Ça fait donc deux billets que j’écris sur le foot. Je me
sens un peu comme Laszlo Carreidas quand il s’aperçoit qu’il a ri trois fois dans
la même journée : si ça continue comme ça, il va falloir que j’en parle à
mon médecin. Je me rassure, néanmoins, en me disant que je ne viens pas ici
pour parler de football, mais bien de la Divine Providence, de la Justice de
Dieu, du retour de karma ; autrement dit, de choses bien plus importantes.
Je n’ai pas regardé le match, bien sûr, comme aucun des
autres matchs (ne me dites pas que vous y avez cru !). Comme d’habitude,
je me suis contenté du Zapping, qui me procure tout ce qu’il faut à mon bonheur :
les actions les plus remarquables (jamais plus de dix secondes d’affilée), plus
quelques gros plans sur les joueurs pour voir un peu à quoi ça ressemble, un
footballeur.
On n’a pas que des gros plans sur les joueurs, bien sûr. Surtout
dans un cas comme ça, avec une bonne grosse surprise, on n’échappe pas aux gros
plans sur les supporters, surtout sur les déçus. Les journalistes traitent le
sujet à la manière d’un attentat à la bombe ou d’une catastrophe naturelle :
à moins de lui fournir une mère en pleurs, le public ne vous en tient pas
quitte. J’ai donc vu des gens pleurer, crier, lever les bras au ciel. Passons
rapidement sur le côté idolâtre de la chose, même si je me permets de bien
rigoler sous cape quand je vois des gens trouver choquant ou stupide le volet polythéiste
de ma religion, mais parfaitement normale cette religion dont les dieux sont
onze types pas si extraordinaires que ça et dont le salut consiste à envoyer un
ballon dans un filet plus de fois que les dieux adverses ne vous le font à
vous.
Est-ce que j’ai de la peine pour ces gens qui hurlent à la
mort et se couvrent la tête de cendres parce que leur équipe a perdu ? Un
peu. Pas trop, je dois bien l’avouer. Ma première impulsion est de me dire qu’ils
vont s’en remettre, quand même. Mais après, je repense à ces gens que j’ai
entendu parler du match France-Allemagne de 1982 : ils n’étaient pas nés à
l’époque, et pourtant on aurait cru entendre des survivants raconter Oradour-sur-Glane.
Alors finalement, peut-être qu’ils ne vont pas s’en remettre si vite que ça.
Je me dis aussi qu’en l’occurrence, le malheur des uns fait
forcément le bonheur des autres. Évidemment, on pourrait me renvoyer à un
raisonnement utilitariste et me dire qu’une victoire du Brésil aurait
certainement fait plus d’heureux que n’en a fait celle de l’Allemagne :
non seulement les ibériques et les latino-américains doivent avoir pris fait et
cause pour eux, mais j’ai l’impression que, pour une obscure raison, les Français
ont fait pareil, alors pourquoi pas d’autres encore ?
Mais je trouve tout cela largement contrebalancé par le
puissant sentiment de justice enfin rendue que j’ai éprouvé en apprenant non seulement
la défaite, mais la véritable humiliation du Brésil. Pas vous ? Allons !
Ce pays a gaspillé pour le foot des milliards dont son peuple avait autrement
besoin, il a tout fait pour écraser les révoltes et les protestations, il a
piétiné le nécessaire au profit du superflu ; et finalement, ces milliards
ont été perdus, pire : ils ont été dépensés pour la mise en scène la plus
grandiose possible de leur propre supplice. Ça fait (encore !) deux fois
que je le dis, mais tant pis : « Juste retour, monsieur, des choses d’ici-bas ! »
Cette défaite prouve et illustre le tort de ceux qui ont fait passer un sport
avant les besoins fondamentaux d’une population encore très misérable ; le
statut de « pays émergent » tend trop souvent à faire oublier que le
Brésil est le pays le plus inégalitaire au monde.
Cela étant, il ne faudrait pas que ça aille trop loin, toute
cette histoire. Si vraiment la Divine Providence voulait faire éclater tout
grand Sa très haute miséricorde, il faudrait quand même que les Allemands perdissent
le match suivant. En effet, l’Allemagne a un statut à part en Europe :
celui, usurpé, de première puissance économique du continent. Pourquoi usurpé ?
Parce que l’Allemagne n’est forte (presque) que de la faiblesse des autres. Son
modèle fondé sur les exportations ne peut fonctionner que si elle trouve des
voisins pour acheter ses produits. L’Allemagne a donc beau jeu de critiquer
leurs dépenses excessives : sans ces mêmes dépenses, elle ne serait rien
elle-même.
Mais le bon usage de la raison n’étant pas la chose du monde
la mieux partagée, rien n’y fait, et l’Allemagne passe pour un modèle. Aussi
les patrons et les oligarques l’utilisent-ils à l’envi pour culpabiliser la
plèbe : regardez comme on travaille, de l’autre côté du Rhin !
Regardez comme ils se serrent la ceinture sur les salaires ! Entre nous
soit dit, allez voir les salaires des patrons allemands, et vous vous rendrez
compte que tout le monde ne se serre pas la ceinture, au pays de la
mère-la-vertu.
Si l’Allemagne venait à remporter le Mondial, ce serait la
catastrophe : les gens réfléchissant peu, ça ne pourrait que faire briller
encore plus l’auréole dont elle s’est coiffée, et donc renforcer son statut de
modèle à suivre et à imiter.
Pour être parfaitement franc, je n’ai pas la moindre idée de
qui l’Allemagne va affronter ce soir (est-ce que c’est bien ce soir, déjà ?)
en finale. L’Argentine, peut-être ? No
sé. Mais une chose est certaine : allez les autres !
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