les gros cons dénués de toute
finesse politique). Au lieu d’acheter une victoire presque certaine en 2017 pour
son parti en payant le prix, bien modeste, vous en conviendrez, de deux ans de
pouvoir de la droite durant lesquels il aurait pu s’amuser et se donner le beau
rôle avec la politique internationale, Hollande a préféré s’accrocher à une majorité
qui n’en est même plus une pour tomber, au bout de deux ans de galère
prévisible, sur une présidentielle pas du tout acquise où il faudra aller
chercher la victoire avec les dents – si victoire il y a.
Belle illustration de la mollesse et du manque d’audace et
de lucidité de l’exécutif. Mais qu’on ne s’y trompe pas : le camp d’en
face ne ferait pas mieux. Ce dont nous avons besoin, décidément, c’est d’un
renouvellement complet de notre vision politique.
*** EDIT ***
J’apprends à l’instant que le nouveau ministre de l’économie
est un ancien banquier d’affaire de la banque Rothschild. Je crois qu’il n’y a
rien à ajouter à l’info. Comme
dirait John Milton dans The Devil’s
Advocate : « I rest my case. »
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