Une calme fin d’après-midi dans un beau jardin plein de
roses, près d’un bassin harmonieux où les poissons rouges se coulent entre les
iris d’eau, les menthes aquatiques et les nénuphars, ça n’incite pas franchement
au pessimisme. Mais pour le redevenir, pessimiste, ou plutôt réaliste, lucide,
il suffit d’ouvrir le journal. Alors dénonçons ! Et devenons la preuve
qu’on peut être la voix qui crie depuis le jardin tout en étant celle qui crie
dans le désert.
Le gouvernement espagnol s’apprête en ce moment même à faire
passer sa loi « antimanifestations ». Juste après le projet de nos
propres sinistres bouffons sur la sécurité et la prévention du terrorisme,
c’est révélateur : y a comme un lien. Greenpeace a d’ailleurs surnommé le
projet de loi espagnol « la loi bâillon ».
L’idée générale ? D’abord, comme chez nous, donner à
l’administration le pouvoir de punir ceux qui auraient l’audace de s’opposer au
pouvoir, sans avoir à passer par un juge évidemment. Mais oui, souvenez-vous,
je vous le disais il y a quelque temps, un juge, ça fait chier ;
l’administration est, comme on le sait tous très bien, beaucoup plus humaine,
juste, attentive aux situations individuelles, aux circonstances,
toussa-toussa. Donc voilà, hop, on transfère des pouvoirs de la justice sur
l’administration, donc, in fine, sur
l’exécutif. Vous avez dit séparation des pouvoirs ? Ah ah, vous êtes so has been.
Ensuite, tant qu’à confier à l’exécutif le soin de faire
respecter la loi, autant lui donner les moyens de frapper fort. À nous, mânes
de Saint-Just et de Fouquier-Tinville ! À nous, 1794 ! Il faut
terroriser l’ennemi intérieur. Vous perturbez le déroulement d’une réunion ou
d’une manifestation ? Vous risquerez maintenant, en Espagne, jusqu’à
30 000€ d’amende. Vous organisez une réunion ou une manifestation non
déclarée dans des installations « qui offrent des services basiques pour
la communauté » ? Vous pourrez avoir à payer jusqu’à 600 000€
d’amende. Non, je n’ai pas rajouté un zéro. C’est sûr que ça va faire réfléchir.
La convergence avec ce qu’il se passe en France est
évidente, et terrifiante. On assiste à un mouvement continental et probablement
planétaire : au nom de la lutte contre le terrorisme, ou de la lutte
contre les manifestants, ou contre les perturbateurs, contre les squatteurs,
contre les marginaux, contre les SDF, contre les chômeurs, contre les ONG,
contre ceux qui sont différents, contre un peu tout le monde en fin de compte,
mais toujours au nom de l’Ordre, nos sociétés sont en train de fouler au pied
nos libertés fondamentales et tout ce qui permettait qu’elles fussent
respectées.
Je suis moi-même un grand amoureux de l’Ordre ; mais il
faut comprendre qu’on ne peut pas vouloir l’Ordre à tout prix. Je dirais, pour
parodier le Christ, que l’Ordre a été créé pour l’homme et non pas l’homme pour
l’Ordre ; que l’Ordre est une fin et non pas un moyen, et qu’il faut donc,
en fait, un équilibre entre Ordre et Désordre. Nous sommes en train de détruire
cet équilibre, sous la pression conjuguée des États, des grandes entreprises et
de la frange la plus réactionnaire de toutes les religions.
Et tout cela se fait de manière parfaitement démocratique.
J’entends déjà, évidemment, les cris d’orfraie de ceux qui vont hurler :
comment ça ? Démocratique ? Tu oses dire ça, alors que pas du tout,
ce n’est pas une démocratie, enfin pas une vraie, et puis d’abord Hollande est
un fasciste, c’est évident, c’est prouvé !
Vous avez remarqué ? C’est toujours comme ça avec la
démocratie : elle n’est jamais assez démocratique. La Russie, l’Iran, le
Venezuela sont formellement des démocraties, et pourtant il y a pléthore de
contempteurs de ces régimes qui vont clamant que pas du tout. Notez bien que
ces gens font en général leur choix : ceux qui disent que le Venezuela
n’est pas une démocratie du tout mais un totalitarisme rouge trouvent souvent
qu’il n’y a rien à redire aux pratiques de Poutine ; inversement, ceux qui
voient en la Russie une dictature déguisée peuvent être par ailleurs de grands
admirateurs du régime chaviste. Et il y a ceux qui mettent tous ces pays dans
le même sac pour dire qu’il n’y a vraiment qu’en Europe et aux États-Unis qu’on
a une vraie démocratie. Et puis ceux qui disent que non, nos régimes n’ont rien
de démocratique, faut tout changer.
Sincèrement, vous ne trouvez pas que c’est un signe ?
Si demain on instaure la proportionnelle, vous pouvez être sûrs et certains que
les partisans de la démocratie directe hurleront que ce n’est pas assez. Qu’on
instaure la démocratie directe, et les partisans du tirage au sort crieront au
fascisme… Ouvrez les yeux, putaneus !
Notre régime est démocratique. Mal
fichu comme il est, c’est quand même le peuple qui élit les puissants. Il
s’abstient massivement ? C’est son
choix. Il est poussé à voter pour les partis gouvernementaux ? C’est son choix d’obéir, de ne pas voter pour
les autres, de ne pas créer de nouveaux partis. Et quand il vote pour des
extrêmes, c’est son choix de voter Front
National et pas Front de Gauche. Il n’est pas éduqué ? Ben non, il n’est
pas éduqué, je me tue à vous le dire !
La démocratie, ce ne sont pas la séparation des pouvoirs et
les libertés fondamentales. Ça, ce sont des choses qui peuvent parfaitement
exister indépendamment de la démocratie. La démocratie, c’est la souveraineté
populaire, point barre. Et actuellement, c’est par la souveraineté populaire
qu’on envoie chier la séparation des pouvoirs et qu’on piétine les libertés
fondamentales. Preuve, s’il en était besoin, que la démocratie n’est pas une
garantie que nous conserverons ces acquis.
C’est la démocratie qui nous mène, petit à petit, vers
la dictature. Monarchie éclairée, Royauté participative, Constitution
inchangeable : Tol Ardor ! Debout, les morts !
*** EDIT ***
Nouvelle sans surprise : le Royaume-Uni emboîte le pas
aux propositions de Valls et propose tout simplement de saisir les passeports
des personnes qui seront suspectées de préparer des actes terroristes. Et l’Australie,
de son côté, a – tout simplement, là encore – interdit à ses médias de parler d’une
affaire de pots-de-vin embarrassante pour la Banque centrale australienne et
pour plusieurs chefs d’États et de gouvernements asiatiques.
Ce n’est donc, on s’en doutait, pas la France qui
serait un cas isolée : les démocraties occidentales courent vers la
dictature.
Il y a un risque c'est certain; Il y a un risque parce que les temps sont incertains et les dangers de totalitarisme vrais, forts et puissants aussi.
RépondreSupprimerLa crise accouche d'enfants peu recommandables.
A nous la sagesse et l'art de concilier liberté, bien commun et respect. Douce illusion ? Non simplement "espérance", la conviction que l'homme est bon et que ses folies sont comme autant de poussées de fièvres qui font des ravages mais ne tuent pas son âme.
Mais une démocratie trop faible est aussi un risque de dictature.